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DISCOURS SUR LE PSAUME LXV.

PRÊCHÉ À  CARTHAGE.

LA FOI EN LA RÉSURRECTION.

 

Double erreur des Juifs qui ont attendu dans la résurrection les biens de la terre, et cru qu’ils ressusciteraient seuls. Jésus répond que nous serons alors comme des anges. C’est un bonheur que toute la terre doit chanter, chanter même extérieurement ou sur le psaltérion, afin que les hommes en soient édifiés. La grâce est pour tous, mais n’est point le salaire de nos mérites. De là cette crainte que doivent nous inspirer les oeuvres de Dieu, qui donne la lumière aux humbles et aveugle les orgueilleux. Les Juifs ont été retranchés, et les Gentils insérés à leur place: de cette insertion Dieu retranche encore les hérétiques. Le mensonge de ses ennemis concourt à sa gloire. Mensonges d’accusation, mensonges contre la résurrection. Jésus triomphe en montant au ciel. Les Gentils qui étaient une mer sont devenus une terre sèche. Toute âme humble passe à pied sec le fleuve de la vie, pour s’épanouir en Jésus-Christ, qui est ici-bas notre espérance, qui sera notre force. Au rejeton d’Abraham, nous devons ce que nous sommes, il nous éclaire, nous maintient dans la vertu, nous soutient dans les épreuves, nous aide à supporter les hommes. C’est lui qui nous garantit du feu qui nous consumerait, de l’eau qui nous corromprait. Offrons-lui des holocaustes, c’est-à-dire que le feu ne laisse en nous rien de terrestre, des holocaustes intérieurs, par la charité, qui lui amèneront les boeufs et les boucs, les innocents et les coupables. Il fait à notre âme cette faveur, qu’il la tire du culte des idoles pour la tourner vers lui, qu’il nous détourne de l’iniquité, nous donne la prière, et par la prière la miséricorde.

 

1. Ce psaume a pour titre : « Pour la fin, chant du psaume de la résurrection 1 ». Lorsque dans l’énoncé d’un psaume vous entendez « pour la fin », comprenez: pour le Christ, d’après cette parole de l’Apôtre : « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront 2 ». Vous allez donc entendre un chant de résurrection, et savoir qui ressuscite, autant qu’il voudra bien lui-même nous en donner l’intelligence. Nous autres, chrétiens, nous connaissons la résurrection qui s’est opérée dans notre chef, et qui aura lieu dans ses membres. « Le Christ est chef de l’Eglise, et l’Eglise forme les membres du Christ 3 ». Ce qui s’est tout d’abord accompli dans le chef, doit ensuite s’accomplir dans le corps. Telle est notre espérance voilà pourquoi nous croyons, voilà ce qui nous soutient, ce qui nous fait supporter la malice de ce monde, parce que l’espérance nous

 

1. Ps. LXV, 1.— 2. Rom. X, 4. — 3. Coloss. I, 18.

 

console , jusqu’à ce que l’espérance devienne réalité; or, elle se réalisera quand nous ressusciterons, alors que devenus célestes nous serons semblables aux anges. Qui oserait l’espérer, si la vérité même ne l’avait promis ? Ces promesses, cette espérance, les Juifs les avaient aussi; de là vient qu’ils se glorifiaient de leurs bonnes oeuvres, comme des oeuvres de justice, parce qu’ils avaient reçu la loi, et qu’en la prenant pour règle de vie, ils devaient posséder ici-bas des biens temporels, et à la résurrection des morts, acquérir ces mêmes biens qui faisaient leur joie ici-bas. Aussi les Juifs ne pouvaient-ils répondre aux Sadducéens, qui niaient la résurrection future, et qui leur proposaient la question qu’ils firent au Seigneur. Nous comprenons, en effet, par l’admiration que leur causa la solution du Seigneur, que cette question était pour eux insoluble. Les Sadducéens le questionnaient donc au sujet d’une femme qui avait eu sept (56) maris, non pas simultanément, mais successivement. Pour favoriser l’accroissement du peuple, la loi ordonnait que si un homme venait à mourir sans enfants, son frère, s’il en avait, épouserait sa veuve, afin de susciter des enfants à son frère 1. Ils proposèrent donc une femme qui avait eu sept maris, tous morts sans enfants, et qui n’avaient épousé cette veuve de leur frère, que pour accomplir ce devoir, et firent alors cette question : « A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle la femmes 2 ? » Assurément, cette question n’eût été pour les Juifs ni insoluble, ni même difficile, s’ils n’avaient pas espéré après la résurrection le même genre de biens qu’en cette vie. Mais le Seigneur en leur promettant d’être comme les anges, et non point dans la corruption d’une chair humaine, leur dit : « Vous êtes dans l’erreur, ne sachant ni les Ecritures, ni la puissance de Dieu; à la résurrection, les hommes n’auront point de femmes, ni les femmes de maris, ils ne seront plus assujettis à la mort, mais ils seront comme les anges de Dieu 3». Il leur montre qu’il y a besoin de succession, là seulement où il y a des décès à pleurer; mais qu’il n’est plus besoin de successeurs quand il n’y a point de décès. C’est pour cela qu’il ajoute : ils ne seront plus assujettis à la mort. Toutefois, comme les Juifs croyaient à la résurrection future, quoique d’une manière charnelle, ils furent heureux de cette réponse faite aux Sadducéens, avec lesquels ils étaient en dispute au sujet de cette question captieuse et obscure. Donc les Juifs croyaient à la résurrection des morts ; et ils espéraient qu’eux seuls ressusciteraient pour la vie heureuse, à cause de l’oeuvre de la loi, à cause de la justification des saintes Ecritures, qu’ils possédaient seuls, à l’exclusion des Gentils. « Le Christ a été crucifié, l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise 4» :

ainsi dit l’Apôtre. Or, la résurrection fut promise aux Gentils, quand ils crurent à la résurrection de Jésus-Christ. De là vient que notre psaume combat cette orgueilleuse présomption des Juifs, et célèbre la foi des Gentils appelés à la même espérance de résurrection.

2. Voilà, mes Frères, eu quelque manière

 

1. Deut. XXV, 5 — 2. Matth. XXII, 28. — 3. Id. 23-30; Luc, XX, 27-36. — 4. Rom. XI, 23.

 

le sens du psaume. Arrêtez votre attention sur le peu que j’ai dit et que je viens d’expo. ser; ne vous en laissez détourner par aucune autre pensée: le psaume contredit la présomption des Juifs,qui se basaient sur les justifications de la loi, et ont crucifié Jésus-Christ, lequel est ressuscité le premier, et les Juifs seront les seuls de ses membres qui ne ressusciteront point avec lui, mais tous ceux qui ont cru en lui, c’est-à-dire les Gentils. Voici comme il commence : « Sonnez de la trompette au Seigneur 1 » Qui sonnera? « Toute la terre ». Donc la Judée ne sera point seule. Voyez, mes Frères, comme il est question de l’Eglise entière répandue dans l’univers ; et non-seulement plaignez les Juifs, qui enviaient cette faveur aux Gentils, mais pleurez encore plus sur les hérétiques. Car s’il faut plaindre ceux qui ne sont point amenés au bercail, combien plus encore ceux qui n’y sont venus que pour en sortir ? « Que toute la terre donc sonne de la trompette au Seigneur ». Qu’est-ce à dire: « Sonnez de la trompette? » Poussez des cris de joie, si les paroles vous manquent. Les paroles ne vont point dans la trompette, mais seulement les sons joyeux; c’est le coeur qui déborde, qui jette sa joie au dehors, avec de simples cris que nulle parole ne peut rendre. « Que toute la terre sonne de la trompette au Seigneur : que nul ne se fasse entendre sur une partie seulement. Non dis-je, que nul ne divise la terre; que la terre entière soit dans la joie, que cette joie soit catholique. Dire catholique, c’est dire universelle : quiconque divise se sépare du tout ; il veut hurler, mais non sonner de la trompette. « Que la terre sonne de la trompette au Seigneur ».

3. « Chantez des psaumes en son nom 2»Que veut dire le Prophète? que les chants des psaumes soient une gloire pour son nom. Hier je vous ai dit ce que signifie chanter un psaume, et il me semble que votre charité s’en souvient. Chanter un psaume, c’est prendre une lyre appelée psaltérion, et mettre l’action de la main qui touche d’accord avec la voix. Si donc vous êtes dans la jubilation, que Dieu vous entende; mais touchez votre harpe, afin que les hommes vous voient et vous entendent; mais non pas en votre nom. « Gardez-vous, en effet, de faire vos oeuvres de justice en présence des hommes, afin d’en

 

1. Ps. LXV, 2. — 2. Id.

 

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être vu ». Au nom de qui, me diras-tu, faut-il toucher de la harpe, afin que mes oeuvres soient dérobées au regard des hommes? Voyez dans un autre endroit: « Que vos oeuvres aient de l’éclat aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes actions, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux 2. Qu’ils voient vos bonnes actions et qu’ils glorifient », non pas vous, mais Dieu, Car si vous ne faites le bien que pour en tirer une certaine gloire, on vous fera la réponse que fit le Sauveur à propos de certains hommes de cette catégorie : « En vérité, je vous le déclare , ils ont reçu leur récompense » ; et encore : « Autrement vous n’aurez point de récompense de « votre Père qui est dans les cieux’ ». Donc, diras-tu, je dois cacher mes oeuvres, et ne point les faire en présence des hommes? Point du tout. Que dit en effet le Sauveur? « Que vos oeuvres aient de l’éclat en présence des hommes ». Je demeurerai donc dans l’incertitude. D’une part, vous me dites : « Gardez-vous de faire vos oeuvres de justice devant les hommes» ; et d’autre part: « Que vos oeuvres aient de l’éclat en présence des hommes ». Quel précepte écouter ? que faire? que laisser? Il y a pour l’homme la même impossibilité de servir deux maîtres, qui donnent des ordres différents, que d’en servir un seul, dont les ordres sont différents aussi. Mais le Seigneur n’a point dit : Mes préceptes sont différents. Remarque bien la fin, et chante pour la même fin; vois pour quelle fin tu dois agir. Si tu agis pour en tirer ta gloire, voilà ce que je défends; mais si c’est pour la gloire de Dieu, voilà ce que j’ordonne. Chantez donc sur la harpe, non pas en votre nom, mais au nom du Seigneur votre Dieu. A vous le chant, à lui la louange; à vous de vivre saintement, à lui d’en retirer la gloire. D’où vous vient le moyen de vivre saintement? Si vous l’aviez de toute éternité, votre vie n’aurait jamais été coupable; si vous l’aviez de vous-mêmes, votre vie n’aurait jamais manqué d’être sainte. « Chantez donc sur la lyre au nom du Seigneur ».

4. « Mettez votre gloire dans ses louanges 4 ». Le Prophète veut que toute notre volonté soit pour la gloire de Dieu, il ne nous laisse aucun sujet de nous louer nous-mêmes. Il n’en faut que plus nous glorifier et nous

 

1. Matth. VI, 1. — 2. Id. V, 16. — 3. Id. VI, 1,  2. — 4. Ps. LXV, 2.

 

réjouir; attachons-nous au Seigneur, et qu’en lui soit notre louange. Dans la lecture de l’Apôtre vous avez entendu : « Considérez votre vocation, mes Frères, vous trouverez parmi vous peu de sages selon la chair, peu de puissants et peu d’illustres; mais Dieu a choisi ce qui est fou selon le monde, pour confondre les sages; il a choisi ce qui est  faible selon le monde, afin de confondre les forts; il a choisi ce qu’il y a de plus vil, ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, afin de détruire ce qui est 1 ». Qu’a-t-il voulu dire? qu’a-t-il voulu montrer? Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est Dieu, est venu restaurer le genre humain, et donner sa grâce à tous ceux qui comprennent qu’elle est un don de lui, et non un mérite de leur part; et pour que nul homme ne pût se glorifier selon la chair, il a choisi les infirmes. Car le mérite ne fit pas choisir Nathanaël lui-même. Que diras-tu , en effet? Voilà Matthieu le Publicain, choisi sur son comptoir 2 , et le Sauveur ne choisit point Nathanaël, à qui néanmoins il rend témoignage en ces termes : « C’est là un vrai israélite, sans déguisements  3». On comprend alors que Nathanaël était savant dans la loi. Non pas que le Sauveur ne dût pas choisir des savants; mais s’il les eût choisis tout d’abord, ils auraient attribué leur élection au mérite de leur doctrine ; la louange eût été pour leur science, et la louange de la grâce dans le Christ en eût souffert. Il lui rendit témoignage comme à un bon fidèle qui n’a pas de déguisement, et néanmoins il ne le mit pas au nombre de ses disciples , qu’il choisit d’abord parmi les illettrés. Et qu’est-ce qui nous fait comprendre qu’il était habile dans la loi? Quand l’un de ceux qui avaient suivi le Seigneur lui dit z « Nous avons trouvé le « Messie, appelé le Christ» ; il demanda d’où il était, et comme on lui répondit: « De Nazareth » ; « il peut », dit-il à son tour, « venir quelque chose de bien de Nazareth ». Mais dès qu’il comprenait que de Nazareth pouvait venir quelque bien, il était habile dans la loi et avait examiné attentivement les Prophètes, Je sais que l’on donne à ces paroles une autre accentuation, mais qui n’est pas adoptée par les plus habiles, et d’après laquelle il aurait répondu avec un certain désespoir : « De Nazareth peut-il venir quelque

 

1. I Cor. I, 26-28. — 2. Matth. IX, 9. — 3. Jean, I, 41.47.

 

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bien? » C’est-à-dire, est-ce bien possible? et donnant à sa réponse l’accent du doute. Nous lisons ensuite : « Venez et voyez 1 ». Or, cette réponse : « Venez et voyez », peut convenir à chaque manière de parler. Si c’est le doute qui vous fasse dire : « De Nazareth peut-il venir quelque chose de bon? »  la réponse est : « Venez et voyez », puisque vous ne croyez point. Si vous dites affirmativement: « De Nazareth il peut venir quelque chose de bon » ; la réponse sera aussi : « Venez et voyez » combien est bon ce que je vous dis de Nazareth; venez voir que vous avez raison de croire , faites-en l’expérience. On peut aussi conclure en faveur de son habileté dans la loi, de ce qu’il ne fut pas admis nu nombre des disciples par celui qui a choisi ce qu’il y a de faux selon le monde, alors que le Seigneur lui rendait ce témoignage : « Voilà un vrai israélite, sans déguisement ». Dieu choisit donc ensuite des orateurs; mais ceux-ci eussent pu s’enorgueillir, s’il n’eût d’abord choisi des pêcheurs : il choisit des riches; mais ils auraient cru que c’était en considération de leurs richesses, s’il n’avait d’abord choisi des pauvres; il choisit ensuite des empereurs; mais il était plus avantageux pour home de voir un empereur y faire son entrée en déposant son diadème, et en pleurant au souvenir d’un pêcheur, qu’un pêcheur pleurant au souvenir d’un empereur. « Dieu a choisi ce qu’il y a de faible selon le monde pour confondre ce qui est fort; il a choisi ce qu’il y a de méprisable pour réduire au néant ce qui est, comme ce qui n’est point 2». Et quelle est la suite? L’Apôtre conclut ainsi:

« Afin que nulle chair ne se puisse glorifier devant Dieu 3 », Voyez comment il nous interdit la gloire pour nous donner la gloire; il nous interdit la nôtre afin de nous donner la sienne; il nous enlève de la gloire ce qui est futile, pour nous en donner la plénitude; une gloire chancelante, pour nous donner la gloire solide. Combien donc notre gloire n’en est-elle pas plus forte et plus solide pour être en Dieu? Ce n’est point alors en toi-même qu’il faut te glorifier, la vérité te le défend; mais cette parole de l’Apôtre est le précepte de la vérité : « Que celui qui se glorifie, le fasse dans le Seigneur 4». N’imitez point les Juifs, qui voulaient

attribuer leur justification en quelque sorte à leurs propres mérites, et

 

1. Jean, I, 41-47. — 2. I Cor. I, 27, 28. — 3. Id. 29, — 4. I Cor. I, 31

 

portaient envie aux Gentils qui arrivaient à la grâce évangélique pour obtenir la rémission de tous leurs péchés; comme si eux-mêmes n’avaient aucun pardon à obtenir; comme s’ils ne devaient plus attendre que la récompense de leurs bonnes oeuvres. Malades encore, ils se croyaient guéris, et leur maladie n’en était que plus dangereuse. Car si leur maladie eût été moindre, ils n’eussent pas dans leur délire tué le médecin. « Mettez votre gloire à le bénir».

5. « Dites au Seigneur : Que vos œuvres sont redoutables 1! » Pourquoi redoutables,

et non pas aimables? Ecoutez cette autre parole du psaume : « Servez le Seigneur avec crainte, et chantez ses louanges avec tremblement 2 ». Qu’est-ce que cela signifie? Entendez la réponse de l’Apôtre : « Travaillez à votre salut », nous dit-il, « avec crainte et avec tremblement». Pourquoi « avec crainte et tremblement? » Il en donne la raison : « Car c’est Dieu qui, par sa volonté, opère en vous le vouloir et le faire 3 ». Si donc c’est Dieu qui agit en toi, tu ne fais le bien que par la grâce de Dieu, et non par tes propres forces. Donc, à ta joie unis la crainte; de peur que Dieu n’enlève à ton orgueil ce qu’il a donné à ton humilité. Et afin que vous pussiez comprendre que tel fut pour les Juifs le sort de leur orgueil, eux qui se croyaient justifiés par les oeuvres de la loi, et qui tombaient par là même, un autre psaume a dit : « Les uns comptent sur leurs chariots, les autres sur leur cavalerie», comme sur des degrés, sur des instruments d’élévation. « Mais nous», dit le Prophète, « nous nous glorifierons dans le nom du Seigneur notre Dieu. Ceux-là donc mettent leur confiance dans leurs chars et dans leurs coursiers; mais nous, c’est dans le Seigneur notre Dieu que nous mettons notre gloire». Vois comment les uns se glorifient d’eux-mêmes, et comment les autres ne s’exaltent qu’en Dieu. Aussi qu’est-il dit ensuite? « Leurs pieds ont été garrottés, et ils sont tombés. Nous, au contraire, nous nous sommes relevés et redressés 4 ». Ecoute le même langage de la part de Notre-Seigneur lui-même: « Je suis venu », dit-il, « afin d’éclairer ceux qui ne voient point , et d’ôter la vue à ceux qui voient 5 ». Considère d’une part

la bonté, et d’autre part une certaine sévérité,

 

1. Ps, LXV, 3. — 2. Ps. II, 11. — 3. Philip. II, 12, 13, — 4. Ps, XIX, 8, 9. — 5. Jean, IX, 39.

 

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Et pourtant, où trouver plus de bonté, plus de miséricorde, plus de justice? Pourquoi dès lors « ceux qui ne voient point doivent-ils voir? » A cause de cette bonté du Seigneur. Pourquoi aussi «ceux qui voient deviendront-ils aveugles? » A cause de leur orgueil. Ils voyaient donc, en effet, et les voilà frappés de cécité? Ils ne voyaient pas, en réalité, seulement ils croyaient voir. Voyez en effet, mes Frères, quand les Juifs disaient : « Sommes-nous donc des aveugles ? » le Seigneur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez point de péchés; mais maintenant que vous dites : Nous voyons, votre péché demeure en vous 1 ». Tu viens au médecin et tu dis que tu vois? Plus de collyres alors, tu demeureras aveugle; avoue que tu es aveugle, et mérite ainsi devoir. Considère les Juifs et considère les Gentils. « Ceux qui ne voient point, verront, dit le Seigneur, et je suis venu pour que ceux qui voient soient frappés d’aveuglement». Les Juifs voyaient Notre-Seigneur Jésus-Christ dans sa chair, les Gentils ne le voyaient point ; voilà que ceux qui l’ont vu l’ont crucifié, ceux qui ne l’ont point vu, ont cru en lui. Qu’avez-vous donc fait, ô Christ? qu’avez-vous fait contre ces superbes? Nous voyons par votre faveur, et nous sommes vos membres. Vous avez caché le Dieu, pour ne montrer que l’homme. Et pourquoi ? « Afin qu’une partie d’Israël tombât dans l’aveuglement et que la plénitude des nations entrât ». C’est pour cela que vous avez dérobé le Dieu à leurs regards, pour ne leur offrir que l’homme. Ils voyaient donc, et ne voyaient pas : ils voyaient ce que vous aviez emprunté, et non ce que vous étiez; ils voyaient la forme de l’esclave, et non la forme de Dieu 2 : cette forme de l’esclave qui a fait dire : Mon Père est plus grand que moi 3, et non la forme de Dieu, au sujet de laquelle vous venez d’entendre : Mon « Père et moi sommes un 4 ». Ce qu’ils voyaient, ils l’ont saisi; ce qu’ils voyaient ils l’ont crucifié. Ils ont insulté l’homme qu’ils voyaient sans connaître ce qu’il cachait. Ecoute ces mots de l’Apôtre : « S’ils l’avaient connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 5». Donc, ô Gentils qui êtes appelés, voyez les branches que Dieu a retranchées dans sa justice, et vous que sa

 

1. Jean, IX, 40, 41 —  2. Philipp. II, 6, 7. — 3. Jean, XIV, 28. — 4. Id. X, 30.— 5. 1 Cor. II.

 

bonté veut bien insérer, et devenus participants de l’olivier fécond, n’allez point vous élever ou vous enorgueillir. « Ce n’est point vous qui portez la racine, mais bien la racine qui vous porte ». Soyez plutôt dans l’effroi en voyant retrancher les branches naturelles. Car les Juifs sont les fils des Patriarches et enfants d’Abraham selon la chair. Que dit encore l’Apôtre ? « Mais, diras-tu, ces branches ont été retranchées afin que je fusse inséré à leur place. Il est vrai; leur incrédulité les a fait retrancher; mais toi,  poursuit-il, qui es debout à cause de ta foi, ne cherche pas à t’élever, mais crains; car, si Dieu n’a point épargné les branches naturelles, il ne t’épargnera pas non plus 1 ». Considère ces rameaux qui sont brisés, et toi inséré, loin de t’enorgueillir sur ces rameaux retranchés, dis plutôt à Dieu: « Combien vos oeuvres sont redoutables, ô Dieu ! » Mes frères, si nous n’avons point à nous enorgueillir contre les Juifs retranchés du tronc des Patriarches, s’il nous faut plutôt craindre et dire à Dieu : « Combien vos oeuvres sont redoutables ! » combien moins nous est-il permis de nous prévaloir contre les blessures de nouveaux retranchements ? Les Juifs ont été retranchés d’abord et les Gentils unis; de cette insertion, les hérétiques ont été de nouveau retranchés ; mais gardons-nous de nous prévaloir contre eux, de peur qu’en insultant à ces malheureux retranchés, nous ne méritions de l’être à notre tour. Quel que soit l’évêque dont vous entendiez la voix, je vous en supplie, mes frères, vous tous qui êtes dans le sein de l’Eglise, gardez-vous de toute insulte contre ceux qui sont dehors ; mais plutôt priez pour eux, afin qu’ils rentrent à l’intérieur. « Car Dieu a la puissance de les enter de nouveau 2». C’est là ce que l’Apôtre a dit des Juifs, et qui s’est accompli en eux. Le Seigneur ressuscita, et beaucoup embrassèrent la foi : ils ne le connurent point en le crucifiant, et néanmoins plus tard ils crurent en lui, et un tel forfait leur fut pardonné. Le sang du Seigneur a été répandu et pardonné à des homicides, pour ne pas dire à des déicides: « Car s’ils eussent connu le Seigneur de la gloire, ils ne l’eussent jamais crucifié 3 ». Naguère donc, Dieu a pardonné aux homicides le sang innocent qu’ils avaient répandu ; ils ont bu par la grâce ce même

 

1. Rom. XI, 17-20. — 2. Ibid. 23. — 3. I Cor. II, 8.

 

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sang versé par leur fureur. « Dites donc à Dieu : Combien vos oeuvres sont redoutables ! » Pourquoi redoutables ? « Parce qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise 1 ». O plénitude des nations, dites à Dieu : « Combien vos oeuvres sont redoutables !» Réjouissez-vous, mais avec tremblement, ne vous élevez point au-dessus des rameaux retranchés. « Dites à Dieu: Combien vos oeuvres sont redoutables ! »

6. « Vos ennemis mentiront contre vous, à cause de votre puissance 2 ». Ils mentiront contre vous, de manière à grandir votre puissance. Qu’est-ce à dire? Redoublez d’attention, mes frères. La puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ s’est surtout manifestée dans la résurrection, d’où est venu le titre à notre psaume. Or, à sa résurrection il apparut à ses disciples 3. Il n’apparut point à ses ennemis, mais à ses disciples. Tous le virent crucifié, les fidèles seuls le virent ressuscité afin que, dans la suite, celui-là crût qui en aurait la volonté, et que la résurrection fût promise à celui qui croirait. Beaucoup de saints ont fait des miracles, nul d’entre eux n’est ressuscité après sa mort : parce que ceux qu’ils ont ressuscités n’ont ressuscité que pour mourir encore. Que votre charité veuille bien le remarquer, Le Seigneur nous a dit en nous parlant de ses oeuvres: « Croyez à mes oeuvres, si vous ne voulez point croire en moi 4 » . Il  faisait valoir aussi les anciennes merveilles des Prophètes, sinon les mêmes absolument, du moins les mêmes en grand nombre, émanant de la même puissance. Le Seigneur marcha sur la mer, et y fit marcher Pierre 5. Le Seigneur n’était-il point là quand la mer ouvrit ses eaux, afin de livrer passage à Moïse et au peuple d’Israël 6? C’était le même Seigneur qui opérait ces merveilles. Il accomplissait les unes dans sa chair, les autres dans la chair de ses serviteurs. Toutefois, ce qu’il n’a point fait par l’entremise de ses serviteurs (car c’était lui qui opérait toutes ces merveilles), c’est que l’un d’eux mourût et revînt ensuite à la vie éternelle, Si donc les Juifs pouvaient dire, quand le Seigneur faisait des miracles: C’est ce que Moïse a fait aussi, ce qu’a fait Elie, ce qu’a fait

 

1. Rom. XI, 17-25. — 2. Ps. LXV, 3, — 3. Act. X, 41. — 4. Jean, X, 38.— 5. Matth. XIV, 25, 29. — 6. Exod. XIV, 21.

 

Elisée : s’ils pouvaient s’attribuer de semblables miracles, car ces Prophètes ont ressuscité des morts, et tait de nombreuses merveilles: voilà que quand ils lui demandent un signe qui lui soit propre, il attire leur attention sur un miracle qui ne doit s’accomplir qu’en lui seul, et leur dit : «Cette génération mauvaise et adultère demande un signe, et il ne lui en sera point donné d’autre que celui du prophète Jonas. De même, en effet, que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre 1» Comment Jonas fut-il dans le ventre de la baleine? N’est-ce point de manière à en sortir vivant? Or, les enfers furent pour le Seigneur ce que la baleine fut pour Jonas. Voilà le miracle propre qu’il signale à l’attention, le principal miracle. Il y a plus de puissance à ressusciter après la mort qu’à ne point mourir. La merveille donc de la puissance du Seigneur, dans son humanité, resplendit dans le miracle de sa résurrection. Voilà ce que l’Apôtre nous signale en disant: « Non pas avec ma justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi en Jésus-Christ, qui est la justice que donne Dieu par la foi, afin de le connaître, ainsi que la puissance de sa résurrection 2». Voilà ce qu’il signale aussi en un autre endroit: « Quoique  crucifié selon la faiblesse de la chair, il vit néanmoins par la puissance de Dieu 3». Si donc la puissance de Dieu se montre dans son éclat à la résurrection du Seigneur, qui forme le titre de notre psaume, quel est le sens de ces paroles : « Dans l’éclat de votre puissance, vos ennemis mentiront contre vous », sinon : vos ennemis mentiront jusqu’à vous crucifier, et vous serez crucifié pour ressusciter? Donc leur mensonge fera éclater votre puissance dans toute son étendue. Pourquoi un ennemi ment-il ordinairement? Afin de diminuer la puissance de celui qui est l’objet de son mensonge. Pour vous, dit le Prophète, c’est le contraire qui arrive. Votre puissance apparaîtrait moins, si ces hommes ne mentaient point contre vous.

7. Voyez même, dans l’Evangile, le mensonge des faux témoins, et considérez qu’il a pour sujet sa résurrection. Quand on demandait en effet au Sauveur : « Par quel signe nous montrez-vous que vous pouvez faire

 

1. Matth. XII, 39, 40. — 2. Philipp. III, 9, 30. — 3. II Cor. XIII, 4.

 

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de telles choses 1? » en outre de ce qu’il avait dit au sujet de Jouas, il ajoute dans le même sens, mais sous une autre comparaison, afin de nous montrer que cette merveille tant signalée est particulière au Sauveur : « Détruisez », dit-il, « le temple de Dieu, et je le rétablirai en trois jours. Et ils répondirent: On a mis quarante-six ans à bâtir ce temple, et vous le relèverez en trois jours? » Et l’Evangéliste, nous exposant le sens de ces paroles, ajoute « Or, il disait cela en parlant du temple de son corps 2». Donc, il promettait de montrer aux hommes sa puissance, dans cette chair qui lui suggérait la comparaison du temple, et qui était en effet le temple où se cachait sa divinité. Les Juifs ne voyaient alors que l’extérieur du temple, mais ne voyaient pas la divinité qui en habitait l’intérieur. Ces paroles fournirent aux faux témoins un mensonge qu’ils débitèrent contre lui, oui, ces mêmes paroles dans lesquelles il signalait sa résurrection future, en parlant du temple. Voici en effet ce que déposèrent contre lui les témoins, quand on leur demanda ce qu’ils avaient entendu dire : « Nous l’avons entendu qui disait : Je détruirai ce temple et le ressusciterai en trois jours 3». Ils avaient donc entendu : « Je le ressusciterai après trois jours ». Ils n’avaient pas entendu: « Je détruirai », mais bien : « Détruisez ». Ils changèrent un mot et quelques lettres, afin d’ourdir un faux témoignage. Mais, ô vanité de l’homme, ô infirmité de l’homme, à qui veux-tu changer une parole? Tu changes une parole à la Parole incomparable? Tu peux changer ta parole, mais peux-tu changer la parole de Dieu? Aussi est-il dit ailleurs : « Et u l’iniquité s’est donnée à elle-même le démenti 4 ». Pourquoi donc, ô Seigneur, vos ennemis ont-ils menti contre vous, vous que chante la terre entière? « Le mensonge de vos ennemis contre vous fera ressortir l’éclat de votre puissance ». Ils diront : Je détruirai, quand vous aurez dit: « Détruisez ?». Pourquoi vous accusent-ils d’avoir dit : Je détruirai, et ne disent-ils point ce que vous avez dit : « Détruisez? » Ils veulent, ce semble, se défendre en vain contre l’accusation d’avoir détruit le temple. Car si le Christ est mort quand il l’a voulu, c’est vous néanmoins qui l’avez tué. Nous vous l’accordons, ô imposteurs,

 

1. Jean, II, 18. — 2. Jean, II, 19 - 21. — 3. Matth. XXVI, 61. — 4. Ps. XXVI, 12.

 

c’est lui qui a détruit le temple. Car l’Apôtre a dit : « C’est lui qui m’a aimé et qui s’est livré à la mort pour moi 1». Il est dit du Père : « Qu’il n’a pas épargné son propre Fils, mais qu’il l’a livré pour nous tous 2». Si donc c’est le Père qui a livré son Fils, si c’est le Fils qui s’est livré lui-même, qu’a fait Judas? Le Père, en livrant son Fils à la mort pour nous, a fait une bonne oeuvre: le Christ, et se livrant lui-même pour nous, a fait une bonne oeuvre : Judas, en livrant son Maître au profit de son avarice 3, a commis un crime. Car, le profit qui nous revient de la passion du Christ ne sera point attribué à la malice de Judas: Judas recevra le châtiment de sa trahison, et le Christ la louange de ses faveurs. Que lui-même ait détruit son temple, qu’il l’ait détruit, celui qui a dit : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la  reprendre : nul ne me l’ôte , mais je la donne de moi-même et de moi-même la reprends 4 ». Qu’il ait donc détruit son temple, c’est l’oeuvre de sa grâce et de votre malice. « Selon l’étendue de votre puissance, vos ennemis mentiront contre vous ». Les voilà qui mentent, voilà que l’on croit en eux, vous voilà saisi, vous voilà crucifié, vous voilà insulté, voilà qu’ils branlent la tête : « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 5». Voilà que vous donnez votre vie à votre gré, que votre côté est ouvert par la lance 6, que les sacrements coulent de votre flanc sacré; vous êtes déposé de la croix, enveloppé de linceuls, placé dans le sépulcre, des gardes aussi sont mis tout près, de peur que vos disciples ne vous enlèvent : l’heure de la résurrection arrive, la terre s’ébranle, les tombeaux s’ouvrent, vôtre résurrection est secrète, votre apparition manifeste. Où sont donc alors ces menteurs? où est le faux témoignage de leur malice ? N’est-ce point pour faire éclater votre puissance qu’ils ont menti contre vous?

8. Voyons aussi ces gardiens du sépulcre; qu’ils racontent ce qu’ils ont vu; qu’ils reçoivent de l’argent, et vendent leur mensonge : qu’ils parlent, ces pervers à qui d’autres pervers ont donné le mot d’ordre; qu’ils parlent, les hommes corrompus par les Juifs, qui n’ont pas voulu être intègres avec le Christ; qu’ils viennent parler et mentir à leur

 

1. Gal, II, 20.—  2. Rom. VIII, 32.— 3. Matth. XXVI, 15.— 4. Jean, X, 18. — 5. Matth. XXVII, 40. — 6. Jean, XIX, 34.

 

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tour. Que diront-ils ?  Parlez, et voyons; mentez-vous aussi, pour faire éclater la grande puissance du Seigneur. Que direz-vous? Quand nous étions endormis, les disciples sont venus et l’ont enlevé du sépulcre 1. O folie ! ô véritable rêve ! Ou bien vous étiez éveillés, et vous avez dû défendre d’approcher ; ou bien vous dormiez, et vous ne savez ce qui est arrivé. Les voilà qui mentent comme des ennemis, le nombre des menteurs s’accroît, afin que s’accroisse encore le prix du mensonge. « Car c’est pour faire éclater votre puissance, que vos ennemis mentent contre vous ». Ils ont donc menti , ils ont menti, pour faire éclater votre puissance; et vous avez apparu aux hommes véridiques à l’encontre des menteurs, et vous avez apparu a ces hommes véridiques, dont vous-même avez fait la véracité.

9. Aux Juifs de rester dans leurs mensonges; à vous, parce qu’ils ont menti pour faire éclater votre puissance, à vous s’applique ce qui suit : « Que la terre entière vous adore et vous chante des psaumes; qu’elle célèbre votre nom sur des guitares, ô Tout-Puissant  2»; naguère si humilié, maintenant « Tout-Puissant »; humilié entre les mains de ses ennemis menteurs ; « Tout-Puissant», au-dessus des anges qui chantent sa gloire. « Que toute la terre vous adore et célèbre votre gloire, qu’elle chante votre nom sur des guitares, ô Tout-Puissant ».

10. « Venez et voyez les oeuvres du Seigneur ». O nations, nations éloignées, laissez les Juifs dans leurs mensonges, venez avec des aveux. « Venez et voyez les oeuvres du Seigneur : il est terrible dans ses desseins sur les enfants des hommes 3 ». Lui- même est appelé Fils de l’homme, et a été véritablement fait fils de l’homme; vrai Fils de Dieu dans la forme de Dieu, vrai fils de l’homme dans la forme de l’esclave 4; mais ne jugez pas de cette forme de l’esclave, par la condition de ceux qui lui ressemblent: « Il est terrible dans ses desseins sur les enfants des hommes ». Voilà que, dans leurs trames, les enfants des hommes ont imaginé de crucifier le Christ, et ce crucifié a frappé d’aveuglement ceux qui le clouèrent sur la croix. Qu’avez-vous donc fait, ô enfants des hommes, en tramant de noirs complots contre votre Seigneur, en qui se dérobait la majesté pour

 

1. Matth. XXVIII, 13. — 2. Ps. LXV, 4. — 3. Id. 5.— 4. Philipp. II, 6,

 

ne laisser voir que l’infirmité ? Vous avez formé un dessein de perdition, lui d’aveuglement et de salut : d’aveuglement contre les superbes, de salut en faveur des humbles; mais d’aveuglement contre les superbes, afin que cet aveuglement, les humiliât, que l’humilité leur fit confesser leurs fautes, que la confession les éclairât. « Vous êtes terrible dans vos desseins sur les enfants des hommes ». Vraiment terrible! Voilà qu’une partie d’Israël tombe dans l’aveuglement voilà que les Juifs desquels est né le Christ sont dehors ; voilà que les Gentils, les adversaires des Juifs, sont à l’intérieur avec le Christ 1. « Vous êtes terrible dans vos desseins sur les enfants des hommes ».

11. Aussi qu’a-t-il fait dans ce dessein redoutable ? Il a changé la mer en une terre sèche. C’est là ce que dit ensuite le Prophète : « Qui fait de la mer une terre sèche 2 ». Le monde était une mer qui avait l’amertume de la salaison, une mer troublée par la tempête, où bouillonnaient les flots de la persécution. Or, cette mer est tellement devenue une terre sèche, que le monde, naguère surchargé d’eau amère, a maintenant soif d’eau douce. Qui a fait ce changement ? « Celui qui change la mer en terre sèche». Que dit maintenant l’âme de toutes les nations? « Notre âme est pour vous comme une terre sans eau 3». C’est lui qui « change la mer en une terre sèche, et fait traverser le fleuve à pied sec ». Ceux-là mêmes qui étaient la mer sont devenus une terre sèche. « Ils passeront le fleuve à pied sec ». Qu’est-ce que le fleuve? C’est tout ce qui meurt en cette vie, Voyez un fleuve; un flot vient et passe, un autre lui succède pour passer encore. N’est-ce pas là dans un fleuve le jeu des eaux qui naissent de la terre pour s’écouler? Quiconque est né sur la terre, devra céder sa place à celui qui naîtra : et cet ordre des choses qui passent constitue une espèce de fleuve. Mais que l’âme avide ne se jette point dans ce fleuve; loin de s’y jeter, qu’elle se tienne sur les bords. Et comment traversera-t-elle ces charmes des choses passagères? Qu’elle croie au Christ, et elle les traversera à pied sec : lui-même la guidera, elle passera à pied sec. Qu’est-ce à dire, passer à pied sec ? passer facilement Sans chercher un cheval pour passer, sans s’élever dans son

 

1. Rom. XX, 25. — 2. Ps. LIV, 6. — 3. Id. CXLII, 6.

 

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orgueil pour traverser le fleuve : elle passera humblement et passera sûrement. «Ils passeront le fleuve à pied sec ».

12. « C’est là que nous nous réjouirons en lui». Enfants d’Israël, vous vous glorifiez de vos oeuvres: déposez cet orgueil qui vous porte à vous glorifier de vous-mêmes, et recevez la grâce de vous glorifier dans le Christ. C’est là que nous nous épanouirons, mais pas en nous-mêmes. « C’est là que nous nous réjouirons en lui ». Quand serons-nous dans cette allégresse ? Quand nous aurons passé le fleuve à pied sec. La vie éternelle nous, est promise, la résurrection nous est promise, et là notre chair ne passera plus; elle passe maintenant qu’elle est sous l’empire de la mort. Voyez s’il est un âge qui se puisse tenir dans le même état. L’enfant veut croître, il ne sait pas que sa vie est un espace qui se rétrécit par la succession des années. Car l’accroissement ne multiplie point nos années, il nous les enlève au contraire; de même que l’eau du fleuve ne marche qu’en s’écartant de la source. L’enfant veut croître pour échapper à la tutelle de ses parents : il croît et le temps passe vite, il arrive à l’adolescence; que celui qui a dépassé les années enfantines s’en tienne à la jeunesse, s’il le peut; elle-même fuit rapidement. Vient ensuite la vieillesse : faites qu’elle soit éternelle; la mort y mettra fin. Donc toute chair qui naît forme un fleuve, Or, afin que la convoitise des choses d’ici-bas ne vienne point bouleverser ou précipiter encore ce courant, celui-là le passe facilement, qui le passe avec humilité, ou à pied, en prenant pour guide celui qui l’a passé le premier, qui jusqu’à la mort but en chemin l’eau du torrent, et pour cela leva la tête 1. Si donc nous passons le fleuve à pied, c’est-à-dire si nous traversons sans regret cette vie mortelle qui s’écoule, nous nous réjouirons en lui. Mais en qui maintenant nous réjouissons-nous, si ce n’est en lui, ou dans l’espérance de le posséder? Si donc nous avons quelque joie aujourd’hui, c’est la joie de l’espérance; alors seulement nous nous réjouirons en lui. C’est en lui maintenant, mais par l’espérance : « Alors ce sera face à face 2 ».

13. « C’est là que. nous nous réjouirons en  lui ». En celui « qui règne éternellement, par sa vertu 3 ». Pour nous, quelle vertu

 

1. Ps. CIX, 7.— 2. I Cor. XIII, 12.— 3. Ps. LXV, 7.

 

avons-nous ? Est-elle éternelle ? Si notre vertu était éternelle, nous ne serions point déchus, ni tombés dans le péché, nous n’aurions point mérité d’être châtiés par la mort 1. Il nous a donc adoptés celui dont notre faute nous avait séparés. « C’est lui qui règne éternellement par sa vertu ». Devenons ses cohéritiers, et nous serons forts en lui, mais lui l’est par sa propre vertu. Nous serons éclairés, et lui la lumière qui nous doit éclairer; éloignés de lui nous ne sommes plus que ténèbres; pour lui, il ne peut s’éloigner de lui-même. C’est sa flamme qui nous réchauffe; loin de lui, il n’y avait que glace pour nous, près de lui sa flamme nous échauffe de nouveau. Disons-lui dès lors qu’il nous garde dans sa vertu, parce que nous trouverons notre joie dans celui « qui règne éternellement par sa propre vertu ».

14. Mais ces avantages, il ne les procure pas seulement aux Juifs qui arrivent à la foi. Comme les Juifs s’étaient beaucoup élevés en présumant de leur propre vertu, voilà que plus tard ils connurent quelle vertu leur avait donné une force salutaire, et plusieurs d’entre eux embrassèrent la foi; or, cela ne suffit point au Christ; le don qu’il nous a fait est grand, c’est un don précieux; mais ce don qu’il nous a fait ne doit point s’arrêter aux Juifs seulement. « Ses regards. s’arrêtent sur les nations. Donc il porte ses regards sur les nations 2 ». Que faisons-nous alors? diront les Juifs eu murmurant : ils ont donc aussi ce que nous avons nous-mêmes; à eux l’Evangile, comme à nous l’Evangile; à eux la grâce de la résurrection, comme à nous la grâce de la résurrection; à quoi nous sert que nous ayons reçu la loi, que nous ayons vécu dans les justifications de la loi, que nous ayons observé les préceptes de nos pères? C’est donc inutilement? Pour eux les mêmes faveurs que pour nous! point de litige, point de contestation. « Que les rebelles ne s’exaltent point en eux-mêmes ». O chair misérable et corrompue, n’es-tu donc pas pécheresse? Que profère donc ta langue? Considère ta conscience. Tous ont péché, tous ont. besoin de la grâce de Dieu 3. Reconnais-toi donc, ô faiblesse humaine, tu n’as reçu la loi que pour transgresser la loi, car tu n’as ni gardé ni observé les préceptes que tu as reçus. Il ne t’est revenu de la loi que la prévarication, que

 

1. Gen. III, 17. — 2. Ps. LXV, 7. — 3. Rom. III, 23.

 

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tu as commise, et non la justification que la loi ordonne. Si donc le péché a abondé, pourquoi cette jalousie quand la grâce surabonde1? Loin de toi les murmures: « Que les murmurateurs ne s’exaltent pas en eux-mêmes ». Cette parole: «Que les murmurateurs ne s’exaltent pas », semble d’abord une malédiction; qu’ils s’élèvent au contraire, mais pas en eux-mêmes. Qu’ils s’humilient en eux-mêmes, qu’ils s’élèvent dans le Christ. « Car celui qui s’humilie sera élevé, et celui qui s’élève sera humilié 2 ». Que les rebelles ne s’élèvent pas en eux-mêmes ».

15. « Nations, bénissez notre Dieu 3 ». Voilà que Dieu a repoussé les murmurateurs et leur en a donné la raison : plusieurs se sont convertis, plusieurs sont demeurés dans leur orgueil. Ne les redoutez point, quand ils envient aux nations la grâce de l’Evangile voilà qu’est venu ce rejeton d’Abraham en qui sont bénies les nations 4. Bénissez celui en qui vous êtes bénies. « Nations, bénissez le Seigneur notre Dieu écoutez chanter ses louanges». Loin de vous louer vous-mêmes, c’est lui qu’il faut chanter. Pourquoi le louer? parce que nous devons à sa grâce tout ce qu’il y a de bon en nous. « C’est lui qui a rendu la vie à mon âme 5 ». Telle est donc l’hymne de sa louange : « Il a rendu la vie à mon âme ». Elle était donc morte, et morte en toi. De là vient qu’il ne vous sied point de vous élever en vous-mêmes. Voilà que ton âme était morte en toi; d’où lui viendra la vie, sinon de celui qui a dit: « Je suis la voie, la vérité et la vie 6 ? »Ainsi que l’a dit l’Apôtre à quelques fidèles: « Autrefois vous étiez ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 7 ». Donc les ténèbres sont en vous et la lumière dans le Seigneur: en vous est la mort, dans le Seigneur la vie. « C’est lui qui a donné la vie à mon âme ». Le voilà qui domine la vie à notre âme, par la foi que nous avons en lui; dans notre âme il met la vie: mais que nous faut-il faire, sinon persévérer jusqu’à la fin 8? Et qui nous le donnera, sinon celui dont il est dit ensuite : « Il n’a point laissé chanceler mes pieds? » C’est donc lui qui rend la vie à mon âme, lui qui dirige mes pieds de peur qu’ils ne chancellent, qu’ils ne fléchissent et

 

1. Rom. V, 20. — 2. Matth. XXIII, 12. — 3. Ps. LXV, 8. — 4. Gen. XII, 3. — 5. Ps. LXV, 9. — 6. Jean, XIV, 6. — 7. Ephés. V, 8. — 8. Matth. X, 22.

 

n’entraînent ma chute; c’est lui qui nous fait vivre, qui nous fait persévérer jusqu’à la fin, pour que nous vivions éternellement. « Il n’a pas laissé mes pieds chanceler ».

16. Pourquoi dire, ô Prophète : « Il n’a point fait chanceler mes pieds? » Qu’avez-vous donc enduré, ou qu’auriez-vous pu endurer, qui eût pu faire chanceler vos pieds? Quoi ? Ecoutez la suite. Pourquoi ai-je dit qu’ « il n’a point fait chanceler mes pieds? » C’est que nous avons passé par des épreuves qui eussent fait chanceler nos pieds, si lui-même ne nous dirigeait et ne raffermissait nos pas. Qu’est-ce que cette épreuve? « Vous nous avez éprouvés, ô Dieu ; vous nous avez fait passer par le feu comme on y fait passer l’argent 1». Ce n’est point comme la paille, mais comme l’argent, que vous nous avez fait passer par le feu: nous mettre au feu, ce n’était point nous mettre en cendres, mais laver nos souillures. « Vous nous avez donc mis au feu comme on y met l’argent ». Voyez comment Dieu sévit contre ceux dont il a fait vivre l’âme. « Vous nous avez poussés dans un piège »: non pour nous y prendre et nous donner la mort, mais pour nous en délivrer et nous donner l’expérience. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos 2 ». Nous redresser mal, c’était nous enorgueillir; nous redresser mal, c’était nous courber, afin que, courbés, nous pussions nous redresser parfaitement. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos, vous avez élevé les hommes sur nos têtes 3». Voilà ce qu’a enduré l’Eglise dans les persécutions, dans ses persécutions nombreuses et de tous genres: voilà ce qu’elle a souffert en particulier, ce qu’elle endure encore maintenant. Car il n’est personne qui se puisse dire en cette vie exempt de tribulations, Des hommes donc s’élèvent sur nos têtes : nous sommes assujettis à ceux que nous ne voulons point, et souvent nous subissons des supérieurs que nous savons être plus coupables que nous. L’homme qui est sans faute est un homme bien supérieur ; plus ses fautes sont nombreuses au contraire, plus il est abaissé. Mais il nous est bon de nous considérer comme des pécheurs, et de supporter dès lors ceux qui sont placés sur nos têtes; afin d’avouer par là au Seigneur, que nous souffrons justement. Pourquoi ne souffrir en effet qu’avec impatience ce que fait celui qui est

 

1. Ps. LXV, 10. — 2. Id. 11. — 3. Id, 12.

 

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juste? « Vous avez mis sur notre dos les tribulations : vous avez imposé les hommes sur nos têtes». Dieu semble agir ainsi dam sa colère : demeure sans crainte, car il est un père, et ne sévit jamais afin de perdre. S’il t’épargne pendant que tu vis dans le désordre, il n’en est que plus irrité. Toutes ces tribulations ne sont que les fouets qui doivent te corriger, pour n’être pas l’arrêt de ton châtiment. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos, vous avez élevé les hommes sur nos têtes ».

17. « Nous avons passé par le feu et par l’eau 1 ». Le feu et l’eau, voilà deux dangers pour cette vie. L’eau paraît éteindre le feu, et le feu paraît dessécher l’eau. Telles sont aussi les épreuves si fréquentes en cette vie. Le feu dessèche, l’eau corrompt : et nous avons àcraindre le feu de la tribulation, comme l’eau de la corruption. Dans les angoisses, ce que le monde appelle malheur devient comme un feu; dans la prospérité, l’abondance vient à couler, et c’est comme une eau, Garde-toi donc, et du feu qui te brûlerait, et de l’eau qui te corromprait. Tiens ferme contre le feu ; tu dois passer au feu, tu es jeté dans la fournaise comme un vase d’argile, afin d’être consolidé dans ta forme. Mais le vase, une fois consolidé par le feu, ne craint plus l’eau: et toutefois, s’il n’est solidifié par le feu, il se dissoudra dans l’eau comme une boue. Ne t’empresse donc point de te jeter dans l’eau; passe par le feu pour aller à l’eau, afin de traverser l’eau. Aussi dans les sacrements, dans les catéchismes, dans les exorcismes, nous commençons par le feu. Et d’où viendrait en effet que les esprits immondes s’écrient : Je brûle, si ce n’est point là un feu ? Or, après les feux de l’exorcisme on arrive au baptême : de même que du feu à l’eau, et de l’eau au rafraîchissement. Ce qui a lieu dans les sacrements, a lieu aussi dans les épreuves de cette vie. Nous éprouvons tout d’abord la crainte, c’est là le feu après la crainte, il nous faut redouter la félicité du monde qui nous corromprait. Mais quand le feu ne t’a point fait rompre, et que dans l’eau, loin d’être submergé, tu as surnagé, la règle te fait arriver au repos, et ainsi tu passes par le leu et par l’eau pour arriver au rafraîchissement. Car ce que les sacrements renferment en signes, ce sont les

 

1. Ps. LXV, 12.

 

choses qui doivent nous arriver dans la perfection de la vie éternelle. Or, quand nous serons arrivés à ce rafraîchissement, mes frères bien-aimés, nous n’aurons plus à craindre aucun ennemi, aucun tentateur, aucun jaloux, aucun feu, aucune eau; ce sera un rafraîchissement continuel. Mais ce nom de rafraîchissement lui vient du repos. Dites que c’est une chaleur, c’est vrai ; dites que c’est un rafraîchissement, c’est vrai encore. En mauvaise part, le rafraîchissement arriverait à nous engourdir ici-bas. Mais là, il n’y a plus de torpeur, il n’y a que le repos ; ce que l’on appelle chaleur ne nous suffoquera point, ce sera une ferveur d’esprit. Considère cette chaleur dans un autre psaume : « Nul ne peut se dérober à sa flamme 1 ». Que dit encore l’Apôtre? « Ayez la ferveur de l’esprit 2 ». Donc « nous avons passé par l’eau et par le feu; et vous nous avez conduits au  rafraîchissement. »

18. Considérez que si le Prophète ne se tait point au sujet du rafraîchissement, il ne se tait pas non plus au sujet du feu qu’il nous faut désirer: « J’entrerai dans votre maison avec des holocaustes 3». Qu’est-ce que l’holocauste? Ce qui est brûlé totalement, mais par le feu divin. Car on appelle holocauste ce sacrifice dans lequel tout est brûlé. Autres sont en effet les sacrifices partiels et autre l’holocauste. Il y a holocauste quand tout est embrasé, tout est consumé par le feu divin; s’il n’y en a qu’une partie, c’est le sacrifice. Tout holocauste est donc un sacrifice, mais tout sacrifice n’est pas un holocauste. Aussi cette promesse d’holocaustes vient-elle du corps du Christ, c’est le Christ qui parle dans son unité. « J’entrerai dans votre maison au u moyen des holocaustes 3 ». Que votre feu brûle tout ce qui est en moi, qu’il ne reste rien de moi, que tout soit à vous. C’est là ce qui doit arriver à la résurrection des justes, « quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, que ce corps mortel sera revêtu d’immortalité, alors arrivera ce qui est écrit : La mort est absorbée dans sa victoire 4 ». La victoire est comme un feu divin; et comme elle doit absorber jusqu’à notre mort, c’est un holocauste. Rien de mortel ne demeurera dans notre chair, rien de coupable dans notre coeur; tout ce qui est

 

1. Ps. XVIII, 7. — 2. Rom. XII, 11.— 3. Ps. LXV, 13 — 4. Cor. XV, 54.

 

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de la vie mortelle sera consumé, afin d’être consommé dans la vie éternelle; tout alors sera donc holocauste.

19. Et qu’arrivera-t-il dans ces holocaustes? « Je vous rendrai ces voeux dont mes lèvres ont fait la distinction 1 ». Quelle distinction entre des voeux? Il y a cette distinction, que tu dois t’accuser, mais bénir Dieu; comprendre que tu es créature, et lui créateur; que tu es ténèbres, et lui la lumière; que tu dois lui dire: « C’est à vous, Seigneur, d’allumer le flambeau qui m’éclaire; à vous, ô mon Dieu, de dissiper mes ténèbres 2 ». Dire en effet, ô mon âme, que ta lumière vient de toi, c’est ne faire aucun discernement; et sans discernement, il n’y aura dans tes voeux nulle distinction. Rends au Seigneur des voeux distincts, confesse que tu es mobile, et lui immuable; confesse que tu n’es rien sans lui, et que lui au contraire sans toi est parfait; que tu as besoin de lui, et qu’il n’a nul besoin de toi. Crie vers lui « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, et vous n’avez mini besoin de mes biens 3 ». T’agréer en holocauste, ce n’est pour lui ni croître, ni augmenter, ni s’enrichir, ni se perfectionner : ce qu’il fait pour toi, ce qu’il fait à ton sujet, est un profit pour toi, nullement pour lui. Par ce discernement, tu rends à Dieu les voeux dont tes lèvres ont tait la distinction. « Je vous rendrai les voeux qu’ont discernés mes lèvres ».

20. « Les voeux que ma bouche a proférés au jour de ma tribulation 4 ». Combien est douce parfois, combien est nécessaire la tribulation! Qu’a proféré sa bouche dans sa détresse? « Je vous offrirai des holocaustes de moelle 5 ». Qu’est-ce à dire: «De moelle?» J’aurai pour vous un amour intérieur, non point superficiel; mais cet amour pour vous sera dans la moelle de mes os, Rien en moi n’est plus intérieur que cette moelle; les os sont plus à l’intérieur que la chair, et la moelle est plus intérieure encore que les os. Donc n’adorer Dieu qu’à l’extérieur, c’est chercher bien plus à plaire aux hommes; c’est avoir d’autres sentiments intérieurs, et dès lors ne pas offrir des holocaustes de moelle : que Dieu voie la moelle, et il agrée l’homme tout entier. « Je vous offrirai des holocaustes de moelle, avec de l’encens et

 

1. Ps. LIV, 14. — 2. Id. XVII, 29. — 3. Ps. XV, 2. — 4. Id. LXV, 14. — 5. Ibid. 15.

 

des béliers ». Ces béliers sont les chefs de l’Eglise; et le corps du Christ parle ici tout entier : voilà ce qu’il offre à Dieu. Qu’est-ce que l’encens? la prière. « Avec de l’encens et « des béliers. » Car les béliers prient sans cesse pour leurs troupeaux. « Je vous offrirai des boeufs et des boucs ». Nous voyons des boeufs fouler le grain, puis immolés à Dieu, A propos des prédicateurs de l’Evangile l’Apôtre nous a indiqué la manière de comprendre ce passage : « Vous ne lierez point la bouche au boeuf qui foule le grain. Est-ce « que Dieu se soucie des boeufs 1?» Ces béliers sont donc grands, ces boeufs sont grands. N’y a-t-il rien pour ces autres, qui sont peut-être coupables de quelques péchés, qui sont tombés peut-être en voyage, et dont la blessure est guérie par la pénitence? Qu’ils se rassurent, le Prophète a dit aussi des boucs « Je vous offrirai des holocaustes de moelle, avec de l’encens et des béliers : je vous offrirai des boeufs et des boucs ». Cette addition sauve aussi les boucs; par eux-mêmes ils ne pourraient être sauvés, mais unis aux boeufs, ils deviennent agréables. Ils se sont fait avec la monnaie de l’iniquité 2 des amis qui les ont reçus dans les tabernacles éternels. Ces boucs ne seront donc point à la gauche, puisqu’ils se sont fait des amis avec la monnaie de l’iniquité. Quels boucs seront à la gauche? Ceux à qui il est dit : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez point donné à manger 3 »; et non ceux qui ont racheté leurs péchés par l’aumône.

21. « Venez, écoutez, vous tous qui craignez le Seigneur, et je vous raconterai 4 ». Allons, écoutons ce qu’il doit nous raconter, « Venez, écoutez, et je vous racontera ». Mais à qui dit-il : « Venez et écoutez? A vous tous qui craignez Dieu » . Si vous ne craignez point Dieu, je ne raconte point. Il n’y a rien à raconter où n’est pas la crainte de Dieu. Que la crainte de Dieu ouvre les oreilles, afin que ma narration trouve où entrer et par où entrer. Mais que raconterai-je? « Ces grands biens que Dieu a faits à mon âme». Le voilà qui veut raconter, mais que va-t-il raconter? Les espaces de la terre, sa distance des cieux, le nombre des astres, et les phases du soleil et de la lune? Ces créatures marchent dans l’ordre tracé; et ceux qui les ont étudiées avec trop de curiosité n’en ont point connu le

 

1. I Cor. IX, 9.— 2. Luc, XVI, 9.—  3. Matth. XV, 42.— 4. Ps. LXV, 18.

 

Créateur 1. Voici donc ce qu’il faut écouter et retenir: « O vous qui craignez Dieu: le grand  bien qu’il a fait à mon âme », et si vous le voulez, à la vôtre. « Le bien qu’il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui ». Et ce bien fait à son âme, c’est de pouvoir crier vers Dieu; voilà ce bien qu’il préconise, comme fait à son âme. Voilà, mes frères, que nous étions païens, sinon en nous-mêmes, du moins en nos pères. Or, que dit l’Apôtre? « Vous le savez, quand vous étiez païens, vous vous laissiez conduire à des idoles muettes 3 ». Que telle soit maintenant l’hymne de l’Eglise: « Quel grand bien il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui ». Homme, je m’adressais à la pierre, je m’adressais à un bois sourd, je parlais à des simulacres sourds et muets; mais l’image de Dieu s’est retournée vers son Créateur. « Moi qui disais au bois: « Tu es mon Père; et à la pierre: Tu m’as engendré 4»; je dis maintenant: «Notre Père, qui êtes aux cieux ». Ma bouche a crié vers lui : « Ma bouche »,et non une bouche étrangère. Quand je criais vers la pierre, dans une vie pleine de vanité, à l’exemple de mes pères 6, je criais par une bouche étrangère quand j’ai crié vers le Seigneur, selon le don qu’il m’en a fait, l’inspiration qu’il m’a envoyée, « c’est par ma bouche que j’ai crié vers lui; et sous ma langue je l’ai glorifié». Qu’est-ce à dire: « J’ai crié vers lui, je l’ai glorifié sous ma langue? » Je l’ai prêché en public, je l’ai confessé en secret. C’est que ma langue glorifie le Seigneur; tu dois le glorifier sous ta langue, c’est-à-dire penser à l’intérieur ce que tu dis avec certitude. « Ma bouche a crié vers lui, et je l’ai glorifié sous ma langue ». Vois quelle intégrité intérieure il désire, celui qui offre des sacrifices de moelle, C’est là, mes frères, ce qu’il faut faire, ce qu’il faut imiter afin que vous puissiez dire : «Venez et voyez le grand bien qu’il a fait à mon âme ». Tout ce que raconte le Prophète est l’effet de la grâce de Dieu en notre âme. Voyez ce qu’il dit ensuite.

22. « Si dans mon coeur j’ai vu l’injustice, que le Seigneur ne m’exauce point 7 ». Voyez, mes frères, combien facilement, combien journellement les hommes accusent en rougissant les iniquités des autres hommes il a mal agi, agi en fripon, c’est un homme

 

1. Sag. XIII, 9. — 2. Ps. LXV, 17. — 3. I Cor. XII, 2. — 4. Jérém. II, 27.— 5. Matth. VI, 9. — 6. I Pierre, I, 18. — 7. Ps. LXV, 18.

 

criminel. C’est, là sans doute ce que l’on dit au sujet des hommes. Mais considère si dans ton coeur tu ne vois point l’injustice, de peur de méditer intérieurement ce que tu blâmes dans un autre, et de crier contre lui, non parce qu’il est coupable, mais parce qu’il, est surpris. Reviens à toi, et sois ton juge intérieurement. Dans le secret de ton intérieur, dans la veine intime de ton coeur, où tu es seul avec celui qui te voit, prends à dégoût ton iniquité, afin de plaire à Dieu. Garde-toi d’avoir pour elle un regard de complaisance ou d’amour, mais plutôt un regard de dédain et de mépris, jusqu’à t’en séparer. Et la joie qu’elle t’a promise pour t’entraîner au péché, et les menaces lugubres qu’elle t’a faites, pour te jeter dans les forfaits, tout cela n’est rien, tout cela doit passer: tout cela doit être méprisé, foulé aux pieds, et non pris en considération pour être accepté. Souvent elle s’insinue par la pensée, souvent encore par les conversations des méchants. « Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs pour toi, ne te laisse point séduire 1 ». C’est peu d’en détourner les yeux, peu encore de n’en point parler: ne les regarde point du coeur, c’est-à-dire, n’aie pour eux ni inclinaison, ni consentement. Journellement nous prenons le regard pour l’affection ; ainsi nous disons de Dieu: Il m’a regardé. Qu’est-ce à dire : Il m’a regardé ? Avant cela ne te voyait-il donc point? Ou ses regards, dirigés en haut, ont-ils dû s’abaisser sur toi, provoqués par tes supplications? Il te voyait, même auparavant; mais dire: Il m’a regardé, c’est dire: Il m’a aimé. A un homme qui te voit, et dont tu implores la pitié, tu dis : Faites attention à moi. Il te voit cependant, et tu lui dis: Regardez-moi. Qu’est-ce à dire: Regardez-moi? Accordez-moi votre amour, votre attention, votre pitié. Quand donc le Prophète nous dit : « Si j’ai envisagé l’iniquité dans mon coeur », ce n’est point qu’il n’y ait dans le coeur humain aucune suggestion criminelle. li ya toujours suggestion,et suggestion incessante; mais que le regard ne s’y repose point. Regarder l’iniquité, c’est regarder en arrière; c’est encourir la sentence du Seigneur qui dit dans l’Evangile : « Nul n’est propre au royaume de Dieu, s’il regarde en arrière en mettant les mains à la charrue 2 ». Que me faut-il donc faire? Ce que nous dit

 

1. I Cor. XV, 33. — 2. Luc, IX, 62.

 

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l’Apôtre: « J’oublie ce qui est en arrière, pour m’étendre vers ce qui est en avant 1 ». Tout notre passé qui est derrière, est une iniquité. Nul n’est bon avant de venir au Christ; tous ont péché, et sont justifiés par la foi 2. La justice ne sera parfaite que dans cette vie, mais c’est lui qui nous inspire les bonnes moeurs, pour y arriver, lui qui nous en fait don. Loin de toi donc, oh! loin de toi, de compter sur tes mérites. Et quand l’iniquité te sera suggérée, loin de toi d’y consentir. Que dit en effet le Prophète? « Si dans mon coeur j’ai vu complaisamment l’iniquité, que le Seigneur ne m’exauce point».

23. « Si le Seigneur m’a écouté », c’est que je n’ai point regardé l’iniquité dans mon coeur. « Et il a écouté la voix de ma prière 3 ».

24. « Béni soit mon Dieu, qui n’a point rejeté ma prière, ni éloigné de moi sa miséricorde 4 ». Il continue dans le même sens, depuis l’endroit où il dit : « Venez, entendez,  et je vous raconterai, à vous tous qui craignez le Seigneur, combien il a fait pour mon âme 5 ». Vous avez entendu ses paroles, et il conclut enfin: « Béni soit mon Dieu, qui n’a point rejeté ma prière, ni détourné de moi sa miséricorde ». C’est ainsi que l’interlocuteur arrive à la résurrection, où nous sommes déjà en espérance : bien plus, en réalité; car ces paroles sont les nôtres. Tant que dure notre séjour ici-bas, supplions le Seigneur de ne point rejeter notre prière, de n’éloigner point de nous sa miséricorde;

 

1. Philip. III, 13. — 2. Rom. III, 22. — 3. Ps. LIV, 19.— 4. Id. 20. — 5. Id.16.

 

c’est-à-dire, de nous accorder la persévérance dans la prière et de persévérer lui-même à nous prendre en pitié. Plusieurs ne prient qu’avec nonchalance, dans la phase de leur conversion: ils ont d’abord de la ferveur, puis vient la nonchalance, puis la froideur, puis la négligence : ils se croient en sûreté. L’ennemi veille: et loi, tu dors. Le Seigneur nous prescrit dans l’Evangile « de toujours prier, de ne point nous lasser». Il apporte en exemple ce juge d’iniquité, qui ne craignait point Dieu, n’avait aucun respect pour les hommes, et qu’importunait cette veuve qui chaque jour le suppliait de l’entendre : il cède à l’ennui, lui que la pitié ne fléchissait point; et ce juge inique se dit en lui-même: « Quoique je ne craigne point Dieu, et que je m’inquiète peu des hommes, cependant, parce que cette veuve m’importune tous les jours, j’entendrai sa cause et lui ferai justice. Or, le Seigneur ajoute : Si un juge d’iniquité en agit de la sorte, votre Père ne vengera-t-il pas ses élus, qui crient à lui jour et nuit? Assurément, vous dis-je, il leur fera promptement justice 1 ». Ne cessons donc point de prier. Un retard dans ce qu’il doit nous accorder, n’est pas un refus: certains de sa promesse, ne cessons de prier, et ceci est encore un de ses bienfaits. Aussi a-t-il dit: « Béni soit mon Dieu qui n’a point éloigné de moi ma prière et sa miséricorde ». Tant que la prière ne sera pas loin de tes lèvres, sois en sûreté, parce que sa miséricorde n’est pas loin de toi.

 

1. Luc, XVIII, 1.8.

 

 

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