PSAUME LXVII
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXVII.

LA PRÉDICATION ÉVANGÉLIQUE.

 

Ce chant est intitulé : Psaume du Cantique. Selon quelques-uns, Cantique désignerait la part de l’intelligence, Psaume l’exécution extérieure ; alors cantique serait plus  général, et l’on devrait dire livre des Cantiques, ce qui n’a pas lieu toutefois.— Le Christ s’est levé, les Juifs ses ennemis ont tremblé, puis ont été bannis des lieux où ils croyaient l’avoir vaincu; pour les justes, au contraire, ils seront rassasiés. Chantez donc, ô justes, celui qui est ressuscité. Pour lui ouvrir les coeurs par la foi, vous aurez à souffrir, mais le Seigneur va délivrer les uns, ressusciter les autres d’entre vous, et habiter en vous quand vous n’aurez qu’une seule âme. Quand le Christ traversa les nations qui étaient alors un désert spirituel, les Apôtres qui sont des cieux et des montagnes firent tomber la rosée de la grâce par la volonté du Seigneur. La loi chez les Juifs étau imparfaite ou laissait dans l’imperfection, mais le Seigneur l’a perfectionnée par la loi de grâce. Il a donné au peuple ancien la manne, au peuple nouveau l’Eucharistie. Avec la grâce le bien s’est fait par amour et non par crainte. De là ce verbe qui vient aux prédicateurs avec la force du bien-aimé, qui a enchaîné le démon, lui a repris ses dépouilles, distribué ses ministres pour la beauté de l’Eglise. Dormir entre les héritages serait dormir entre les deux Testaments, avoir l’indifférence pour la terre, la patience pour le ciel. Les saints sont les ailes de l’Eglise, qui portent au loin ses louanges. Chez la colombe argentée, il y a des rois ou plutôt des hommes qui ont un ministère différent, et qui obtiennent la rémission des péchés, Le Christ est la montagne fertile ainsi que la lumière, les Apôtres ne sont l’un et l’autre que par lui; Dieu réside en eux, ils en sont le char glorieux. Ils accomplissent la charité qui résume tous les préceptes. Le Christ sans ses membres a reçu des dons pour les hommes, comme Dieu il nous fait des dons. La captivité qu’il captive désigne ceux qui embrassent le joug du Seigneur; béni soit le Dieu du salut qui s voulu mourir afin de nous apprendre la résignation. Il brise la tête de ses ennemis en les amenant à la foi, en précipitant dans l’abîme les obstinés. En nous tournant vers le Seigneur nous deviendrons ses chiens par la fidélité et la prédication. Les traces du Seigneur ont été vues dans les vertus des vierges, la conversion de Paul, le courage des martyrs. Honte aux hérétiques qui cherchent à séduire les âmes faibles. Les pays lointains comme l’Ethiopie étendront leu maies vers lui, il nous rendra vainqueurs de la mort.

 

1. Le titre de ce Psaume ne semble point soulever de pénible discussion, il paraît au contraire simple et facile. Il porte, en effet: « Pour la fin, psaume du cantique, à David lui-même 1 ». Déjà dans plusieurs psaumes nous vous avons donné le sens de cette expression « Pour la fin »; c’est que «le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront 2 », la fin qui perfectionne, et non qui termine ou qui détruit. Toutefois, si l’on veut s’appliquer à rechercher le sens de cette expression, « Psaume du cantique » : pourquoi n’est-il pas dit simplement ou Psaume ou Cantique, mais l’un et l’autre? ou quelle est la différence entre Psaume du cantique, et Cantique du psaume, car nous voyons dans quelques psaumes de semblables titres? on trouvera peut-être cette différence: nous abandonnons ce travail à certains esprits subtils et qui ont plus de loisirs que nous. Quelques-uns 3 avant nous ont assigné cette différence entre le cantique et le psaume, que le cantique est un chant oral, tandis que le psaume s’exécute sur un instrument visible qui est le psaltérion, et qu’alors le cantique

 

1. Ps. LXVII, 1. — 2. Rom. X, 4. — 3. Hilaire, prolog, sur les Ps.

 

serait l’oeuvre mentale de l’intelligence, le psaume l’oeuvre corporelle. Ainsi dans ce psaume soixante-septième, que nous entreprenons d’exposer, nous trouvons cette parole : « Chantez au Seigneur, chantez son nom sur vos instruments 1 » ; ils ont fait cette distinction : « Chantez au Seigneur », désignerait les divers sentiments qui occupent notre coeur et qui sont connus à Dieu, invisibles pour les hommes ; mais les bonnes oeuvres doivent être en évidence pour les hommes, afin qu’ils glorifient notre Père qui est dans les cieux ; c’est donc avec raison qu’il est dit : « Chantez le nom du Seigneur sur vos instruments », c’est-à-dire, publiez sa louange, que son nom se redise avec allégresse. Autant qu’il m’en souvienne, j’ai suivi moi-même ailleurs cette distinction. Je me rappelle que nous avons lu aussi : « Bénissez Dieu sur vos instruments 3 », car le bien que nous faisons d’une manière visible n’est pas agréable aux hommes seulement, mais à Dieu. Or, tout ce qui plaît à Dieu n’est pas toujours de nature à plaire aux hommes, qui souvent ne peuvent le voir. Aussi serions-nous

 

1. Ps. LXVII, 5. — 2. Matth. V, 16. — 3. Ps. XLVI, 7, 8.

 

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étonnés que l’on trouvât dans quelque autre endroit de l’Ecriture : « Chantez son nom », comme nous y trouvons ces deux expressions: « Chantez Dieu et bénissez son nom sur vos instruments ». Si l’on trouve cette expression, nous avons perdu notre peine en assignant une différence. Ce qui m’étonne encore, c’est que généralement on dise des psaumes plutôt que des cantiques, au point que le Seigneur a dit: « Ce qui est écrit à mon sujet dans la loi, dans les Prophètes et dans les Psaumes 1 ». On dit encore le livre des Psaumes, et non des Cantiques : « Comme il est écrit au livre des Psaumes 2 » , est-il dit; tandis que, d’après notre distinction, il semble qu’on devrait les appeler des Cantiques, car il peut y avoir cantique sans psaume, et non psaume sans cantique. Il peut y avoir en effet dans notre esprit des pensées dont les actes ne soient pas corporels; mais il n’est aucun acte louable dont la pensée n’ait occupé notre esprit. Dès lors, tout psaume serait un cantique, mais tout cantique ne serait pas un psaume; et pourtant, avons-nous dit, on emploie le nom générique de psaumes, non de cantiques, et l’on ne dit point livre des Cantiques, mais des Psaumes. Si l’on comprenait et si l’on discutait le sens des paroles où ce titre porte seulement « Psaume », et où il y a seulement « Cantique », non plus « Psaume du cantique », ainsi que dans le nôtre, mais « Cantique du psaume » ; je ne sais si l’on pourrait justifier cette distinction. Aussi, comme nous l’avions déjà fait, laissons-nous ces discussions à ceux qui peuvent s’y livrer, qui ont le loisir d’établir ces différences, et de les marquer de quelque point certain; nous, et autant qu’il nous est possible, avec le secours de Dieu, examinons et exposons le texte du psaume.

2. « Que Dieu se lève, et que ses ennemis soient dissipés 3 ». Ainsi a-t-il été fait; le Christ s’est levé, lui, le Dieu suprême, béni dans tous les siècles 4, et les Juifs ses ennemis se sont dispersés dans toutes les nations, vaincus qu’ils étaient dans ces mêmes lieux où ils avaient sévi contre lui, et d’où ils étaient chassés dans l’univers entier: et maintenant ils haïssent encore, mais ils craignent, et sous le poids de cette crainte ils font ce qui suit : « Et que ceux qui le haïssent fuient devant sa face ». La fuite, pour l’âme, c’est

 

1. Luc, XXIV, 41.— 2. Act. I, 20. — 3. Ps. LXVII. — 4. Rom. XX, 5.

 

la crainte. Car s’il s’agit d’une fuite corporelle, comment pourraient-ils fuir la face de celui qui montre partout l’effet de sa présence? « Où irai-je devant votre esprit», a dit le Psalmiste, « et où fuir devant votre face 1? » C’est donc l’esprit en eux, et non le corps qui fuit; c’est-à-dire qu’ils craignent sans pouvoir se cacher; et s’ils fuient, ce n’est pas celle face qu’ils ne sauraient voir, mais celle qu’ils sont forcés d’envisager. Car on appelle sa face, sa présence au moyen de son Eglise. C’est pourquoi quand leur haine fit explosion, il leur dit: « Un jour vous verrez le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel 2». C’est ainsi qu’il est venu dans son Eglise, la jetant sur tous les confins de la terre où ses ennemis sont dispersés. Or, il est venu sur des nuées semblables à celles dont il a dit : « Je commanderai aux nuées de ne plus vous donner de la pluie 3 ». « Que ceux qui le haïssent, fuient donc en sa présence » : qu’ils craignent la présence de ses saints et de ses fidèles, dont il- a dit: « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait 4 ».

3. « Qu’ils disparaissent comme la fumée 5». Des flammes de leur haine, il s’est élevé comme une vapeur d’orgueil; ils ont opposé leur bouche au ciel 6, en criant : « Crucifiez-le, crucifiez-le 7 » , ils ont insulté leur captif, l’ont raillé sur la croix : et bientôt ils ont disparu en vaincus de, ces mêmes lieux où ils s’étaient enflés de leur victoire. «  Comme la cire fond devant la flamme, que les impies disparaissent devant le Seigneur ». Peut-être le Psalmiste a-t-il voulu désigner ici ceux dont l‘endurcissement se fond dans les larmes de la pénitence: et toutefois on peut y voir encore une menace du jugement à venir; car s’ils ont péri parce qu’ils se sont élevés comme la fumée, c’est-à-dire, enflés d’orgueil, ils ne peuvent espérer au dernier jour que la damnation, en sorte qu’ils disparaîtront pour toujours de sa présence, quand il se montrera dans tout son éclat, comme le feu qui est la lumière des justes et le  châtiment des pécheurs.

4. Voici la suite: « Que les justes se rassasient, qu’ils tressaillent en la présence du «Seigneur, qu’ils s’abreuvent de ses joies 8».

 

1. Ps. CXXXVIII, 7. — 2. Matth. XXVI, 64 — 3. Isaïe V, 6 — 4. Matth. XXV, 40 — 5. Ps. LXVII, 3. — 6. Id. LXXII, 9. — 7. Jean, XIX, 6. — 8. Ps. LXVII, 4.

 

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Car, alors, ils entendront: « Venez, bénis de mon Père, et recevez le royaume 1. Qu’ils « soient donc dans la joie e ceux qui ont été dans la tristesse, et qu’ils tressaillent en présence du Seigneur ». Cette allégresse ne donnera point une vaine jactance, comme il arrive en présence des hommes, mais elle éclatera en présence de Celui qui voit sans se tromper ses propres dons. « Qu’ils s’abreuvent de ses joies »; non pas dans une allégresse mêlée de crainte 2, comme il arrive ici-bas, tant que la vie de l’homme sur la terre est une tentation 3.

5. Enfin il se tourne vers ceux à qui il a inspiré une si grande espérance, et les stimule en cette vie, par ces exhortations : « Chantez au Seigneur, bénissez son nom sur vos instruments 4 ». Nous avons dit à propos du titre ce que nous pensions de cette parole. Chanter à Dieu, c’est vivre pour Dieu; bénir son nom sur des instruments, c’est travailler pour sa gloire. C’est donc par ces chants, par ces accords, c’est-à-dire par cette vie et par ces oeuvres qu’il vous faut « ouvrir la voie », dit le Prophète, « à Celui qui s’élève au-dessus de l’Occident ». Ouvrez la route au Christ, afin que les coeurs s’ouvrent à lui par la foi, au moyen de ceux dont les pieds sont beaux, en apportant l’Evangile 5. Car c’est lui qui s’élève au-dessus du couchant; soit que nul ne puisse le recevoir en se tournant à lui par une vie nouvelle, sans avoir abjuré le vieil homme, et renoncé au monde; soit que s’élever au-dessus de l’Occident, se dise de la résurrection qui triomphe de la mort corporelle. « Car le Seigneur est son nom». Et si les Juifs l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 6.

6. « Tressaillez en sa présence ». O vous à qui il est dit : « Chantez au Seigneur, bénissez son nom sur vos instruments, ouvrez la route à celui qui s’élève au-dessus de l’Occident, tressaillez aussi en sa présence 7 », comme des hommes tristes qui sont néanmoins dans la joie 8. Pour lui ouvrir la route, pour lui préparer le moyen de venir et de s’emparer des nations, vous aurez à souffrir des choses tristes de la part des hommes. Toutefois, loin de vous toute défaillance, tressaillez au contraire, non plus en présence des hommes

 

1. Matth. XXV, 34. — 2. Ps. II, 11. — 3. Job, VII, 1. — 4. Ps. LXVII, 5. — 5. Isaïe LII, 7. —  6. I Cor, II, 8. —  7. Ps. LXVII, 5. — 8. II Cor. VI, 10.

 

mais devant Dieu. Soyez pleins de joie dans votre espérance, et patients dans la tribulation 1. «Tressaillez en présence de Dieu». Mais ceux qui jettent le trouble en vous devant les hommes, « seront troublés à leur tour, devant la face de Dieu qui est le Père de l’orphelin, et rend justice à la veuve 2 ». Ils regardent comme dans la désolation ceux que le glaive de la parole de Dieu vient séparer, les parents des enfants, les époux de leurs épouses 3; mais ceux qui sont ainsi délaissés, et dans le veuvage, reçoivent les consolations « de celui qui est le Père des orphelins, qui rend justice à la veuve »; ils reçoivent ses consolations, ceux qui lui disent: « Voilà que mon père et ma mère m’ont délaissé, mais le Seigneur m’a pris sous sa garde 4 » : qui ont mis leur espoir en Dieu, qui ont persisté nuit et jour dans la prière 5:

en présence de Dieu, ils seront dans le trouble, ces méchants qui verront qu’ils n’ont rien obtenu parce que le monde entier a suivi le Seigneur 6.

7. C’est en effet de ces orphelins et de ces veuves, c’est-à-dire de ceux qui se privent de tout commerce avec les espérances d’ici-bas, que le Seigneur se fait un temple, et c’est de ce temple qu’il dit ensuite : « Dieu habite son sanctuaire ». Le Prophète nous indique, en effet, ce qu’est ce sanctuaire, quand il dit : « C’est Dieu qui fait habiter ensemble ceux qui ont une même âme 7 »; qui sont unanimes ou qui ont les mêmes sentiments tel est le sanctuaire du Seigneur. Car après avoir dit : « Le Seigneur est dans son sanctuaire », comme si nous lui demandions quel est ce lieu, puisque le Seigneur est partout entièrement, et qu’il n’est aucun espace corporel qui le puisse contenir, le Prophète s’explique aussitôt, afin que nous ne cherchions pas le Seigneur en dehors de nous, mais que plutôt, n’ayant qu’une même âme pour habiter la même demeure, nous méritions que le Seigneur daigne habiter avec nous. Le sanctuaire du Seigneur, c’est ce que cherchent les hommes quand ils veulent un lieu où leurs prières soient exaucées. Qu’ils soient donc eux-mêmes ce qu’ils cherchent, et qu’ils repassent avec amertume ce qu’ils disent dans leur coeur ou plutôt dans le silence le plus profond 8, qu’ils n’aient qu’une

 

1. Rom. XII, 12.— 2. Ps. LXVII, 6.— 3. Matth. X, 34, 35.— 4. Ps. XXVI, 10.— 5. I Tim. V, 5. —  6. Jean, XII, 19. — 7. Ps. LXVII, 7. — 8. Ps. IV, 5.

 

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même âme, « dans la même demeure », afin qu’ils deviennent de vastes appartements habités par le Seigneur, et qu’ils soient exaucés en eux-mêmes. Il est, en effet, un vaste édifice, meublé non-seulement de vases d’or et d’argent, mais aussi de vases de bois et d’argile. Les uns sont pour l’ornement, les autres pour l’ignominie ; mais si quelques-uns purifient en eux ce qui tient au vase d’ignominie 1, ils seront unanimes « dans une « maison e et deviendront ainsi le sanctuaire de Dieu. De même, en effet, que dans un vaste palais, le maître ne prend- point son repos dans un appartement quelconque, mais dans le lieu le plus honorable et le plus secret ; de même le Seigneur n’habite point chez tous ceux qui sont dans sa demeure, car il n’habite point en ceux qui sont des vases d’ignominie, mais il a son sanctuaire en ceux qu’ « il fait habiter par l’accord des manières ou des moeurs, dans une seule maison ». Le mot grec, en effet, tropoi se peut traduire en latin par manières ou moeurs. Le grec ne porte pas non plus : « Il fait habiter dans»; mais simplement: « Il fait habiter ». « Le Seigneur est » donc « dans son lieu sacrée. Quel est ce lieu? Car c’est Dieu qui se le prépare. C’est Dieu, en effet, « qui fait habiter dans une même demeure les hommes d’une même âme » : c’est là son sanctuaire.

8. Vois aussi par le verset suivant que c’est bien la grâce qui se construit cet édifice, bien que ceux dont elle le construit ne l’aient prévenue par aucun mérite. « C’est lui qui dans sa force délivre les captifs ». Car il brise les entraves pesantes du péché, qui leur faisaient obstacle pour marcher dans la voie des commandements : il les délivre avec cette force qu’ils n’avaient pas avant sa grâce. « Il en est de même de ces rebelles qui habitent  les sépulcres 2 »; c’est-à-dire de ces pécheurs tout à fait morts, qui ne s’occupent que d’oeuvres mortes. Ceux-ci sont rebelles, en effet, en résistant à la justice. Pour ces autres, qui sont captifs, ils voudraient peut-être marcher, mais ils ne le peuvent; ils prient Dieu de leur en donner le pouvoir et lui disent : « Délivrez-moi de mes chaînes 3 »; et lorsque Dieu les exauce, ils lui rendent grâce en disant : « Vous avez brisé mes chaînes 4 ». Quant à ces rebelles qui habitent les sépulcres, ils ressemblent à ceux dont l’Ecriture a

 

1. II Tim, II, 20. — 2. Ps. LXVII, 7. — 3. Id. XXIV, 17. — 4. Id. CXV, 17.

 

dit ailleurs : « Un mort, non plus que s’il n’existait pas, ne loue point le Seigneur 1 ». De là cette autre sentence: « Quand le pécheur est descendu au fond de l’abîme, il dédaigne 2». Il y a une différence entre désirer la justice et la combattre; entre vouloir secouer le joug du mal, et défendre ses fautes plutôt que d’en faire l’aveu : or, la grâce du Christ délivre les uns et les autres dans sa force. Quelle force, sinon la force de résister au péché jusqu’à en mourir? Car les uns et les autres de ces hommes deviennent propres à entrer dans la construction du sanctuaire de Dieu, les uns par la délivrance, les autres par la résurrection. Il ne fallut au Christ qu’un ordre pour délier cette femme que Satan tenait courbée vers la terre depuis dix-huit ans 3, et qu’un cri pour triompher de la mort de Lazare 4. Celui qui a opéré ces merveilles sur des corps, peut en produire de bien plus admirables dans nos coeurs, et faire « que nous n’ayons qu’une âme pour habiter dans un même palais, en délivrant les captifs dans sa puissance, ainsi que les rebelles qui habitent les sépulcres ».

9. « Seigneur, quand vous sortiez à la vue  de votre peuple 5 ». Le Seigneur sort quand il se montre dans ses oeuvres. Or, il ne se montre pas à tous, mais seulement à ceux qui savent discerner l’oeuvre divine. Car je ne parle point maintenant de toutes ces oeuvres qui sont évidentes pour tous les hommes, des cieux, de la terre, des mers et de tout ce qu’ils renferment; mais de ces oeuvres par lesquelles « il délivre dans sa force les captifs ainsi que les rebelles qui habitent les sépulcres, et fait habiter un même palais à ceux qui ont un même coeur ». C’est ainsi qu’il marche sous les yeux de son peuple, ou sous les yeux de ceux qui comprennent cette grâce. Enfin, il poursuit : « Quand vous e parcouriez le désert, la terre fut ébranlée», C’était un désert que ces nations qui ne connaissaient point le Seigneur : un désert que ces lieux où Dieu n’avait donné aucune loi; où n’habitait nul prophète pour annoncer l’avènement du Seigneur. Donc « quand vous parcouriez le désert », ou quand votre nom fut prêché parmi les Gentils, « la terre fut ébranlée », ces hommes terrestres furent poussés à embrasser la foi. Mais pourquoi fut

 

1 Eccli. XVII, 26. — 2. Prov. XVIII, 3. — 3. Luc, XIII, 1 . — 4. Jean, XI, 43, 44. — 5. Ps. LXVII, 8.

 

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elle ébranlée? « C’est que les cieux répandirent leur influence devant la face du Seigneur». Vous reportez-vous en esprit à ces moments où Dieu traversait le désert en présence de son peuple, sous les yeux des enfants d’Israël, et s’environnait pendant le jour d’une colonne de nuées, et d’une colonne de feu pendant la nuit 1; alors vous comprendrez que « les cieux « s’épanchèrent devant le Seigneur», puisqu’il fit pleuvoir la manne pour son peuple 2; voilà ce qu’exprimerait ensuite le Prophète : « La montagne de Sinaï est en présence du Dieu « d’Israël, Dieu laisse tomber sur son héritage une pluie bienfaisante 3»; parce que ce fut sur le mont Sinaï que Dieu s’entretint avec Moïse, quand il donna la loi 4. Alors la manne serait cette pluie bienfaisante que Dieu fit tomber sur son héritage, c’est-à-dire sur son peuple, car ce fut à eux seuls, et non aux autres peuples, que Dieu donna cette nourriture; et quand il dit ensuite: « Il est épuisé», on doit comprendre que ce même héritage s’est affaibli; car ils murmurèrent et conçurent du dégoût pour la manne; ils voulaient pour nourriture des viandes, et tout ce qui constituait leur alimentation ordinaire en Egypte 5. Mais si nous nous en tenons aux termes de la lettre sans recourir au sens spirituel, il nous faudra montrer quels étaient les hommes dont le corps était enchaîné, et quels étaient ceux qui habitaient les sépulcres et qui furent délivrés par la puissance divine. Ensuite, si ce peuple de Dieu, si cet héritage s’épuisa, dans son dégoût pour la manne, au lieu de dire après cela: « Mais toi, tu l’as rendu parfait », il faudrait dire: Mais toi, tu l’as frappé, car ces murmures et ces dégoûts, outrageants pour le Seigneur, furent suivis d’une plaie bien douloureuse 6. Enfin, tout ce peuple mourut au désert, et nul, excepté deux hommes, ne mérita d’entrer dans la terre promise 7. Sans doute on pourrait dire que cet héritage devint parfait dans sa postérité; nous devons toutefois nous attacher au sens spirituel pour être plus à l’aise. « Tout se passait en figure pour ce peuple 8»; jusqu’à l’arrivée de la lumière et la disparition des ombres 9.

10. Que Dieu donc ouvre à nos instances; et que ses mystères se découvrent à nos yeux, autant qu’il daignera nous l’accorder. Pour

 

1. Exod. XIII, 21. — 2. Id. XVI, 13. — 3. Ps. LXVII, 10. — 4. Exod. XIX, 18.— 5.  Nombres, XI, 5, 6. — 6. Id. 33. — 7. Id. XIV, 29, 30. —  8. Cor. X, 11.— 9. Cant. II, 17.

 

ébranler la terre et l’amener à la foi, quand l’Evangile parcourait les nations, « les cieux se sont épanchés devant la face du Seigneur »; ces mêmes cieux dont le Psalmiste a chanté ailleurs: «  Les cieux racontent la gloire de Dieu ». Car c’est d’eux qu’il est dit un peu plus bas : « Il n’est point de langue, point d’idiome qui n’entende cette voix; son éclat s’est répandu dans tout l’univers, il a retenti jusqu’aux derniers confins de la terre 1 ». Toutefois ce

n’est pas à ces cieux qu’il faut attribuer une telle gloire, comme si la grâce qui a fécondé

le désert des nations, et mis en mouvement la terre vers la foi, pouvait venir des hommes.

Ce n’est point par eux-mêmes que les cieux se sont épanchés, mais bien « devant la face du Seigneur », qui habitait en eux, et qui leur faisait habiter la même demeure dans l’union des âmes. Ils sont aussi les montagnes dont il est dit : « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours ». Et toutefois, afin de ne point laisser croire qu’il met sa confiance dans des hommes, le Psalmiste ajoute aussitôt : « Mon secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 2 ». C’est encore à lui qu’il est dit ailleurs : « C’est vous qui répandez une lumière admirable du haut des montagnes éternelles 3 »; bien qu’elle vienne des montagnes éternelles, c’est vous néanmoins qui la répandez. De même ici : « Les cieux se sont épanchés », mais, « devant la face du Seigneur». Car eux-mêmes ont été sauvés

par la foi, et cela ne vient point de leurs mérites, puisque c’est un don de Dieu : cela ne vient pas des oeuvres, afin que nul ne se glorifie. Nous sommes, en effet, son ouvrage 4. « C’est lui qui nous fait habiter la même demeure dans l’union des âmes ».

11. Mais que dit ensuite le Prophète : « La montagne de Sinaï, en face du Dieu d’Israël? » Faut- il sous-entendre, s’est épanchée; afin d’appeler encore montagne de Sinaï ce qu’il vient d’appeler du nom de ciel; de même que nous avons donné aux cieux le nom de montagne? Dans ce sens nous ne devons pas nous étonner qu’il soit dit: « La montagne », et non les montagnes, comme il avait été dit: Les cieux, et non le ciel; car dans un autre psaume, après avoir dit: « Les cieux

 

1. Ps. XVIII, 2-5. — 2. Id. CXX, 1, 2. — 3. Ps. LXXV, 5. — 4. Ephés. II, 8-10.

 

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racontent la gloire de Dieu 1, il répète en d’autres termes la même pensée selon la coutume des saintes Ecritures : « Et le firmament nous annonce ses oeuvres». Il a d’abord dit : « Les cieux », et non le ciel, et ensuite il dit : Le firmament, et non les firmaments. Or, « Dieu appelle ciel le firmament 2», ainsi qu’il est dit dans la Genèse. Ainsi donc, les cieux et le ciel, les montagnes et la montagne ont une signification semblable et nullement différente : de même que les nombreuses Eglises, et la seule Eglise, n’ont pas un sens divers, mais un seul et même sens. Mais pourquoi « cette montagne de Sinaï, qui engendre dans la servitude 3», comme l’a dit l’Apôtre? Faut-il entendre par là cette loi donnée sur le mont Sinaï, et que « les cieux auraient épanchée devant la face du Seigneur », afin d’ébranler la terre? Et cet ébranlement de la terre serait-il le trouble des hommes incapables d’accomplir cette loi? Mais, s’il en est ainsi, cette loi est encore cette pluie bienfaisante, dont le Prophète a dit ensuite : « Vous ménagerez, Seigneur, une pluie désirable à votre héritage »; car il n’en a pas agi de la sorte avec aucun peuple, et ne leur a pas manifesté ses jugements 5. Cette pluie que Dieu a réservée à son héritage est donc la loi qu’il lui a donnée. « Elle s’est affaiblie », la loi ou la nation qui est notre héritage. On peut entendre que la loi s’est affaiblie, en ce sens qu’elle ne s’accomplissait point, non qu’en elle-même elle fût faible, mais parce qu’elle aboutissait à la faiblesse chez les hommes qu’elle menaçait sans leur donner le secours de la grâce. C’est en effet le terme dont s’est servi l’Apôtre en disant : « Ce qui était impossible à la loi, chez l’homme en qui la chair l’affaiblissait 6 », voulant nous montrer que c’est dans un sens spirituel qu’elle doit s’accomplir. Il dit néanmoins qu’elle s’affaiblit, parce que les faibles ne peuvent l’accomplir. Mais l’héritage qui s’affaiblit nous désignerait sans ambiguïté le peuple après que la loi lui fut donnée. « Car la loi est venue, en sorte que le péché a abondé 7». Alors le verset suivant: « Vous lui avez donné la perfection», se rapporte à la loi quia été perfectionnée, selon l’Apôtre, c’est-à-dire accomplie; c’est ce que dit le Seigneur dans l’Evangile : « Je ne suis point venu pour

 

1. Ps. XVIII, 2, — 2. Gen. I, 8. — 3. Gal. IV, 24. — 4. Exod. XIX, 18. — 5. Ps. CXLVII, 20. — 6. Rom. VIII, 3. — 7. Rom. V, 20.

 

détruire, mais pour accomplir la loi 1». De là vient que l’Apôtre, après avoir dit que la loi était affaiblie par la chair, puisque la chair ne peut accomplir ce qui ne s’accomplit que par l’esprit, c’est-à-dire par une grâce spirituelle, dit encore : « Afin que la justice de la loi soit accomplie en nous qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l’esprit 2 ». Ainsi donc : « Vous lui avez donné la perfection; parce que l’amour est la plénitude de la loi 3, et que l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs», non par nous-mêmes, mais « par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 4 »; tel serait le sens de : « Vous lui avez donné la perfection », si l’on entend que c’est la loi qui a été perfectionnée; mais, si c’est l’héritage, le sens est plus facile à saisir. Si l’on veut, en effet, que l’héritage du Seigneur, ou le peuple de Dieu ait été affaibli à cause de la loi, « parce que la loi est « entrée, de telle manière que le péché a « abondé » ; alors ces paroles : « Vous l’avez perfectionné » , s’entendraient dans le même sens que ces autres du même saint Paul : « Où le péché a abondé, la grâce a surabondé 5 ». Car le péché se multipliant a multiplié aussi les infirmités, et ensuite ils ont précipité leur marche 6; car ils ont gémi et ont demandé à Dieu d’accomplir avec son secours ce qu’ils ne pouvaient accomplir avec un simple précepte.

12. Il y a dans ces paroles un autre sens, qui me paraît plus probable. Cette pluie abondante s’entend bien mieux de la grâce, qui nous est donnée sans être appelée par aucune oeuvre méritoire. « Si c’est par grâce, ce n’est point en vue des oeuvres, autrement la grâce ne serait plus grâce 7. Je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre », est-il dit encore; « puisque j’ai persécuté l’Eglise de Dieu; muais c’est parla grâce de Dieu que je suis ce que je suis 8». Telle serait la pluie volontaire : « Car il nous a volontairement appelé par la parole de la vérité 9 ». C’est donc une pluie de son amour. De là vient qu’il est dit ailleurs : « Vous nous couvrez de votre amour, comme d’un bouclier 10 ». Or, quand le Seigneur traversait le désert, c’est-à-dire quand l’Evangile était, annoncé aux nations, « les cieux distillèrent » cette

 

1. Matth. V, 17. — 2. Rom. VIII, 3, 4. — 3. Id. XIII, 10. — 4. Id. V, 5.—  5. Id. 20.— 6. Ps. XV, 4.— 7. Rom. XI, 6.— 8. I Cor. XV, 9, 10. — 9.  Jacques, I, 18. — 10. Ps. V, 13.

 

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pluie : non d’eux-mêmes cependant, mais « en présence du Seigneur », car eux-mêmes aussi lui doivent la grâce d’être ce qu’ils sont. Et s’il est parlé du « mont Sinaï », c’est que celui qui a travaillé plus que tous les autres, non pas lui, mais la grâce de Dieu avec lui 1, afin qu’il s’épanchât plus abondamment parmi les nations , c’est-à-dire dans le désert où le Christ n’avait pas été annoncé, pour ne point bâtir sur le fondement d’un autre 2; celui-là, dis-je, était Israélite, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin 3; il avait été engendré dans la servitude, en cette Jérusalem terrestre, qui est esclave avec ses enfants; et c’est pourquoi il persécutait l’Eglise. Car, selon l’avis qu’il nous en donne : « De même que le Fils engendré selon la chair poursuivait le Fils selon l’esprit; ainsi en est-il maintenant 4 ». Mais j’ai obtenu miséricorde, parce que j’ai agi dans l’ignorance , n’ayant point la foi 5. Admirons donc « les cieux qui s’épanchent à la face du Seigneur », admirons plus encore cette « montagne de Sinaï », c’est-à-dire celui qui fut tout d’abord persécuteur, Hébreu fils d’Hébreux, et Pharisien en ce qui regarde la loi 6. Que faut-il admirer? Qu’il n’ait point agi de lui-même, mais « devant la face du Dieu d’Israël », d’Israël dont il dit: « Et à l’Israël de Dieu 7»; et dont le Seigneur a dit: « C’est là un vrai Israélite, sans déguisement 8 ». Telle est la pluie de grâce que le Seigneur a ménagée à son héritage, et que ne précédaient point les mérites des bonnes oeuvres. « Cet héritage s’est affaibli ». Car l’Apôtre a reconnu qu’il n’est rien par lui-même, ni par ses propres forces, mais qu’il doit à la grâce de Dieu ce qu’il est. Il a reconnu ce qu’il a dit plus tard : « Je me glorifierai dans mes infirmités 9 ». Il a reconnu la vérité de cette parole : « Ne t’élève point dans ta sagesse, mais crains 10 ». Il a compris, que « Dieu donne la grâce aux humbles 11. Il s’est affaibli, mais vous, ô Dieu, l’avez conduit à la perfection; parce que la vertu se perfectionne dans la faiblesse 12 ». Dans quelques exemplaires et latins et grecs, on ne trouve pas : « La montagne de Sinaï », mais simplement: « En face du Dieu de Sinaï, en face du Dieu d’Israël ». C’est-à-dire :

 

1. I Cor. XV, 10. — 2. Rom. XV, 20 — 3. Philip. III, 5. — 4. Gal. IV, 25, 29. — 5. I Tim. I, 13. — 6. Philip. III, 5. — 7. Galat. VI, 16. — 8.  Jean, 1, 47. — 9. II Cor. XII, 9. — 10. Rom. XI, 20. — 11. Jacques, IV, 6. — 12. II Cor. VII, 9.

 

« Les cieux se sont épanchés en face du Dieu d’Israël » ; et comme si l’on demandait de quel Dieu : «En face du Dieu de Sinaï»,dirait le Prophète, « du Dieu d’Israël », c’est-à-dire en face du Dieu qui a donné sa loi au peuple d’Israël. Pourquoi donc «les cieux s’épanchent-ils en face de Dieu »; en face de ce Dieu, sinon pour accomplir ainsi la prophétie: « Celui qui a donné la loi, donnera aussi la bénédiction 1 ? » « La loi », pour effrayer celui qui présume des forces de l’homme; « la bénédiction »,qui délivre celui qui espère en Dieu. Vous donc, ô mon Dieu, avez donné la perfection à votre héritage : parce qu’en lui-même il s’est affaibli, afin de recevoir de vous le perfectionnement.

13. « Les animaux qui sont les vôtres, habiteront en cette terre». « Qui sont les vôtres», non qui s’appartiennent; qui vous sont soumis, non abandonnés à eux-mêmes; qui ont besoin de vous, non point qui se suffisent. Enfin, il est dit ensuite: « Vous l’avez préparé dans votre bonté, Seigneur, pour celui qui est pauvre 2». « Dans votre bonté», et non dans le droit qu’il en avait. Il est pauvre, en effet, parce qu’il est infirme, afin d’être conduit à la perfection : il reconnaît son indigence, afin d’être rassasié. Telle est la bonté dont il est dit ailleurs : « Le Seigneur épanchera ses bénédictions, et notre terre donnera son fruit 3 » ; en sorte que le bien se fera, non par crainte, mais par amour; non par l’effroi du châtiment, mais par la joie intime de la justice. Telle est, en effet, la vraie et saine liberté, Mais le Seigneur la prépare à celui qui est pauvre, non point à celui qui est dans l’abondance, et qui rougirait de cette pauvreté: c’est de tels hommes qu’il est dit: « Nous sommes en butte à l’outrage du riche, au mépris des superbes 4». Il appelle orgueilleux ceux qu’il a d’abord appelés riches.

14. « Le Seigneur donnera son Verbe » : c’est-à-dire, la nourriture à ses animaux qui habiteront cette terre. Mais que feront ces animaux auxquels il donnera le Verbe, sinon ce qui est dit ensuite? « Qu’ils évangéliseront avec une grande force 5 » . Avec quelle force, sinon avec cette force qui lui fait délivrer les captifs? Peut-être appellerait-il ici force, la vertu d’opérer des miracles qui éclata dans les prédicateurs de l’Evangile.

 

1. Ps. LXXXIII, 8. — 2. Ps. LXVII, 11. — 3. Id. LXXXIV, 13. — 4. Id. CXXII, 4. — 5. Id. LXVII, 12.

 

15. Quel est donc celui qui « donnera le Verbe à ceux qui prêcheront l’Evangile avec une grande force ? C’est, dit le Prophète, le roi des vertus du Bien-Aimé 1». Le Père est donc le roi des vertus du Fils. Car, le bien-aimé, à moins que l’on ne précise quel est ce bien-aimé, s’entend par antonomase du Fils unique de Dieu. Le Fils est-il le roi des vertus, c’est-à-dire des vertus qui lui obéissent? Car « il doit donner la parole à ceux qui évangéliseront avec une grande force, celui qui est roi des vertus», et dont il est dit: « Le Seigneur des vertus est lui-même le roi de gloire 2». Qu’il n’ait point dit: Le roi de ses vertus, mais simplement : « Le roi des vertus du bien-aimé », c’est une manière de parler très-fréquente dans les Ecritures, pour peu qu’on y fasse attention: c’est ce qui arrive surtout quand le nom propre est exprimé, afin que l’on ne puisse douter que c’est bien du même personnage qu’il est question. Voilà ce que l’on trouve assez fréquemment dans le Pentateuque: « Et Moïse fit » tel et tel objet «comme le Seigneur l’avait commandé à Moïse 3 » en langage ordinaire on aurait dit : Moïse fit ce que lui commanda le Seigneur; le texte sacré porte, au contraire: « Moïse fit ce que le Seigneur commanda à Moïse », comme si Moïse, à qui Dieu avait commandé, n’était pas Moïse qui exécuta, quoique ce fût bien le même cependant. Ces locutions se rencontrent bien difficilement dans le Nouveau-Testament, et toutefois l’Apôtre s’en servait quand il disait:

« A propos de son Fils qui lui est né de la race de David selon la chair, qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance, selon l’Esprit de sainteté, par la résurrection d’entre les morts, de Jésus-Christ Notre-Seigneur 4 » ; comme si autre était le Fils de Dieu qui est né de la race de David selon la chair, et autre Jésus notre Seigneur, tandis que c’est bien le même. Dans les anciens livres on rencontre fréquemment cette locution: et c’est pourquoi, quand elle amène tant soit peu d’obscurité, on doit recourir aux exemples du même genre qui portent leur évidence en eux-mêmes ; ainsi elle est quelque peu obscure dans le passage du Psaume que nous exposons. Si l’on disait, en effet, Jésus-Christ roi des puissances de Jésus-Christ, le passage serait aussi clair que celui-ci: « Moïse accomplit ce que Dieu avait

 

1. Ps. LXVII, 13. — 2. Id. XXIII, 10. — 3. Nombre, XVII, 11, selon les Septante. — 4. Rom. I, 3, 4.

 

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commandé à Moïse » ; mais comme il est dit : « Roi des vertus du bien-aimé », il ne vient pas facilement à l’esprit que celui qui est le bien-aimé soit aussi  le Roi des vertus. Cette expression donc: « Roi des puissances du bien-aimé», peut s’entendre comme s’il était dit, roide ses vertus, puisque le roi des vertus est le Christ, et que le bien-aimé est aussi le même Christ. Ce sens toutefois n’est pas si rigoureux, qu’on n’en puisse donner un autre: car on peut entendre que le Père est le roi des vertus de son Fils bien-aimé, et ce même bien-aimé lui dit : « Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi 1». Mais vient-on à me demander si Dieu le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ peut être aussi appelé roi, je ne sache pas qu’il y ait un homme pour oser le dépouiller de ce titre, quand l’Apôtre a dit: « Au roi des siècles, au Dieu immortel, invisible, unique 2 ». Et si l’on veut appliquer cette parole à la Trinité, nous y trouvons encore Dieu le Père. Mais à moins d’entendre d’une manière charnelle, cette expression: «O Dieu! donnez votre jugement au roi, et votre justice au fils du roi 3 » ; je ne sais si l’on peut y voir autre chose que « à votre Fils ». Donc le Père est aussi roi. De là vient que « le roi des puissances du bien-aimé », peut s’entendre de deux manières. Aussi, après avoir dit : « Le Seigneur donnera son Verbe à ceux qui évangéliseront avec une grande puissance » : comme la puissance vient de celui qui gouverne, et doit servir les desseins de celui qui la donne, le Prophète ajoute: « Le Seigneur qui donnera le Verbe à ceux qui évangéliseront avec une grande puissance, est le roi des puissances du bien-aimé».

16. Voici le verset suivant: « Bien-Aimé, et pour partager les dépouilles de la beauté de la maison 4 ». Il répète, afin de mieux appeler l’attention : cette répétition toutefois ne se trouve pas dans tous les exemplaires, et les plus soignés la marquent d’une étoile, ou du signe que l’on appelle astérisque, et par lequel on veut faire connaître ce qui manque dans le texte des Septante, mais qui est dans l’hébreu. Mais que l’on admette que cette expression, « bien-aimée » est répétée ou qu’elle n’est exprimée qu’une fois, voici, je crois, le sens qu’il faut donner à ce qui suit: « Et pour

 

1. Jean, XVII, 10. — 2. I Tim. I, 17. —  3. Ps. LXXI, 2. — 4. Ps. LXVII, 13.

 

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partager les dépouilles de la beauté de la maison », comme s’il y avait: « C’est au bien-aimé de partager les dépouilles qui embelliront le palais », c’est-à-dire, de celui qui est bien-aimé quand il assigne les dépouilles en partage. Cette maison embellie, c’est l’Eglise qu’enrichit le Christ, quand il l’orne de dépouilles comme on corps est beau par la distribution proportionnée des membres. Or, on appelle dépouilles ce que l’on enlève à l’ennemi. L’Evangile nous en explique la nature, quand nous lisons: « Nul ne peut entrer dans la maison d’un homme fort, pour en enlever les dépouilles, sans avoir auparavant lié le fort 1». Le Christ a donc enchaîné le diable avec des liens spirituels, quand il a triomphé de la mort, et s’est élevé de l’abîme jusque dans les cieux; il l’a enchaîné par le sacrement de son incarnation, puisqu’il a été permis au démon de le faire mourir, bien qu’il ne trouvât en lui rien qui fût digne de mort; et c’est après l’avoir ainsi enchaîné, que le Christ lui a enlevé ses dépouilles. Il exerçait alors son pouvoir sur les enfants de la rébellion 2, dont l’infidélité servait ses desseins. Or, le Seigneur en purifiant ces vases par la rémission des péchés, et en sanctifiant ces dépouilles enlevées à l’ennemi terrassé et enchaîné, les a distribuées pour l’embellissement de son palais; en faisant des uns des Apôtres, des autres des Prophètes, d’autres des pasteurs et des docteurs, pour les fonctions du ministère, et l’édification du corps du Christ 3. « De même, en effet, que e notre corps est un, bien qu’il ait plusieurs membres, et que tous ces membres, quoique nombreux, ne composent néanmoins qu’un seul corps : ainsi en est-il du Christ. Or, tous sont-ils Apôtres?Tous sont-ils Prophètes? Tous sont-ils des puissances ? Tous ont-ils le don de guérir? Tous parlent-ils diverses langues? Tous sont-ils interprètes? Mais c’est le seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît ». Telle est la beauté du palais auquel on distribue des dépouilles; en sorte que celui qui l’aime s’exalte de cette beauté et s’écrie : « Seigneur, j’aime la richesse de votre maison 5 ».

17. Dans les versets qui vont suivre, le Prophète adresse la parole à ces mêmes

 

1. Matth. XII, 29. — 2. Eph. II, 2. — 3. Id. IV, 11, 12. — 4. I Cor. XII, 11, 12, 29, 30. — 5. Ps, XXV, 8.

 

membres qui font la beauté de l’édifice, et s’écrie : « Si vous vous endormez au milieu des héritages, ailes de la colombe argentée, et dont le cou est enrichi de reflets d’or et d’émeraude 1 ». Cherchons d’abord quel est l’ordre de ces paroles, et comment se termine la pensée ; car elle n’est point définie, puisqu’il est dit : « Si vous dormez ». Ensuite, quand il parle de ces « ailes argentées de la colombe », faut-il l’entendre au singulier, et dire, de cette aile, hujus pennae, ou au pluriel, ces ailes, hae pennae? Mais le grec exclut absolument le singulier et emploie ici le pluriel. Cependant c’est encore une question incertaine, s’il faut lire, ces ailes, ou bien, ô ailes, comme si on leur adressait la parole. Ainsi donc, les paroles qui ont précédé, ont-elles donné l’achèvement à cette pensée, en sorte qu’elle soit ainsi réglée : « Le Seigneur   donnera son Verbe à ceux qui évangéliseront avec une grande puissance, si vous dormez au milieu de l’héritage, ô vous, ailes de la colombe argentée »? Ou bien trouve-t-elle son complément dans les paroles qui suivent, de cette manière : « Si vous dormez au milieu de l’héritage, les ailes de la colombe argentée deviendront blanches comme la neige du Selmon 2 ». C’est-à-dire que ces ailes blanchiront, si vous dormez au milieu de l’héritage; en sorte qu’il adresserait la parole à ceux qui sont partagés comme des trophées pour l’ornementation du palais; c’est-à-dire : Si vous dormez entre deux héritages, ô vous qui êtes distribués pour l’embellissement du palais, par la manifestation de l’Esprit, ainsi qu’il est nécessaire, en sorte qu’à l’un l’Esprit-Saint ait donné la parole de la sagesse, à l’autre la parole de la science selon le même Esprit, à celui-ci la foi, à cet autre le don de guérir dans le même Esprit, et le reste 3. Si donc vous vous endormez au milieu de l’héritage, alors les ailes de la colombe argentée deviendront blanches comme la neige du Selmon. On peut encore l’entendre de cette manière « Si vous, ô ailes de la colombe argentée, dormez au milieu des héritages, ils blanchiront comme la neige du Selmon», c’est-à- dire les hommes qui recevront par la grâce la rémission de leurs péchés. Aussi est-il dit à propos de l’Eglise, au Cantique des cantiques : « Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa

 

1. Ps. LXVII, 14. — 2. Id. 15. — 3. I Cor. XII, 7, 9.

 

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blancheur 1? » Dieu accomplissant ainsi la promesse qu’il a faite par le Prophète : « Vos péchés fussent-ils comme le vermillon, je vous rendrai blancs comme la neige 2». On peut donc comprendre ce passage de manière que dans cette expression: « des ailes d’une colombe argentée, il faille sous-entendre, vous serez ; et alors le sens deviendrait : O vous qui êtes distribués pour l’embellissement du palais, si vous dormez au milieu des héritages, vous serez des ailes, d’une colombe argentée : c’est-à-dire, vous vous élèverez dans les hauteurs, mais en vous rattachant à l’Eglise par des liens sacrés. Par cette colombe argentée, je ne vois pas ce qu’il nous est possible d’entendre mieux que celle dont il est dit : « Ma colombe est unique 3 ». Elle est argentée, parce qu’elle est instruite des divins enseignements; et ces enseignements du Seigneur sont appelés dans un autre endroit: « Un argent qui a passé à l’épreuve du feu de la terre, et qui est purifié sept fois 4 ». Il y a donc un grand bien à dormir entre ces deux héritages dans lesquels on prétend voir les deux testaments, en sorte que dormir entre deux héritages, ce serait reposer sur l’autorité de ces Testaments, c’est-à-dire, s’en rapporter à leur autorité, terminer dans la paix et à l’amiable toute dispute, dès que l’on apporte des témoignages et des preuves de l’un ou de l’autre. S’il en est ainsi, quelle leçon paraît donnée à ceux qui évangélisent avec une grande puissance, sinon que le Seigneur doit leur donner sa parole, afin qu’ils puissent évangéliser, s’ils se reposent entre les deux héritages? Alors donc leur sera donnée la parole de vérité, s’ils ne négligent point l’autorité des deux Testaments; en sorte qu’ils seront eux-mêmes des ailes de la colombe argentée, eux dont la prédication porte jusqu’au ciel la gloire de l’Eglise.

18. Mais « entre les épaules » : c’est là une partie du corps; cette partie tient à la région du coeur, et toutefois en arrière; les plumes de son dos, dit le Prophète, et il ajoute que cette partie de la colombe argentée a des reflets d’or, c’est-à-dire la force de la sagesse, et je ne crois pas que par cette force on puisse mieux entendre que la charité. Mais pourquoi le dos, et non la poitrine? Je m’étonne en effet de

 

1. Cant. III, 6, selon les Septante. — 2. Isaïe, I, 8. — 3. Cant. VI, 8 — 4. Ps. XI, 7.

 

cette parole d’un autre psaume, où il est dit: « Il te couvrira de son ombre entre ses épaules, et tu espéreras sous ses ailes 1 » tandis que les ailes ne peuvent abriter que ce qui est sous la poitrine. En latin, inter scapulas, entre les épaules, peut s’entendre peut-être de part et d’autre, en avant et en arrière, en sorte que par épaules, nous comprenions ces parties du corps au milieu desquelles est placée la tête; il est possible encore que l’hébreu se puisse entendre de la même façon; mais dans le grec, metaphrena. ne peut se dire que de la partie postérieure, ce qui est inter scapulas, entre les épaules. Or, est-ce là qu’est l’éclat de l’or, c’est-à-dire la sagesse et la charité, parce que c’est là que les ailes sont attachées en quelque sorte, ou bien, parce que c’est là que l’on porte le fardeau léger? Que sont en effet ces deux ailes, sinon les deux préceptes de la charité, qui renferment toute la loi et les Prophètes 2? Qu’est-ce que le fardeau léger, sinon la charité que l’on accomplit par ces deux préceptes? Tout ce qui est difficile dans ces deux préceptes devient léger pour celui qui aime. Et nous n’avons pas d’autre raison de bien comprendre cette parole : « Mon fardeau est léger 3 », sinon que Dieu nous donne l’Esprit-Saint, par qui la charité est répandue dans nos coeurs 4, afin que par amour nous fassions de bon coeur ce que la crainte fait faire à celui qui agit en esclave; car on n’est pas ami du bien, quand on préférerait que le bien ne fût point commandé, si cela était possible.

19. On peut demander encore: Pourquoi n’est-il pas dit: Si vous dormez parmi les héritages, mais « au milieu des héritages » que veut dire « au milieu des héritages? » Si l’on eût traduit le grec d’une manière plus expresse, on eût dit : Dans le milieu des héritages, ce que je n’ai lu chez aucun interprète; c’est pourquoi il me semble que la traduction: «Au milieu des héritages», a la même valeur. Je dirai donc ce que j’en pense. Cette expression, dans le grec, s’emploie pour désigner un lien, un pacte, qui devient indissoluble; c’est ainsi que l’Ecriture s’en sert pour désigner le testament formé entre le Seigneur et son peuple : car, au lieu que le latin dit : « Entre vous et moi », le grec porte: « Au milieu du mien et du vôtre ». Ainsi encore à propos du signe de la circoncision, alors que

 

1. Ps. XC, 4. — 2. Matth. XXII, 40, — 3. Id. XI, 30. — 4. Rom. V, 5.

 

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Dieu, s’adressant à Abraham, lui dit : « Il y aura une alliance entre toi et moi, et toute ta postérité 1 » ; le grec porte : « Au milieu du mien et du tien, et au milieu de ta postérité ». De même quand le Seigneur parlait à Noé de cet arc-en-ciel qui sera un signe établi 2, il répète souvent cette expression, ainsi traduite en latin : inter me et vos, « entre vous et moi », ou « entre moi et toute « âme vivante », et chaque fois que l’on rencontre ces idées, nous voyons dans le grec « au milieu du mien et du tien », ana meson, David et Jonathan conviennent d’un signe pour ne pas se tromper dans leurs conjectures 3; et ce que le latin exprime par « entre eux deux », le grec l’exprime par « au milieu d’eux deux », ou ana meson. Mais nos traducteurs ont eu raison de ne point traduire cet endroit du psaume par « entre les héritages », comme il est d’ordinaire dans la langue latine, mais de dire « au milieu des u héritages e, comme dans le milieu des héritages, ce que dit le grec avec plus de précision, et ce qui se dit ordinairement des choses qui doivent être en parfait accord, ainsi que je le disais tout à l’heure. L’Ecriture alors commande de dormir entre les héritages, à ceux qui sont les ailes de la colombe argentée, ou qui doivent le devenir par ce moyen. Or, ces héritages sont les deux Testaments, et quelle leçon devons-nous en tirer, sinon de ne point contredire à l’accord des deux Testaments, mais de les comprendre et d’acquiescer à leur autorité, d’être tout à la fois le signe et l’enseignement de leur accord, puisque nous sentons qu’ils ne disent rien de contraire l’un à l’autre, et que nous le montrons dans l’admiration de la paix, et comme dans le sommeil de l’extase? Mais si nous voyons les Testaments dans les héritages, klerois, puisque c’est là un nom grec, et qui ne signifie pas Testaments, c’est que ces deux Testaments nous donnent l’héritage, dont le nom en grec est kleronomia, comme celui de l’héritier, kleronomos. Or, kleros, en grec, signifie un lot tiré au sort, et les sorts que nous a promis le Seigneur, se nomment les parties de cet héritage, distribuées au peuple, De là vient que la tribu de Lévi ne dut point avoir de sort, parce qu’elle devait vivre de la dîme 4. De kleros viennent ces noms de clergé et de

 

1. Gen. XVII, 2,7.— 2. Id. IX, 12.— 3. I Rois, XX, 20-23. — 4. Nombres, XVIII, 20.

 

clercs, donnés à ceux qui ont pris un rang dans les divers degrés du ministère ecclésiastique, car ce fut par le sort qu’on élut Matthias, le premier, disons-nous, qui ait été ordonné par les Apôtres 1. C’est pourquoi à cause de l’héritage qui nous vient par testament comme l’effet qui nous vient de la cause, on a désigné les Testaments eux-mêmes sous le nom d’héritages.

20. Toutefois, il me vient à l’esprit un autre sens bien préférable, si je ne me trompe, et qui nous fait comprendre par les sorts les héritages eux-mêmes; l’héritage de l’Ancien Testament, bien qu’il soit l’ombre symbolique de l’avenir, serait la félicité de la terre; l’héritage du Nouveau Testament serait le bonheur sans fin, et dormir au milieu des héritages signifierait qu’on ne recherche point celui-là avec ardeur, mais que l’on attend celui-ci avec patience. Ceux en effet qui servent Dieu pour ce motif, ou plutôt qui, pour ce motif ne le servent point, en cherchant dans cette vie et sur cette terre la félicité, voient le sommeil les fuir, ils ne dorment point. Agités par la flamme de leurs convoitises, ils se jettent clans les crimes, dans les forfaits; le désir d’acquérir, la crainte de perdre leur enlèvent le repos. « Mais celui qui m’écoute », a dit la Sagesse, « habitera dans l’espérance; libre de crainte, il s’abstiendra de tout mal 2 ». Autant que je puis voir, tel est le sens de dormir au milieu des sorts, c’est-à-dire au milieu des héritages ; c’est habiter l’héritage éternel, non point encore en réalité, mais en espérance, et faire trève avec tout désir de bonheur terrestre. Et quand viendra l’objet de notre espérance, nous ne reposerons plus entre deux héritages, mais nous régnerons dans l’héritage nouveau, l’héritage véritable, dont l’ancien était la figure. Si donc nous entendons ces paroles: « Si vous dormez au milieu des héritages », comme s’il était dit : Si vous mourez au milieu des héritages, comprenant que l‘Ecriture, comme il lui arrive d’ordinaire, appellerait du nom de sommeil, la mort corporelle ; la plus sainte mort qui vient clore les jours de cette vie, est celle de l’homme qui persévère à réprimer en lui les désirs des biens terrestres, et à n’espérer jusqu’à la fin que l’héritage du ciel. Ceux qui dormiront ainsi au milieu des héritages auront des ailes

 

1. Act. I, 26. — 2. Prov. I, 33.

 

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comme ta colombe argentée; parce qu’au jour de la résurrection, ils s’envoleront sus les nuées, à travers les airs, au-devant du Christ, afin de vivre toujours avec le Seigneur ; ou bien parce qu’à l’occasion de ceux qui meurent ainsi, la gloire de l’Eglise éclate et plus haut et plus loin, et s’élève comme sur les ailes de la plus sublime louange. Ce n’est pas en effet sans raison qu’il est écrit : « Ne louez aucun homme avant sa mort 2 ». Donc, tous les saints de Dieu, depuis l’origine du genre humain jusqu’au temps des Apôtres, parce qu’ils ont bien su dire : « Je n’ai point désiré les jours de  l’homme, vous le savez 3»; et encore: « J’ai fait une prière au Seigneur et je la renouvellerai 4 »; et depuis le temps des Apôtres, qui a marqué plus clairement la différence entre les deux Testaments, les Apôtres eux-mêmes, les martyrs et les autres justes, comme les chefs du troupeau avec leur postérité, tous se sont endormis au milieu des héritages, méprisant la félicité du règne terrestre, pour mettre leur espérance dans ce royaume des cieux qu’ils ne tenaient pas encore. Et comme ils ont goûté cet heureux sommeil, voilà qu’ils sont comme les ailes de cette Eglise qui est la colombe argentée, et qu’elle-même s’élève par les louanges qu’on leur donne ainsi la renommée de leur sainteté est pour ceux de l’avenir une invitation à les imiter, et ceux-ci, dormant à leur tour ce même sommeil, deviendront des ailes nouvelles, qui porteront jusqu’aux siècles derniers la sublime renommée de l’Eglise.

21. « Pendant que celui qui habite au-dessus des cieux partage les rois à cause d’elle, voilà qu’elle deviendra plus blanche que la neige du Selmon 5 ». Celui qui habite au-dessus des cieux est le même « qui monte au plus haut des « cieux, pour accomplir toutes choses, tandis qu’il distribue les rois à cause d’elle», c’est-à-dire à cause de cette colombe argentée. Car l’Apôtre continue en disant : « C’est lui aussi qui a fait les uns Apôtres, les autres Prophètes, ceux-ci évangélistes, ceux-là pasteurs et docteurs ». Qu’est-ce autre chose

que partager les rois à cause d’elle, sinon « pour l’oeuvre du ministère, pour l’édification du corps du Christ 6 »; puisque ce corps du Christ, c’est elle-même? Ils sont

 

1. I Thess. IV, 16. — 2. Eccli. XI, 30. — 3. Jérém. XVII, 16.— 4. Ps. XXVI, 4. — 5. Ps. LXVII, 15. — 6. Ephés. IV, 10-12.

 

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appelés « rois e, du mot régir: et que doivent-ils régir principalement, sinon les convoitises de la chair, de peur que le péché ne règne dans leur corps mortel, qu’ils n’abandonnent leurs membres au péché comme des instruments d’iniquité; et afin qu’ils se donnent à Dieu, comme devenus vivants de morts qu’ils étaient, et que leurs membres soient des instruments de justice 1 ? C’est ainsi qu’ils seront des rois, séparés d’abord des étrangers, parce qu’ils ne porteront point le joug avec les infidèles, séparés entre eux, par leur propre ministère, mais dans la concorde. « Tous, en effet, ne sont point Apôtres, ni tous Prophètes, ni tous docteurs; tous également n’ont point le don de guérison, ni tous le don des langues, ni tous le dort de les interpréter. « Or, c’est le seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons selon qu’il lui plaît 2 »; et c’est en donnant cet Esprit que celui qui habite les cieux, établit une distinction parmi les rois à cause de la colombe argentée. C’est de ce même Esprit-Saint que l’ange parlait à la Mère, pleine de grâce, de celui qui habite les cieux, quand elle demandait comment elle pourrait enfanter, elle qui ne connaissait point d’homme , et qu’il lui répondait : « L’Esprit-Saint descendra en vous , et la vertu du Tout-Puissant vous couvrira de  son ombre 3 ». Qu’est-ce à dire, « vous couvrira de son ombre », sinon sera pour vous un ombrage? De là vient que ces rois, que la grâce de l’Esprit-Saint en Jésus-Christ a partagés à cause de la colombe argentée, « deviendront blancs comme la neige de Selmon ». Car Selmon signifie ombre. Or, ce n’est point par leurs mérites ou par leur propre vertu qu’ils ont leurs attributs. « Qui est-ce, en effet, qui met de la différence entre vous », dit saint Paul? « et qu’avez-vous que vous n’ayez point reçu 4? » Donc, pour être discernés des impies, ils reçoivent la rémission des péchés, de celui qui a dit : « Vos péchés fussent-ils comme le vermillon, je vous rendrai blancs commue la neige 5». Voilà comment « ils deviendront blancs comme la neige du Selmon », c’est par la grâce de l’Esprit du Christ, par qui leur sont assignés même leurs dons propres : c’est de lui qu’il est dit, comme je l’ai rappelé plus haut

 

1. Rom. VI,12, 13. — 2. I Cor. XII, 11, 29, 30. — 3. Luc. I, 35, — 4. I Cor. IV, 7. — 5. Isaïe, I, 18.

 

« L’Esprit-Saint descendra en vous, la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre; c’est pourquoi le Saint qui naîtra de vous s’appellera le Fils de Dieu 1 ». Or, cette ombre s’entend d’un abri contre la flamme des convoitises charnelles ; de là vient que cette vierge n’a point conçu le Christ par les désirs de la chair, mais par la foi de l’esprit. Or, l’ombre tient du corps et de la lumière; c’est pourquoi ce Verbe qui était au commencement cette lumière véritable, afin de nous offrir un ombrage au milieu du jour, « s’est fait chair, et a demeuré parmi nous 2 » c’est-à-dire que l’homme s’est uni à Dieu, comme le corps à la lumière, et a couvert d’une ombre protectrice ceux qui croient en lui. Ce n’est point, en effet, d’une ombre de cette nature qu’il est dit : « Tout cela s’est évanoui comme une ombre 3 » ; ni d’une ombre semblable que l’Apôtre a dit: « Que personne donc ne vous condamne au sujet du manger ou du boire, ou à cause des jours de fêtes, des nouvelles lunes, des jours de sabbat : tout cela est l’ombre de l’avenir 4 ». Mais c’est d’une ombre pareille qu’il est dit : « Protégez-moi à l’ombre de vos ailes 5». Ainsi, quand celui qui habite les cieux fait le discernement des rois à cause de la colombe argentée, qu’ils ne vantent point leurs mérites, qu’ils ne se confient point dans leur propre vertu : « Ils deviendront blancs comme la neige du Selmon»; ils seront purifiés par la grâce à l’ombre du Christ.

22. C’est cette montagne de Selmon que le Prophète appelle ensuite « Montagne de Dieu, montagne fertile , montagne laiteuse 6, ou grasse ». Quel autre sens que celui de la fertilité peut-on donner à une montagne grasse? Car cette montagne, c’est-à-dire « Selmon » est encore appelée de ce même nom. Mais nous, quelle montagne devons-nous entendre par cette « montagne de Dieu, cette montagne fertile, cette montagne grasse », sinon ce même Christ, Notre-Seigneur, dont un autre Prophète a dit : « Voilà que dans les derniers jours, la  montagne du Seigneur se manifestera au-dessus du sommet des montagnes 7? » Voilà cette montagne qui est laiteuse à cause des enfants qui ont besoin de lait pour nourriture 8, montagne fertile, qui fortifie, qui

 

1. Luc, I, 35.— 2. Jean, I, 1, 14.— 3. Sag. V, 9.— 4. Co1oss II, 16, 17.— 5. Ps. XVI, 8. — 6. Id. LXVII, 16. — 7. Isaïe, II, 2 —  8. I Cor, III, 1.

 

enrichit de ses dons excellents; car le lait qui se coagule en fromage devient une admirable figure de la grâce : il est le produit de la surabondance du coeur maternel, et il est donné, avec une délicieuse miséricorde, gratuitement aux enfants. Dans le grec il y a doute si ce terme laiteux est à l’accusatif ou au nominatif; parce que dans cette langue le mot montagne est du genre neutre; c’est pourquoi plusieurs latins ont traduit, non pas Montem Dei, mais Mons Dei. Je crois qu’il est mieux de dire, à l’accusatif : « En Selmon, montagne de Dieu », c’est-à-dire en cette montagne de Dieu, qui est appelée Selmon, dans le sens que nous avons donné plus haut selon nos forces.

23. Il dit ensuite que « la montagne de Dieu est une montagne laiteuse, une montagne fertile » , afin que nul n’ose désormais comparer Notre-Seigneur Jésus-Christ aux autres montagnes, appelées aussi montagnes de Dieu ; on lit en effet : « Votre justice est comme les montagnes de Dieu 1»; de là vient que l’Apôtre a dit : « Afin que nous aussi, nous soyons en lui la justice de Dieu 2 ». C’est de ces montagnes qu’il est dit ailleurs : « Vous projetez du haut de vos montagnes éternelles une lumière admirable 3 » : parce que la vie éternelle leur a été donnée, que par elle l’éminente autorité des livres saints a été consolidée; mais elles empruntaient leur lumière à celui à qui il est dit : « C’est vous qui éclairez. J’ai levé les yeux vers la montagne, d’où me viendra le secours » : et cependant ce n’est point par elles-mêmes que ces montagnes me donneront du secours; mais « mon secours me viendra du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre 4 ». Une de ces montagnes, quoique supérieure, après avoir dit qu’elle avait travaillé plus que toutes les autres ajoutait « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi 5 ». Afin donc que nul n’ait l’audace de comparer cette montagne qui désigne le plus beau des fils des hommes 6, à ces autres montagnes, qui sont les fils des hommes: car il y en eut qui dirent que ce Fils était Jean-Baptiste, d’autres Elie, d’autres Jérémie, ou quelqu’un des Prophètes 7; voilà que David les apostrophe en disant : « Pourquoi vous imaginer que les montagnes fertiles, sont la

 

1. Ps. XXXV, 7. — 2. II Cor. V, 21. — 3. Ps. LXXV, 5.— 4. Id, CXX, 1, 2. — 5. I Cor. XV, 10. — 6. Ps. XLIV, 3 — 7. Matth. XVI, 14.

 

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montagne sur laquelle il a plu au Seigneur d’habiter? Pourquoi le soupçonner 1? » Ils sont à la vérité des lumières, puisqu’il leur a été dit: « Vous êtes la lumière du monde 2 » ; mais voici encore une autre parole: « Lumière véritable, qui éclaire tout homme 3» ; de même ces Apôtres sont des montagnes, et néanmoins il est une montagne bien supérieure, établie sur le sommet des autres montagnes 4. Ces montagnes tirent donc leur gloire de celle qu’elles portent ; et l’une d’elles a dit: « A Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi et moi tour le monde 5 : afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie point en lui-même, mais en Dieu 6. Pourquoi vous « imaginer que les montagnes fertiles sont cette montagne, en laquelle il plaît au Seigneur d’habiter? » Non pas qu’il n’habite point dans les autres; mais parce qu’il y habite par lui-même. « Car c’est en lui que réside la plénitude de la divinité 7 »; non pas d’une manière figurative comme dans le temple construit par Salomon 8, mais d’une manière corporelle, ou solide et réelle. « Car Dieu était en lui se réconciliant le monde 9», Soit que nous entendions ceci du Père, puisque le Christ a dit : « C’est le Père, qui demeure en moi, qui accomplit les oeuvres. Je suis en mon Père, et mon Père est en moi 10 »; soit que l’on entende par là que « Dieu était dans le Christ », le Verbe dans l’homme; le Verbe n’en était pas moins dans la chair, de manière que lui seulement être appelé spécialement le Verbe fait chair 11, c’est-à-dire l’homme ne formant avec le Verbe qu’une seule personne qui est le Christ. « Pourquoi donc vous imaginer que les montagnes fertiles sont cette même montagne en laquelle il a plu à Dieu d’habiter » ; et bien autrement qu’en ces autres montagnes dont l’une vous paraît être lui-même? Bien qu’ils soient enfants de Dieu par la grâce de l’adoption, il n’en faut pas conclure que l’un d’eux est le Fils unique de Dieu, à qui son Père disait: « Asseyez-vous à ma droite jusqu’à ce que je vous aie fait de vos ennemis un marchepied 12 . Car le Seigneur habitera jusqu’à la fin » ; c’est-à-dire, le Seigneur

 

1. Ps. LXVII, 17.— 2. Matth. V, 14. — 3. Jean, I, 9. — 4. Isaïe, II, 2.— 5. Gal. VI, 14, — 6. I Cor. I, 31. — 7. Coloss, II, 9. — 8. III Rois, VI, 1. — 9. II Cor. V, 19.— 10 .Jean, XIV, 10. — 11. Id. I, 14. — 12. Ps. CIX,1.

 

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habitera ces montagnes qu’il ne faut point comparer à cette autre montagne, élevée sur le point culminant des montagnes 1, pour les diriger à leur terme, lequel est lui-même contemplé dans sa divinité; « car, le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront 2 ». Il a donc plu à Dieu d’habiter cette hauteur élevée sur le sommet des montagnes, et à qui il dit : « Vous êtes mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances 3 ». Or, le Seigneur est lui-même une montagne qui habitera, pour les mener à leur fin, ces autres montagnes sur lesquelles il est élevé. « Il n’y a qu’un seul Dieu et un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme 4 » , qui est la montagne des montagnes, comme le Saint des saints. De là cette parole : « Moi en eux, et vous en moi 5. Pourquoi donc vous imaginer que les montagnes fertiles sont la montagne qu’il a plu au Seigneur d’habiter? » Car le Seigneur, montagne fertile, habitera les autres montagnes fertiles pour les conduire à leur fin, de sorte qu’elles feront partie de celles auxquelles il a dit : « Sans moi vous ne pouvez rien faire 6». 

24. Ainsi s’accomplit encore ce qui suit « Les chars de Dieu sont des myriades » : ou « ils se multiplient de dizaines de mille », ou de dix fois mille. Il n’y a ici qu’un mot grec, murioplasion, que les traducteurs latins ont rendu, chacun comme il a pu. Il était difficile, en effet, de le rendre en latin; car, chez les Grecs, mille s’exprime par Xilia  tandis que muriades ou myriades, signifie plusieurs dizaines de milliers: car une myriade signifie dix mille. Le Prophète a donc voulu désigner par ce nombre cette grande foule de saints et de fidèles qui, en portant Dieu, deviennent en quelque sorte les chars de Dieu. C’est en demeurant dans cette foule, et en la gouvernant, qu’il la mène à sa fin, comme qui conduit un char vers un lieu marqué. Car « c’est Jésus-Christ tout d’abord, ensuite ceux qui sont à Jésus-Christ, ensuite la fin 7 ». Telle est la sainte Eglise : elle se compose de ceux dont il est dit ensuite : « Ils tressaillent par milliers. Car ils s’épanouissent dans l’espérance», jusqu’à ce qu’ils arrivent à la fin, qu’ils attendent dans la patience 8. C’est bien

 

1. Isaïe, II, 2. — 2. Rom. X, 4. — 3. Matth. III, 17. —  4. I Tim. II, 5. —     5. Jean, XVII, 23. — 6. Id. XV, 5. — 7. I Cor. XV, 23, 24. — 8. Rom. VIII, 25.

 

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justement, qu’après avoir dit : « Ils tressaillent par milliers », l’écrivain sacré ajoute

aussitôt: « Le Seigneur est en eux ». Et ne « nous étonnons pas qu’ils se réjouissent, puisque le Seigneur est en eux ». Car « c’est par de nombreuses tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu 1 »; mais « le Seigneur est en eux ». Dès lors, s’ils sont « comme dans la tristesse , néanmoins ils sont toujours dans la joie 2 » ; non pas dans la joie que donne la possession de la fin, mais dans la joie que donne l’espérance; « ils sont aussi patients dans la tribulation 3 », parce que « le Seigneur est en eux, en Sina, la montagne sainte». En interprétant les noms hébreux, nous trouvons que Sina signifie préceptes: il a d’autres sens encore, mais c’est là, je crois, le plus convenable pour le moment. Car en nous expliquant d’où vient la joie de ces myriades qui composent le char de Dieu, « Le Seigneur est avec eux », dit le Prophète, « en Sina, sur la montagne sainte »; c’est-à-dire, le Seigneur est avec eux dans ses préceptes ; et le précepte est saint, comme l’a dit l’Apôtre : « Donc la loi est sainte, et le commandement est saint, juste et bon 4». Mais de quoi nous servirait un précepte, si nous ne trouvions en lui le Seigneur, dont il est dit : « C’est Dieu qui, par sa bonne volonté, opère en nous le vouloir et le faire 5?» Car un commandement sans le secours de Dieu, n’est

qu’une lettre qui tue 6. « Puisque la loi est entrée pour faire abonder le péché 7 ». Mais

comme la plénitude de la loi, c’est la charité 8», voilà que la loi s’accomplit par la charité, et non par la crainte. « La charité de Dieu est en effet répandue dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné  9». Ces milliers sont donc dans la joie, parce qu’ils accomplissent la justice de la loi, autant que l’Esprit de grâce leur vient en aide, parce que « le Seigneur est en eux, en Sina, dans son sanctuaire».

25. S’adressant maintenant au Seigneur: « Vous êtes monté au plus haut des cieux »,

lui dit le Prophète, « entraînant captive la captivité même; vous avez reçu des dons pour les hommes 10 ». Voilà ce que l’Apôtre nous rappelle, quand il parle ainsi du Christ Notre-Seigneur: « La grâce », nous dit-il, « a été donnée à chacun de nous selon la mesure

 

1. Act. XIV, 21. — 2. II Cor. VI, 10. — 3. Rom. XII, 12.— 4. Id. VII, 12. — 5. Philip. II, 13. — 6. II Cor. III, 6. — 7. Rom. V, 20. — 8. Id. XIII, 10. — 9. Id. V, 5. — 10. Ps. LXVII, 19.

 

du don de Jésus-Christ: c’est pourquoi « il est dit qu’en montant au ciel il a emmené captive la captivité elle-même, et a répandu ses dons sur les hommes. Qu’est-ce à dire qu’il est monté, sinon qu’il était descendu auparavant dans les lieux inférieurs de la terre? Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses 1 ». Il est donc hors de doute que c’est au Christ qu’il est dit : « Vous êtes monté en haut, emmenant captive la captivité; vous avez reçu des dons pour les hommes ». Ne soyez pas étonnés que l’Apôtre, citant ce même passage, ne dise point: « Vous avez reçu des dons pour les hommes » ; mais bien : « Il a répandu ses dons sur les hommes ». Il a parlé d’après son autorité apostolique, en ce sens que le Fils est Dieu avec son Père. Dans ce sens, le Christ a répandu ses dons sur les hommes, en leur envoyant l’Esprit-Saint, lequel Esprit vient du

Père et du Fils. Mais dans ce sens que ce même Christ a un corps, qui est l’Eglise, et

des membres qui sont les fidèles (d’où vient cette parole : « Vous êtes le corps du Christ,  ainsi que ses membres 2 »), assurément il a lui-même reçu des dons pour les hommes.

Car le Christ s’est élevé au ciel, où il est assis à la droite de son Père 3 ; mais s’il n’était pas

aussi sur la terre, il n’eût point crié : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 4? » Comme

donc ce même Christ nous dit: « Ce que vous aurez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’aurez fait 5 »; pourquoi douterions-nous que dans ses membres il reçoit lui-même les dons que ses membres reçoivent?

26. Mais que signifie : « Il a fait captive la captivité? » Est-ce qu’il a vaincu la mort qui tenait captifs ceux qui étaient sous son empire? Ou bien le Prophète appellerait-il captivité les hommes qui étaient sous le joug du démon? Alors nous aurions une allusion à cette captivité dans le titre d’un autre psaume: « Quand l’édifice était construit après la captivité » ; c’est-à-dire l’Eglise après l’idolâtrie. Par captivité, il désigne alors les hommes qui étaient retenus captifs, comme l’expression milice nous laisse entendre ceux qui portent les armes, et cette captivité fut, dit-il, captivée par le Christ. Pourquoi n’y

 

1. Ephés. IV, 7-10. — 2. I Cor. XII, 27.— 3. Marc, XVI, 19. — 4. Act. IX, 4. — 5. Matth. XXV, 40. — 6. Ps. XCV, I.

 

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aurait-il pas une captivité heureuse, si les hommes peuvent être en captivité pour leur bonheur? Aussi fut-il dit à Pierre : « A l’avenir tu seras preneur, capiens, d’hommes 1 ». Ils sont donc captifs, parce qu’ils sont pris, et pris, parce qu’ils sont sous le joug; oui, sous ce joug qui est doux 2, et ils sont délivrés du péché dont ils étaient esclaves, pour servir la justice dont ils étaient affranchis 3. Il est donc en eux celui qui « a répandu ses dons sur les hommes, et a reçu les dons pour les hommes ». De là vient que cette captivité, cet esclavage, ce char, ce joug ne pèsent point sur des hommes qui gémissent, mais bien sur des hommes « qui tressaillent par milliers. Car le « Seigneur est en eux, sur le Sinaï, dans son sanctuaire 4 ». Il est une autre interprétation qui donne à Sina le sens de mesure, et qui revient à la nôtre; car l’Apôtre, en nous parlant de ces dons d’une joie toute spirituelle, dans ce que nous avons cité plus haut, ajoute: «A chacun de nous a été donnée la grâce, selon la mesure du don de Jésus-Christ ». Puis vient alors ce qui suit ici « C’est pourquoi il est dit qu’en montant au ciel, il a emmené captive la captivité, et a répandu ses dons sur les hommes 5 »; ce qu’exprime ici : « Vous avez reçu des dons pour les hommes ». Quoi de plus évident que l’accord entre ces vérités?

27. Qu’ajoute ensuite le Prophète? « Même ceux qui ne croient pas pour habiter 6» ;

ou, comme portent certains manuscrits : « Refusant de croire à toute habitation ». Refuser la foi, qu’est-ce autre chose que ne pas croire? Mais il n’est pas facile de comprendre ceux dont il parle ici. Comme s’il donnait raison de ce qu’il a dit plus haut, après avoir écrit : « Vous avez emmené captive la captivité, et reçu des dons pour les hommes ». le Prophète ajoute : « Ceux-là même qui ne croient point pour habiter », c’est-à-dire, dont la foi est insuffisante pour

habiter. Que veut dire le Prophète, et de qui parle-t-il? Cette captivité voudrait-elle nous

expliquer ce qui la rendait une captivité mauvaise avant qu’elle devînt bonne? Son incrédulité la mettait sous le joug de son ennemi, « qui agit sur les enfants de rébellion, parmi lesquels vous avez été autrefois, quand vous viviez parmi eux 7 ». C’est donc par les

 

1. Luc, V, 30. — 2. Matth. XI, 30. — 3. Rom. VI, 18.— 4. Ps. LXVII, 18. — 5. Ephés. IV, 7, 8. — Ps. LXVII, 19. — 9. Ephés. II, 2, 3.

 

dons de la grâce, que celui qui a reçu des dons pour les hommes, a emmené captive cette captivité. Ils n’avaient pas, en effet, la foi pour habiter. C’est de là que les a délivrés la foi, afin que devenus croyants, ils pussent habiter dans la maison du Seigneur, qu’ils devinssent nième la maison de Dieu, et ce chai’ de Dieu où des milliers tressaillent d’allégresse.

28. De là vient l’enthousiasme du Prophète, qui voyait dans l’avenir ce qu’il chantait alors, et s’écriait à son tour dans une sainte allégresse : « Le Seigneur Dieu est béni, béni soit le Seigneur, de jour en jour 1 ». Quelques manuscrits grecs portent « chaque jour ». Car il y a dans le grec, emeran kathemeran, ce qui peut se rendre d’une manière plus vraie, par « chaque jour »; expression qui a le même sens que de jour en « jour ». Tous les jours, en effet, jusqu’à la fin, il emmène captive la captivité, recevant des dons pour les hommes.

29. Et comme il dirige ce char vers la fin, voilà que le Prophète continue en disant : « Le Dieu de notre salut nous assure une course heureuse, il est notre Dieu, le Dieu qui nous sauve 2 ». Il nous montre ici le prix de la grâce. Qui pourrait vivre, si Dieu ne nous guérissait? Mais de peur qu’on ne s’avise de dire : Pourquoi donc mourons-nous, si la grâce de Dieu nous donne le salut? aussitôt le Prophète ajoute : « L’assujettissement à la mort est la part du Seigneur-Dieu » ; comme s’il disait : Pourquoi donc, ô homme, t’indigner d’avoir une condition mortelle? Ton Dieu n’a pas eu d’autre issue que la mort. C’est donc à toi de te consoler plutôt que de t’indigner, car « le Seigneur aussi est assujetti à la mort. Or, c’est par l’espérance que nous avons le salut; et si nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience 3 ». Supportons donc aussi la mort avec patience, à l’exemple de celui que nul péché ne rendait tributaire de la mort, et qui, tout Dieu qu’il était, bien que nul ne pût lui ôter la vie, qu’il ne la donnât de lui-même, a voulu passer par la mort.

30. « Toutefois le Seigneur brisera la tête de ses ennemis, il abattra le front superbe de ceux qui marchent dans leurs forfaits 4 » ; c’est-à-dire, qui s’élèvent avec jactance, qui s’enorgueillissent dans leurs

 

1. Ps. LXVII, 20.— 2. Id. 21. — 3. Rom. VIII, 24. — 4. Ps. LXVII, 22,

 

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crimes, alors qu’ils devraient s’humilier et dire : « Seigneur, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur ». Mais il brisera leur tête, « car celui qui s’élève sera humilié 1 ». Ainsi, bien que la mort soit aussi le partage du Seigneur, cependant ce même Seigneur, parce qu’il est Dieu, est mort selon la chair, volontairement et non par nécessité. « Il brisera la tête de ses ennemis »; non-seulement de ceux qui insultaient au crucifié, et lui disaient en branlant la tête : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix »; mais la tête de tous ceux qui s’élèvent contre sa doctrine, et qui raillent sa mort comme celle d’un homme. Car celui-là même dont il a été dit : « Il a sauvé les autres et ne peut se sauver lui-même 2, est le Dieu de notre vie, le Dieu qui peut nous sauver » ; mais afin de nous donner une leçon d’humilité et de patience, et d’effacer de son sang la cédule de nos péchés, il a voulu être lui-même assujetti à la mort, afin que cette mort ne fût plus pour nous une cause d’effroi, mais bien celle dont il nous délivre eu mourant de la sorte. Toutefois celui-là qui meurt au milieu des insultes « brisera la tête de ses ennemis» dont il a dit : « Ressuscitez-moi, et je me vengerai d’eux 3 »; soit en leur rendant le bien pour le mal, quand il s’assujettit nos têtes par la foi; soit en rendant la justice pour l’injustice, quand il abat la tête des orgueilleux. Chacune de ces manières, en effet, brise la tête de ses ennemis, qui doivent secouer leur orgueil, soit en se corrigeant par l’humilité, soit en roulant dans les profondeurs de l’abîme.

34. « Le Seigneur dit: Je sortirai de Basan 4»; ou, comme on lit dans quelques manuscrits : « Je ferai sortir de Basan ». Or, c’est lui qui nous change pour nous sauver, lui dont il est dit : « Il est le Dieu de notre salut, le Dieu qui nous sauve ». C’est à lui que l’on dit ailleurs : « Changez-nous, ô Dieu des vertus, montrez-nous votre face et nous serons sauvés 5 » ; et ailleurs encore : « Changez-nous, ô Dieu de notre salut 6 ». Je sortirai de Basan, dit le Prophète. Or, Basan signifie confusion. Qu’est-ce donc que sortir de la confusion, sinon rougir de nos fautes et demander à Dieu qu’il nous les pardonne dans sa miséricorde? De là vient que le publicain n’osait lever les yeux au ciel; il était

 

1. Luc, XVIII, 13, 14. — 2. Matth, XXVII, 40, 42. — 3. Ps. XL, 11.— 4. Id. LXVII, 23. — 5. Id. LXXIX, 20. —  6. LXXXIV, 5.

 

dans la confusion en jetant les yeux sur lui-même; aussi descendit-il justifié 1, car le Seigneur a dit : « Je ferai sortir de Basan ». Basan signifie encore sécheresse, et il est bien de comprendre que c’est le Seigneur qui nous délivre de la sécheresse ou de la disette. Tout pauvre, en effet, qui se croit dans l’abondance, qui croit regorger quand il est dans la disette, ne se convertit point. « Bienheureux, en effet, ceux qui omit faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 2». C’est de cette pauvreté que le Seigneur nous délivre; car c’est dans la sécheresse de l’âme qu’on lui a dit : « J’ai levé les mains vers vous, mon âme sans vous est comme une terre sans eau 3». Mais on peut dire avec raison, comme on lit dans certains manuscrits : « Je reviendrai de Basan ». Car il se tourne en effet vers nous, celui qui a dit:

« Revenez à moi, et je reviendrai à vous 4» mais il n’y revient que quand la confusion remet incessamment sous nos yeux notre péché 5, et que quand la sécheresse nous fait soupirer après la rosée de celui qui réserve une pluie fertile à son héritage. Car la sécheresse affaiblit cet héritage, qui est rétabli quand se retourne vers lui celui à qui il est dit : « En vous tournant vers moi, vous m’avez rendu la vie 6 ». «Le Seigneur dit: « Je sortirai de Basan, je ferai sortir pour le fond de l’abîme ». Si « je les fais sortir », comment est-ce «pour le fond de l’abîme? » Car c’est pour lui-même que le Seigneur nous fait sortir, ou opère notre conversion, quand il nous convertit d’une manière salutaire, et ce n’est point pour nous jeter dans les abîmes. Peut-être l’expression latine est-elle fautive, et aurait-elle dit le fond de l’abîme au lieu de profondément? Car ce n’est point lui qui se tourne vers nous, mais il fait revenir à lui ceux que le poids de leurs péchés a plongés dans l’abîme de ce siècle; c’est de là que revenait David quand il disait : « Du fond de l’abîme, j’ai crié vers vous, ô mon Dieu 7 ». Si l’on ne traduit pas : « Je ferai sortir »; mais, « je sortirai pour les profondeurs de l’abîme », il faut comprendre en ce sens que le Seigneur promet de pénétrer par sa miséricorde les profondeurs de l’abîme, pour en délivrer les pécheurs les plus désespérés. Dans quelques manuscrits grecs, j’ai trouvé

 

1. Luc, XVIII, 13. — 2. Matth. V, 6. — 3. Ps. CXLII, 6. — 4. Zach. I, 3. — 5. Ps. L, 5. — 6. Id, LXX, 20.— 7. Id. CXXIX, 1.

 

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non plus, « dans le fond de l’abîme », mais, « dans les profondeurs », en buthois, ce qui confirme notre premier sens, c’est-à-dire que le Seigneur ramène à lui ceux qui l’invoquent du fond des abîmes. Et toutefois, il n’est point contre la vérité d’entendre par là que le Seigneur se tourne vers ces âmes pour les délivrer ; et il les ramène à lui, ou il se tourne pour les délivrer, de manière à teindre son pied dans le sang. C’est ce que dit le Prophète au Seigneur : « De manière que votre pied sera teint de sang 1»; c’est-à-dire, que ceux qui se tournent vers vous, ou vers lesquels vous vous tournez pour opérer leur délivrance, fussent-ils au fond de la mer submergés sous le poids de leurs péchés, feront de tels progrès dans la grâce, puisque « cette grâce aura abondé où avait abondé le péché 2»; que parmi vos membres, ils deviendront votre pied pour aller prêcher l’Evangile, et que, pour votre nom, endurant un long martyre, ils combattront jusqu’au sang. C’est là, je crois, la meilleure manière de comprendre ce pied teint de sang.

32. Il ajoute : « La langue de vos chiens le sera aussi du sang de vos ennemis 3 » : il appelle chiens ceux-là mêmes qui doivent combattre jusqu’au sang pour la foi en l’Evangile, aboyant en quelque sorte pour leur Dieu. Il n’entend pas ces autres chiens dont l’Apôtre a dit : « Evitez les chiens 4 », mais bien « ceux qui se nourrissent des miettes qui tombent de la table de leur maître ». La chananéenne, qui faisait cet aveu, mérita d’entendre : « O femme, votre foi est grande, qu’il vous soit fait selon votre désir 5». Voilà des chiens à louer, et non à détester; ils sont fidèles à leur maître, et défendent sa maison en aboyant contre les voleurs. Le Prophète ne dit pas seulement « des chiens », mais « de vos chiens » ; et ce n’est point leurs dents, mais leur langue qu’il trouve louable : car ce n’est point sans raison, ni sans un grand mystère, que Gédéon reçut l’ordre de ne conduire avec lui que les soldats qui lécheraient l’eau du fleuve, à la manière des chiens; et que dans une si grande multitude il ne s’en trouva que trois cents de semblables 6. Dans ce nombre, en effet, nous retrouvons le signe de la croix, à cause de la lettre grecque qui, dans les nombrés,

 

1. Ps. LXVII, 21.— 2. Rom. V, 20. — 3. Ps. LXVII, 24.— 4. Philip. III, 2. — 5. Matth. XV, 28. — 6. Juges, VII, 5, 6.

 

signifie trois cents. C’est de semblables chiens qu’il est dit dans un autre psaume: « Ils se changeront vers le soir, et souffriront de la faim comme des chiens 1». Si quelques chiens, en effet, ont encouru le blâme d’Isaïe, ce n’est point parce qu’ils étaient chiens, mais parce qu’ils aimaient à dormir, et ne savaient plus aboyer 2. Il nous montre par là que si ces chiens veillaient et aboyaient dans l’intérêt de leur maître, ils seraient des chiens dignes d’éloges, comme le seront ceux dont il est dit: « Il en est de même de la langue de vos chiens ». Toutefois le Prophète a prédit que d’ennemis ils deviendraient tels par cette admirable conversion dont il a déjà parlé. Aussi le psaume dit-il que « vers le soir ils « se convertiront, et souffriront de la faim comme des chiens ». Et comme si nous lui demandions d’où leur viendra cet avantage, de devenir les chiens de celui dont ils étaient auparavant les ennemis, il nous répond : « C’est de lui-même ». Voici, en effet, ce que nous lisons: « La langue de ceux qui, d’ennemis, sont par vous, vos chiens ». C’est-à-dire par votre amour, par votre miséricorde, par votre grâce. Comment, en effet, l’auraient-ils pu par eux-mêmes? Quand nous étions ennemis, nous avons été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils 3 : c’est pour cela que le Seigneur prit la mort pour son partage.

33. « O Dieu, vos traces ont été vues ». Vos pas, quand vous veniez dans le monde, comme pour parcourir l’univers entier, sur ce char de triomphe; ces mêmes pas qui sont les fidèles et les saints, et qu’il appelle nuées dans l’Evangile, quand il dit: « Un jour vous verrez le Fils de l’homme venant sur les nuées 4 ». Or, à l’exception de cet avènement où il paraîtra juge des vivants et des morts 5, et qui lui fait dire : « Vous verrez un jour le Fils de l’homme venant sur les nuées; vos démarches ont été vues », c’est-à-dire ont été manifestées, et la grâce du Nouveau Testament a été révélée. De là vient qu’il est dit: « Combien sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent les biens 6! » Cette grâce, en effet, et ces démarches étaient cachées dans l’Ancien Testament: mais quand les jours ont été accomplis, et qu’il a plu à Dieu de révéler son

 

1. Ps. LVIII, 15. —  2. Isaïe, LXVI, 10. — 3. Rom. V, 10. — 4. Matth, XXVI, 64; Marc, XIII, 26. — 5. II Tim. IV, 1. — 6. Rom. X, 15

 

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Fils, et de le faire prêcher aux nations 1, « vos pas ont été vus, ô Dieu : les pas de mon Dieu, du roi qui est dans son sanctuaire ». Dans quel «sanctuaire», sinon dans son temple? « Or, le temple de Dieu est saint», dit l’Apôtre, « et vous êtes ce temples ».

34. Mais afin que ces démarches fussent plus visibles , « voilà que les princes marchaient les premiers, accompagnés des symphonistes, et au milieu des jeunes filles frappant des tambours 3 ». Ces princes sont les Apôtres, ce sont eux qui ont marché en avant, appelant les peuples à leur suite. « Ils ont marché les premiers », prêchant la nouvelle alliance, « unis aux symphonistes », ou à ceux dont les bonnes oeuvres, devenant invisibles, étaient pour Dieu une louange semblable à une symphonie. Ces mêmes princes étaient « au milieu de jeunes filles qui frappaient des tambours», ou qui faisaient honneur à leur ministère; car les ministres qui gouvernent les nouvelles Eglises sont ainsi au milieu d’elles : ce sont en effet de jeunes filles qui bénissent Dieu dans une chair domptée ; et tel serait le sens de ces tambours, qui se forment d’une peau sèche et étirée.

35. Aussi, de peur qu’on ne donne à tout cela un sens charnel, et qu’on ne voie dans

ces paroles des choeurs érotiques, le Prophète ajoute: « Bénissez le Seigneur au milieu des Eglises ». Comme s’il nous disait: Pourquoi ces jeunes filles qui frappent des tambours vous feraient-elles croire à des divertissements lascifs ? « Bénissez le Seigneur dans ses Eglises »; car ce sont des Eglises que nous désignent ces expressions symboliques; les églises sont de jeunes filles embellies d’une grâce nouvelle; les églises frappent des tambours, et la chair châtiée est une spirituelle symphonie. « Bénissez donc Dieu dans vos assemblées, et le Seigneur aux sources d’Israël 4 ». C’est en effet de là qu’il a choisi ceux dont il a fait des sources. Car c’est de là qu’il a choisi les Apôtres, ceux qui ont entendu tout d’abord: « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura jamais soif, mais elle deviendra en lui une fontaine d’eau jaillissante jusqu’à la vie éternelle 5 ».

36. « Là était le jeune Benjamin ravi en

 

1. Gal. IV, 4. —  2. I Cor. III, 7. — 3. Ps. LXVII, 26. — 4. Id. 27. — 5. Jean, IV, 13, 14.

 

extase 1». Là était Paul, le dernier des Apôtres, qui dit : « Pour moi, je suis enfant d’Israël, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamins 2»; et tout à fait en extase, alors que le miracle si éclatant de sa vocation tenait les assistants dans la stupeur. Car l’extase est le ravissement de l’esprit : ce qui arrive quelquefois par une crainte excessive; parfois encore, par une révélation, alors que l’esprit abandonne les sens corporels, afin de voir tout ce qui doit lui être démontré. Tel est le sens que l’on pourrait donner à cette expression,en extase; parce qu’à cette parole, adressée du haut du ciel au persécuteur : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3? » les yeux du corps furent privés de la lumière, et il répondait à Dieu, qu’il voyait des yeux de l’esprit; quant à ceux qui étaient avec lui, ils l’entendaient répondre sans voir à qui il s’adressait. On peut encore dans cette extase entendre celle dont il parle, quand il dit qu’il connaît un homme élevé jusqu’au troisième ciel, sans savoir néanmoins si ce fut avec son corps ou sans son corps; mais qu’enfin il fut ravi au paradis et qu’il entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter 4. « Les princes de Juda, les premiers entre tous, les princes de Zabulon, les princes de Nephtali ». Comme il désigne les Apôtres sous le nom de princes, parmi lesquels se trouve « le jeune Benjamin dans son extase », paroles que chacun, sans hésitation, applique à saint Paul; ou bien comme sous ce nom de princes, il désigne tous ceux des différentes Eglises qui se distinguent et peuvent servir de modèles, on se demande pourquoi ces noms des tribus d’Israël? S’il n’était fait mention que de Juda, comme c’est dans cette tribu que sont nés les rois, et même Jésus-Christ selon la chaire, nous serions portés à croire que cette tribu nous désigne les princes du Nouveau Testament : mais comme le Prophète ajoute: « Les princes de Zabulon, les princes de Nephtali », on est porté à croire qu’il y eut des Apôtres dans ces tribus, et non dans les autres. A la vérité, je ne vois point comment on prouverait cette opinion; mais comme je ne vois pas non plus comment on la réfuterait, et qu’il est question là des princes de l’Eglise, des chefs de ceux qui bénissent Dieu dans les

 

1. Ps. LXVII, 28. — 2. Philip. III, 5. — 3. Act. LX, 4-7. — 4. II Cor. XII, 2-4. — 5. Ps. LXVII, 28. — 6. Rom. IX, 9.

 

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églises, je ne vois dans ce sens aucune absurdité; mais je préfère celui qui ressort de l’étymologie de ces noms. Ce sont en effet des noms hébreux, et Juda veut dire confession; Zabulon, la maison du courage; Nephtali, ma dilatation. Tous ces noms nous désignent les véritables princes des Eglises, dignes de nous conduire, dignes d’être nos modèles, dignes de nos hommages. Dans l’Eglise, en effet, les martyrs tiennent le premier rang, et sont au faîte des honneurs. Or, dans le martyre, il y a d’abord une confession, et la force d’endurer tout ce qu’il faudra pour la soutenir; viennent ensuite les tourments, et après les tourments, la dilatation de l’allégresse qui en est la récompense. On peut encore l’entendre dans le sens des trois vertus que recommande l’Apôtre, la foi, l’espérance et la charité 1 ; la confession est l’oeuvre de la foi, la force l’oeuvre de l’espérance, et la dilatation l’oeuvre de la charité. C’est en effet par la foi que l’on croit de coeur pour obtenir la justice, et que l’on professe de bouche pour obtenir le salut 2. Or, pour celui qui est dans les tourments, la réalité est triste, mais l’espérance donne des forces. Car, « si nous espérons ce que nous ne voyons point, nous l’attendons par la patience 3 ». Quant à l’allégresse, elle est le fruit de la charité répandue dans nos coeurs; car « la charité parfaite bannit la crainte 4 » : et cette crainte serait un tourment pour notre âme qu’elle jetterait dans l’inquiétude. Donc, « les princes de Juda marchent les premiers » de ceux qui bénissent le Seigneur dans tes assemblées. « Les princes de Zabulon, les « princes de Nephtali », les princes de la confession, de la force, de l’allégresse; les princes de la foi, de l’espérance et de la charité.

37. « Seigneur, déployez votre force ». Il n’y a qu’un seul Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui toutes choses ont été faites , et nous sommes en lui 5 ; nous lisons qu’il est la Vertu de Dieu, la sagesse de Dieu 6. Or, comment Dieu peut-il déployer son Christ, sinon en le faisant connaître? « Dieu manifeste sa charité envers nous. Puisque c’est quand nous étions encore pécheurs que le Christ est mort pour nous 7. Que ne nous « donnera-t-il point après nous l’avoir donné 8? Déployez votre force, ô mon Dieu;

 

1. II Cor. XIII, 13. — 2. Rom, X, 10. — 3. Id. VIII,25. — 4. I Jean, IV, 18.— 5. I Cor. VIII, 6. — 6.  Id. I, 21. — 7. Rom. V, 8. — 8. Id. VIII, 32.

 

confirmez ce que vous avez fait en nous 1 ». Déployez en nous enseignant, confirmez en nous aidant.

38. « Dans votre temple qui est à Jérusalem, les rois vous offriront des présents 2 ». Dans votre temple et dans cette Jérusalem libre, qui est notre mère 3, et qui est aussi votre temple saint; dans ce temple donc « les rois vous offriront des présents ». Quels que soient ces rois, ou les rois de la terre, ou ces rois à qui le roi des cieux assigne un rang chez la colombe argentée, « ces rois vous offriront des présents ». Et quels présents vous seront plus agréables, que les sacrifices de louanges? Mais ces louanges éprouvent une dissonance de la part de ceux qui se nomment chrétiens, et ont une foi différente. Faites alors ce qui suit : « Réprimez les bêtes des roseaux 4 ». Car ce sont des bêtes, et leur inintelligence les rend nuisibles : ils sont les bêtes des roseaux, parce qu’ils pervertissent le sens des Ecritures au profit de leurs erreurs. De même que par la langue on désigne souvent la parole, de même par roseaux on peut fort bien entendre les Ecritures; c’est ainsi que dans l’hébreu, le grec ou le latin, ou dans toute autre langue, on désigne l’effet par le nom de l’instrument. Il est d’usage en latin de donner à l’écriture le nom de style, parce que l’on écrit avec le style; on peut donc appeler aussi roseau, ce que l’on écrit avec le roseau. L’apôtre saint Pierre dit que ces hommes ignorants et légers détournent les Ecritures à des sens pervers, et pour leur propre ruine 5 : voilà ces bêtes des roseaux, dont il est dit ici : « Réprimez ces bêtes féroces des roseaux ».

39. C’est d’eux encore que le Prophète a dit: « C’est une troupe de taureaux parmi les génisses des peuples, afin que soient tirés dehors ceux qui sont éprouvés comme l’argent  6». Il les appelle taureaux à cause de leur orgueil, de leur cou raide et indocile; il désigne ainsi les hérétiques. « Ces génisses des peuples » doivent s’entendre, selon moi, des âmes faciles à séduire, et qui suivent ces taureaux sans résistance. Ils ne séduisent point les peuples entiers, qui renferment des hommes stables et graves; de là ce mot des Ecritures : « C’est au milieu d’une grave assemblée que je vous bénirai 7 »; mais ils séduisent

 

1. Ps. LXVII, 29. — 2. Id. 30. — 3. Gal. IV, 26. — 4. Ps. LXVII, 31.— 5. II Pierre, III, 16.— 6. Ps. LXVII, 31. — 7. Id. XXXIV, 18.

 

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les génisses qu’ils rencontrent parmi ces peuples. « Il en est en effet parmi eux qui s’insinuent dans les maisons, qui emmènent après eux comme captives des femmes chargées de péchés, et entraînées par toutes sortes de désirs; qui apprennent toujours, sans parvenir à connaître la vérité 1». Cette autre parole de l’Apôtre : « Il faut des hérésies, afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous qui ont une vertu éprouvée 2 », nous la retrouvons encore dans ce qui suit: « Afin que soient mis dehors ceux qui sont éprouvés par l’argent », c’est-à-dire éprouvés par la parole du Seigneur. Car « la parole du Seigneur est une parole chaste, c’est un argent éprouvé par le feu terrestre 3 ». Qu’ils soient tirés dehors, est-il dit, qu’ils soient visibles, qu’ils apparaissent; ou, comme dit saint Paul, « qu’on les reconnaisse ». De là vient que dans l’argenterie, on appelle exclusores, ou tireurs dehors, ceux qui donnent la forme aux objets qu’ils tirent d’une masse en fusion. Il est en effet dans l’Ecriture bien des sens cachés, connus seulement de quelques esprits supérieurs; et l’on ne s’en sert jamais d’une manière plus efficace et plus convenable que pour répondre aux hérétiques. Alors en effet ceux-là même que touche peu la doctrine, secouent leur sommeil, écoutent avec ardeur, et les hérétiques sont réfutés. Combien de sens n’a-t-on pas découverts dans les saintes Ecritures pour prouver contre Photius que le Christ est Dieu ! Combien pour prouver qu’il est un homme, contre Manès! Combien en faveur de la Trinité, contre Sabellius! Combien en faveur de l’unité dans la Trinité, contre les Ariens, les Eunomiens, les Macédoniens! Combien en faveur de l’Eglise répandue dans l’univers entier, du mélange des bons et des méchants jusqu’à la fin des siècles, de leur impuissance à nuire aux bons en partageant les mêmes sacrements, contre les Donatistes, les Lucifériens et autres, s’il en est encore, qui partagent leurs erreurs et s’éloignent de la vérité! Combien encore, contre tant d’autres hérétiques, dont il serait trop long d’établir ici la nomenclature, ou de faire mention, ce qui n’est point nécessaire dans cet ouvrage! Les auteurs approuvés qui ont mis en relief tous ces sens, seraient demeurés inconnus, ou auraient moins de célébrité que ne leur en ont donné les contradictions de ces orgueilleux

 

1. II Tim. III, 6, 7. — 2. I Cor. XI, 19. — 3. Ps. XI, 7.

 

que l’Apôtre compare à des taureaux, c’est-à-dire à des hommes rebelles et indociles au joug pacifique et doux de la discipline, quand il dit qu’il faut élire pour évêque, un homme « capable d’exhorter par la saine doctrine, et de convaincre ceux qui la contredisent 1». Il en est beaucoup en effet d’insoumis; ce sont là ces taureaux dont le cou ne saurait supporter le joug, la charrue, l’attelage : des hommes aux paroles vaines et qui séduisent les âmes; les âmes, le Prophète les appelle des génisses. Telle est donc l’utilité que se propose la Providence divine quand elle permet que des taureaux s’assemblent parmi les génisses des peuples, afin que soient tirés dehors, ou mis en évidence, ceux qui sont éprouvés comme l’argent. Car Dieu ne permet les hérésies, que pour manifester ceux qui sont éprouvés. Toutefois on pourrait comprendre encore : « Des taureaux se réunissent parmi les génisses des peuples, afin d’éloigner de ces génisses, ceux qui sont éprouvés comme l’argent ». Le but des docteurs hérétiques est en effet d’exclure de la portée des âmes qu’ils cherchent à séduire, c’est-à-dire d’en éloigner, ceux qui sont éprouvés comme l’argent, et dès lors capables d’enseigner la parole de Dieu. Peu importe l’un ou l’autre sens que l’on donne à cette expression; voici la suite: « Dispersez les nations qui veulent la guerre ». Car elles ne cherchent point à se corriger, mais bien à contredire. Le Prophète annonce donc qu’ils seront plutôt dispersés eux-mêmes, ceux qui, loin de se corriger, s’étudient à disperser le troupeau du Christ. S’il les appelle des nations, ce n’est point que les familles s’y reproduisent, mais c’est à cause des sectes qui se perpétuent pour confirmer l’erreur.

40. « Des envoyés viendront de l’Egypte. L’Ethiopie préviendra sa main 2 ». Ces dénominations d’Egypte et d’Ethiopie désignent les nations converties à la foi, c’est la partie pour le tout; il appelle envoyés les prédicateurs de la réconciliation. « Nous sommes donc», dit saint Paul, « des ambassadeurs au nom du Christ, comme si Dieu vous exhortait par notre bouche; nous vous conjurons au nom du Christ de vous réconcilier à Dieu 3 ». Ce n’est donc plus d’Israël seulement, où furent choisis les Apôtres, mais des autres nations qu’il s’élèvera des prédicateurs

 

1. Tit. I, 9. — 2. Ps. LXVII, 32. — 3. II Cor. V, 20.

 

de la paix chrétienne: voilà ce qui est prédit en figure. Mais dire : « L’Ethiopie préviendra sa main », signifie, elle préviendra sa vengeance : c’est-à-dire, en se tournant vers lui, afin d’obtenir la rémission des fautes, et de n’encourir point l’obstination, en demeurant dans le péché. C’est ce qui est dit dans un autre psaume : « Prévenons sa face par des hymnes d’allégresse 1 ». De même que « sa main » signifie sa vengeance, « sa face » désigne sa présence et son apparition, qui aura lieu au jugement. Comme donc il a entendu par l’Egypte et l’Ethiopie, les peuples de l’univers entier; voilà qu’il ajoute: « A Dieu les royaumes de la terre ». Ce n’est donc point à Arius, ni à Sabellius, ni à Donat, ni aux autres taureaux à la tête haute, mais « à Dieu, qu’appartiennent les royaumes de la terre 2 ».

41. Plusieurs manuscrits latins, et principalement les grecs, séparent ces versets de manière à ne pas dire dans le même verset : « A Dieu les royaumes de la terre »; mais « à Dieu » est à la fin d’un verset. Il faut lire : « L’Ethiopie préviendra la main pour Dieu», et dans le verset suivant : « Royaumes de la terre, chantez le Seigneur, faites résonner vos harpes en l’honneur de Dieu ». Cette distinction, d’accord avec un plus grand nombre de manuscrits et plus recommandable par l’autorité, est sans doute préférable, et me semble prêcher la foi qui précède les bonnes oeuvres; car l’impie est justifié par la foi sans aucun mérite de bonnes oeuvres , comme le dit l’Apôtre: « A l’homme qui croit en celui qui justifie l’impie, la foi est imputée à justice 3 », en sorte que la foi commence, ensuite les oeuvres de la charité. Car on ne peut appeler bonnes oeuvres que celles qui viennent de l’amour de Dieu. Mais il faut que la foi les précède, afin que les oeuvres viennent de la foi, et non pas que la foi vienne des oeuvres, car nul homme ne peut agir par amour de Dieu, si d’abord il ne croit en Dieu. Telle est la foi dont il est dit : « En Jésus-Christ, ni la circoncision, ni l’incirconcision ne servent de rien, mais la foi qui agit par la charité 4 ». Telle est la foi dont il est dit à l’Eglise elle-même dans les cantiques « Tu viendras, tu passeras outre par l’initiative de la foi 5 ». Elle est venue comme le char de Dieu, environnée de myriades qui applaudissaient, suivant

 

1. Ps. XCIV, 2. — 2. Id. LXVII, 33. — 3. Rom. IV, 5. — 4. Gal. V, 6. —      5. Cant. IV, 8, suiv. les Septante.

 

une route favorable, et passant de ce monde à son Père 1, afin que s’accomplit en elle cette parole de l’Epoux lui-même, qui passa de ce monde au Père : « Je désire que « là où je suis, eux-mêmes soient avec moi  2 », mais par l’initiative de la foi. Comme la foi doit donc précéder, afin que les bonnes oeuvres viennent ensuite, et qu’il n’y a de bonnes oeuvres que celles qui suivent la foi; ces paroles : « L’Ethiopie préviendra la main pour Dieu », ne paraissent avoir d’autre sens que celui-ci : L’Ethiopie croira en Dieu. C’est ainsi qu’elle préviendra sa main, ou ses oeuvres. La main de qui, sinon de l’Ethiopie? Il n’y a dans le grec aucune ambiguïté à cet égard; car le mot « sa», qui est du féminin, ne laisse aucun doute. Ainsi ces paroles n’auraient d’autre sens que celui-ci : « L’Ethiopie étendra d’abord ses mains vers Dieu», c’est-à-dire fera précéder ses œuvres par sa croyance en Dieu. « J’estime», dit l’Apôtre, «que l’homme est justifié par sa croyance en Dieu sans les oeuvres de la loi. Dieu n’est-il que le Dieu des Juifs? N’est-il pas aussi le Dieu des nations 3? » Ainsi donc l’Ethiopie, qui parait être la dernière des nations, sera justifiée par la foi sans les oeuvres de la loi. Car elle ne se glorifie point des oeuvres de la loi pour être justifiée; elle ne met pas ses mérites avant sa foi, mais sa foi avant ses mérites. Dans plusieurs manuscrits, on ne lit point « ses mains», mais « sa main», ce qui a la même valeur, car cela s’entend toujours des oeuvres. J’aimerais mieux que l’on eût traduit en latin : « L’Ethiopie étendra d’abord ses mains, suas, ou sa main, suam, vers le Seigneur », cela serait plus clair qu’avec ejus, et cela serait possible sans blesser la vérité, puisque dans le grec le pronom autes, d’elle, ne signifie pas seulement ejus , mais encore suam ou suas; suam si c’est la main, suas si l’on dit les mains. Cette expression du grec Xeira autes, que nous lisons dans plusieurs manuscrits, peut se dire de sa main; cette autre, qui est rare dans les manuscrits grecs, Xeiras peut se rendre en latin par les mains d’elle, manus ejus, ou par manus suas, ses mains.

42. Après avoir parcouru dans sa prophétie, tout ce que nous voyons accompli déjà, le Prophète nous exhorte à bénir le Christ, dont il nous prédit le futur avènement.

 

1. Jean, XIII, — 2. Id. XVII, 21 — 3. Rom. III, 18, 29.

 

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 « Royaumes de la terre, chantez le Seigneur, bénissez-le sur vos instruments, chantez le Seigneur qui s’élève par-dessus le ciel des cieux, à l’Orient 1 » ; ou, comme on lit dans quelques manuscrits : « Qui s’élève sur le ciel du ciel à l’Orient ». Ces paroles ne désignent point le Christ pour celui qui ne croit ni à sa résurrection, ni à son ascension. Et quand le Seigneur ajoute: « A l’Orient », n’est-ce point pour désigner le lieu même de cette résurrection et de cette ascension, qui s’effectuèrent dans les pays orientaux? Il est donc assis par-dessus le ciel du ciel, à la droite de son Père. Voilà ce qu’a dit l’Apôtre: « C’est lui qui est monté par-dessus tous les cieux 2 ». Que peut-il y avoir encore des cieux, après le ciel du ciel? Nous pouvons aussi dire les cieux des cieux, comme le firmament fut appelé ciel  3 : et cependant au lieu de ciel, nous lisons les cieux, dans ces paroles: «Et que les eaux qui sont par-dessus les cieux bénissent le Seigneur 4 ». Et comme c’est de là que le Christ doit venir pour juger les vivants et les morts, voyez ce qui suit: « Voici qu’il fera entendre sa voix, la voix de la force ». Celui qui sera « sans voix comme l’agneau devant celui qui le tond 5,voilà  qu’il fera retentir sa voix» : non pas la voix de la faiblesse, comme s’il devait être mis en jugement; mais « la voix de la force », comme il convient à un juge. Il ne sera plus comme auparavant un Dieu caché, qui n’ouvre point la bouche devant le tribunal des hommes; mais « Dieu, notre Dieu viendra d’une manière visible, et ne se taira point 6», Pourquoi perdre l’espoir, ô infidèles? pourquoi vos sarcasmes? Que dit le mauvais serviteur: « Voilà que mon maître tarde à venir 7? Voilà «que le Seigneur fera entendre sa voix, la voix de la force».

43. « Rendez gloire au Dieu dont la magnificence éclate en Israël 8 ». Ce qui a fait dire à l’Apôtre: « Et à l’Israël de Dieu 9. Car

 

1. Ps. LXVII, 33, 31. — 2. Ephés. IV, 10. — 3. Gen; 1, 8. — 4. Ps. CXLVIII, 4. — 5. Isaïe, LIII, 7. — 6. Ps. XL1X, 3. —  7. Luc, XII, 45.— 8. Ps. LXVII, 35.— 9. Gal. VI, 16.

 

tous ceux qui viennent d’Israël ne sont point pour cela israélites 1 »; puisqu’il y a aussi un Israël selon la chair. De là cette parole de l’Apôtre : « Voyez Israël selon la chair 2. Ceux qui sont enfants d’Abraham selon la chair, ne sont point pour cela enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont réputés enfants d’Abraham 3 ». Ainsi donc « la gloire se montrera en Israël » dans son plus vif éclat, quand il n’y aura plus dans son peuple aucun mélange de méchants, quand il sera comme une masse de froment purifiée par la ventilation 4, comme cet Israël qui est sans déguisement 5, « et sa vertu sera sur les nuages». Car il ne viendra point seul pour juger, mais il viendra « avec les anciens de son peuple 6 », à qui il a promis qu’ils s’assiéront sur des trônes pour juger 7, et qui doivent juger les Anges eux-mêmes 8. Voilà ces nuages.

44. Enfin, de peur qu’on ne donne à ces nuages une autre signification, le Prophète

ajoute: « Le Seigneur est admirable dans ses saints, le Dieu d’Israël  9 ». C’est alors, en

effet, que se vérifiera dans sa plénitude cette expression d’Israël, ou qui voit Dieu: « Car nous le verrons tel qu’il est 10 » . « Béni soit le Seigneur; c’est lui qui donnera la vertu et la force à son peuple » aujou1d’hui faible et fragile. « Car aujourd’hui nous portons notre trésor dans des vases de terre 11». Alors, par une heureuse transformation dans notre corps: « Il donnera la force et le courage à son peuple. Et ce corps qui est semé dans l’infirmité, se relèvera dans la force 12». Il nous donnera donc la force qu’il nous a promise dans sa chair, et que l’Apôtre appelle : « La vertu de la résurrection 13 », une force capable de détruire la mort, notre ennemie 14 ». Nous aussi, en finissant, avec le secours de Dieu, ce psaume long et difficile à

comprendre, écrions-nous: « Dieu soit béni». Ainsi soit-il.

 

1. Rom. IX, 6. — 2. I Cor. X, 18. — 3. Rom. IX, 8. —  4. Matth. III, 12.— 5. Jean, I, 47.— 6. Isaïe, III, 14.— 7.  Matth. XIX, 28.—  8. I Cor. VI, 3. — 9. Ps. LXVII, 36. — 10. I Jean, III, 2. —  11. II Cor. IV, 8.— 12. I Cor. XV, 43. — 13. Philip. III, 10. — 14. I Cor. XV, 26.

 

 

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