LE FORMALISME



Les règles de vêtement, d'attitude, d'hygiène, de propreté domestique, de tenue, qui se multiplient en si grand nombre dans les codes religieux, avaient, à l'origine, le but de faire profiter les fidèles des meilleures conditions physiques et fluidiques. Les anciens savaient quelques-unes des lois de l'atmosphère seconde : ils connaissaient ce que nous avons redécouvert sous les noms de magnétisme et d'électricité; leur hygiène s'occupait de la santé corporelle d'abord, mais aussi de la propreté du double. De là tant d'ordres relatifs au nettoyage des objets, à l'attitude à prendre pour le repas le sommeil, l'étude, le travail. L'éducation se trouvait ainsi appuyée sur un ensemble de faits scientifiques, tandis que la foi des fidèles aiguillait les forces déployées dans l'observance des rites vers le centre céleste de leur forme de religiosité. Une religion est le résultat de la visite d'un dieu, -- ou de Dieu. Les hommes à qui elle est destinée cherchent à franchir les portes du royaume de ce dieu. Pour cela, il faut qu'ils se débarrassent de ceux de leurs vêtements qui ne sont pas convenables à ce monde-là, et qu'ils s'en procurent d'autres : qualités organiques, vertus morales idées intellectuelles. Les premières s'obtiennent par l'obéissance aux formes canoniques, les secondes par les règles éthiques, les dernières par la compréhension des diverses théologies. Mais la morale est le mot de passe, le signe de reconnaissance indispensable, la clef unique des paradis, parce qu'elle s'adresse au centre psychique, à la volonté.

Le formalisme et le culte, comme le savoir, perdent toute valeur s'ils ne sont vivifiés par l'épuration du sentiment. C'est de celui-ci que dérive la valeur éternelle de l'acte, de la parole et de l'idée. C'est lui qui, selon la mesure d'altruisme qu'il recèle, ravale ou exalte les oeuvres héroïques et les vulgaires, les préoccupations mesquines et les sublimes. C'est pourquoi l'homme qui, refusant tout secours et toute dépendance d'église, s'en tiendrait à la simple pratique de la religion intérieure, pourrait avec certitude espérer la présence divine.

Car, dans ce domaine, comme partout, la diplomatie ne sert de rien. Il faut se donner un égrégore, ou rester seul. Choisir, dans tel système d'observances, celles qui nous conviennent n'aboutit qu'à une perte de forces, et oblige à revenir sur nos pas. On oublie toujours que le vide, que les espaces où se meuvent les passions, les forces et les idées sont remplis d'habitants. Un peuple réuni sous l'égide du même idéal n'est que l'arrière-garde - ou la sentinelle - de la véritable armée qui combat pour cet être supra-terrestre. Les religions orientales enseignaient explicitement ce fait, et le catholicisme en a retenu le caractère le plus saillant quand il nous remémore la communion des trois églises : souffrante, militante et triomphante.

Tous ces invisibles, molécules très actives du circulus qui réunit au dieu ses adorateurs terrestres, perçoivent les gestes de ceux-ci et, serviteurs moins indulgents que leur maître, ils sont enclins à punir avec rigueur, à réfréner avec violence les incartades des hommes. Si on s'attache à eux, il faut se donner tout à fait : ou bien, qu'on reste en dehors de leur sphère; ils ne s'occuperont pas de celui qui veut être seul.

En résumé, les religions présentent des avantages et des inconvénients. Elles offrent des secours nombreux à la volonté, à l'intelligence et à la sensibilité. Je ne vous répéterai pas tout ce qui a été dit sur l'enthousiasme que l'architecture, la musique, les parfums, l'éloquence peuvent faire jaillir chez le fidèle, sur l'aide invisible que dispensent les sacrements, sur les nobles contemplations où peut élever la théologie.

Le danger lointain des formes religieuses est de distraire de Dieu, au profit de l'un de Ses aspects; mais les seuls qui puissent craindre ceci sont de bien rares êtres d'élite. Il y a un danger plus proche et plus pressant que voici : à force de se tendre pour accomplir les cérémonies et les canons extérieurs, on en arrive à leur accorder de plus en plus d'importance; des docteurs s'élèvent pour proclamer la puissance du rite à produire la vertu qu'il symbolise; peu à peu le signe prend la place de la réalité, et la religion tout entière finit par s'embourber dans la superstition.

Tel a été le sort du brahmanisme, du taoïsme, du judaïsme; et le catholicisme a bien failli le subir aussi.

Il ne faut pas s'effrayer de ce caractère provisoire que tout revêt dans la Nature. La terre est un organisme; elle reçoit des autres astres et leur envoie des forces. Elle se modifie sans cesse dans toutes les régions de son individualité. Car son esprit travaille : puisqu'il est en progrès, il est sensible à des influences extérieures à lui; les créatures, surtout les hommes, peuvent, par leur vouloir, modifier la vie de cette planète, spécialement si elles se groupent en vue de la conquête d'un même objet, comme cela se trouve dans les états et les religions. Le représentant de Lucifer agit aussi et pèse sur le libre arbitre de la terre; et le représentant de Dieu exerce son influence, de diverses manières, mais surtout par l'organisation des égrégores religieux. Les affinités électives existent aussi dans les plans invisibles.

Chacun reçoit la vérité comme il peut. Le simple se l'assimile simplement, c'est-à-dire purement; l'intellectuel la dissèque pour en extraire un squelette qu'il appellera métaphysique ou théologie l'ambitieux en forgera des chaînes pour asservir ses subordonnés; le moraliste en tirera une casuistique; l'occultiste en bâtira une magie; le philosophe y trouvera des symboles .

L'ange porteur de Lumière sait le sort qui l'attend dès qu'il touche l'atmosphère seconde d'ici-bas. Toutes ces obscurations, tous ces démembrements sont prévus; l'Esprit S'en sert pour pénétrer dans les recoins les plus sombres des Ténèbres, selon la forme compréhensible à chaque créature, qui Le reçoit dans la proportion ou elle a ménagé, en elle-même, une place libre pour le Visiteur pressenti.

Car, réellement, rien ne nous arrive d'imprévu. Toujours quelque chose nous annonce nos hôtes. Le frémissement d'un muscle, une intuition fugace, une rencontre, un rêve, un pressentiment nous préviendraient si nous étions attentifs; la méditation seule pourrait suffire à cet office, puisque rien ne nous vient que nous ne l'ayons appelé. Le Verbe seul Se lève en nous, sans qu'il soit possible de prévoir l'instant de Son aurore, parce qu'Il est le seul être libre.

Ainsi, nos réflexions et nos passions préparent nos actes; nos actes confient au champ du devenir les germes de nos sentiments et de nos pensers futurs; tout a des racines, en nous et hors de nous, tout est en travail pour des fleurs et des fruits. Tout est donc important si nous savons y mettre cette gravité que donne seul le sens de l'éternel. C'est ainsi que l'homme se restitue à sa vraie place, puisqu'il est, par son coeur, le centre de l'Univers.

Quand le médecin panse une plaie et se trouve tout éclaboussé de sanies, il n'a évidemment pas obscurci son âme. De même, que l'israélite mange du porc, que l'hindou mange du chien, que le catholique fasse gras le vendredi, s'ils savent partager leur repas et leurs habits et leur chambre avec les pauvres, croyez que Dieu les accueillera tout de même. Et vous sentez bien qu'un calomniateur, un patron avare, un débauché auront beau accumuler les indulgences et enrichir le denier de saint Pierre, s'ils ne s'amendent point, la Lumière qui était en eux fera place à la nuit.

On ne peut pas travailler sans se salir; l'établi, le bureau, l'atelier, la chaire, la rue, le champ, le ménage, tout cela fatigue le corps, produit la crasse et déforme les vêtements. Mais le coeur qui brûle pour un idéal transforme en lumières toutes les immondices. Le dieu transfigure l'offrande.