CARÊME IV
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QUATRIÈME SERMON POUR LE CARÊME. Du jeûne et de la prière.

 

1. Puisque l'époque du jeûne quadragésimal, que j'engage vos charités à pratiquer avec dévotion, est arrivée, je crois bon de vous exposer comment il faut jeûner, et les fruits qu'on doit retirer du jeûne. En premier lieu, en nous privant de l'usage des choses même permises nous méritons le pardon des choses défendues que nous avons faites auparavant. Or, qu'est-ce à dire, nous obtenons le pardon du mal que nous avons fait, sinon que, par un jeûne de courte durée, nous rachetons des jeûnes éternels? En effet, nous avons mérité l'enfer, or, il n'y a là ni aliment, ni consolation, ni fin. Le mauvais riche y demande une goutte d'eau, et ne peut l'obtenir (Luc. XVI, 94). Il est donc une chose bonne et salutaire que le jeûne, puisque par là on se rachète de jeûnes et de supplices éternels, en même temps qu'on se purifie de ses péchés. Non-seulement le jeûne efface nos péchés, mais il déracine nos vices, nons-seulement il nous fait obtenir notre pardon, mais il nous fait acquérir des grâces; non-seulement, dis-je, il nous purifie de nos péchés passés, mais encore il éloigne ceux que nous pourrions commettre encore.

2. Je vais plus loin, et j'avance une chose que vous avez bien souvent éprouvée vous-mêmes, si je ne me trompe; c'est que le jeûne nous fait prier avec plus de piété et de confiance. Aussi, voyez comme le jeûne et la prière vont bien ensemble, c'est, pour parler avec l'Écriture, « Comme deux frères dont l'un vient en aidé à l'autre et qui se consolent mutuellement (Prov. XVIII, 19 ). » La prière obtient la force de jeûner, et le jeûne mérite la grâce de prier. Le jeûne fortifie la prière, et la prière sanctifie le jeûne, en même temps qu'elle l'offre à Dieu. A quoi nous servirait, en effet, notre jeûne, s'il restait sur la terre ? Dieu nous préserve qu'il en soit ainsi ! qu'il s'élève donc de terre sur l'aile de la prière. Mais ce n'est point assez d'une aile, il faut lui en donner une seconde. L'Écriture a dit : « La prière du juste pénètre les cieux (Eccl. XXXV, 20 ). » Que notre jeûne, s'il veut s'élever sans peine vers les cieux, s'appuie sur les deux ailes de la prière et de la justice. Or, qu'est-ce que la justice, sinon une vertu qui consiste à rendre à chacun ce qui lui appartient. Cessez donc de ne faire attention qu'à Dieu. Vous avez des devoirs à remplir envers vos supérieurs et envers vos frères, et Dieu ne veut pas que vous ne teniez que peu de compte de ceux qu'il estime beaucoup lui-même. Ce n'est pas sans raison crue l'Apôtre a dit : «Ayez soin de faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes (Rom. XII, I, 7. » Peut-être vous diriez-vous j'ai fait assez, si Dieu est content de ce que je fais, qu'ai-je à me mettre en peine de ce que pensent les hommes? Or, soyez bien certains qu'il ne saurait avoir pour agréable tout ce que vous ferez au scandale de ses enfants, et contre la volonté de celui à qui vous deviez obéir comme à son représentant. Le Prophète a dit : « Ordonnez un jeûne saint, et convoquez une assemblée (Joël. II, 15). » Or, que veulent dire ces mots: convoquez une assemblée ? N'est-ce point : conservez l'union, chérissez la paix, et aimez vos frères. L'orgueilleux Pharisien observait bien le jeûne, il faisait un jeûne saint, il jeûnait même deux fois la semaine, et rendait grâces à Dieu : mais il ne convoquait point d'assemblée, car il disait au contraire : « de ne suis point Comme je reste des hommes (Luc. XVIII, 11). » Aussi, son jeûne, ne s'appuyant que sur une aile, ne put monter jusqu'aux cieux. Pour. Vous, mes frères, lavez donc vos mains dans le sang du pécheur.; et ayez bien soin que votre jeûne ait ses deux ailes, je veux dire la pureté et la paix, sans quoi nul ne saurait voir Dieu. «Sanctifiez votre jeûne, » si vous voulez que la pureté d'intention et une prière pieuse le portent aux pieds de la majesté de Dieu. «Convoquez une assemblée, » c'est-à-dire qu'il soit favorable à l'union. « Louez Dieu avec le tambour et la flûte (Psal. CL, 4) » c'est-à-dire que la mortification de la chair et la concorde marchent de front.

3. Puisque j'ai dit quelques mots du jeûne et de la justice, il convient que je vous parle un peu aussi de la prière. Or, plus la prière peut être efficace, si elle est faite comme il faut; plus aussi l'ennemi du salut est habile à en paralyser les effets. En effet, il arrive souvent que l'efficacité de la prière est détruite par la pusillanimité de l'esprit, et par une crainte excessive. C'est ce qui a lieu quand on est tellement préoccupé de sa propre indignité, qu'on ne peut tourner les yeux vers la bonté de Dieu. « En effet, l'abîme appelle l'abîme Psal. XLI, 8). » Un abîme de fange appelle un abîme de ténèbres; mais un abîme de miséricorde appelle un abîme de misère. Le coeur de l'homme est lui-même un abîme, et un abîme insondable. Mais si mon iniquité est grande, votre charité, ô mon Dieu, l'est bien davantage. Aussi, quand, se repliant sur elle-même, mon âme se sent troublée, pour moi je me rappelle la multitude de vos miséricordes, et je respire à ce souvenir, et lorsque je descends au fond de mes impuissantes (a) je ne veux me rappeler que votre justice.

4. Mais de même, que c'est un danger pour la prière d'être trop défiante, ainsi eu est-ce un non moindre, peut-être même plus grand, d'être trop confiante. Écoutez ce que le Seigneur dit à son Prophète,

 

a On remarque ici une différence de version entre les éditions et les manuscrits des rouvres de saint Bernard : ainsi, au lieu de « je descends au fond de mes impuissantes, etc., » Horstius a lu : « je descends au fond de tes impuissantes, etc. » Mais le sens de ce sage nous a fait préférer la première leçon qui rapporte ces impuissantes à la faiblesse l'âme.

 

au sujet de ceux qui prient avec cet excès de confiance. « Criez sans cesse, et faites retentir votre voix comme une trompette (Is. LVIII, 1), etc.» « Comme une trompette, » dit-il, parce que ceux qui prient avec un excès de confiance, doivent être repris avec une grande véhémence. En effet, il n'y a que ceux qui ne se sont point encore trouvés eux-mêmes, qui me cherchent. Ce que je dis là ce n'est point pour ôter aux pécheurs la confiance de la prière, mais je veux qu'ils prient comme un peuple qui a commis l'iniquité, non pas comme un peuple dont toutes les oeuvres sont justes. Qu'ils prient pour obtenir le pardon de leurs péchés, avec un coeur contrit et humilié comme ce Publicain qui s'écriait : « Seigneur ayez pitié de moi pauvre pécheur (Luc. XVIII,13).» Or pour moi, il y a excès de confiance lorsque, avec une conscience où règne encore le péché, où le vice domine, on a de grandes et orgueilleuses pensées de soi et peu d'inquiétude de l'état dangereux de son âme. Le troisième défaut de la prière est la tiédeur, c'est lorsqu'elle ne procède pas d'une vive affection. La prière trop défiante ne peut pénétrer le ciel, parce qu'une crainte excessive paralyse l'âme, en sorte que sa, prière, non-seulement ne peut monter aux cieux, mais ne peut même sortir de ses lèvres. La prière tiède monte, mais avec langueur et avec défaillance, parce qu'elle manque de vigueur. Quant à la prière trop confiante, elle ne monte que pour tomber; elle trouve de la résistance au ciel, non-seulement elle n'obtient point grâce, mais même elle offense Dieu; au contraire, une prière pleine de foi, d'humilité et de ferveur ne saurait manquer de pénétrer le ciel, d'où elle ne peut descendre les mains vides.

 

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