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SIXIÈME SERMON POUR LE CARÊME. Sur l'Oraison dominicale.
1. Mes frères, c'est la volonté de Dieu, qui d'abord a fait les anges, et c'est encore elle ensuite qui les a faits heureux en se, faisant elle-même en eux. Car, de mérite que nous disons, mais avec vérité, que le Verbe, qui était dès le principe, en prenant notre chair, s'est fait chair lui-même (Joan. I, 14), ainsi la volonté éternelle de Dieu s'est faite dans lés anges, lorsqu'elle a absorbé en elle toutes les volontés des anges., Qu'est-ce qui nous empêche de dire, après tout, qu'elle s'est faite clans les anges, puisqu'elle s'est faite angélique ? Car, ce qui est la suprême félicité, un vrai torrent de célestes délices pour eux, c'est que cette volonté divine est devenue la volonté même des anges, eu sorte que, de même que Dieu se plaît dans le gouvernement de l'univers, ainsi ils se trouvent eux-mêmes pleins de joie et de bonheur en toutes choses. Aussi, ce que nous demandons dans nos prières , est-il que cette volonté se fasse pariai les créatures de la terre, comme elle s'accomplit parmi celles des cieux, que l'homme, de même que l'ange, se soumette à Dieu et ne fasse plus qu'un seul et même esprit avec lui. Mais, hélas! malheureux homme que je suis! que d'obstacles me séparent de cette volonté; que d'empêchements s'opposent en moi à son accomplissement! La malice de notre nature vient se jeter à la traverse, notre faiblesse fait obstacle; la concupiscence et l'ignorance y mettent empêchement. Car nous tenons! de la nature, ou plutôt de la corruption de la nature, une affection détestable, une sorte de passion pour le mal, si bien que notre malheureuse âme trouve un bonheur inexprimable dans la malice. Or qu'y a-t-il qui soit plus éloigné de la volonté de Dieu ? Assurément on peut bien dire qu'il s'est creusé de ce côté un immense chaos entre celle de Dieu et la nôtre, puisque tandis que la volonté de Dieu se complaît à faire du bien, la nôtre dans son excessive cruauté, ne songe qu'à nuire même aux êtres innocents. C'est dans son sein que toute amertume prend naissance, que germent l'envie et la détraction, que pullulent les dissensions, et que pousse toute une forêt d'inimitiés. Or, il faut couper sans cesse cette végétation malsaine avec la serpe de la justice, et extirper la disposition de faire à autrui ce que nous ne voudrions point qu'on nous fit à nous-mêmes, pour y substituer la volonté de faire aux autres ce que nous voulons qu'on nous fasse. Toutefois la malice ne pourra jamais être entièrement arrachée, extirpée de nos coeurs, tant que nous serons encore en ce monde, qui est tout entier sous l'empire du malin (Joan. V, 19), et trop souvent encore, on s'y sent mordre au talon par le serpent dont on ne cesse de fouler la tête aux pieds. 2. Le second obstacle qui., s'oppose à ce que notre volonté adhère à celle de Dieu, se trouve dans la faiblesse même de notre nature corrompue. En effet, ce que nous trouvons pénible ne peut pas ne nous point déplaire, aussi , arrive-t-il souvent, à, cause de cela, que notre volonté se trouve en opposition avec celle de Dieu, et, pour ne se point révolter complètement contre elle; elle a besoin de la force qui se place au second rang des vertus. 3. Aux afflictions corporelles ne se bornent point les obstacles que la volonté de Dieu rencontre en nous, elle est encore arrêtée: par la concupiscence qui est, dans notre coeur, la source de nombreux et insatiables désirs. Quand donc notre volonté, qui est pleine d'angles et d'arêtes, pourra-t-elle s'adapter à celle qui est parfaitement droite et unie ? Ah ! Seigneur mon Dieu, autour de moi je ne vois que guerres allumées, que traits volants de toutes parts; je vis au milieu des périls et des obstacles de toute sorte: De quelque côté que je me tourne, nulle part ici je ne trouve de sécurité; pour moi. Je ne redoute pas moins les choses qui me plaisent que celles qui me sont pénibles. La faim et la satiété, le sommeil et les veilles, le travail et le repos sont armés contre moi. «Ne me faites ni pauvre ni riche ( Prov. XXX, 8) , » dit le sage, car dans la pauvreté, comme dans les richesses, il y a des écueils et des deux côtés, se trouvent des périls. Si la tempérance réprime la concupiscence dont elle est l'unique remède , il y aura bien une sorte d'union entre notre volonté et, celle de Dieu, mais elle ne sera pas. encore parfaite. Voilà pourquoi l'Apôtre disait, en parlant de lui-même a Pour moi je suis soumis à la loi de Dieu selon l'esprit, mais je me sens assujetti à la loi du péché selon la chair (Rom. VII, 25). » Ainsi il adhère en partie à la volonté de Dieu, et en partie il s'en éloigne, jusqu'au jour où arrivera ce qui est parfait, et que ce qui est imparfait sera aboli (I. Cor. XIII, 10). 4. Le quatrième obstacle est l'ignorance, et vous savez combien elle nous nuit. En effet, comment suivre la volonté de Dieu pour guide, quand on ignore même dans quelle direction elle se trouve ? Or, je ne la connais maintenant qu'imparfaitement; je ne la connais point encore comme je suis moi-même connu de Dieu (I Cor. XIII, 2). Voilà pourquoi nous devons rechercher avec le plus ardent désir une augmentation de prudence, et que Dieu nous fasse connaître tous les jours davantage sa volonté, afin que nous n'ignorions point ce qui lui plait en tout temps. Voilà comment la consommation des quatre vertus de justice, de force, de tempérance et de prudence, consommera cette union aussi heureuse que désirable, et fera que nous n'ayons plus qu'une seule et même volonté avec Dieu, en sorte que tout ce qui lui plait, nous plaira également. Ce sera pour nous en même temps, comme je l'ai dit précédemment, que ce l'était pour les anges, la perfection même du bonheur. 5. Demandons donc à Dieu que son règne arrive, afin que sous son empire nous jouissions d'une sécurité parfaite. Mais quand nous demandons que son nom soit sanctifié, nous témoignons le désir de nous élever au dessus de nous dans la connaissance; car lorsque nous trouverons en nous une heureuse sécurité et un sûr bonheur pour nous, alors nous nous sentirons entraînés vers celui qui est au dessus de nous, de toute la force de notre âme. « Que votre nom soit sanctifié.» Son nom, c'est la gloire. Or, quand arrive-t-il qu'elle ne soit pas sainte? Toutefois, nous disons qu'elle est sainte quand il est glorifié par nous dans la sainteté, de même que nous demandons que la volonté . qui est éternelle, se fasse en nous pour qu'elle se fasse nôtre. Nous demandons donc d'abord, de voir s'accomplir ce qu'il y a de plus grand, c'est-à-dire, que la sainteté sans mélange de sa gloire nous soit connue, ensuite nous demandons une chose qui nous concerne, que son règne puissant s'établisse, pour que nous soyons en pleine sécurité, et que sa volonté soit parfaite en nous, afin que nous goûtions la félicité. Mais comme nous ne sommes pas encore parfaitement établis sous son règne, ce n'est qu'avec de grandes peines que nous pouvons nous ranger à la volonté de Dieu. Il nous faut du pain pour que nous ne tombions point de défaillance, mais un pain quotidien. Et comme il ne nous arrive que trop souvent de nous écarter de cette volonté sainte et de pécher contre elle, nous sommes nécessairement amenés à réclamer notre pardon en disant : «Remettez-nous nos dettes, etc. » Mais pour ne point retomber dans nos fautes passées, après en avoir reçu le pardon, nous devons encore l'invoquer dans la prière et lui demander de ne point nous induire en tentation, plus encore, de nous tirer et de nous délivrer du mal. Ainsi soit-il.
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