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TREIZIÈME SERMON. « Ils vous porteront entre leurs mains, de crainte que vous ne heurtiez le pied contre quelque pierre (Psal. XC, 12). »
1. Nous pouvons entendre le verset : « Ils vous porteront dans leurs mains, » non-seulement des consolations et des assistances présentes; mais aussi de celles de l'avenir. Il. est certain. que les saints anges nous gardent dans nos voies durant le cours de cette vie; niais lorsque notre voyage sera fini, c'est-à-dire, lorsque nous sortirons de cette vie, ils nous porteront entre leurs mains. Et nous ne manquons pas de témoignages à l'appui de ce que je vous dis. Il n'y a pas longtemps vous avez entendu lire que notre bienheureux père saint Benoît, paraissant avoir les yeux attentifs à regarder l'éclat d'une brillante lumière, vit l'âme de saint Germain (a) évêque de Capoue portée au ciel par les anges dans un globe de feu. Mais qu'avons-nous besoin de ce genre de témoignages ? celui qui est la vérité même n'a-t-il pas dit, dans l'Évangile, que ce pauvre qui était couvert d'ulcères « fut porté par les anges dans le sein d'Abraham (Luc. XVI, 22). » Nous ne pourrions de nous-mêmes marcher dans une voie si nouvelle et si inconnue, d'autant plus qu'il se trouve au milieu une si grande pierre d'achoppement à craindre. De quelle pierre parlé-je ? C'est de celui qui était autrefois adoré dans des pierres, et qui présenta des pierres à Notre-Seigneur, en lui disant : «Ordonnez que ces pierres deviennent du pain (Matt. IV, 3). » Or, votre pied, ce sont vos affections et vos passions. Voilà ce pied de l'âme que !les anges portent entre leurs mains, de crainte que vous ne le heurtiez et ne le blessiez contre la pierre. Car comment ne serait-elle pas extrêmement troublée si elle sortait toute seule de cette vie pour entrer dans ces voies et marcher seule parmi les pierres de scandale, et de ruine que l'ennemi lui présentera ? 2. Mais il faut que je vous explique encore plus clairement combien il vous est nécessaire d'être portés par les mains des anges. » Vous marcherez sur l'aspic et sur le basilic : et vous foulerez aux pieds le lion et le dragon. » Quel serait le désordre et le trouble de votre âme au milieu de ces monstres terribles ? Ce qu'il faut entendre par là, n'est autre chose que les mauvais esprits parfaitement figurés par ces monstres horribles. C'est de ces esprits cruels et méchants, vous ne l'avez pas oublié, je pense, qu'il est dit plus haut : « Il en tombera mille à votre main droite.» Mais qui peut savoir si les oeuvres de malice et les ministères d'iniquité sont divisés et partagés entre ces esprits, en sorte, que ces divers offices, par lesquels ils exercent différemment leur méchanceté sur les hommes, doivent être signifiés et représentés par les divers noms et par les différentes propriétés de ces bêtes? L'un par l'aspic, l'autre par le basilic; celui-ci par le lion, celui-là par le dragon, parce que chacun d'eux nuit à sa manière par des mesures cruelles; l'autre par de simples regards, celui-ci en renaissant et en frappant, celui-là, par son souffle de son haleine. Nous lisons dans l'Evangile, qu'il y a un certain genre de démons, qu'on ne saurait chasser que par la prière et le jeûne (Matt. XVI, 20). Les apôtres n'avaient aucune paissance, par leurs paroles, sur ces sortes de démons. N'étaient-ce pas des aspics (Psal. LVII, 5); car il y est dit dans un psaume que ce serpent est sourd, et qu'il bouche ses oreilles pour ne pas
a Ce passage nous fait connaître que ce sermon a été prononcé peu de temps après la fête de saint Benoît, dont saint Grégoire rapporte ce trait dans son livre II, des Dialogues, chapitre 35.
entendre la vois de l'enchanteur? Voulez-vous marcher en sûreté, après votre mort sur les aspics ? Prenez garde, durant cette vie, de ne point marcher après eux. Ne les imitez pas, vous n'aurez point sujet de les craindre plus tard. 3. Il y a des vices particuliers sur lesquels, je pense, dominent ces sortes de démons; je crois que ces vices sont ce mouvement circulaire dont je vous ai parlé hier, en vous disant de vous en garder soigneusement, et cette obstination contre laquelle je vous ai prémunis avant-hier; je suis bien aise de vous en parler encore, et toutes les fois que les occasions s'en présenteront, je ne négligerai point de vous suggérer: tous les moyens en mon pouvoir de fuir cette peste pernicieuse de lâme et de, vous en garantir. On peut dire, en un mot, que cette obstination est la ruine de toute religion : c'est véritablement comme parle Moïse, « un venin d'aspic incurable (Deut. XXXII, 33). » On dit que l'aspic appuie une de ses oreilles le plus fort qu'i! peut contre la terre, et bouche l'autre avec sa queue, afin de ne point entendre les paroles de l'enchanteur. Que peut donc sur lui, la voix des enchanteurs Évangéliques ? Que peut la parole de ceux qui lui annoncent les vérités chrétiennes ? Que ferai-je donc pour gagner un aspic comme celui-là? Je me mettrai en prière pour lui, pour lui, j'humilierai mon âme, par le jeûne. Je me baptiserai pour ce mort, par l'épanchement abondant de rues larmes, quand je verrai que les enchantements humains les plus sages, et les avis les plus convenables auront échoué contre son obstination. Que l'homme indocile et opiniâtre considère que ce n'est pas vers le ciel qu'il élève sa tète ; mais que c'est. sur la terre qu'il la tient attachée, puisque la sagessse qui vient du ciel non-seulement est modeste, mais rie produit dans le coeur que paix , et docilité; leur prudence est celle des aspics; elle est terrestre et animale. Mais cet aspic ne serait pas sourd comme il l'est, s'il ne bouchait encore une de ses oreilles avec sa queue. Or, que signifie cette queue ? C'est la fin à laquelle on se propose d'arriver. La surdité d'un homme qui se tient comme serré contre terre, c'est-à-dire qui s'attache à sa propre volonté; et qui comme l'aspic replie sa queue pour se boucher une oreille, c'est-à-dire, forme dans son esprit quelque dessein et met dans son coeur un objet qu'il désire d'obtenir, est une surdité désespérée. Je vous en conjure donc, mes frères, ne bouchez point vos oreilles, n'endurcissez jamais vos coeurs. Car c'est cet endurcissement et cette surdité volontaire qui fait sortir de la bouche d'un homme opiniâtre tant de paroles injurieuses et amères, parce que, en cet état, il est inaccessible et impénétrable à tous les témoignages de bienveillance qu'on lui peut donner, en lavertissant de son devoir. C'est parce qu'il s'est endurci avec tant de soin contre la voix du saint enchanteur de son âme, que sa langue, semblable à un dard, demeure toujours pleine du venin de l'aspic. 4. Quant ait basilic, ou dit qu'il porte son venin dans les yeux; c'est l'animal le plus méchant et le plus à craindre. Voulez-vous savoir ce que c'est qu'un oeil envenimé, un oeil méchant, un oeil capable d'empoisonner et de tuer par ses regards? Représentez-vous ce que c'est que l'envie. Qu'est-ce qu'envier, sinon regarder avec un oeil mauvais? Si le démon n'avait point été un basilic, jamais la mort ne serait entrée sur la terre par l'envie de cet ennemi? Malheur à l'homme de n'avoir point prévu la méchanceté de cet envieux! Garantissons- nous, pendant que nous sommes sur la terre; des atteintes du vice odieux de l'envie, si nous voulons, après notre mort, n'avoir pas à craindre qu'il exerce contre nous sa haine. détestable. Que personne de nous ne regarde jamais le bien qui est dans son prochain avec des yeux d'envie; car le regarder de cette sorte, c'est (autant qu'on en a le pouvoir) l'infecter et le corrompre, et en quelque façon le détruire. La vérité même nous dit que celui qui hait un homme est un homicide ( I Joan. III, 15). Que dirons-nous, de celui qui hait le bien qui se rencontre dans son prochain? Ne peut-on point avec plus de raison encore le traiter d'homicide? A la vérité, la personne qui est l'objet de son envie est encore vivante, mais l'envieux ne laisse pas d'être coupable de sa mort, par la mauvaise disposition de son coeur. Le feu que Notre Seigneur Jésus-Christ est. venu apporter sur la terre est encore, allumé; et l'homme qui est plein d'envie contre soit frère mérite autant d'être condamné, que s'il éteignait ce feu de la charité du Sauveur du monde. 5. Redoutez aussi les atteintes du dragon. C'est une bête cruelle. Son souffle brillant tue tout ce qu'il touche. Non-seulement il fait mourir les bêtes de la terre, mais encore les oiseaux du ciel. Pour moi, ce dragon n'est autre chose que la passion de la colère. Combien, au souffle de ce monstre,, et brûlés misérablement par son haleine, sont tombés d'hommes dont la vie semblait si élevée, et dont la chute a été honteuse. Combien auraient-ils mieux fait de se fâcher contre eux-mêmes pour ne point pécher! A la vérité, la colère est une passion naturelle aux hommes : mais ceux qui abusent des biens de la nature seront sévèrement punis, et périront misérablement. Prévenons cette passion, mes frères, dans les rencontres où il nous est important de la prévenir, de crainte qu'elle ne nous emporte à des actions inutiles, et défendons, comme on a coutume de réprimer, l'amour par l'amour et la crainte par une autre crainte. « Ne craignez point ceux qui font mourir le corps, dit Notre-Seigneur, et qui n'ont aucun pouvoir de nuire à vos âmes. » Et, continue-t-il aussitôt : « Je vais vous indiquer qui vous devez craindre. Craignez celui qui a la puissance de jeter vos âmes dans les tourments éternels. Je voua le répète, c'est celui-là que vous devez craindre. (Luc. XII, 4). » Comme si Notre Sauveur avait voulu dire par ces paroles : Craignez celui-là pour ne point craindre les autres. Que l'esprit de la crainte du Seigneur vous remplisse : et une crainte étrangère et illégitime n'aura point de place dans vos coeurs. Je vous le dis donc, aussi, avec assurance, ou plutôt ce n'est pas moi, c'est la vérité même, c'est le Seigneur qui vous le dit : Ne vous mettez point en colère contre ceux qui vous ôtent les biens passagers; qui vous couvrent d'outrages; qui, peut-être; vous font souffrir mille maux, et qui ne peuvent plus, après cela, rien faire contre vous. Je vais vous montrer contre qui vous devez exercer votre colère. Mettez-vous en colère contre une chose qui seule est capable de vous nuire, et de faire que tout ce que vous souffrez ne vous profite en aucune sorte. Voulez-vous savoir de quelle chose je parle? C'est de votre propre iniquité ; car nulle adversité ne vous pourra nuire si nulle iniquité ne domine en vous. Celui qui ressent une sainte colère contre cet ennemi, embrasse les épreuves au lieu d'en être troublé. « Je suis préparé, dit le Prophète, à tous les fléaux qui me peuvent arriver. (Psal. XXXVII, 18).» Dommages, injures, blessures mêmes, je suis préparé à tout souffrir, je n'en suis nullement troublé, parce que la douleur de mes péchés m'est constamment présente. Pourquoi ne mépriserai-je pas toutes les affections extérieures, en comparaison de cette douleur intérieure de mon âme? « Pendant que mon propre fils me persécute, dit le roi Prophète, me fâcherai-je contre un serviteur qui me dit des injures ( II Reg. XLI, 11)? » Quand je me vois abandonné par mon propre coeur, privé de toute vertu et de la lumière qui éclairait mes yeux, pleurerai-je quelques pertes temporelles et m'inquiéterai-je des incommodités qui ne regardent que le corps? 6. Quand on est dans cette disposition, non-seulement on s'établit dans une patience et une douceur à laquelle le souffle du dragon ne saurait nuire, mais il se forme encore dans le coeur une magnanimité que les rugissements du lion ne sauraient épouvanter. Notre adversaire, dit saint Pierre, est comme un lion rugissant. (I Petr. V, 8). Grâce au lion victorieux et divin de la tribu de Juda, ce lion rugissant et furieux. ne nous saurait dévorer. Il ne peut nous faire de mal quand il ne cesserait de rugir. Qu'il rugisse donc tant qu'il voudra, les brebis de Jésus-Christ n'ont qu'à ne point fuir, et à demeurer fermes. Que de menaces ne fait-il point? Que de périls et de maux n'accumule-t-il point, afin de nous épouvanter? Mais n'imitons pas les bêtes fauves, et que ce rugissement, qui n'est qu'un vain bruit, ne puisse jamais nous abattre. Car ceux qui ont examiné ces choses avec beaucoup de soin rapportent que nulle bête n'est assez hardie pour demeurer ferme quand elle entend le rugissement du lion, pas même celles qui résistent avec le plus de force et de courage contre ses attaques, et qu'il arrive souvent qu'une bête qui ne peut résister au rugissement du lion ne laisserait pas de le :vaincre lorsqu'elle en est attaquée. C'est ressembler à ces bêtes, c'est être privé de raison que d'être assez privé de courage, et assez faible pour se laisser vaincre par la seule crainte, et de se laisser tellement abattre par la seule pensée d'une peine qui n'est pas encore arrivée, que d'être vaincu avant de combattre, non par les coups de l'ennemi, mais par le seul bruit de la trompette. «Vous n'avez pas encore résisté jusques au sang, disait ce chef si généreux qui! connaissait combien était vain le rugissement de ce lion (Hebr. XII, 4). » Et un autre apôtre nous dit : « Résistez au diable, et il s'enfuira loin de vous. (Jacob. V, 7). »
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