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CINQUIÈME PARTIE DE LINTRODUCTIONCONTENANT DES EXERCICES ET AVIS POUR RENOUVELER LAME ET LA CONFIRMER EN LA DÉVOTION
QUIL FAUT CHAQUE ANNÉE RENOUVELER LES BONS PROPOS PAR LES EXERCICES SUIVANTS
DE LEXAMEN DE NOTRE AME SUR SON AVANCEMENT EN LA VIE DÉVOTE
EXAMEN DE LÉTAT DE NOTRE AME ENVERS DIEU
EXAMEN DE NOTRE ÉTAT ENVERS NOUS-MÊMES
EXAMEN DE LÉTAT DE NOTRE AME ENVERS LE PROCHAIN
EXAMEN SUR LES AFFECTIONS DE NOTRE AME
AFFECTIONS QUIL FAUT FAIRE APRÈS LEXAMEN
DES CONSIDÉRATIONS PROPRES POUR RENOUVELER NOS BONS PROPOS
CONSIDÉRATION PREMIÈRE : DE LEXCELLENCE DE NOS AMES
SECONDE CONSIDÉRATION : DE LEXCELLENCE DES VERTUS
TROISIÈME CONSIDÉRATION : SUR LEXEMPLE DES SAINTS
QUATRIÈME CONSIDÉRATION: DE LAMOUR QUE JÉSUS-CHRIST NOUS PORTE
CINQUIÈME CONSIDÉRATION : DE LAMOUR ÉTERNEL DE DIEU ENVERS NOUS
AFFECTIONS GÉNÉRALES SUR LES CONSIDÉRATIONS PRÉCÉDENTES, ET CONCLUSION DE LEXERCICE
DES RESSENTIMENTS QUIL FAUT GARDER APRÈS CET EXERCICE
RÉPONSE A DEUX OBJECTIONS QUI PEUVENT ÊTRE FAITES SUR CETTE INTRODUCTION
TROIS DERNIERS ET PRINCIPAUX AVIS POUR CETTE INTRODUCTION
CHAPITRE IQUIL FAUT CHAQUE ANNÉE RENOUVELER LES BONS PROPOS PAR LES EXERCICES SUIVANTS
Le premier point de ces exercices consiste à bien reconnaître leur importance. Notre nature humaine déchoit aisément de ses bonnes affections, à cause de la fragilité et mauvaise inclination de notre chair, qui appesantit lâme et la. tire toujours contre-bas, si elle ne sélève souvent en haut à vive force de résolution: ainsi que les oiseaux retombent soudain en terre, sils ne multiplient les élancements et traits dailes, pour se maintenir au vol. Pour cela, chère Philothée, vous avez besoin de réitérer et répéter fort souvent les bons propos, que vous avez faits de servir Dieu, de peur que, ne le faisant pas, vous ne retombiez en votre premier état, ou plutôt en un état beaucoup pire; car les chutes spirituelles ont cela de propre, quelles nous précipitent toujours plus bas que nétait létat, duquel nous étions montés en haut à la dévotion. Il ny a point dhorloge, pour bonne quelle soit, quil ne f aille remonter ou bander deux fois le jour, au matin et au soir; et puis, outre cela, il faut quau moins une fois lannée, lon la démonte de toutes pièces, pour ôter les rouillures quelle aura contractées, redresser les pièces forcées et réparer celles qui sont usées. Ainsi celui qui a un vrai soin de son cher coeur, doit le remonter en Dieu au soir et au matin, par les exercices marqués ci-dessus; et outre cela, il doit plusieurs fois considérer son état, le redresser et accommoder; et enfin, au moins une fois lannée, il le doit démonter, et regarder par le menu toutes les pièces, cest-à-dire toutes les affections et passions dicelui, afin de réparer tous les défauts qui y peuvent être. Et comme lhorloger oint avec quelque huile délicate les roues, les ressorts et tous les mouvants de son horloge, afin que les mouvements se fassent plus doucement et quil soit moins sujet à la rouillure, ainsi la personne dévote, après la pratique de ce démontement de son coeur, pour le bien renouveler, le doit oindre par les sacrements de confession et de leucharistie. Cet exercice réparera vos forces abattues par le temps, échauffera votre coeur, fera reverdir vos bons propos et refleurir les vertus de votre esprit.
Les anciens chrétiens le pratiquaient soigneusement au jour anniversaire du baptême de Notre Seigneur, auquel, comme dit saint Grégoire, évêque de Nazianze, ils renouvelaient la profession et les protestations qui se font en ce sacrement faisons-en de même, ma chère Philothée, nous y disposant très volontiers, et nous y employant fort sérieusement.
Ayant donc choisi le temps convenable, selon lavis de votre père spirituel, et vous étant un peu plus retirée en la solitude, et spirituelle et réelle, que lordinaire, vous ferez une ou deux ou trois méditations sur les points suivants, selon la méthode que je vous ai donnée en la seconde Partie.
CHAPITRE IICONSIDÉRATION SUR LE BÉNÉFICE QUE DIEU NOUS FAIT NOUS APPELANT A SON SERVICE SELON LA PROTESTATION MISE CI-DESSUS
1. Considérez les points de votre protestation. Le premier, cest davoir quitté, rejeté, détesté, renoncé pour jamais tout péché mortel; le second, cest davoir dédié et consacré votre âme, votre coeur, votre corps, avec tout ce qui en dépend, à lamour et service de Dieu; le troisième, cest que sil vous arrivait de tomber en quelque mauvaise action, vous vous en relèveriez soudainement, moyennant la grâce de Dieu. Mais ne sont-ce pas là des belles, justes et dignes et généreuses résolutions? Pensez bien en votre âme, combien cette protestation est sainte, raisonnable et désirable.
2. Considérez à qui vous avez fait cette protestation; car cest à Dieu. Si les paroles raisonnables données aux hommes nous obligent étroitement, combien plus celles que nous avons données à Dieu: « Ah! Seigneur, disait David, cest à vous à qui mon coeur la dit; mon coeur a projeté cette bonne parole ; non, jamais je ne loublierai. »
3. Considérez en présence de qui, car ça été à la vue de toute la cour céleste: hélas I la Sainte Vierge, saint Joseph, votre bon ange, saint Louis, toute cette bénite troupe vous regardait, et soupirait sur vos paroles des soupirs de joie et dapprobation, et voyait des yeux dun amour indicible votre coeur prosterné aux pieds du Sauveur, qui se consacrait à son service. On fit une joie particulière pour cela parmi la Jérusalem céleste; et maintenant on en fera la commémoration, si de bon coeur vous renouvelez vos résolutions.
4. Considérez par quels moyens vous fîtes votre protestation. Hélas! combien Dieu vous fut doux et gracieux en ce temps-là! Mais dites en vérité, fûtes-vous pas conviée par des doux attraits du Saint-Esprit ? Les cordes avec lesquelles Dieu tira votre petite barque à ce port salutaire, furent-elles pas damour et charité? Comme vous alla-t-il amorçant avec son sucre divin, par les sacrements, par la lecture, par loraison ? Hélas! chère Philothée, vous dormiez, et Dieu veillait sur vous et pensait sur votre coeur des pensées de paix, il méditait pour vous des méditations damour.
5. Considérez en quel temps Dieu vous tira à ces grandes résolutions, car ce fut en la fleur de votre âge. Ah! quel bonheur dapprendre tôt, ce que nous ne pouvons savoir que trop tard! Saint Augustin, ayant été tiré à lâge de trente ans, sécriait : « O ancienne Beauté, comme tai-je si tard connue? Hélas! je te voyais et ne te considérais point. » Et vous pourrez bien dire: « O douceur ancienne, pourquoi ne tai-je plutôt savourée ?» Hélas! néanmoins, encore ne le méritiez-vous pas alors; et partant, reconnaissant quelle grâce Dieu vous a faite, de vous attirer en votre jeunesse, dites avec David: « O mon Dieu, vous mavez éclairée et touchée dès ma jeunesse, et jusques à jamais jannoncerai votre miséricorde. » Que si ça été en votre vieillesse, hélas! Philothée, quelle grâce, quaprès avoir ains abusé des années précédentes, Dieu vous ait appelée avant la mort, et quil ait arrêté la course de votre misère au temps actuel, si elle eût continué, vous étiez éternellement misérable !
Considérez les effets de cette vocation: vous trouverez, je pense, en vous de bons changements, comparant ce que vous êtes avec ce que vous étiez. Ne prenez-vous point à bonheur de savoir parler à Dieu par loraison, davoir affection à le vouloir aimer, davoir accoisé et pacifié beaucoup de passions qui vous inquiétaient, davoir évité plusieurs péchés et embarrassements de conscience, et enfin, davoir si souvent communié de plus que vous neussiez pas fait, vous unissant à cette souveraine source de grâces éternelles ? Ah! que ces grâces sont grandes! il faut, ma Philothée, les peser au poids du sanctuaire. Cest la main dextre de Dieu qui a fait tout cela. « La bonne main de Dieu, dit David, a fait vertu ; sa dextre ma relevé. Ah ! je ne mourrai pas, mais je vivrai et raconterai de coeur, de bouche et par oeuvre les merveilles de sa bonté.
Après toutes ces considérations, lesquelles, comme vous voyez, fournissent tout plein de bonnes affections, il faut simplement conclure par action de grâce et une prière affectionnée den bien profiter, se retirant avec humilité et grande confiance en Dieu, réservant de faire leffort des résolutions près le deuxième point de cet exercice.
CHAPITRE IIIDE LEXAMEN DE NOTRE AME SUR SON AVANCEMENT EN LA VIE DÉVOTE
Ce second point de lexercice est un peu long; et, pour le pratiquer, je vous dirai quil nest pas requis que vous le fassiez tout dune traite, mais à plusieurs fois, comme prenant ce qui regarde votre déportement envers Dieu pour un coup, ce qui vous regarde vous-même pour lautre, ce qui concerne le prochain pour lautre, et la considération des passions pour le quatrième. Il nest pas requis ni expédient que vous fassiez à genoux, sinon le commencement et la fin qui comprend les affections. Les autres points de lexamen, vous les pouvez faire utilement en vous promenant, et encore plus utilement au lit, si par aventure vous y pouvez être quelque temps. sans assoupissement et bien éveillée; mais pour ce faire, il les faut avoir bien lus auparavant. Il est néanmoins requis de faire tout ce second point en trois j ours et deux nuits pour le plus, prenant de chaque jour et de chaque nuit quelque heure, je veux dire quelque temps, selon que vous pourrez; car si cet exercice ne se faisait quen des temps fort distants les uns des autres, il perdrait sa force et donnerait des impressions trop lâches. Après chaque point de lexamen, vous remarquerez en quoi vous vous trouvez avoir manqué et en quoi vous avez du défaut, et quels principaux détraquements vous avez ressentis, afin de vous en déclarer pour prendre conseil, résolution et confortement desprit. Bien quès jours que vous ferez cet exercice et les autres, il ne soit pas requis de faire une absolue retraite des conversations, si faut-il en faire un peu, surtout devers le soir, afin que vous puissiez gagner le lit de meilleure heure et prendre le repos de corps et desprit, nécessaire à la considération. Et parmi le jour il faut faire des fréquentes aspirations en Dieu, à Notre Dame, aux anges, à toute la Jérusalem céleste; il faut encore que tout se fasse dun coeur amoureux de Dieu et de la perfection de votre âme.
Pour donc bien commencer cet examen: 1. Mettez-vous en la présence de Dieu. 2. Invoquez le Saint-Esprit, lui demandant lumière et clarté, afin que vous vous puissiez bien connaître, avec saint Augustin qui sécriait devant Dieu en esprit dhumilité: « O Seigneur, que je vous connaisse et que je me connaisse »; et saint François qui interrogeait Dieu, disant: « Qui êtes-vous et qui suis-je « ? Protestez de ne vouloir remarquer votre avancement pour vous en réjouir en vous-même, mais pour vous réjouir en Dieu, ni pour vous en glorifier, mais pour glorifier Dieu et len remercier. 3.Protestez que si, comme vous pensez, vous découvrez davoir peu profité, ou bien davoir reculé, vous ne voulez nullement pour tout cela vous abattre ni refroidir par aucune sorte de découragement ou relâchement de coeur, ains quau contraire vous voulez vous encourager et animer davantage, vous humilier et remédier aux défauts, moyennant la grâce de Dieu.
Cela fait, considérez doucement et tranquillement comme jusques à lheure présente vous vous êtes comportée envers Dieu, envers le prochain et à lendroit de vous-même.
CHAPITRE IVEXAMEN DE LÉTAT DE NOTRE AME ENVERS DIEU
1. Quel est votre coeur contre le péché mortel ? Avez-vous une résolution forte à ne le jamais commettre, pour quelque chose qui puisse arriver ? et cette résolution a-t-elle duré dès votre protestation jusques à présent ? En cette résolution consiste le fondement de la vie spirituelle.
2. Quel est votre coeur à lendroit des commandements de Dieu ? Les trouvez-vous bons, doux, agréa. bles? Ah! ma fille, qui a le goût en bon état et lestomac sain, il aime les bonnes viandes et rejette les mauvaises.
3. Quel est votre coeur à lendroit des péchés véniels ? On ne saurait se garder den faire quelquun par-ci par-là; mais y en a-t-il point auquel vous ayez une spéciale inclination ? et, ce qui serait pis, y en a-t-il point auquel vous ayez affection et amour?
4. Quel est votre coeur à lendroit des exercices spirituels? Les aimez-vous? Les estimez-vous? Vous fâchent-ils point ? En êtes-vous point dégoûtée ? Auquel vous sentez-vous moins ou plus inclinée? Ouïr la parole de Dieu, la lire, en deviser, méditer, aspirer en Dieu, se confesser, prendre les avis spirituels, sapprêter à la communion, se communier, restreindre ses affections : quy a-t-il en cela qui répugne à votre coeur ? Et si vous trouvez quelque chose à quoi ce coeur ait moins dinclination, examinez doù vient ce dégoût, quest-ce qui en est la cause.
5. Quel est votre coeur à lendroit de Dieu même? Votre coeur se plaît-il à se ressouvenir de Dieu ? En ressent-il point de douceur agréable? Ah! dit David, je me suis ressouvenu de Dieu et men suis délecté. » Sentez-vous en votre coeur une certaine facilité à laimer et un goût particulier à savourer cet amour ? Votre coeur se récrée-t-il point à penser à limmensité de Dieu, à sa bonté, à sa suavité? Si le souvenir de Dieu vous arrive emmi les occupations du monde et les vanités, se fait-il point faire place, saisit-il point votre coeur ? vous semble-t-il point que votre coeur se tourne de son côté, et en certaine façon lui va au-devant ? Il y a certes des âmes comme cela. Si le mari dune femme revient de loin, tout aussitôt que cette femme saperçoit de son retour et quelle sent sa voix, quoiquelle soit embarrassée daffaires et retenue par quelque violente considération emmi la presse, si est-ce que son coeur nest pas retenu, mais abandonne les autres pensées pour penser à ce mari venu. Il en prend de même des âmes qui aiment bien Dieu; quoiquelles soient empressées, quand le souvenir de Dieu sapproche delles, elles perdent presque contenance à tout le reste, pour laise quelles ont de voir ce cher souvenir revenu, et cest un extrêmement bon signe.
6. Quel est votre coeur à lendroit de Jésus-Christ, Dieu et homme ? Vous plaisez-vous autour de lui? Les mouches à miel se plaisent autour de leur miel, et les guêpes autour des puanteurs: ainsi les bonnes âmes prennent leur contentement autour de Jésus-Christ et ont une extrême tendreté damour en son endroit; mais les mauvais se plaisent autour des vanités.
7. Quel est votre coeur à lendroit de Notre Dame, des saints, de votre bon ange ? Les aimez-vous fort? avez-vous une spéciale confiance en leur bienveillance ? Leurs images, leurs vies, leurs louanges vous plaisent-elles ?
8. Quant à votre langue, comme parlez-vous de Dieu ? Vous plaisez-vous den dire du bien selon votre condition et suffisance? Aimez-vous à chanter les cantiques ?
9. Quant aux oeuvres, pensez si vous avez à coeur la gloire extérieure de Dieu et de faire quelque chose à son honneur; car ceux qui aiment Dieu, aiment avec Dieu, lornement de sa maison.
Sauriez-vous remarquer davoir quitté quelque affection et renoncé à quelque chose pour Dieu ? car cest un bon signe damour, de se priver de quelque chose en faveur de celui quon aime. Quavez-vous donc ci-devant quitté pour lamour de Dieu?
CHAPITRE VEXAMEN DE NOTRE ÉTAT ENVERS NOUS-MÊMES
1. Comme vous aimez-vous vous-même? vous aimez-vous point trop pour ce monde ? Si cela est, vous désirerez de demeurer toujours ici, et aurez un extrême soin de vous établir en cette terre ; mais si vous vous aimez pour le ciel, vous désirerez, au moins acquiescerez aisément de sortir dici-bas, à lheure quil plaira à Notre Seigneur.
2. Tenez-vous bon ordre en lamour de vous-même? car il ny a que lamour désordonné de nous-mêmes qui nous ruine. Or, lamour ordonné veut que nous aimions plus lâme que le corps, que nous ayons plus de soin dacquérir les vertus que toute autre chose, que nous tenions plus de compte de lhonneur céleste que de lhonneur bas et caduc. Le coeur bien ordonné dit plus souvent en soi-même: « Que diront les anges si je pense à telle chose? »que non pas: « Que diront les hommes? »
3. Quel amour avez-vous à votre coeur ? vous fâchez-vous point de le servir en ses maladies ? Hélas! vous lui devez ce soin, de le secourir et faire secourir quand ses passions le tourmentent, et laisser toutes choses pour cela.
4. Que vous estimez-vous devant Dieu ? rien sans doute. Or, il ny a pas grande humilité en une mouche de ne sestimer rien au prix dune montagne, ni en une goutte deau de se tenir pour rien en comparaison de la mer, ni à une bluette ou étincelle de feu de se tenir pour rien au prix du soleil; mais lhumilité gît à ne point nous surestimer aux autres et à ne vouloir pas être surestimé par les autres à quoi en êtes-vous pour ce regard?
5. Quant à la langue, vous vantez-vous point ou dun biais ou dun autre ? vous flattez-vous point en parlant de vous?
Quant aux oeuvres, prenez-vous point de plaisir contraire à votre santé? je veux dire, de plaisir vain, inutile, trop de veillées sans sujet, et semblables.
CHAPITRE VIEXAMEN DE LÉTAT DE NOTRE AME ENVERS LE PROCHAIN
Il faut bien aimer le mari et la femme dun amour doux et tranquille, ferme et continuel, et que ce soit en premier lieu parce que Dieu lordonne et le veut. Jen dis de même des enfants et proches parents, et encore des amis, chacun selon son rang.
Mais, pour parler en général, quel est votre coeur à lendroit du prochain ? Laimez-vous bien cordialement et pour lamour de Dieu ? Pour bien discerner cela, il vous faut bien représenter certaines gens ennuyeux et maussades; car cest là où on exerce lamour de Dieu envers le prochain, et beaucoup plus envers ceux qui nous font du mal, ou par effet ou par paroles. Examinez bien si votre coeur est franc en leur endroit, et si vous avez grande contradiction à les aimer.
Etes-vous point prompte à parler du prochain en mauvaise part, surtout de ceux qui ne vous aiment pas ? Faites-vous point de mal au prochain ou directement ou indirectement ? Pour peu que vous soyez raisonnable, vous vous en apercevrez aisément.
CHAPITRE VIIEXAMEN SUR LES AFFECTIONS DE NOTRE AME
Jai étendu ainsi au long ces points, en lexamen desquels gît la connaissance de lavancement spirituel quon a fait; car quant à lexamen des péchés, cela est pour les confessions de ceux qui ne pensent point à savancer.
Or il ne faut néanmoins pas se travailler sur un chacun de ces articles sinon tout doucement, considérant en quel état notre coeur a été touchant iceux dès notre résolution, et quelles fautes notables nous y avons commises.
Mais pour abréger le tout, il faut réduire lexamen à la recherche de nos passions; et sil nous fâche de considérer si fort le menu comme il a été dit, nous pouvons ainsi nous examiner, quels nous avons été et comme nous nous sommes comportés:
En notre amour envers Dieu, envers le prochain, envers nous-mêmes.
En notre haine envers le péché qui se trouve en nous, envers le péché qui se trouve ès autres; car nous devons désirer lexterminement de lun et de lautre.
En nos désirs, touchant les biens, touchant les plaisirs, touchant les honneurs.
En la crainte des dangers de pécher et des pertes des biens de ce monde: on craint trop lun, et trop peu lautre.
En lespérance, trop mise peut-être au monde et en la créature, et trop peu mise en Dieu et ès choses éternelles.
En la tristesse, si elle est trop excessive, pour choses vaines.
En la joie, si elle est excessive et pour choses indignes.
Quelles affections enfin tiennent notre coeur empêché ? quelles passions le possèdent ? en quoi sest-il principalement détraqué? Car par les passions de lâme, on reconnaît son état en les tâtant lune après lautre : dautant que, comme un joueur de luth pinçant toutes les cordes, celles quil trouve dissonantes il les accorde, ou les tirant ou les lâchant, ains après avoir tâté lamour, la haine, le désir, la crainte, lespérance, la tristesse et la joie de notre âme, si nous les trouvons mal accordantes à lair que nous voulons sonner, qui est la gloire de Dieu, nous pourrons les accorder, moyennant sa grâce et le conseil de notre père spirituel.
CHAPITRE VIIIAFFECTIONS QUIL FAUT FAIRE APRÈS LEXAMEN
Après avoir doucement considéré chaque point de lexamen, et vu à quoi vous en êtes, vous viendrez aux affections en cette sorte.
Remerciez Dieu de ce peu damendement que vous aurez trouvé en votre vie dès votre résolution, et reconnaissez que ça été sa miséricorde seule qui la fait en vous et pour vous.
Humiliez-vous fort devant Dieu, reconnaissant que si vous navez pas beaucoup avancé, ça été par votre manquement, parce que vous navez pas fidèlement, courageusement et constamment correspondu aux inspirations, clartés et mouvements quil vous a donnés en loraison et ailleurs.
Promettez-lui de le louer à jamais des grâces exercées en votre endroit, pour vous retirer de vos inclinations à ce petit amendement.
Demandez-lui pardon de linfidélité et déloyauté avec laquelle vous avez correspondu.
Offrez-lui votre coeur afin quil sen rende du tout maître.
Suppliez-le quil vous rende toute fidèle.
Invoquez les saints, la Sainte Vierge, votre Ange, votre Patron, saint Joseph, et ainsi des autres.
CHAPITRE IXDES CONSIDÉRATIONS PROPRES POUR RENOUVELER NOS BONS PROPOS
Après avoir fait lexamen, et avoir bien conféré avec quelque digne conducteur sur les défauts et sur les remèdes diceux, vous prendrez les considérations suivantes, en faisant une chaque jour par manière de méditation; y employant le temps de votre oraison, et ce toujours avec la même méthode, pour la préparation et les affections, de laquelle vous avez usé ès méditations de la première Partie; vous mettant avant toutes choses en la présence de Dieu; implorant sa grâce pour vous bien établir en son saint amour et service.
CHAPITRE XCONSIDÉRATION PREMIÈRE : DE LEXCELLENCE DE NOS AMES
Considérez la noblesse et excellence de votre âme, qui a un entendement, lequel connaît non seulement tout ce monde visible, mais connaît encore quil y a des anges et un paradis ; connaît quil y a un Dieu très souverain, très bon et ineffable; connaît quil y a une éternité, et de plus connaît ce qui est propre pour bien vivre en ce monde visible, pour sassocier aux anges en paradis et pour jouir de Dieu éternellement.
Votre âme a de plus une volonté toute noble, laquelle peut aimer Dieu et ne le peut haïr en soi-même. Voyez votre coeur comme il est généreux, et que, comme rien ne peut arrêter les abeilles de tout ce qui est corrompu, ains sarrêtent seulement sur les fleurs, ains votre coeur ne peut être en repos quen Dieu seul, et nulle créature ne le peut assouvir. Repensez hardiment aux plus chers et violents amusements qui ont occupé autrefois votre coeur, et jugez en vérité sils nétaient pas pleins dinquiétude moleste et de pensées cuisantes et de soucis importuns, emmi lesquels votre pauvre coeur était misérable.
Hélas ! notre coeur courant aux créatures, il y va avec des empressements, pensant de pouvoir y accoiser ses désirs ; mais sitôt quil les a rencontrées, il voit que cest à refaire et que rien ne peut le contenter, Dieu ne voulant que notre coeur trouve aucun lieu sur lequel il puisse reposer, non plus que la colombe sortie de larche de Noé, afin quil retourne à son Dieu duquel il est sorti. Ah! quelle beauté de nature y a-t-il en notre coeur ! et donc pourquoi le retiendrons-nous contre son gré à servir aux créatures?
O ma belle âme, devez-vous dire, vous pouvez entendre et vouloir Dieu, pourquoi vous amuserez-vous à chose moindre ? vous pouvez prétendre à léternité, pourquoi vous amuserez-vous aux moments ? Ce fut lun des regrets de lenfant prodigue, quayant pu vivre délicieusement en la table de son père, il mangeait vilainement en celle des bêtes. O mon âme, tu es capable de Dieu, malheur à toi si tu te contentes de moins que de Dieu! Elevez fort votre âme sur cette considération; remontrez-lui quelle est éternelle et digne de léternité; enflez-lui le courage pour ce sujet.
CHAPITRE XISECONDE CONSIDÉRATION : DE LEXCELLENCE DES VERTUS
Considérez que les vertus et la dévotion peuvent seules rendre votre âme contente en ce monde; voyez combien elles sont belles. Mettez en comparaison les vertus, et les vices qui leur sont contraires: quelle suavité en la patience au prix de la vengeance; de la douceur, au prix de lire et du chagrin; de lhumilité, au prix de larrogance et ambition ; de la libéralité, au prix de lavarice; de la charité, au prix de lenvie; de la sobriété, au prix des désordres! Les vertus ont cela dadmirable, quelles délectent lâme dune douceur et suavité non pareille après quon les a exercées, où les vices la laissent infiniment recrue et malmenée. Or sus donc, pourquoi nentreprendrons-nous pas dacquérir ces suavités? Des vices, qui nen a quun peu nest pas content, et qui en a beaucoup est mécontent ; mais des vertus, qui nen a quun peu, encore a-t-il déjà du contentement, et puis toujours plus en avançant. O vie dévote, que vous êtes belle, douce, agréable et souève : vous adoucissez les tribulations et rendez souèves les consolations ; sans vous le bien est mal, et les plaisirs pleins dinquiétude, troubles et défaillances. Ah ! qui vous connaîtrait, pourrait bien dire avec la Samaritaine: « Domine, da mihi hanc aquam: Seigneur, donnez-moi cette eau »; aspiration fort fréquente à la Mère Thérèse et à Sainte Catherine de Gênes, quoique pour différents sujets.
CHAPITRE XIITROISIÈME CONSIDÉRATION : SUR LEXEMPLE DES SAINTS
Considérez lexemple des saints de toutes sortes: quest-ce quils nont pas fait pour aimer Dieu et être ses dévots ? Voyez ces martyrs invincibles en en leurs résolutions : quels tourments nont-ils pas soufferts pour les maintenir ? Mais surtout, ces belles et florissantes dames, plus blanches que les lis en pureté, plus vermeilles que la rose en charité, les unes à douze, les autres à treize, quinze, vingt et vingt-cinq ans, ont souffert mille sortes de martyres, plutôt que de renoncer à leur résolution, non seulement en ce qui était de la profession de la foi, mais en ce qui était de la protestation de la dévotion : les unes mourant plutôt que de quitter la virginité, les autres plutôt que de cesser de servir les affligés, et consoler les tourmentés, et ensevelir les trépassés. O Dieu, quelle constance a montrée ce sexe fragile en semblables occurences!
Regardez tant de saints confesseurs: avec quelle force ont-ils méprisé le monde! comme se sont-ils rendus invincibles en leurs résolutions! rien ne les en a pu faire déprendre; ils les ont embrassées sans réserve et les ont maintenues sans exception. Mon Dieu, quest-ce que dit saint Augustin de sa mère Monique? Avec quelle fermeté a-t-elle poursuivi son entreprise de servir Dieu en son mariage, en son veuvage! Et saint Jérôme, de sa chère fille Paula? Parmi combien de traverses, parmi combien de variétés daccidents! Mais quest-ce que nous ne ferons pas sur des si excellents patrons ? Ils étaient ce que nous sommes; ils le faisaient pour le même Dieu, pour les mêmes vertus : pourquoi nen ferons-nous autant, en notre condition et selon notre vocation, pour notre chère résolution et sainte protestation?
CHAPITRE XIIIQUATRIÈME CONSIDÉRATION: DE LAMOUR QUE JÉSUS-CHRIST NOUS PORTE
Considérez lamour avec lequel Jésus-Christ Notre Seigneur a tant souffert en ce monde, et particulièrement au jardin des Olives et sur le mont de Calvaire : cet amour vous regardait, et par toutes ces peines et travaux obtenait de Dieu le Père des bonnes résolutions et protestations pour votre coeur, et par même moyen obtenait encore tout ce qui vous est nécessaire pour maintenir, nourrir, fortifier et consommer ces résolutions. O résolution, que vous êtes précieuse, étant fille dune telle mère comme est la Passion de mon Sauveur! Oh! combien mon âme vous doit chérir, puisque vous avez été si chère à mon Jésus! Hélas! o Sauveur de mon âme, vous mourûtes pour macquérir mes résolutions; eh! faites-moi la grâce que je meure plutôt que de les perdre.
Voyez-vous, ma Philothée, il est certain que le coeur de notre cher Jésus voyait le vôtre dès larbre de la Croix et laimait, et par cet amour lui obtenait tous les biens que vous aurez jamais, et entre autres nos résolutions; oui, chère Philothée, nous pouvons tous dire comme Jérémie : « Seigneur, avant que je fusse, vous me regardiez et mappeliez par mon nom »; dautant que vraiment sa divine Bonté prépara en son amour et miséricorde tous les moyens généraux et particuliers de notre salut, et par conséquent nos résolutions. Oui sans doute; comme une femme enceinte prépare le berceau, les linges et bandelettes, et même une nourrice pour lenfant quelle espère faire, encore quil ne soit pas au monde, ainsi Notre Seigneur ayant sa bonté grosse et enceinte de vous, prétendant de vous enfanter au salut et vous rendre sa fille, prépara sur larbre de la Croix tout ce quil fallait pour vous votre berceau spirituel, vos linges et bandelettes, votre nourrice et tout ce qui était convenable pour votre bonheur. Ce sont tous les moyens, tous les attraits, toutes les grâces avec lesquelles il conduit votre âme et la veut tirer à sa perfection.
Ah! mon Dieu, que nous devrions profondément mettre ceci en notre mémoire : est-il possible que j aie été aimée, et si doucement aimée de mon Sauveur, quil allât penser à moi en particulier, et en toutes ces petites occurrences par lesquelles il ma tirée à lui? Et combien donc devons-nous aimer, chérir et bien employer tout cela à notre utilité! Ceci est bien doux: ce coeur amiable de mon Dieu pensait en Philothée, laimait et lui procurait mille moyens de salut, autant comme sil neût point eu dautre âme au monde en qui il eût pensé, ainsi que le soleil éclairant un endroit de la terre ne léclaire pas moins que sil néclairait point ailleurs et quil éclairât cela seul; car tout de même notre Seigneur pensait et soignait pour tous ses chers enfants, en sorte quil pensait à un chacun de nous, comme sil neût point pensé à tout le reste. « Il ma aimé, dit saint Paul, et sest donné pour moi »; comme sil disait : pour moi seul, tout autant comme sil neût rien fait pour le reste. Ceci, Philothée, doit être gravé en votre âme, pour bien chérir et nourrir votre résolution, qui a été si précieuse au coeur du Sauveur.
CHAPITRE XIVCINQUIÈME CONSIDÉRATION : DE LAMOUR ÉTERNEL DE DIEU ENVERS NOUS
Considérez lamour éternel que Dieu vous a porté; car déjà avant que Notre Seigneur Jésus-Christ en tant quhomme souffrît en croix pour vous, sa divine Majesté vous projetait en sa souveraine bonté et vous aimait extrêmement. Mais quand commença-t-il à vous aimer? Il commença quand il commença à être Dieu. Et quand commença-t-il à être Dieu? Jamais, car il la toujours été sans commencement et sans fin; et aussi il vous a toujours aimée, dès léternité: cest pourquoi il vous préparait les grâces et faveurs quil vous a faites. Il le dit par le Prophète: « Je tai aimée (il parle à vous, aussi bien quà nul autre) dune charité perpétuelle; et partant je tai attirée, ayant pitié de toi. » Il a donc pensé, entre autres choses, à vous faire faire vos résolutions de le servir.
O Dieu, quelles résolutions sont-ce ci, que Dieu a pensées, méditées, projetées dès son éternité! Combien nous doivent-elles être chères et précieuses! Que devrions-nous souffrir plutôt que den quitter un seul brin ! Non pas certes si tout le monde devait périr; car aussi tout le monde ensemble ne vaut pas une âme; et une âme ne vaut rien sans nos résolutions.
CHAPITRE XVAFFECTIONS GÉNÉRALES SUR LES CONSIDÉRATIONS PRÉCÉDENTES, ET CONCLUSION DE LEXERCICE
O chères résolutions, vous êtes le bel arbre de vie que mon Dieu a planté de sa main au milieu de mon coeur, que mon Sauveur veut arroser de son sang pour le faire fructifier ; plutôt mille morts, que de permettre quaucun vent vous arrache. Non, ni la vanité, ni les délices, ni les richesses, ni les tribulations ne marracheront jamais mon dessein.
Hélas! Seigneur, mais vous lavez planté, et avez dans votre sein paternel gardé éternellement ce bel arbre pour mon jardin : hélas! combien y a-t-il dâmes qui nont point été favorisées de cette façon! Et comme donc pourrais-je jamais assez mhumilier sous votre miséricorde!
O belles et saintes résolutions, si je vous conserve, vous me conserverez; si vous vivez en mon âme, mon âme vivra en vous. Vivez donc à jamais, o résolutions, qui êtes éternelles en la miséricorde de mon Dieu; soyez et vivez éternellement en moi; que jamais je ne vous abandonne.
Après ces affections, il faut que vous particularisiez les moyens requis pour maintenir ces chères résolutions, et que vous protestiez de vous en vouloir fidèlement servir: la fréquence de loraison, des sacrements, des bonnes oeuvres, lamendement de vos fautes reconnues au second point, le retranchement des mauvaises occasions, la suite des avis qui vous seront donnés pour ce regard. Ce quétant fait, comme par une reprise dhaleine
et de force, protestez mille fois que vous continuerez en vos résolutions ; et comme si vous teniez votre coeur, votre âme et votre volonté en vos mains, dédiez-la, consacrez-la, sacrifiez-la et limmolez à Dieu, protestant que vous ne la reprendrez plus, mais la laisserez en la main de sa divine Majesté pour suivre en tout et partout ses ordonnances. Priez Dieu quil vous renouvelle toute, quil bénisse votre renouvellement de protestation et quil le fortifie ; invoquez la Vierge, votre Ange, saint Louis et autres saints.
Allez en cette émotion de coeur aux pieds de votre père sprituel; accusez-vous des fautes principales que vous aurez remarqué davoir commises dès votre confession générale, et recevez labsolution en la même façon que vous fîtes la première fois; prononcez devant lui la protestation et la signez, et enfin allez unir votre coeur renouvelé à son Principe et Sauveur, au très saint sacrement de lEucharistie.
CHAPITRE XVIDES RESSENTIMENTS QUIL FAUT GARDER APRÈS CET EXERCICE
Ce jour que vous aurez fait ce renouvellement et les autres suivants, vous devez fort souvent redire de coeur et de bouche ces ardentes paroles de saint Paul, de saint Augustin, de sainte Catherine de Gênes et autres: « Non, je ne suis plus mienne; ou que je vive ou que je meure, je suis à mon Sauveur; je nai plus de moi ni de mien : mon moi, cest Jésus; mon mien, cest dêtre sienne; o monde, vous êtes toujours vous-même, et moi jai toujours~ été moi-même, mais dorénavant je ne serai plus moi-même. »Non, nous ne serons plus nous-mêmes; car nous aurons le coeur changé, et le monde qui nous a tant trompés sera trompé en nous; car ne sapercevant pas de notre changement que petit à petit, il pensera que nous soyons toujours des Esaü, et nous nous trouverons des Jacob.
Il faut que tous ces exercices reposent dans le coeur, et que, nous ôtant de la considération et méditation, nous allions tout bellement entre les affaires et conversations, de peur que la liqueur de nos résolutions ne sépanche soudainement, car il faut quelle détrempe et pénètre bien par toutes les parties de lâme; le tout néanmoins sans effort ni desprit ni de corps.
CHAPITRE XVIIRÉPONSE A DEUX OBJECTIONS QUI PEUVENT ÊTRE FAITES SUR CETTE INTRODUCTION
Le monde vous dira, ma Philothée, que ces exercices et ces avis sont en si grand nombre, que qui voudra les observer, il ne faudra pas quil vaque à autre chose. Hélas! chère Philothée, quand nous ne ferions pas autre chose, nous ferions bien assez, puisque nous ferions ce que nous devrions faire en ce monde. Mais ne voyez-vous pas la ruse? Sil fallait faire tons ces exercices tous les jours, à la vérité ils nous occuperaient du tout; mais il nest pas requis de les faire, sinon en temps et lieu, chacun selon loccurence. Combien y a-t-il de lois civiles aux Digestes et au Code, lesquelles doivent être observées! mais cela sentend selon les occurrences, et non pas quil les faille toutes pratiquer tous les jours. Au demeurant, David, roi plein daffaires très difficiles, pratiquait bien plus dexercices que je ne vous ai pas marqué. Saint Louis, roi admirable et pour la guerre et pour la paix, et qui avec un soin nonpareil administrait justice et maniait les affaires, oyait tous les j ours deux messes, disait vêpres et complies avec son chapelain, faisait sa méditation, visitait les hôpitaux, tous les vendredis se confessait et prenait la discipline, entendait très souvent les prédications, faisait fort souvent des conférences spirituelles, et avec tout cela ne perdait pas une seule occasion du bien public extérieur quil ne fît et nexécutât diligemment, et sa cour était plus belle et plus florissante quelle navait jamais été du temps de ses prédécesseurs. Faites donc hardiment ces exercices selon que je vous les ai marqués, et Dieu vous donnera assez de loisir et de force de faire tout le reste de vos affaires; oui, quand il devrait arrêter le soleil, comme il fit du temps de Josué. Nous faisons toujours assez, quand Dieu travaille avec nous.
Le monde dira que je suppose presque partout que ma Philothée ait le don de loraison mentale, et que néanmoins chacun ne la pas, si que cette Introduction ne servira pas pour tous. Il est vrai, sans doute, jai présupposé cela, et est vrai encore que chacun na pas le don de loraison mentale; mais il est vrai aussi que presque chacun le petit avoir, voire les plus grossiers, pourvu quils aient des bons conducteurs et quils veuillent travailler pour lacquérir, autant que la chose le mérite. Et sil sen trouve qui naient pas ce don en aucune sorte de degré (ce que je ne pense pas pouvoir arriver que fort rarement), le sage père spirituel leur fera aisément suppléer le défaut par lattention quil leur enseignera davoir, ou à lire ou à ouïr lire les mêmes considérations qui sont mises ès méditations.
CHAPITRE XVIIITROIS DERNIERS ET PRINCIPAUX AVIS POUR CETTE INTRODUCTION
Refaites tous les premiers jours du mois la protestation qui est r en la première Partie, après la méditation; et à tous moments, protestez de la vouloir observer, disant avec David: « Non, jamais éternellement je noublierai vos justifications, o mon Dieu, car en icelles vous mavez vivifiée. » Et quand vous sentirez quelque détraquement en votre âme, prenez votre protestation en main, et prosternée en esprit dhumilité proférez-la de tout votre coeur, et vous trouverez un grand allégement.
Faites profession ouverte de vouloir être dévote; je ne dis pas dêtre dévote, mais je dis de le vouloir être; et nayez point de honte des actions communes et requises qui nous conduisent à lamour de Dieu. Avouez hardiment que vous vous essayez de méditer, que vous aimeriez mieux mourir que de pécher mortellement, que vous voulez fréquenter les sacrements et suivre les conseils de votre directeur (bien que souvent il ne soit pas nécessaire de le nominer, pour plusieurs raisons). Car cette franchise de confesser quon veut servir Dieu et quon sest consacré à son amour dune spéciale affection, est fort agréable à sa divine Majesté, qui ne veut point que lon ait honte de lui ni de sa Croix; et puis, elle coupe chemin à beaucoup de semonces que le monde voudrait faire au contraire, et nous oblige de réputation à la poursuite. Les philosophes se publiaient pour philosophes, afin quon les laissât vivre philosophiquement; et nous devons nous faire connaître pour désireux de la dévotion, afin quon nous laisse vivre dévotement. Que si quelquun vous dit que lon peut vivre dévotement, sans la pratique de ces avis et exercices, ne le niez pas; mais répondez amiablement que votre infirmité est si grande, quelle requiert plus daide et de secours quil nen faut pas pour les autres.
Enfin, très chère Philothée, je vous conjure par tout ce qui est de sacré au ciel et en la terre, par le baptême que vous avez reçu, par les mamelles que Jésus-Christ suça, par le coeur charitable duquel il vous aima et par les entrailles de la miséricorde en laquelle vous espérez, continuez et persévérez en cette bienheureuse entreprise de la vie dévote. Nos jours sécoulent, la mort est à la porte: « La trompette, dit saint Grégoire Nazianzène, sonne la retraite; quun chacun se prépare, car le jugement est proche. » La mère de Symphorien, voyant quon le conduisait au martyre, criait après lui : « Mon fils, mon fils, souvienne-toi de la vie éternelle; regarde le ciel et considère Celui lequel y règne; la fin prochaine terminera bientôt la brève course de cette vie. » Ma Philothée, vous dirai-je de même, regardez le ciel et ne le quittez pas pour la terre; regardez lenfer, ne vous y jetez pas pour les moments; regardez Jésus-Christ, ne le reniez pas pour le monde; et quand la peine de la vie dévote vous semblera dure, chantez avec saint François:
« A cause des biens que jattends,
Les travaux me sont passe-temps ».
VIVE JÉSUS, auquel, avec le Père et le Saint-Esprit, soit honneur et gloire, maintenant et toujours et ès siècles des siècles. Ainsi soit-il.
FIN
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