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ORAISON DÉDICATOIRE
O doux Jésus, mon Seigneur, mon Sauveur et mon Dieu, me voici prosterné devant votre Majesté, vouant et consacrant cet écrie à votre gloire. Animez les paroles qui y sont de votre bénédiction, à ce que les âmes tour lesquelles je lai fait en puissent recevoir les inspirations sacrées que je leur désire, et particulièrement celle dimplorer sur moi votre immense miséricorde, afin que, montrant aux autres le chemin de la dévotion en ce monde, je ne sois pas réprouvé et confondu éternellement en lautre; ains quavec eux je chante à jamais pour cantique de triomphe, le mot que de tout mon coeur je prononce en témoignage de fidélité, parmi les hasards de cette vie mortelle : VIVE JESUS, VIVE JÉSUS ! Oui, Seigneur Jésus, vivez et régnez en nos coeurs ès siècles des siècles. Ainsi soit-il.
PRÉFACE
Mon cher Lecteur, je te prie de lire cette Préface pour ta satisfaction et la mienne.
La bouquetière Glycéra savait si proprement diversifier la disposition et le mélange des fleurs, quavec les mêmes fleurs elle faisait une grande variété de bouquets, de sorte que le peintre Pausias demeura court, voulant contrefaire à lenvi cette diversité douvrage, car il ne sut changer sa peinture en tant de façons comme Glycéra faisait ses bouquets : ainsi le Saint-Esprit dispose et arrange avec tant de variété les enseignements de dévotion, quil donne par les langues et les plumes de ses serviteurs, que la doctrine étant toujours une même, les discours néanmoins qui sen font sont bien différents, selon les diverses façons desquelles ils sont composés. Je ne puis, certes, ni veux, ni dois écrire en cette Introduction que ce qui a déjà été publié par nos prédécesseurs sur ce sujet; ce sont les mêmes fleurs que je te présente, mon Lecteur, mais le bouquet que jen ai fait sera différent des leurs, à raison de la diversité de lagencement dont il est façonné.
Ceux qui ont traité de la dévotion ont presque tous regardé linstruction des personnes fort retirées du commerce du monde, ou au moins ont enseigné une sorte de dévotion qui conduit à cette entière retraite. Mon intention est dinstruire ceux qui vivent ès villes, ès ménages, en la cour, et qui par leur condition sont obligés de faire une vie commune quant à lextérieur, lesquels bien souvent, sous le prétexte dune prétendue impossibilité, ne veulent seulement pas penser à lentreprise de la vie dévote, leur étant avis que, comme aucun animal nose goûter de la graine de lherbe nommée Palma Christi, aussi nul homme ne doit prétendre à la palme de la piété chrétienne, tandis quil vit emmi la presse des affaires temporelles. Et je leur montre que comme les mères perles vivent emmi la mer sans prendre aucune goutte deau marine, et que vers les îles Chélidoines il y a des fontaines deau bien douce au milieu de la mer, et que les piraustes volent dedans les flammes sans brûler leurs ailes, ainsi peut une âme vigoureuse et constante vivre au monde sans recevoir aucune humeur mondaine, trouver des sources dune douce piété au milieu des ondes amères de ce siècle, et voler entre les flammes des convoitises terrestres sans brûler les ailes des sacrés désirs de la vie dévote. Il est vrai que cela est malaisé, et cest pourquoi je désirerais que plusieurs y employassent leur soin avec plus dardeur quon na pas fait jusques à présent; comme, tout faible que je suis, je messaie par cet écrit de contribuer quelque secours à ceux qui dun coeur généreux feront cette digne entreprise.
Mais ce na toutefois pas été par mon élection ou inclination que cette Introduction sort en public une âme vraiment pleine dhonneur et de vertu ayant, il y a quelque temps, reçu de Dieu la grâce de vouloir aspirer à la vie dévote, désira ma particulière assistance pour ce regard; et moi, qui lui avais plusieurs sortes de devoirs, et qui avais longtemps auparavant remarqué en elle beaucoup de disposition pour ce dessein, je me rendis fort soigneux de la bien instruire, et layant conduite par tous les exercices convenables à son désir et sa condition, je lui en laissai des mémoires par écrit, afin quelle y eût recours, à son besoin. Elle, depuis, les communiqua à un grand, docte et dévot Religieux, lequel estimant que plusieurs en pourraient tirer du profit, mexhorta fort de les faire publier: ce qui lui fut aisé de me persuader, parce que son amitié avait beaucoup de pouvoir sur ma volonté, et son jugement, une grande autorité sur le mien.
Or, afin que le tout fût plus utile et agréable, je lai revu et y ai mis quelque sorte dentresuite, ajoutant plusieurs avis et enseignements propres à mon intention. Mais tout cela je lai fait sans nulle sorte presque de loisir; cest pourquoi tu ne verras rien ici dexact, ains seulement un amas davertissements de bonne foi, que jexplique par des paroles claires et intelligibles; au moins ai-je désiré de le faire. Et quant au reste des ornements du langage, je ny ai pas seulement voulu penser, comme ayant assez dautres choses à faire.
Jadresse mes paroles à Philothée, parce que, voulant réduire à lutilité commune de plusieurs âmes ce que javais premièrement écrit pour une seule, je lappelle du nom commun à toutes celles qui veulent être dévotes; car Philothée veut dire amatrice ou amoureuse de Dieu.
Regardant donc en tout ceci une âme qui, par le désir de la dévotion, aspire à lamour de Dieu, jai fait cette Introduction de cinq Parties, en la première desquelles je messaie, par quelques remontrances et exercices, de convertir le simple désir de Philothée en une entière résolution, quelle fait à la parfin après sa confession générale par une solide protestation, suivie de la très sainte communion, en laquelle, se donnant à son Sauveur et le recevant, elle entre heureusement en son saint amour. Cela fait, pour la conduire plus avant, je lui montre deux grands moyens de sunir de plus en plus à sa divine Majesté: lusage des sacrements par lesquels ce bon Dieu vient à nous, et la sainte oraison par laquelle il nous tire à soi; et en ceci jemploie la seconde Partie. En la troisième, je lui fais voir comme elle se doit exercer en plusieurs vertus plus propres à son avancement, ne mamusant pas sinon à certains avis particuliers quelle neût pas su aisément prendre ailleurs, ni delle-même. En la quatrième, j e lui fais découvrir quelques embûches de ses ennemis, et lui montre comme elle sen doit démêler et passer outre. Et finalement, en la cinquième Partie, je la fais un peu retirer à part soi pour se rafraîchir, reprendre haleine et réparer ses forces, afin quelle puisse par après plus heureusement gagner pays et savancer en la vie dévote.
Cet âge est fort bizarre, et je prévois bien que plusieurs diront quil nappartient quaux religieux et gens de dévotion de faire des conduites si particulières à la piété; quelles requièrent plus de loisir que nen peut avoir un évêque chargé dun diocèse si pesant comme est le mien ; que cela distrait trop lentendement qui doit être employé à choses importantes. Mais moi, mon cher Lecteur, je te dis avec le grand saint Denis, quil appartient principalement aux évêques de perfectionner les âmes, dautant que leur ordre est le suprême entre les hommes, comme celui des Séraphins entre les anges, si que leur loisir ne peut être mieux destiné quà cela. Les anciens évêques et Pères de lEglise étaient pour le moins autant affectionnés à leur charge que nous, et ne laissaient pourtant pas davoir soin de la conduite particulière de plusieurs âmes qui recouraient à leur assistance, comme il appert par leurs épîtres; imitant en cela les Apôtres qui, emmi la moisson générale de lunivers, recueillaient néanmoins certains épis plus remarquables avec une spéciale et particulière affection. Qui ne sait que Timothée, Tite, Philémon, Onésime, sainte Thècle, Appia, étaient les chers enfants du grand saint Paul, comme saint Marc et sainte Pétronille, de saint Pierre ? Sainte Pétronille, dis-je, laquelle, comme prouvent doctement Baronius et Galonius, ne fut pas fille charnelle, mais seulement spirituelle de saint Pierre. Et saint Jean nécrit-il pas une de ses Epîtres canoniques à la dévote dame Electa?
Cest une peine, je le confesse, de conduire les âmes en particulier, mais une peine qui soulage, pareille à celle des moissonneurs et vendangeurs, qui ne sont jamais plus contents que dêtre fort embesognés et chargés; cest un travail qui délasse et avive le coeur par la suavité qui en revient à ceux qui lentreprennent, comme fait le cinamone, ceux qui le portent parmi lArabie Heureuse. On dit que ? la tigresse, ayant retrouvé lun de ses petits que le chasseur lui laisse sur le chemin pour lamuser, tandis quil emporte le reste de la litée, elle sen charge, pour gros quil soit, et pour cela nen est point plus pesante, ains plus légère à la course quelle fait pour le sauver dans sa tanière, lamour naturel lallégeant par ce fardeau. Combien plus un coeur paternel prendra-t-il volontiers en charge une âme, quil aura rencontrée au désir de la sainte perfection, la portant en son, sein, comme une mère fait son petit enfant, sans se ressentir de ce faix bien aimé. Mais il faut sans doute que ce soit un coeur paternel; et cest pourquoi les Apôtres et hommes Apostoliques appellent leurs disciples non seulement leurs enfants, mais encore plus tendrement leurs petits enfants.
Au. demeurant, mon cher Lecteur, il est vrai que jécris de la vie dévote sans être dévot, mais non pas certes sans désir de le devenir, et cest encore cette affection qui me donne courage à ten instruire; car, comme disait un grand homme de lettres, la bonne façon dapprendre, cest détudier; la meilleure, cest découter, et la très bonne, cest denseigner. Il advint souvent, dit saint Augustin, écrivant à sa dévote Florentine, que loffice de distribuer sert de mérite pour recevoir, et loffice denseigner, de fondement pour apprendre.
Alexandre fit peindre la belle Compaspé, qui lui était si chère, par la main de lunique Apelles; Apelles, forcé de considérer longuement Compaspé, à mesure quil en exprimait les traits sur le tableau, en imprima lamour en son coeur, et en devint tellement passionné, quAlexandre, layant reconnu et en ayant pitié, la lui donna en mariage, se privant pour lamour de lui de la plus chère amie quil eût au monde: en quoi, dit Pline, il montra la grandeur de son coeur, autant quil eût fait par une bien grande victoire. Or, il mest avis, mon Lecteur mon ami, quétant évêque, Dieu veut que je peigne sur les coeurs des personnes non seulement les vertus communes, mais encore sa très chère et bien aimée dévotion; et moi je lentreprends volontiers, tant pour obéir et faire mon devoir, que pour lespérance que jai quen la gravant dans lesprit des autres, le mien à laventure en deviendra saintement amoureux. Or, si jamais sa divine Majesté men voit vivement épris, elle me la donnera en mariage éternel. La belle et chaste Rébecca, abreuvant les chameaux dIsaac, fut destinée pour être son épouse, recevant de sa part des pendants doreilles et des bracelets dor; ainsi je me promets de limmense bonté de mon Dieu que, conduisant ses chères brebis aux eaux salutaires de la dévotion, il rendra mon âme son épouse, mettant en mes oreilles les paroles dorées de son saint amour, et en mes bras la force de les bien exécuter, en quoi gît lessence de la vraie dévotion, que je supplie sa Majesté me vouloir octroyer et à tous les enfants de son Eglise; Eglise à laquelle je veux à jamais soumettre mes écrits, mes actions, mes paroles, mes volontés et mes pensées.
A Annecy, le jour sainte Madeleine, 1609.
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