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VIRGINITÉ

DU SOIN DE CONSERVER LA VIRGINITÉ.

 

A LA VIERGE EUSTOCHIA.

 

« Écoutez, ma fille, ouvrez les yeux, prêtez l'oreille ; oubliez votre famille et la maison de votre père, et le roi souhaitera de voir votre beauté. » Ainsi dans le psaume quarante-quatrième Dieu parle à notre âme pour l'engager, à l'exemple d'Abraham, à quitter son pays et sa famille, à se séparer des Chaldéens, nom qui signifie : semblable au démon, et à établir sa demeure dans cette région des vivants dont la possession faisait soupirer le prophète-roi : « Je crois fermement voir un jour les biens du Seigneur dans la terre des vivants. »

Mais vous suffit-il de sortir de votre pays? non : n'avoir souci ni de votre famille, ni de la maison de votre père, ni de tout ce qui flatte les sens est une nécessité pour vous unir étroitement à votre divin époux. « Ne regardez point derrière vous,» disaient à Loth les anges du Seigneur, « et ne restez point dans les environs de la ville , mais sauvez-vous sur la montagne, de peur que vous ne périssiez aussi vous-même avec les autres.» La main une fois mise à la charrue, doit-on regarder derrière soi, revenir en sa maison des champs? non. Est-ce que l'on descend du toit pour prendre d'autres vêtements quand on a été revêtu de Jésus-Christ?

Voici ce qui est bien plus digne de surprise et d'admiration : un père exporte sa fille à ne plus penser à son père. « Vous êtes les enfants du démon, » disait Jésus-Christ aux Juifs, « et vous ne songez qu'à satisfaire les désirs de votre père. » L'apôtre saint Jean dit aussi ailleurs : « Celui qui commet le péché est enfant du démon. » Tel est notre premier père ; c'est de lui que nous sortons, et la naissance criminelle que nous en avons reçue nous a rendus tout noirs, de sorte qu'après avoir fait pénitence et avant d'avoir atteint la perfection de la vertu nous sommes obligés de dire avec l'épouse des Cantiques : « Je suis noire, mais je suis belle, ô Elles de Jérusalem. La maison où je suis née, je l'ai quittée, j'ai oublié mon père, mais je vais renaître en Jésus-Christ.» Or quel sera le résultat de cette heureuse renaissance? Le voici

« Et le roi souhaitera de voir votre beauté. » Voilà quel est ce grand sacrement dont l'apôtre saint Paul a dit : « C'est pourquoi l'homme abandonnera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et ils ne feront l'un et l'autre ( non plus comme autrefois ) qu'une même chair, » mais qu'un même esprit. Votre époux n'est ni fier ni superbe : il n'a pas dédaigné de prendre une Éthiopienne pour épouse. Voulez-vous connaître les sages maximes qu'enseigne (322)  ce véritable Salomon? approchiez-vous de lui il vous admettra dans le secret de sa pensée, vous fera entrer dans son appartement, vous fera prendre une nouvelle couleur, et alors on vous appliquera ce qui est dit de l'épouse dans les Cantiques : « Quelle est celle qui s'élève et qui est vêtue de blanc? »

En vous écrivant de la sorte je vous préviens d'abord que mon intention n'est point de faire ici l'éloge de l'état de la virginité que vous avez choisi et embrassé comme vous convenant le mieux, et de vous entretenir de toutes les peines qu'entraîne avec soi le mariage. Je ne vous parlerai donc ni des douleurs de la grossesse, ni des désagréments d'entendre sans cesse crier autour de soi de petits enfants. ni de la jalousie et des chagrins amers que l’ infidélité du mari occasionne, ni des soins continuels qu'exige la conduite d'une maison, ni de mille autres embarras qu'on regarde comme de véritables biens, et qui nous échappent à l'heure de la mort; je sais que les femmes mariées tiennent un rang dans l’Eglise, qu'elles peuvent user du mariage avec pudeur et conserver sans tache le lit nuptial : je veux seulement vous dire qu'il faut craindre, en sortant de Sodome, de tomber dans le même malheur qui arriva à la femme de Loth ; car je ne viens pas pour vous flatter. Un flatteur est un ennemi séduisant qui nous empoisonne avec de fausses louanges et de perfides caresses. Aurai-je recours à ce que l'éloquence a de plus solennel et de plus majestueux pour faire ressortir à vos yeux l'excellence de la virginité, et jeter le monde à vos pieds en vous élevant jusqu'au rang des anges? Non ; car je ne veux pas que votre état vous inspire de l'orgueil, mais plutôt une humble crainte. Vous portez avec vous un trésor de prix : prenez garde de tomber entre les mains des voleurs. La vie présente est une carrière où nous courons tous pour recevoir la couronne dans la vie future. On ne marche qu'en hésitant parmi les serpents et les scorpions. « Mon épée, » dit le Seigneur, « s'est enivrée de sang dans le ciel. » Comment espérer trouver la paix sur une terre qui ne produit que des épines et des ronces, et qui a été donnée en nourriture au serpent? «Nous avons à combattre non contre des hommes de chair et de sang, mais contre les principautés et les puissances de ce monde, c'est-à-dire de ce siècle ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans l'air. » Nos ennemis sont partout; ils nous environnent de tous côtés, ils dirigent toutes leurs attaques contre notre chair si fragile, qui bientôt ne sera que cendre et que poussière; mais à peine débarrassée des liens de ce corps mortel, à l'abri des reproches que pourrait vous adresser le prince de ce monde, vous entendrez, libre et tranquille, ces paroles du prophète : « Tout ce qui effraie la nuit ne vous fera pas trembler; vous ne craindrez ni la flèche qui vole durant le jour, ni les maux que l'on prépare dans les ténèbres, ni les attaques du démon du midi. Mille tomberont à votre côté et dix mille à votre droite, mais la mort ne vous touchera plus. » Que si, effrayée de leur multitude et troublée à chaque mouvement excite par la passion, vous dites en vous-même : « Que ferons-nous? » Elizée vous répondra : « Ne craignez point, car il y a plus de gens armés avec nous qu'il n'y en a avec eux; » et il adressera à Dieu cette prière pour vous: « Ouvrez; Seigneur, les yeux de votre servante, afin qu'elle voie. » Alors, ouvrant les veux, vous verrez un chariot de feu tout prêt à vous enlever au ciel comme Elie, et vous chanterez dans le transport de votre joie: « Notre âme s'est échappée comme un passereau du filet des chasseurs ; le filet s'est brisé, et nous avons été délivrés. » Est-ce que la victoire n'est pas toujours incertaine tant qui, nous sommes attachés à un corps fragile et mortel, que nous portons ce trésor dans des vases de terre , que l'esprit a des désirs contraires à ceux de la chair et la chair à ceux de l'esprit ? Le démon, notre ennemi, tourne sans cesse autour de nous comme un lion rugissant, cherchant une proie à dévorer : « Vous avez répandu les ténèbres, » dit le prophète-roi, « et la nuit a été faite; et c'est dans la nuit que toutes les bêtes de la forêt passent, et que les petits des lions rugissent après leur proie et cherchent la nourriture que Dieu leur a destinée. » Le démon ne cherche point à dévorer les infidèles, « ni ceux de dehors que le roi d'Assyrie a l'ait brûler dans une poêle ardente; » il ne s'étudie qu'à réduire les fidèles et à les arracher du sein de l'Église de Jésus-Christ; il ne se nourrit, comme dit le prophète Abacuc, que de viandes choisies et succulentes : tantôt c'est un Job qu'il veut renverser, tantôt ce sont des apôtres (323) qu'il veut abattre après avoir dévoré le perfide Judas. Le Sauveur n'est point venu apporter la paix sur la terre, mais l'épée. Lucifer, qui paraissait si brillant au point du jour, est. tombé du ciel, et cet ange superbe nourri des délices du paradis a entendu de la bouche du Seigneur ces terribles menaces : « Quand tu t'élèverais aussi haut que l’aigle, j'irais t'arracher de là; » car il avait dit en son coeur: « J'établirai mon trône au-dessus des astres, et je serai semblable au Très-Haut. » Aussi Dieu dit-il à ceux qui descendent tous les jours par cette échelle mystérieuse que Jacob vit en songe : «J'ai dit : Vous êtes des dieux et vous êtes tous enfants du Très-Haut, mais cependant vous mourrez comme des hommes et vous tomberez, comme l'un des princes. » Le démon est tombé le premier, et comme « Dieu se trouve dans l'assemblée des dieux, et qu'il juge les dieux étant au milieu d'eux, » l'apôtre saint Paul dit à ceux qui tombent de ce haut rang où ils étaient élevés : « Puisqu'il y a parmi vous de la division et de la jalousie, n'est-il pas évident que vous êtes des hommes et que vous agissez en cette qualité? » Or si l'apôtre saint Paul, ce vaisseau d'élection, cet homme destiné à porter l'Evangile de Jésus-Christ parmi les nations, s'efforce de réprimer les mouvements d'une nature rebelle, d'étouffer les passions qui fermentent en lui, de mortifier son corps, de le maîtriser comme un esclave pour ne pas être lui-même réprouvé après avoir prêché les autres; si, malgré cette étude constante, ces macérations continuelles, il ressent en lui-même les impressions de la nature qui cherche à prévaloir contre l'esprit en faveur de la loi du péché; si, après avoir souffert la nudité, les jeûnes, la faim, la prison, le fouet . et les supplices, revenu enfin à lui-même il s'écrie : « Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort?» croyez-vous pouvoir vivre sans crainte et sans inquiétude? Prenez garde, je vous prie, que Dieu ne dise un jour de vous : « La vierge d'Israël est tombée, et personne ne lui tend la main pour la relever. » Qu'une vierge succombe : Dieu même avec sa puissance, j'ose le dire, ne peut la rétablir dans sa première innocence; il peut bien pardonner à une vierge coupable, mais non couronner une vierge corrompue. Craignons pour nous l’accomplissement de cette prédiction d'un prophète : « On verra tomber les filles les plus sages. » Remarquez l'expression du prophète : « On verra tomber les filles les plus sages, » car il y a des vierges de mauvaise vie. « Quiconque,» dit Jésus-Christ, « regardera une femme avec un mauvais désir pour elle a déjà commis l'adultère dans son coeur. » Les désirs d'un coeur corrompu peuvent donc faire perdre la virginité. Telles sont ces vierges déréglées, ces vierges de corps et non d'esprit, ces vierges folles qui, pour n'avoir pas d'huile dans leurs lampes, n'entrent pas dans la salle de l'époux. Or si des vierges de ce caractère, qui se souillent par les dérèglements du coeur, se perdent cependant malgré le soin qu'elles ont de conserver la pureté du corps, que deviendront celles qui prostituent les membres de Jésus-Christ et qui font du temple du Saint-Esprit un lieu de débauche ? « Descendez, » leur dira-t-on aussitôt, « descendez, asseyez-vous dans la poussière, ô vierge, fille de Babylone; asseyez-vous sur la terre. Vous n'êtes plus sur votre trône, fille des Chaldéens : vous ne recevrez plus de louanges de votre délicatesse et de votre coquetterie; mais tournez la meule, faites moudre la farine ; décoiffez-vous, levez vos habits, passez les fleuves. Votre ignominie sera révélée, et vous serez dans la confusion de vous voir exposée aux yeux de tout le monde. » Cette destinée sera celle d'une vierge qui était l'épouse du fils de Dieu; et qui avait reçu mille caresses de son époux et de son bien-aimé. On la verra, cette vierge que le prophète-roi représente au psaume quarante-quatrième : « La reine s'est tenue à votre droite, portant un habit enrichi d'or et de divers ornements; »on la verra, dis-je, dépouillée de ses habits précieux, couverte de confusion à la vue de mille actions honteuses qu'elle avait dissimulées à elle-même et qu'on lui remettra devant les yeux, on la verra poser sa cruche à terre , s'asseoir dans la solitude sur le bord du fleuve, s'abandonner publiquement à la débauche et se plonger dans un abîme de corruption et de péché. N'aurait-elle pas mieux fait de se marier et de mener la vie commune que de se perdre pour avoir voulu s'élever trop haut? Ah! que Sion, je vous prie, cette ville si fidèle, ne devienne point semblable à une prostituée; qu'un lieu où la sainte Trinité avait établi sa demeure ne serve pas de retraite aux syrènes et aux (324) hérissons, et que les démons ne viennent pas y célébrer leurs danses ! Ne suivons point l'attrait du vice, mais, aux premiers mouvements de la concupiscence et aux premières impressions de la volupté, écrions-nous avec le prophète-roi :

« Le Seigneur est mon aide : je ne craindrai point tout ce que la chair pourra faire contre moi. » Votre coeur est-il agité par des mouvements divers, partagé entre le vice et la vertu, dites avec le même prophète : «  Pourquoi, mon âme, êtes-vous triste, et pourquoi me troublez-vous? Espérez en Dieu, parce que je lui rendrai des actions de grâces comme à celui qui est le salut et la lumière de mon visage. »

Que les mauvaises pensées n'aient point le loisir de se fortifier dans votre esprit; étouffez toutes ces semences de Babylone, qui ne sont propres qu'à produire dans votre coeur le désordre et la confusion; tuez votre ennemi lorsqu'il est faible, et arrêtez la passion à son origine. Écoutez ce que dit le prophète-roi : « Malheur à toi , fille de Babylone! Heureux celui qui te rendra les maux que tu nous a fait souffrir! heureux celui qui prendra tes petits enfants et. qui les brisera contre la pierre ! »

Comme il est impossible d'échapper aux ardeurs d'un feu qui brûle dans tous nos membres, on loue et on regarde comme heureux celui qui étouffe les mauvaises pensées aussitôt leur apparition, et qui les brise contre la pierre, qui est Jésus-Christ.

(1) Au sein des déserts, dans ces vastes solitudes brûlées du soleil, combien de fois j'ai rêvé les délices de Rome ! Assis au fond de ma retraite, seul parce que mon âme était pleine d'amertume,défiguré, maigri, le visage noir comme un Éthiopien, mes membres se desséchaient sous un sac hideux ; tous les jours des larmes, tous les jours des gémissements; je criais au Seigneur, je pleurais, je priais; et lorsque, oppressé par le sommeil et luttant contre lui, il venait me surprendre, mon corps épuisé tombait nu sur la terre nue. Je m'étais condamné à ces supplices pour échapper au feu de l'enfer. Eh bien! dans ces tristes déserts, environné de bêtes féroces et d'affreux reptiles, je me revoyais en idée parmi les danses des vierges romaines. Le visage était abattu par la pénitence,

 

(1) La traduction de ce passage est tirée de l'ouvrage de M. Aimé-Martin intitulé : De l’éducation des mères de famille, il était impossible de mieux traduire ce morceau si célèbre.

 

le coeur brûlé par d'infâmes désirs; dans un corps exténué, dans une chair morte avant l'homme la concupiscence attisait ses feux dévorants. Alors j'invoquais le Seigneur, je mouillais ses pieds de mes larmes ; le jour, la nuit je criais, me frappant la poitrine et ne cessant d'implorer mon Dieu jusqu'au moment où il rendait le calme à mon âme. Je, me souviens d'avoir passé des semaines entières sans manger, craignant même d'entrer dans ma cellule où j'avais nourri de si coupables pensées, cherchant des vallées profondes, d'âpres rochers, de hautes montagnes pour en faire un lieu d'oraisons et de supplices ; bourreau impitoyable de cette chair toujours rebelle. Là, Dieu m'en est témoin, après des torrents de larmes, les yeux toujours attachés au ciel, triomphant, je m'élevais parmi les anges, et, dans les ravissements d'une vision céleste, je chantais : « Je suis arrivé jusqu'à vous, attiré par l'odeur de votre encens! »

Si une imagination déréglée peut produire un tel désordre dans ceux même dont le corps est tout abattu et tout usé par des austérités continuelles, que deviendra une jeune fille qui accorde à ses sens tout ce qui peut flatter leur délicatesse? L'apôtre saint Paul nous l'apprend : « Elle est morte, quoiqu'elle paraisse vivante. » Le premier avis que j'ai à donner à une vierge de Jésus-Christ, si je suis capable de donner des conseils et si l'on veut s'en rapporter à la triste expérience que j'ai acquise, est d'éviter de boire du vin, poison véritable entre les mains du démon pour perdre la jeunesse. L'avarice ne remue pas aussi fortement le coeur, l'orgueil inspire moins de présomption et de vanité , l'ambition offre moins de charmes et d'attraits que la concupiscence: il nous est facile de nous débarrasser des autres vices, mais la concupiscence est un ennemi intérieur que nous portons partout avec nous le vin, joint à la jeunesse, attise le feu qui ajoute à l'ardeur de cet ennemi. Pourquoi jeter de l'huile sur la flamme ? pourquoi entretenir le feu dans un corps qui ne brûle déjà que trop? « Ne continuez pas à boire de l'eau, » disait l'apôtre saint Paul à Timothée, « mais usez d'un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies. » Saint Paul ne voit ici dans l'usage du vin qu'il permet à son disciple qu’ un remède à ses fréquentes (325) maladies, et un adoucissement à ses douleurs d'estomac; et, crainte que nos maladies ne semblent nous autoriser à boire du vin, saint Paul recommande à Timothée de n'en boire que fort peu; car en cette circonstance il parle plutôt en médecin qu'en apôtre ( quoiqu'un apôtre soit un médecin spirituel ), et il craint que Timothée ne puisse, à cause de ses infirmités continuelles, supporter les fatigues de la prédication et remplir les autres devoirs de son ministère. Il se rappelait bien avoir dit ailleurs : « Le vin est une source d'impuretés et de dissolutions; » et encore : « Il est bon de ne point boire de vin et de ne point manger de viande.» Noé but du vin et s'enivra. Il est vrai que, vivant dans un siècle nouveau et ayant lui-même planté de la vigne, il ignorait les propriétés de son fruit ; et comme il n'y a pas d'endroit dans l'Écriture sainte qui ne renferme quelque mystère (car la parole de Dieu est comme une perle de prix que l'on peut percer de tous côtés) , remarquez que la nudité du corps fut le résultat de l'ivresse, et l'impureté de l'intempérance : le ventre se remplit et s'étend, et cette réplétion amène la révolte des autres membres. Le peuple, dit l'Écriture, but et mangea, puis il se leva pour se divertir. Loth, qui s'était sauvé sur la montagne, cet ami de Dieu, ce juste trouvé seul parmi tant de milliers d'hommes, commit dans l'ivresse une action honteuse. Ses filles, persuadées que le monde était détruit et que leur père ne se prêterait pas de sang-froid à leur dessein, l'enivrèrent plutôt pour avoir des enfants que pour satisfaire leur passion. Mais l'ignorance de Loth ne laissait pas d'être criminelle, bien que sa volonté n'ait eu aucune part à cette action coupable. De cette union contraire à la nature vinrent les Moabites et les Ammonites, ennemis déclarés du peuple d'Israël, et qui n'entrèrent jamais dans l'assemblée du Seigneur, non pas même après la quatorzième génération.

Elie, fuyant la persécution de la cruelle Jézabel, se couche sous un chêne pour se reposer. Un ange le réveille et lui dit : « Levez-vous et mangez. » Le prophète regarde autour de lui, et aperçoit un petit pain cuit sous la cendre et un vase d'eau. Dieu ne pouvait-il aussi bien lui envoyer un vin généreux, des viandes délicates et des mets bien assaisonnés? Elizée invite les enfants des prophètes à manger avec lui, leur fait servir des herbes sauvages. Aussitôt les conviés s'écrient en même temps : « Il y a du poison dans le vase ! » L'homme de Dieu, loin de s'emporter contre le cuisinier puisqu'il n'avait pas coutume de se mieux traiter, jette un peu de farine sur ces herbes et en corrige l'amertume, semblable à Moïse, qui par la vertu du même esprit changea en douceur l'amertune des eaux de Mara. Comment le même prophète traita-t-il les gardes envoyés pour s'emparer de lui? Il les priva de la vue et de la raison, les introduisit dans Samarie sans qu'ils s'en doutassent, et dit au roi d'Israël : « Faites-leur servir du pain et de l'eau afin qu'ils mangent et qu'ils boivent, et qu'ils s'en retournent vers leur maître. » Daniel ne pouvait-il se nourrir des viandes servies sur la table du roi de Babylone? Abacuc néanmoins, par ordre du Seigneur, lui porte le Biner qu'il avait préparé pour ses moissonneurs, c'est-à-dire une nourriture propre à des hommes de journée. Aussi ce prophète, qui s'abstint de ce pain délicieux et de ces vins exquis qui sont la source des mauvais désirs, fut-il appelé « homme de désirs.» L'Écriture est remplie de belles maximes qui démontrent les tristes résultats de l’intempérance et l'avantage d'une nourriture simple et commune; mais ce que j'ai dit me suffit, car je ne veux pas parler ici du jeûne. Si je voulais m'étendre à fond sur cette question j'aurais un volume à faire, et il faudrait lui donner un titre particulier; vous pouvez vous-même du reste réunir tout ce qui concerne ce sujet, d'après la marche que j'ai suivie : voyez par exemple la disgrâce du premier homme, chassé du paradis terrestre et condamné à passer sa vie dans la tristesse et dans la misère pour avoir obéi à son ventre plutôt qu'à Dieu ; les ruses du démon dans le désert pour engager le Fils de Dieu à rompre son jeûne; l'énergique expression de saint Paul : « Les viandes sont pour le ventre et le ventre est pour les viandes, mais un jour Dieu détruira l'un et l'autre; , et ailleurs, en parlant des gens sensuels et efféminés : « Ils se font un dieu de leur ventre.» Et en effet chacun a son idole dans l'objet de sa passion.

Méditons ces grandes vérités, pour rentrer par le jeûne dans le paradis de délices que l'intempérance nous a fermé. Ne me dites pas qu'une personne de votre rang, élevée dans les jouissances de (326) ce monde, nourrie avec luxe, ne peut se priver ni de vin ni de mets délicats, ni enfin mener une vie si austère et si dure à la nature; car alors je vous répondrai : Vivez donc selon les lois du monde puisque vous ne pouvez vivre selon la loi de Dieu. Ce n'est pas que Dieu, maître et créateur de l'univers, prenne plaisir à nous voir tourmentés par une faim cruelle, épuisés par de longues abstinences, exténués par des jeûnes rigoureux, oh! non; mais sans ces privations l'innocence est impossible à conserver. Job, ce favori de Dieu, Job, dont l'innocence et la simplicité ont été louées par le Seigneur mime, dit du démon : « Sa force est dans ses reins et sa vertu consiste dans son nombril. »

Ce saint homme s'exprime ainsi pour cacher sous des termes plus modestes ce que la pudeur ne permet pas de nommer. L'Écriture sainte se sert des mêmes expressions en rapportant que Dieu promit à David d'établir sur son trône un enfant « sorti de ses reins » ; et que soixante et quinze personnes « sorties de la cuisse de Jacob » entrèrent avec lui en Égypte. Ce saint patriarche n'avait point eu d'enfants depuis que le nerf de sa cuisse avait été blessé en luttant avec le Seigneur. L'Écriture dit encore que « ceux qui faisaient la Pâque devaient ceindre et mortifier leurs reins. » Dieu dit aussi à Job : « Ceignez vos reins comme un homme ; » et Jésus-Christ commande à ses apôtres de « se ceindre les reins » et d'avoir toujours la lampe à la main. S'il est donné au démon de prévaloir contre nous, c'est donc grâce à la révolte que la concupiscence excite dans nos membres et aux passions qui nous maîtrisent. En voici des exemples : Samson, plus fort que les lions, plus ferme que les rochers, vainqueur seul et sans armes de mille Philistins, perd son courage entre les bras de Dalila; David, roi selon le coeur du Seigneur, qui avait chanté tant de fois dans ses admirables cantiques la venue du Messie, se promène sur la terrasse de son palais , aperçoit Bethsabée nue , remarque sa beauté, et ajoute l'homicide à l'adultère. Remarquez qu'un seul regard suffit pour nous blesser et nous perdre jusque dans notre propre maison. Aussi ce prince, au-dessus des autres hommes par la dignité royale, disait-il à Dieu dans ses remords: « J'ai péché contre vous seul, Seigneur, et j'ai commis le mal en votre présence. » Salomon, qui avait parlé la langue de la sagesse, qui avait fait des traités sur tous les su jets, depuis le cèdre du Liban jusqu'à l'hysope qui croit sur les murailles, abandonne le Seigneur après s'être abandonné à l'amour des femmes. Ne nous flattons même pas de conserver notre innocence auprès de celles qui nous sont unies par les liens du sang, puisque Ammon viola les lois les plus saintes de la nature en s'éprenant d'une passion violente pour sa soeur Thomar.

Puis-je raconter sans douleur combien de vierges succombent tous les joua, combien l'Église en voit périr dans son sein, combien, semblables à des étoiles scintillantes, deviennent les esclaves du démon, combien de coeurs enfin, aussi durs que la pierre, s'ouvrent cependant à ce serpent, qui s'y glisse comme dans une retraite? Quelles sont celles-là qui, la tête haute, marchent à pas comptés, cachant sous une toilette simple et modeste une vie déréglée que l'on ne connaît que par leur grossesse ou par les cris de leurs enfants? Ce sont des vierges devenues veuves avant le mariage. Il y en a qui demandent la stérilité à la science, et font ainsi périr leurs enfants avant mime leur conception; d'autres ont recours à des breuvages empoisonnés pour se débarrasser du fruit de leur libertinage; et, comme souvent elles périssent avec lui, elles descendent en enfer chargées de trois crimes, homicides d'elles-mêmes, adultères de Jésus-Christ, parricides de leur enfant mime avant sa naissance.

Telles sont ces vierges qui ont coutume de dire : «Tout est pur pour ceux qui sont purs. — Je me repose sur le témoignage de ma propre conscience. — Dieu ne demande que la pureté du coeur: pourquoi m'abstenir des viandes qu'il a créées pour mon usage? » Veulent-elles plaisanter et se mettre de belle humeur, elles disent, après avoir bu avec excès et joignant le sacrilège à l'ivresse: « A Dieu ne plaise que je m'abstienne de boire le sang de Jésus-Christ! » Des visages froids, des figures tristes ne leur conviennent pas : on est alors des moinesses, des manichéennes. En cela elles sont logiques, car en effet ceux qui pratiquent l'abstinence sont des hérétiques pour les voluptueux de profession. Suivez-les en public: elles se donnent de grands airs, elles jettent des regards à la dérobée sur des jeunes gens pour les attirer à elles. Elles méritent ainsi ces reproches que (327) leur fait un prophète : « Vous avez le front d'une femme débauchée, et vous ne savez ce que c'est que rougir.» En quoi consiste leur virginité? à n'avoir sur leurs robes que quelques filets de pourpre, à se coiffer négligemment pour laisser tomber leurs cheveux , à porter des souliers simples, des manches courtes et étroites et tune écharpe violette voltigeant sur leurs épaules au gré du vent, et à affecter dans toute leur personne une nonchalance et une préciosité ridicules. Qu'elles s'attirent tant qu'il leur plaira les louanges de ces sortes de personnes afin que, sous le nom de vierges dont elles sont fières, elles mettent à plus haut pris la perte de leur innocence : pour nous, nous ne cherchons point à plaire à des gens de ce caractère, et unies sommes contents de n'avoir aucune part à leur estime. Je ne peux le dire sans rougir, tant la chose est déplorable, quoi que d'ailleurs elle ne soit que trop vraie, comment s'est introduit dans l'Eglise ce coupable usage, aujourd'hui toléré, d'avoir des femmes agapètes, c'est-à-dire des femmes qui, sous un nom emprunté et sans être mariées, tiennent lieu d'épouses? ou plutôt d'avoir des concubines d'une nouvelle espèce, ou mieux des femmes débauchées qui ne se prostituent qu'à un seul homme? N’y a-t-il pas des gens qui font avec elles même maison, même chambre et souvent même lit? et si l'on se permet quelques observations ou passe peur un esprit chagrin et ombrageux. Le frère se sépare de sa soeur qui fait profession de virginité; la soeur dédaigne son frère qui vit dans le célibat, et cherche ailleurs un autre frère; tous deux paraissent prendre le même parti, se lient intimement avec des étrangers sous prétexte de se procurer des consolations spirituelles. Il faut leur appliquer ces paroles de Salomon :  « Un homme peut-il cacher le feu dans son sein sans que ses vêtements en soient consumés, ou peut-il marcher sur des charbons ardents sans se brûler la plante des pieds? »

Arrière donc ces prétendues vierges qui portent seulement avec elles l'apparence de la virginité! c'est à vous seule. ma chère Eustochia, que je veux adresser ce traité. De toutes les jeunes filles de Rome célèbres par leur naissance et la noblesse de leurs familles vous êtes la première qui avez fait à Dieu voeu de virginité; mais plus cet état est parfait et sublime,

plus vous devez craindre de perdre tout à la fois et les avantages de la vie présente et les mais de la vie future. Vous avez appris dans votre propre famille combien les douceurs du mariage sont courtes et fragiles et combien elles deviennent amères et accablantes: votre soeur Blesilla, votre aînée par l'âge et votre inférieure dans l'ordre de la grave, se trouve veuve après sept mois de mariage que les hommes sont à plaindre et que leur destinée est incertaine! douceurs du mariage et couronne de la virginité, Blesilla perd tout à la fois, quoiqu'elle soit maintenant dans le second degré de continence. Pensez un peu quel est son chagrin de voir à tout moment que vous possédez ce qu'elfe a perdu et que sa chasteté, quelque pénible qu'elle lui soit d'ailleurs par le soutenir des plaisirs passés, est néanmoins d'un moindre mérite aux yeux de Dieu que la vôtre! Elle doit cependant vivre sans souci et sans inquiétude puisque les fruits de la chasteté sont tous les mêmes, qu'ils soient nombreux ou non.

Ne fréquentez pas les femmes mariées ; ne rendez nulle visite aux personnes d'un haut rang : vous ne devez point voir ce que vous avez dédaigné pour Dieu. Si une femme ordinaire tire vanité d'avoir pour mari un juge ou un magistrat civil, si l'on se hâte tant de faire sa cour à la femme de l'empereur, pourquoi iriez-vous compromettre la gloire de votre époux? pourquoi vous abaisseriez-vous auprès de la femme d'un homme mortel, vous, épouse d'un Dieu ? Montrez en cette occasion une sainte fierté, et songez que vous êtes bien au-dessus d'elle.

Ces femmes enorgueillies de la dignité de leurs maris et qui ne s'avancent en public que couvertes de drap d'or et escortées d'une foule d'esclaves, vous devez non-seulement les fuir, nais aussi celles qui sont veuves plutôt par nécessité que par inclination. Je ne veux pas dire qu'elles auraient dû souhaiter la mort de leurs maris, mais elles n'ont pas su profiter de l'occasion qu'elles avaient de vivre dans la continence : satisfaites seulement de leur changement d'habits, elles se gardent bien de diminuer en rien leur vanité et leur luxe ordinaires. Examinez-les dans leurs riches litières, précédées d'une foule d'esclaves, avec le teint frais, la peau blanche, le visage plein et vermeil : (328) , vous ne diriez pas qu'elles ont perdu leurs maris, mais vous diriez au contraire qu'elles en cherchent. Chez elles on ne rencontre que des flatteurs, on y est. toujours en festins. Quels sont les premiers à papillonner autour d'elles? Des prêtres, qui devraient au contraire les instruire et leur inspirer une crainte respectueuse. S'ils étendent la main ce n'est pas pour leur donner la bénédiction, c'est pour recevoir la récompense de leur honteuse complaisance ; car ces femmes voient avec une joie superbe des prêtres se mettre à leur disposition. Préférant la liberté de leur veuvage à la contrainte qu'elles éprouvaient avec leurs maris, elles portent le nom de « chastes » et de « nonnes, » et, après d'excellents repas où l'estomac s'est trouvé indécis entre des mets également succulents, également exquis, elles ont des vidons et des béatitudes où elles s'imaginent voir les Apôtres.

Que vos compagnes soient des filles mortifiées par le jeûne, et que la pénitence apparaisse sur leur visage pâle et défait ; que la maturité de leur âge et la régularité de leur vie leur aient acquis l'estime générale; qu'elles chantent tous les jours dans leurs coeurs : « Où faites-vous paître votre troupeau, où prenez-vous votre repos à l'heure de midi? » et « Je désire me voir dégagé des liens du corps et rester avec Jésus-Christ. »

A l'exemple de votre époux, obéissez à vos parents; sortez rarement, et visitez les martyrs dans votre chambre. Si vous sortez chaque fois que, vous le croyez nécessaire, les prétextes ne vous manqueront jamais. Mangez peu, et ne chargez jamais votre estomac de viandes. Il y en a qui se réservent sur le vin, mais qui s'accablent de viandes. Quand la nuit vous vous levez pour prier Dieu, si vous avez des rapports, qu'ils viennent de besoin et non de réplétion. Lisez souvent et apprenez beaucoup de mémoire; ne vous endormez jamais que le livre à la main, et laissez-le tomber de sommeil. Jeûnez tous les jours et restez toujours sur votre appétit. A quoi sert un jeûne de deux ou trois jours, si par compensation on mange ensuite avec excès? Un estomac chargé matérialise l'esprit et donne lieu à mille désirs impurs, comme une terre qui a reçu trop d'eau ne produit que des épines et des ronces. Si, après le repas du soir, vous vous sentez au lit trop émue par ces désirs vagues que la jeunesse inspire et par les douces impressions des sens, armez-vous aussitôt du bouclier de la foi pour éteindre ces traits enflammés du malin esprit. « Ce sont tous des adultères, » dit le prophète Osée, « et leur cœur est semblable à un four chaud. Mais vous, en la compagnie de Jésus-Christ, écoutez bien sa parole et dites avec les disciples : « N'est-il pas vrai que notre cœur brûlait dans le chemin lorsque Jésus nous expliquait les Ecritures? » et avec le prophète-roi « Votre parole est toute brûlante, et votre serviteur l'aime uniquement. »

Ne rien aimer c'est difficile ; il y a nécessité pour le cœur humain de s'attacher à un objet quelconque : l'amour spirituel bannit de nos coeurs l'amour matériel ; les désirs de l'un étouffent ceux de l'autre, et celui-là s'accroît au détriment de celui-ci. Dites souvent sur votre lit : « J'ai cherché mon bien-aimé durant toute la nuit. » « Faites donc mourir, » dit saint Paul, , « les membres de l'homme terrestre qui est en vous. » Aussi le même apôtre disait-il avec confiance: « Je vis, ou plutôt ce n'est plus moi qui vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi. » Quand on mortifie son corps et qu'on voit le siècle présent comme une ombre fugitive, craint-on de dire : « Je suis devenu comme un vase l'ait de peau exposé à la gelée? » Comme la cigale, toutes les nuits arrosez votre lit de vos larmes; veillez comme le passereau sur un toit isolé, chantez de coeur et d'esprit : « Mon âme, bénissez le Seigneur et n'oubliez jamais ses bienfaits, puisque c'est lui qui vous pardonne toutes vos iniquités, qui vous guérit de tous vos maux et qui rachète votre vie de la mort. » Qui de nous peut dire du fond du coeur : « Je mangeais la cendre comme le pain, et je mêlais mes larmes à ma boisson? »Ne dois-je pas pleurer et gémir sans cesse? le serpent par ses dangereuses suggestions ne me sollicite-t-il pas de manger du fruit défendu? Après m'avoir chassé ' du paradis, où je jouissais des douceurs de la virginité, ne veut-il pas me couvrir de cet habit de peau qu'Elie jeta à terre en retournant à ce jardin de délices? Pourquoi goûter des plaisirs qui n'existent qu'en passant? pourquoi, se laisser prendre à l'harmonie enchanteresse mais fausse de ces dangereuses syrènes? Non, point de cette peine à laquelle Dieu a condamné l'homme-coupable. «Vous enfanterez,» dit-il à (329) la femme, « dans les tourments et dans les angoisses. » Cette loi n'a point été faite pour moi : « Et vous vous attacherez uniquement à votre mari. » Qu'elle s'attache donc à son mari celle qui n'a point Jésus-Christ pour époux. Enfin Dieu a ajouté . « Et vous mourrez. » Voilà le résultat du mariage. Il n'y a point de différence de sexe dans la profession que j'ai embrassée. J'admets que Dieu a autrefois établi le mariage, mais Jésus-Christ et Marie ont consacré la virginité.

On me dira sans doute. Comment osez-vous mal parler du mariage, que Dieu a béni ? Préférer la virginité au mariage n'est pas en dire du mal. Compare-t-on jamais le mal au bien? Les femmes mariées doivent même se l'aire gloire de marcher après les vierges. Dieu dit à l'homme : « Croissez, multipliez et peuplez la terre. » Que ceux-là croissent et multiplient qui doivent peupler la terre; mais ils sont dans le ciel ceux qui comme vous pratiquent la virginité. « Croissez et multipliez : » chassé du paradis terrestre, dépouille de la justice originelle et couvert de feuilles de figuier, indice des désirs déréglés du mariage, alors l'homme a exécuté le commandement du Créateur. Que ceux qui ont été condamnés à manger leur pain à la sueur de leur front, à cultiver une terre ingrate qui ne rapporte que des ronces et des épines, et à voir leur semence étouffée sous les ronces, que ceux-là se marient : la semence que je jette en terre produit au centuple. Tous les hommes ne peuvent pas garder la continence: ceux-là le peuvent qui ont reçu de Dieu le don de chasteté. La nature et la violence l'ont des eunuques involontaires : pour moi, je veux le devenir par mon propre choix. « Il v a un temps d'embrasser et un temps de ne pas embrasser ; il y a un temps de jeter les pierres et un temps de les ramasser : » durs et insensibles auparavant, les gentils sont devenus enfants d'Abraham, et « les pierres saintes ont commencé à rouler sur la terre; » car elles sont. dans le chariot de Dieu comme des roues roulant avec impétuosité au travers des bouleversements et des révolutions qui caractérisent le siècle présent. A-t-on perdu la robe sans couture dont on était revêtu , prend-on plaisir aux cris d'un nouveau-né qui déjà pleure le malheur de sa naissance , qu'on se fasse des habits de peau. Dans le paradis terrestre Ève était vierge, et le mariage ne vint qu'après que l'homme et la femme eurent des habits de peau. Née dans le paradis, maintenez-vous dans les droits de votre heureuse naissance, et dites avec le prophète-roi : «  Retournez, ô mon âme, au lieu de votre repos. » La virginité n'est-elle pas naturelle à l'homme et le mariage n'est-il pas une suite et une conséquence de sa désobéissance, puisqu'il produit des enfants vierges, et qu'il donne dans le fruit ce qu'il a perdu dans la racine? « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine. » Ce rejeton est la mère de notre Seigneur, rejeton simple, pur, isolé de germe étranger, et qui seul et sans le secours d'aucune autre créature a produit son fruit par une fécondité comme semblable à celle de Dieu même.

La fleur qui sort de ce rejeton est Jésus-Christ, qui dit dans les Cantiques : « Je suis la fleur des champs et le lis des vallées. » Il est encore figuré par cette pierre qui se détacha d'elle-même de la montagne, le prophète voulant indiquer parce qu'un homme vierge devait naître d'une mère vierge. L’Ecriture sainte prend souvent la main pour l'action même du mariage, comme dans les Cantiques : « Il met sa main gauche sous ma tête. et il m'embrasse de sa main droite. » C'est ce qui est encore indiqué et par les animaux impurs entrés deux à deux dans l’arche de Noé, les animaux purs étant en nombre impair, et par l'ordre donné à Moïse et à Josué de marcher pieds nus sur la terre que Dieu avait sanctifiée par sa présence, et par l'ordre donné aux apôtres d'aller prêcher l'Evangile sans porter de souliers, qui auraient pu les embarrasser dans les fonctions de leur ministère. Les soldats qui tirèrent au sort les vêtements du Sauveur et qui se les partagèrent ne trouvèrent pas de souliers, car Jésus-Christ, qui les avait défendus à ses disciples, n'en portait pas.

Je loue le mariage parce qu'il enfante des vierges : c'est une épine qui porte des roses, une terre qui rend de l'or, une nacre à perles. Est-ce que le laboureur laboure sans cesse? ne prend-il pas le loisir de jouir de ses travaux? Aimer beaucoup les fruits du mariage c'est le respecter. O mère, pourquoi regarder votre fille avec envie? Ne l'avez-vous pas nourrie de votre lait, élevée sur votre sein? n'avez-vous pas veillé sur sa virginité avec toute la (330) sollicitude d'une mère? La blâmez-vous d'avoir épousé un roi plutôt qu'un simple soldat ? Remerciez-la de son choix, puisque vous êtes devenue la belle-mère d'un Dieu.

« Je n'ai point revu d'ordres du Seigneur, » dit l'apôtre saint Paul,« relativement aux vierges. » Pourquoi? parce que cet apôtre lestait vierge par sa propre volonté, et non par aucun ordre de Jésus-Christ. Quelques-uns ont prétendu que saint Paul avait été marié : ne le croyez pas. En parlant de la continence il exhorte les fidèles à rester vierges : « Je voudrais voir tous les hommes dans le même état que moi ; » et ailleurs : « Je déclare aux personnes qui ne sont point mariées ou aux veuves qu'il leur est avantageux de demeurer en cet état, comme j'y demeure moi-même; » et encore : « N'avons-nous pas la faculté de mener des femmes partout avec nous, compte tous les autres apôtres ? » Pourquoi donc; le Seigneur ne lui a-t-il rien dit de la virginité? parce que les sacrifices volontaires faits à Dieu méritent une plus grande récompense ; et pouvait-on imposer l'obligation de la virginité sans proscrire le mariage? Il aurait d'ailleurs été mal de contrarier la nature dans ses plus douces inclinations, de forcer l'homme à mener sur la terre une vie angélique, et de condamner pour ainsi dire l'œuvre du Créateur. Les idées de bonheur de l'ancienne loi diffèrent beaucoup de celles de la nouvelle: « Heureux, » disait Isaïe, « ceux qui ont des enfants dans Sion et une famille dans Jérusalem! maudite soit la femme stérile qui n'enfante point! Vos enfants seront autour de votre table comme de jeunes oliviers; » de grandes richesses et point de malades dans leurs tribus, telles sont les promesses qu'on faisait aux Juifs. Aujourd'hui on nous dit : « Ne vous imaginez pas être comme un tronc desséché, » car, au lieu d'enfants sur la terre, vous aurez dans le ciel une place pour l'éternité ; aujourd'hui les pauvres sont « bienheureux, » et la pauvreté de Lazare l'emporte sur la pourpre du riche; aujourd'hui la langueur et la faiblesse fortifient. Le grand bonheur des patriarches, quand la terre manquait encore d'habitants, était el avoir une nombreuse famille (je ne dis rien de ce que leurs mariages avaient de mystérieux) : quoique fort âgé, Abraham épousa Cethura; pour habiter avec Jacob Lia lui donna de la mandragore, et la belle Rachel, figure de l'Eglise, se plaignait de sa stérilité; mais comme la moisson fructifiait, le moissonneur est venu faire la récolte : Elie, Elizée, plusieurs enfants des prophètes ont pratiqué la virginité; Dieu dit à Jérémie : « Ne vous mariez point. »

Cette défense s'explique : Jérémie avait été sanctifié dans le sein de sa mère, et le peuple Juif allait portez les chaînes de l'esclavage. L'apôtre saint Paul nous dit en d'autres termes : « Il est bon, à cause des calamités de la vie présente, que l'homme ne se marie pas.» Quelles sont ces calamités ? c'est, dit cet apôtre, que « le temps est court; et ainsi que ceux qui ont des femmes soient comme n'en ayant pas.» Nabuchodonosor arrive; ce lion sort déjà de sa tanière : à quoi bon le mariage, s'il fournit des esclaves à ce prince superbe? pourquoi mettre au monde des enfants dont le malheureux sort fait peine au prophète : « La langue de l'enfant à la mamelle s'est collée à son palais dans l'extrême soif qu'il ressent; les petits enfants ont demandé du pain, et personne ne s'est rencontré pour leur en donner. »

Les hommes seuls pratiquaient donc la continence, la femme enfantait toujours dans la douleur; mais la malédiction qui pesait sur elle a été effacée par la fécondité d'une vierge et par l'enfant qu'elle nous a donné, enfant Dieu fort, père du siècle futur; qui avait sur l'épaule la marque de sa principauté. Eve fut le principe de mort pour l’homme, et Marie la source de vie. Commencée par une femme, la virginité a prévalu chez les femmes. Aussitôt sa naissance le fils de Dieu se tonne une nouvelle femme, pour être sur la terre servi par des anges comme dans le ciel il est adoré par des anges : alors la chaste Judith coupe la tête à Holopherne; Aman, qui signifie : iniquité , est victime du feu qu'il avait lui-même allumé ; saint Jacques et saint Jean abandonnent pour le Sauveur leur père, leurs filets et leur nacelle. Ainsi il y a tout à la fois abnégation des intérêts, des engagements contractés et des sentiments les plus tendres de la nature. Alors on dit à l'homme : « Que celui qui veut venir après moi renonce à lui-même, prenne sa croix et me suive. » Un soldat va-t-il avec sa femme au-devant de l’ennemi? non. Jésus Christ refuse à son disciple la permission d'aller rendre à sou propre père les devoirs de la sépulture. « Les renards ont leurs tanières et les oiseaux du ciel leurs nids (331) pour s'y reposer, mais le Fils de l'homme n'a pas seulement où mettre sa tête. » Si quelque fois nous sommes logés à l'étroit, apprenons de là à n'en avoir aucun souci.

Celui qui n'est point marié, a dit l'apôtre saint Paul, « a soin des choses du Seigneur et pense à lui plaire ; mais celui qui est marié a les choses de ce monde en tête et ne pense qu'à plaire à sa femme. Une lemme et une vierge sont aussi partagées : celle qui n'est point mariée est tout entière aux choses du Seigneur afin d'être sainte de corps et d'esprit, mais celle qui est mariée est sous le poids des affaires et ne songe qu'à plaire à son mari. » Dans mon livre contre Helvidius, pour la défense de la virginité de la sainte Vierge, je crois avoir retracé les chagrins et les inquiétudes du mariage: ceux qui veulent les connaître peuvent le lire, car ce serait trop long d'y revenir ici; mais pour éviter le reproche de les avoir passés sous silence je dirai seulement qu'il faut, ou rester vierge si l'on veut pouvoir prier toujours, ou cesser de prier si l'on veut s'acquitter des obligations du mariage, puisque saint Paul d'un côté nous recommande de prier sans cesse, et que d'un autre côté les engagements du mariage sont un obstacle à la prière. Le même apôtre dit encore: « Si une fille se marie elle ne pèche pas, mais tous ceux qui prendront ce parti souffriront dans leur chair. » Je vous ai déjà prévenue que je ne dirais qu'un mot des inconvénients du mariage : je vous le répète encore ici; et si vous tenez à savoir quelles peines, quels ennuis une vierge s'évite par la continence et une femme s'occasionne par le mariage , consultez le traité de Tertullien à un philosophe de ses amis, les deus livres qu'il a faits sur la virginité, le bel ouvrage de saint Cyprien sur le même sujet, les livres du pape Damase tant en prose qu'eu vers, et le traité que saint Ambroise a composé depuis peu pour sa saur, Il y a dans cet ouvrage tant d'exactitude, tant d'ordre et tant d'éloquence, que l'auteur n'a rien oublié de tout ce qui peut ajouter à la gloire des vierges. Pour moi, je suis une autre route, puisque je ne fais pas ici l'éloge de la virginité, mais je vous apprends ce que vous avez à l'aire pour la conserver. Connaître le bien ne suffit pas , il faut encore s'y maintenir une fuis qu'on y est : pour le connaître il ne faut que les lumières de la raison, mais pour y persévérer il faut violenter la nature, beaucoup le connaissent, mais peu s'y attachent avec constance. « Celui-là sera sauvé, » dit Jésus-Christ, «qui persévérera, jusqu'à la fin; beaucoup sont appelés, mais peu sont élus.

Ne portez donc point en public, ma chère Eustochia , je vous en prie en présence de Dieu, de Jésus-Christ et de ses anges, les vases du temple, que les prêtres seuls peuvent voir, pour ne pas exposer le sanctuaire du Seigneur à des regards profanes. Oza a la témérité de mettre la main sur l'arche d'alliance, qu'il ne lui était pas permis de toucher: il est frappé de mort subite. Les vases d'or et d'argent n'ont jamais valu dus yeux de Dieu le corps d'une vierge, qui est son temple. Plus d'ombres et de ligures aujourd'hui : c'est la vérité qui éclate. Vous parlerez aux gens avec simplicité et candeur, vous aurez même des égards pour des personnes inconnues ; mais un oeil impudique voit différemment: comme il ne comprend pas la beauté de l’âme, il est tout entier à celle du corps. Le roi Ezéchias fit passer tous les trésors du Seigneur devant les Assyriens, tandis qu'il n'aurait pas fallu leur montrer ce qui pouvait enflammer leur cupidité : aussi dans toutes les guerres de la Judée les vases de Dieu devenaient le premier butin de l'ennemi. Transportés à Babylone, Balthazar s'en servit dans un festin pour boire avec ses femmes, parce, que le dernier degré de la licence est de profaner les choses saintes.

Fermez l'oreille aux mauvais discours. Souvent ceux qui laissent comme échapper devant vous quelques paroles libres cent un but : ils veulent vous éprouver, s'assurer si cela vous déplait et si vous aimez à rire et à plaisanter. Applaudir à toutes vers paroles, condamner ce que vous n'approuvez pas, s'arrêter complaisamment sur votre piété, votre enjouement et votre franchise est pour eus un système : « Voilà une véritable servante de Jésus-Christ: c'est la candeur et la simplicité même. Quelle différence de manières avec cette autre, farouche , grossière et stupide , qui n'a sans doute renoncé au mariage que faute de mari ! » Par une suite de notre malheureuse nature nous écoutons toujours avec plaisir ceux qui nous flattent; nous nous laissons prendre à ces compliments, et nous les recevons avec une certaine satisfaction, bien que par une certaine (332) honte et une apparence de modestie nous paraissions les refuser. Comme l'arche d'alliance, qu'une épouse de Jésus-Christ soit revêtue d'or au dedans comme au dehors; qu'elle garde le dépôt de la loi du Seigneur. Eloignez votre intelligence de toutes les choses extérieures et sensibles, puisque l'arche ne contenait que les tables du Testament. Le Seigneur veut s'asseoir sur ce propitiatoire comme sur les ailes des chérubins. Il vous envoie ses disciples pour vous délier comme ce petit ânon dont parle l'Evangile, pour vous délivrer des soins et des embarras du siècle; et, laissant la paille et les briques d'Egypte, suivez Moïse dans le désert et entrez dans la terre de promission. Le Seigneur a besoin de vous: que personne ne vous empêche de rompre vos liens, ni mère, ni père, ni soeur, ni frère. S'il vous arrêtent, n'auront-ils pas la main de Dieu sur la tête? lisez dans l'Ecriture la série des malheurs qui accablèrent Pharaon pour avoir refusé au peuple d'Israël la liberté d'aller adorer le Seigneur. Entrez dans le temple : Jésus-Christ jette dehors tout ce qui ne sert point au culte. C'est un Dieu jaloux : il ne peut souffrir que la maison de son père devienne une caverne de voleurs. Se trouve-t-il dans un lieu oit l'on manie l'argent par profession; où l'on vend des colombes, où l'on immole l'innocence; voit-il le cœur d'une vierge préoccupé et livré à toutes les affaires de ce monda : aussitôt le voile du temple se déchire, et ce divin époux dit avec colère à ces âmes mondaines : « Votre maison va demeurer déserte. » Voyez dans l'Évangile le Sauveur préférer Marie, assise à ses pieds, à Marthe, sa soeur , qui s'empresse pour le recevoir avec tout le zèle que demande l'hospitalité. Marthe prépare à manger à Jésus-Christ et à ses disciples : il lui dit néanmoins : « Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et vous vous tourmentez de beaucoup de choses; peu cependant sont nécessaires. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée. » Imitez Marie, et préférez la nourriture de l'âme à celle du corps laissez à vos soeurs l'embarras du ménage et le soin de recevoir Jésus-Christ en leur maison; trais vous, déchargée des affaires accablantes du siècle, mettez-vous à ses pieds et dites-lui avec l'épouse des Cantiques : « J'ai trouvé celui que mon âme cherchait: je l'arrêterai et ne le laisserai point partir; » et qu'il vous réponde : « Une seule est ma colombe et ma parfaite amie, elle est unique à sa mère, et celle qui lui a donné la vie, » c'est-à-dire la Jérusalem céleste, « l'a choisie préférablement à toute autre. » Jouissez, dans le secret de votre chambre des caresses de votre époux. Faites-vous oraison? vous lui parlez; faites-vous quelque lecture? c'est lui qui vous parle. Il viendra pendant votre sommeil par derrière la touraille, il passera sa main par l'ouverture de la porte, et vous serez émue à son approche. Réveillez-vous vite et, sortant du lit, dites : «  Je suis blessée d'amour; » et il ajoutera : « Ma soeur, mon épouse est un jardin fermé ; c'est un jardin fermé et une fontaine scellée. »

Ne quittez jamais votre maison pour visiter des filles étrangères, quand même vous seriez scieur des patriarches et fille de Jacob. Dina sort de la maison de son père: elle perd son innocence. Est-il besoin de chercher votre époux sur les places publiques et de faire le tour de la ville pour le trouver ? En vain direz-vous : « Je me lèverai, je ferai le tour de la ville, et je chercherai dans le marché et sur les places publiques le bien-aimé de mon âme, » personne ne daignera vous répondre. N'espérez pas rencontrer votre époux sur les places publiques; le chemin qui conduit à la vie est petit et étroit. Aussi l'épouse ajoute : « Je l'ai cherché et ne l'ai pas trouvé, je l'ai appelé et il ne m'a point répondu. » Hélas! n'eussiez-vous point d'autre chagrin! mais vous en aurez un autre plus accablant, car on vous blessera, on vous dépouillera, et dans l'excès de votre douleur vous direz : « Les gardes qui parcourent la ville m'ont rencontrée ; ils m'ont frappée, blessée, et m'ont enlevé mon manteau. » Si l'épouse qui disait: « Je dors, et mon coeur veille.... Mon bien-aimé est pour moi comme un bouquet de fleurs de myrrhe; il demeurera sur mon sein; » si cette épouse, pour être sortie de chez elle, a éprouvé tant de malheurs, que ne nous arrivera-t-il pas, à nous jeunes files, qu'on laisse dehors tandis que l'épouse entre dans la chambre de l'époux? Jésus-Christ est jaloux; personne que lui ne doit voir votre visage. En vain justifierez-vous votre conduite : « J'étais couverte de mon voile; je suis allée vous chercher où vous étiez et je vous ai dit : « O bien-aimé de mon âme, apprenez-moi où vous menez paître votre troupeau et où vous reposez à midi, pour ne pas être (333) obligée de me cacher le visage en rencontrant les troupeaux de vos compagnons : », irrité contre vous, l'époux vous répondra dans sa colère « Si vous ne vous connaissez pas, ô vous qui êtes belle entre toutes les femmes, sortez et suivez les traces des troupeaux, et menez paître vos chevreaux dans les tentes des pasteurs. » Si, malgré votre beauté et l'amour de votre époux pour vous seule, vous vous compromettez; si vous ne surveillez votre coeur avec la plus grande vigilance, si vous ne fuyez les yeux des jeunes gens , l'époux cependant vous chassera de son lit, et vous fera paître ces boucs qui au jour du jugement doivent être placés à la gauche.

Écoutez, ma chère Eustochia, ma mère, ma fille, ma compagne, ma soeur ( car vous êtes ma mère par votre mérite, ma fille par votre âge, ma compagne par la profession que nous faisons tous deux de servir le même Dieu, et ma sueur par les liens que la charité a formés entre nous ), écoutez le prophète Isaïe : « Mon peuple, entrez dans vos chambres, fermez vos portes, et tenez-vous cachés pour un moment jusqu'à ce que la colère du Seigneur soit passée. » Que les vierges folles courent les rues quant à vous , restez avec votre époux dans l'intérieur de votre maison ; fermez sur vous la porte avec soin, et priez, suivant l'Evangile, votre père dans le secret. Alors cet époux viendra et dira, frappant à votre porte : « Me voici à la porte, et c'est moi qui frappe : si quelqu'un m'ouvre j'entrerai, et je souperai avec lui et lui avec moi. » Répondez tout de suite avec un saint empressement : « J'entends la voix de mon bien-aimé qui frappe à la porte: « Ouvrez-moi, » me dit-il, « ma soeur, ma colombe, ma parfaite amie. » Ne lui dites pas : « J'ai quitté ma robe, comment la revêtirai-je? J'ai lavé mes pieds, comment pourrai-je les salir?» Ne tardez pas un instant à vous lever, ouvrez-lui la porte vite; car il pourrait passer outre si vous étiez trop longtemps à lui ouvrir; et dans votre affliction vous diriez : « J'ai ouvert ma porte à pion bien-aimé, mais il était déjà parti. » Pourquoi fermer la porte de votre cœur? ouvrez-la à Jésus-Christ votre époux, fermez-la au démon selon cette parole du sage : « Si l'esprit de celui qui a la puissance s'élève sur vous, ne quittez point votre place. » Daniel pour prier se retirait dans le haut de sa maison, et ouvrait ses fenêtres du côté de Jérusalem : ouvrez aussi les vôtres pour laisser pénétrer la lumière dans votre chambre et pour voir la cite du Seigneur; mais n'ouvrez pas ces fenêtres dont a parlé un prophète : « La mort est entrée par vos fenêtres. » Soyez sur fa défensive contre les attraits et les surprises de la vaine gloire. « Comment pourriez-vous croire,»dit, Jésus-Christ aux Juifs, « vous qui recherchez l'estime des hommes?» Un vice qui apporte à la foi des obstacles presque invincibles doit être bien grand. Quant à nous, disons avec un prophète : « C'est en vous, Seigneur, que je mets toute ma gloire ; » et avec saint Paul : « Que celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur. Si je voulais encore plaire aux hommes je ne serais pas serviteur de Jésus-Christ. A Dieu ne plaise que je me glorifie autrement qu'en la croix de notre Seigneur! » et avec le prophète : « Nous nous glorifierons en vous durant tout le jour; mon âme se glorifiera dans le Seigneur. » Que Dieu soit le seul témoin de voire aumône, et ayez toujours au milieu du jeune un visage ouvert et joyeux. Ne vous faites pas montrer au doigt et n'arrêtez pas les passants par une tenue trop négligée, ou par une propreté trop recherchée, où par une singularité bizarre dans votre costume. Vous avez perdu votre frère et déjà l'on prépare la tombe de votre soeur : en rendant si souvent ces tristes devoirs aux autres songez que la mort peut aussi vous appeler.

Évitez de paraître plus dévote et plus humble qu'il ne convient, et. ne courez pas après la gloire tout en paraissant la fuir. Il y en a qui sont mystérieux sur leur pauvreté, leurs aumônes et leurs jeûnes que personne ne tonnait, mais qui recherchent l'approbation des hommes, bien qu'ils affectent de la mépriser. Ainsi par un raffinement de vanité inexplicable ils retiennent d'une main la gloire qu'ils repoussent de l'autre. On trouve beaucoup de gens qui, exempts d'autres passions, restent maîtres d'eux mêmes en face de la joie, du chagrin, de l'espérance et de la crainte; mais il en est très peu qui restent insensibles à la vaine gloire; de sorte que , comme le visage le plus beau est celui qui a le moins de défauts, de même l'homme le plus humble est celui qui a le moins de vanité. Je ne vous dis pas de ne point vous élever au-dessus des autres et de ne pas vous prévaloir de vos richesses et de votre (334) naissance : je sais quelle est votre modestie, et que vous dites du fond de l'âme : « Seigneur, mon coeur ne s'est point enflé d'orgueil, et mes yeux ne se sont point élevés; » l'orgueil, qui a précipité le démon, vous est resté étranger ainsi qu'à votre mère : il est donc inutile de vous en parler; car il est ridicule de vouloir apprendre à un autre ce qu'il sait déjà. Si je vous en parle c'est pour ne pas tomber, par suite du mépris des vanités de ce monde, dans l’orgueil de l'humilité. Souvent, après avoir renoncé à la richesse et à la magnificence des habits, on met de l'amour-propre dans un extérieur négligé et sale; ou l'on recherche dans la compagnie de: frères et sueurs la dernière place comme la méritant; ou l'on parle d'une voix faible et languissante, on s'appuie sur les autres pour faire comprendre qu'on est épuisé par les jeûnes et qu'on va se trouver mal. Il y a des vierges qui recherchent un visage pâle et abattu pour révéler leurs jeûnes aux hommes : aperçoivent-elles quelqu'un de loin, aussitôt elles gémissent, baissent modestement les yeux, se couvrent la ligure de leur voile , laissant à peine un oeil pour se conduire. Elles ont une robe de couleur brune, une ceinture de cuir, les mains et les pieds sales ; mais l'estomac, qu'on ne peut voir intérieurement, est rempli de viandes. Appliquons à ces femmes ce que nous chantons tous les jours dans les Psaumes : « Dieu brisera les os de ceux qui ont une vaine complaisance d'eux-mêmes. » D'autres , rougissant de leur sexe, s'habillent en hommes, se coupent les cheveux, et marchent effrontément tête levée avec un visage efféminé; quelques-unes, pour imiter l'innocence et la simplicité des enfants, portent des cilices et des capes faites au métier, et, se rendent ainsi semblables aux chouettes et aux hiboux.

Comme je ne veux pas qu'on me reproche de ne parler que des femmes, je vous préviens que vous avez aussi à éviter des hommes; et quels hommes? ceux qui portent des chaînes de fer, des cheveux longs comme les femmes malgré la défense de l'apôtre saint Paul, une barbe de bouc, un manteau noir, et qui restent les pieds nus quelque froid qu'il fasse : ce costume est la livrée du démon. Tel a été cet Antoine si fameux, et tel est aujourd'hui ce Sophrone qui afflige Rome par ses scandales. Ces hommes s'introduisent dans les maisons des riches, séduisent « des femmes chargées de péchés, qui apprennent toujours; et qui n'arrivent jactais jusqu'à la connaissance de la vérité,» qui se revêtent à volonté d'un air de tristesse et d'abattement, mais mangent en secret la nuit pour prolonger leurs prétendus jeûnes. Je me tais, j'ai honte de tout dire : on m'accuserait peut-être de faire une satire au lieu de donner des conseils. Il y en a (je parle de ceux de mon ordre) qui ne reçoivent le diaconat et la prêtrise que pour visiter les femmes plus librement : alors des habits bien parfumés, la peau des pieds bien douce, une chevelure élégamment arrangée et des bagues étincelantes aux doigts, voilà toute leur vie; pour ne pas ramasser de boue dans les rues ils marchent sur la pointe des pieds, de sorte qu'ils paraissent toujours vouloir s'élancer en l'air, et qu'on les prend plutôt pour des nouveaux mariés que pour des ecclésiastiques. Connaître le nom et l'adresse des femmes nobles et riches, leurs goûts et leurs habitudes est une occupation et une étude sérieuse pour d'autres. Jugez du caractère des disciples par le portrait suivant d'un de leurs maures renommé pour ses souplesses et ses artifices.

Il sort du lit avec le soleil , règle l'ordre de ses visites de la journée, prend le chemin le plus court, et vous oies encore au lit que ce vieillard importun vous arrive. Aperçoit-il une nappe artistement brodée, un coussin bien conservé ou tout autre meuble élégant, vite il le loue, le retourne en tous sens, en admire le travail, et, faisant entendre qu'il en aurait grand besoin, il l'arrache plutôt qu'il ne l'obtient; car les femmes se gardent bien, en sa qualité de directeur à la mode, de le contrarier en quoi que ce soit. La chasteté et le jeûne lui sont odieux; il juge d'un repas par le fumet des viandes ; on l'appelle Pipizo parce qu'il est gourmand de volailles, et spécialement de petites grues. II a la barbe longue et épaisse; et il y a dans toute sa personne je ne sais quoi de lier et d'impudent ; aussi est-il fort sur la médisance et les injures. Il est partout ; c'est toujours lui qu'on aperçoit en entrant dan.; une oraison. Il sait les nouvelles dont on parle, les raconte et les arrange à sa manière. A tout moment il change de chevaux : à leur beauté et à leur vigueur on le prendrait pour le roi de Thrace.

 

335

 

Nous sommes en face d'un ennemi qui tire partout pour nous perdre. « Le serpent, » dit l’Ecriture, « était le plus rusé de tous les animaux que le Seigneur avait criés sur la terre. » Aussi saint Paul dit : « Nous n'ignorons pas les desseins. » Coquetterie ou négligence dans les habits ne convient pas à un chrétien. Il faut exposer les difficultés ou les doutes qui vous embarrassent dans la lecture de l’Ecriture sainte à un homme d'un mérite reconnu, d'un âge. à l'abri du soupçon, d'une réputation intacte, et qui puisse dire : « Je vous ai fiancée à un époux unique qui est Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une Vierge toute pure. » S'il ne s'en rencontre pas de ce caractère, préférez votre ignorance à une instruction dangereuse. La route que vous suivez est semée d'écueils, et plusieurs vierges, après une longue et inviolable chasteté, ou perdu la couronne de la virginité à l'heure même de la mort.

Ne traitez point avec hauteur Nos compagnes, quand même elles appartiendraient aux classes intérieures de la société, et ne prenez pas avec elles des airs de supériorité. Pourquoi ne pas manger à la même table puisque vous n'avez toutes qu'un même époux, que vous psalmodiez en commun et que vous recevez ensemble le corps de Jésus-Christ? Tâchez au contraire de lui faire des prosélytes : les vierges doivent mettre leur gloire à inspirer aux autres l’estime et l’amour de la virginité. En voyez-nous qui chancellent dans leur foi, tendez-leur les bras, pressez-les contre votre coeur, consolez-les , et faites-vous un mérite auprès de Dieu de les maintenir dans la chasteté ; mais rappelez ces paroles de l'apôtre saint Paul : « Il vaut mieux se marier que de brûler, » à celles qui pour s'affranchir de la servitude sembleraient vouloir vivre dans la continence.

Il y a des vierges et des veuves aussi fainéantes que curieuses qui courent de oraison en maison rendre des visites, et qui par leur verbiage et leur impudence se distinguent même des parasites de théâtre: évitez-les comme la peste, car « les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs. » Quoique livrées tout entières à la bonne chère et à d'autres plaisirs plus criminels encore, elles n'en donnent pas moins des avis aux autres : « Ma chère soeur, profitez du beau temps de votre vie, ne le perdez pas inutilement; il faut user des biens que Dieu nous a accordés. Prétendez-vous les laisser à vos enfants ? » Adonnées au vin et aux autres jouissances matérielles , ces femmes peuvent flétrir les âmes les plus pures, corrompre les coeurs les plus fermes, et inspirer l'amour des plaisirs à la vertu la plus austère. Cette vie molle et sensuelle leur rend lourd le joug de Jésus-Christ : alors elles veulent se marier, et elles se condamnent par la violation de la foi qu'elles avaient engagée auparavant.

Ne vous piquez point d'érudition , ni de faire de jolies pièces de vers ; n'affectez point de parler du bout des lèvres, de grasseyer sans cesse, et de ne prononcer les mots qu'à demi comme font quelques femmes par une nonchalance ridicule : elles se plaisent à outrer la nature jusque dans le langage, parce que le naturel leur paraît grossier et rustique. Quel rapport peut-il y avoir entre la lumière et les ténèbres, entre Jésus-Christ et Beliat? comment allier Horace avec les Psaumes, Virgile avec les Evangiles, Cicéron avec l'apôtre saint Paul ? n'y aurait-il pas scandale à vous voir assise dans un lieu consacré aux idoles? Tout est pur sans cloute pour ceux qui sont purs, et l'on ne doit. rien rejeter de ce qui se mange avec actions de grâce ; mais néanmoins il ne faut pas boire en même temps au calice du Seigneur et au calice des démons. Je vais à ce sujet vous raconter une fâcheuse aventure qui m'est arrivée.

Je quittai il y a plusieurs années pays, père, mère, soeur, parents, et, ce qui coûte aussi à quitter, une table où je faisais bonne chère : j’allai à Jérusalem pour y servir Dieu et pour y gagner le royaume du ciel. J'avais avec moi des livres demi ,je ne pouvais nie passer, et que je m'étais procurés à home avec beaucoup clé peines et de recherches. Ma passion et mon aveuglement étaient alors si grands que je jeûnais pour lire Cicéron. Après de longues et de fréquentes vrilles, après des larmes abondantes occasionnées par le souvenir de mes péchés passés, je lisais Pluton; et lorsque; rentrant en moi-même,.le lisais les prophètes, leur style dur et incorrect nie dégoûtait aussitôt. Aveugle et incapable de voir la lumière; je m'en prenais au soleil au lieu de reconnaître ma folie. Entraîné ainsi par les artifices du démon, il me prit vers la mi-carême une fièvre (336) violente qui, me fatiguant jour et nuit, réduisit mon corps, déjà  accablé par de continuelles austérités, à un tel état de maigreur que je n'avais plus que les os. Je commençais déjà à me refroidir. Je n'avais plus qu'un reste de vie qui se révélait par le battement du coeur et l'on se disposait à m'ensevelir, lorsque soudain il me sembla en songe paraître devant un tribunal stupéfait de l'éclatante majesté de ceux qui étaient présents, je restai prosterné contre terre sans oser seulement lever les veux. «Quelle est votre profession ? » me dit le juge. « Chrétien. » — « Vous en imposez : vous n'êtes pas chrétien, mais cicéronien ; car où est votre trésor là est aussi votre coeur. »

Je gardais le silence, plus déchiré par les remords de ma conscience que par les coups de verges qu'on me donnait. ( car le juge avait ordonné qu'on me frappât ), et je me rappelais ce verset du Psalmiste : « Qui publiera vos louanges dans l'enfer, Seigneur? » Je me mis à crier et à dire en gémissant : « Ayez pitié de moi, Seigneur ! avez pitié de moi ! » On m'entendait continuellement répéter cette prière au milieu des coups que je recevais. Enfin les spectateurs, s'étant jetés aux pieds du juge, le prièrent de pardonner à ma jeunesse et de m'accorder le temps de faire pénitence de ma faute, sauf, à me punir ensuite rigoureusement si j'y retombais. Quant à moi, dans une telle circonstance j'aurais voulu promettre encore plus : je lui fis les plus grands serments du monde, et, le prenant lui-même à témoin, je lui dis : « Seigneur, s'il m'arrive jamais d'avoir ou de lire des livres profanes, je consens que vous me regardiez comme un homme qui vous a renié. »  Aussitôt après je fus mis en liberté. Je revins à moi, et, au grand étonnement de ceux qui entouraient mon lit , je versai des larmes si abondantes que les plus incrédules furent convaincus de la douleur que j'éprouvais. J'en atteste et ce tribunal redoutable devant lequel j'ai comparu et ce jugement rigoureux qui m'a tant effrayé, il n'y avait là ni songe ni vision. Fasse le ciel que je ne sois jamais appliqué à une telle question ! j'avais les épaules meurtries à mon réveil, et je ressentais encore la douleur des coups que j'avais reçus. Aussi ma passion pour l'étude des livres sacrés fut-elle beaucoup plus grande que ne l'avait été ma passion pour les livres profanes.

L'avarice est un vice contre lequel vous devez vous tenir sur la défensive : ne point convoiter par une cupidité déréglée le bien d'autrui ne suffit pas, puisque les lois civiles même sévissent contre cette injustice ; mais il ne faut point ménager par un attachement criminel votre propre bien, qui appartient encore à d'autres qu'à vous. « Si vous n'avez pas été fidèles, » dit Jésus-Christ, « dans la dispensation d'un bien qui n'était pas à vous, qui vous donnera celui qui vous appartient ?»

Posséder beaucoup d'or et beaucoup d'argent c'est posséder un bien étranger : les biens spirituels sont nos seules et véritables richesses, comme dit l'Écriture : « L'homme trouve dans ses propres richesses de quoi se racheter. » Nul ne peut servir deux maîtres ; car ou il hait l'un et aime l'autre, ou il s'attache à l'un et méprise l'autre. On n'est pas en même temps à Dieu et à l'argent (mammona en langue syriaque). La foi s'étiole et meurt au milieu des soucis d'argent, qui n'amènent que l'avarice et nous assimilent aux païens.

Mais, direz-vous peut-être, je suis une jeune fille délicate qui ne tonnait guère le travail des mains : qui me soulagera dans ma vieillesse ou dans la maladie? Écoutez ce que Jésus-Christ dit à ses apôtres : « Ne vous inquiétez ni de votre nourriture ni de votre habillement. Est-ce que la vie ne vaut pas mieux que la nourriture, et le corps que le vêtement? Considérez les oiseaux du ciel, qui ne sèment ni ne moissonnent, et qui n'amassent point dans des greniers, mais votre pire céleste les nourrit. »

Manquez-vous de vêtements,     pensez à la beauté pure et éclatante des lys; avez-vous faim, n'oubliez pas que les pauvres et ceux qui souffrent de la faim sont les bienheureux de Jésus-Christ; êtes-vous malade, lisez saint Paul : « Mes faiblesses sont ma satisfaction et ma joie ; et, afin qu'il ne fût pas donné à l'orgueil de prévaloir contre moi, Dieu a permis que j'éprouvasse les mouvements de la nature, qui ne sont autres que les attaques de l'ange de Satan. » Soyez dans la joie des jugements de Dieu sur vous, comme dit le prophète-roi

« Les filles de Juda ont tressailli de joie à cause de vos jugements, ô Seigneur. » Dites toujours avec Job : « Sorti nu du sein de ma mère, j'y retournerai nu ; » et avec saint Paul : « Arrivés (337) en ce monde avec rien, nous en sortirons de même. »

Plusieurs femmes ne font pas attention à ces paroles; car leur garde-robe est remplie d'habits, elles en mettent de nouveaux chaque jour, et elles ne peuvent les préserver des vers. D'autres qui montrent un peu plus de religion n'ont qu'un seul habit; elles le portent jusqu'aux lambeaux, et leur coffre est plein d'or et d'argent. Leurs livres, écrits en lettres d'or sur du parchemin de couleur pourpre, sont enrichis de pierreries, et Jésus-Christ nu meurt de besoin à leur porte. Font-elles l'aumône aux pauvres, c'est au son de la trompette; donnent-elles à manger à ceux qui ont faim, un crieur à gages court le publier par les rues et les places publiques.

J'ai été témoin, il y a peu de temps, d'une scène étrange dans l'église Saint-Pierre de Rome. Une darne des premières familles de Rome (je ne la nommerai pas, afin qu'on ne prenne pas ceci pour une satire), précédée d'une troupe d'esclaves, donnait elle-même, pour signaler sa charité, à chaque pauvre une pièce d'argent une vieille femme couverte de haillons, qui avait reçu la sienne, alla se placer sur un autre rang pour recevoir une seconde fois ; mais la dame la reconnut, et, pour la punir de sa faute, au lieu d'une pièce d'argent lui appliqua un si violent soufflet qu'elle la mit tout en sang.

L'avarice est l'origine de tous les maux. Saint Paul l'appelle, idolâtrie: « Cherchez d'abord le royaume de Dieu, »dit-il, « et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît. Le Seigneur ne laissera point mourir de faim l'âme du juste. » Le prophète-roi dit : « J'ai été jeune, maintenant je suis vieux : je ne me rappelle pas que le juste ait été abandonné et que ses enfants aient cherché du pain. » Des corbeaux apportent â manger à Elie ; la veuve de Sarepta, à la veille de mourir de faim avec ses enfants, se prive néanmoins pour donner à ce prophète; mais sa portion d'huile augmente d'une manière miraculeuse, et elle reçoit la nourriture de celui qui était venu lui en demander. « Je n'ai ni or ni argent, » disait saint Pierre, « mais je vous donne ce que j'ai. Levez-vous au nom de Jésus-Christ, et marchez. » Combien aujourd'hui qui disent, non en paroles mais par leurs couvres: Je n'ai ni foi ni charité, mais j'ai de l'or et de l'argent, et je ne vous donne pas ce que j'ai.

Soyons contents d'être seulement nourris et vêtus. Ecoutez la prière de Jacob : « Que mon Seigneur reste avec moi, qu'il me conduise dans le chemin où je me trouve, qu'il me donne du pain pour manger et des vêtements pour me couvrir.» Que demande-t-il à Dieu? le nécessaire. Et après vingt ans d'absence que fait-il? Il revient en la terre de Chanaan avec une famille nombreuse et riche en esclaves. L'Ecriture sainte nous apprend à fuir l’avarice par beaucoup d'exemples : je les ai déjà rapportés, et comme je me propose de traiter à part cette question, je vais me borner au récit de ce qui est arrivé il y a quelques années dans un monastère de Nitrie. Plus économe qu'avare, ignorant que le Sauveur avait été vendu trente deniers, un frère laissa en mourant cent écus qu'il avait gagnés à faire des filets : les solitaires de ce pays, qui sont au nombre de cinq mille dans des cellules séparées, se réunirent pour délibérer sur le parti à prendre : les uns pensaient à distribuer l'argent aux pauvres, les autres à le donner à l'Eglise, quelques-uns à le remettre à la famille du mort; mais Macaire, Pambo, Isidore, et les autres appelés pères, inspirés par le Saint-Esprit, voulurent qu'on enterrât tout à la fois l'argent et le mort en disant : « Que ton argent périsse avec toi!» Cette conduite n'avait rien de dur et d'inhumain, et elle frappa tellement les solitaires d'Egypte qu'ils regardaient comme un crime de laisser seulement un écu en mourant.

Comme je sais que tout ce qui peut exciter votre piété vous fait plaisir, donnez-moi un moment d'attention pour vous parler des solitaires d'Egypte. Il y en a de trois sortes : les cénobites, sausés en langue égyptienne, c'est-à-dire: qui vivent en commun; les anachorètes, ainsi appelés parce qu'ils demeurent seuls dans le désert entièrement séparés du reste des hommes; les remoboth, hommes d'une conduite peu réglée, et généralement méprisés. Notre  province (la Pannonie) n'en connaît pas d'autres; du moins y sont-ils au premier rang. Ils se réunissent deux ou trois ( rarement plus de trois ) pour vivre dans l'indépendance et à leur fantaisie. La table est commune entre eux, et ils contribuent aux frais par le travail de leurs mains. Ils habitent volontiers les villes et bourgs, (333) et assez souvent ils vendent leurs ouvrages plus cher que les ouvriers ordinaires, comme si la sainteté consistait à bien travailler et non à vivre saintement. Subvenant eux-mêmes à leur entretien et à leur nourriture, ils ne veulent se soumettre à personne, et souvent. ils se brouillent ensemble. Il est vrai qu'il y a lutte entre eux pour le jeûne ; car ils cherchent à prévaloir dans une couvre qu'ils devraient tenir silencieuse et cachée. Tout en eux est étudié et affecté, et leur vertu consiste dans l'ampleur des manches de leur vêtement, dans la largeur de leurs souliers, dans de fréquents soupirs, dans des visites aux vierges et dans la censure des ecclésiastiques. Les jours de fête ils boivent jusqu'à se rendre malades.

Mais laissons là ces moines déréglés et scandaleux, et parlons des cénobites, qui vivent en commun. Leur premier engagement, base de leur association, est une soumission absolue aux anciens. On les divise en décuries et en centuries, en sorte qu'un décurion commande à neuf moines et un centenier à dix décuries. Ils demeurent en particulier dans des cellules séparées les unes des autres, et ils ne peuvent se réunir avant l'heure de none, à l'exception des décurions, qui peuvent visiter ceux qu'ils dirigent pour soutenir et consoler celui que tourmentent de mauvaises pensées.

Ils s'assemblent habituellement à l'heure de none pour chanter des psaumes et lire l'Ecriture sainte. Après la prière ils se rangent dans un profond silence autour de celui qu'ils appellent père, pour entendre une exhortation spirituelle, sans cracher ni lever les yeux. Leurs applaudissements ne se révèlent que par leurs larmes, et ils étouffent jusqu'aux soupirs que la componction leur occasionne. Mais néanmoins ils en laissent échapper quelques-uns lorsque le père en vient au royaume de Jésus-Christ, à la félicité et à la gloire qui leur sont promises ; et ils disent en eux-mêmes en levant les yeux au ciel: « Qui me donnera des ailes comme à la colombe, afin que je puisse m'envoler et me reposer? » Puis ils vont se mettre à table, chaque décurie avec son décurion. Chaque solitaire y sert à son tour pendant une semaine. On n'entend jamais de bruit, et ils prennent très silencieusement leurs repas qui se composent de pain, de légumes, d'herbes, dont le sel est tout l'assaisonnement. Les vieillards seuls

boivent du vin: souvent on leur en donne à dîner, ainsi qu'aux jeunes, pour soutenir la vieillesse des uns et fortifier la faiblesse des autres. Le repas terminé ils l'ont une prière, et se retirent dans leurs cellules où ils s'entretiennent jusqu'à vêpres avec ceux de leur décurie. « Avez-vous remarqué, » disent-ils, «de combien de grâces le ciel a prévenu celui-ci, combien celui-là est silencieux, combien cet autre a l'air grave et modeste ? » Ils consolent les faibles, et excitent les fervents à s'avancer de plus en plus dans les voies de la perfection. Ne font-ils point leurs prières en commun, alors ils veillent en particulier la nuit dans leurs cellules , et. il y en a qui viennent observer ce qui s'y fait: s'ils en découvrent un qui soit tiède et languissant ils ne lui disent rien, mais sous un prétexte indifférent ils le visitent plus souvent, causent avec lui, et, au lieu de. lui parler de l'oraison comme d'une loi, ils lui en tracent un si beau portrait qu'ils la lui font aimer. Chaque jour on leur donne de l'ouvrage à tâche, qui est remis entre les mains du décurion : celui-ci le porte à l'économe, qui tous les mois rend compte au supérieur avec une crainte respectueuse. L'économe goûte avec soin la nourriture des frères ; et, comme on ne doit pas dire qu'on n'a point de robe ou de natte pour coucher, il règle tout avec tant de prudence et de sagesse que personne ne demande rien parce que rien ne manque. Un frère est-il malade , on le transporte de sa cellule dans une chambre plus grande, et les anciens en ont tellement soin qu'il n'a pas sujet de regretter les avantages des villes ou la sollicitude d'une mère. Le dimanche est consacré à la lecture et à la prière, bien qu'ils s'y appliquent chaque jour après le travail manuel et qu'ils apprennent l'Ecriture sainte. Leur jeûne dure toute l'année : ils peuvent l'augmenter en carême par des mortifications et austérités nouvelles. Depuis Pâques jusqu'à la Pentecôte on change le souper en dîner, tant pour se conformer à la tradition de l'Eglise que pour ne pas se charger l'estomac en faisant deux repas par jour. Tels étaient ces esséniens dont parle Philon, cet écrivain qui a si bien imité le style de Platon; tels ceux dont Joseph, le Tite-Live des Grecs, nous fait le portrait dans son second livre de la Captivité des Juifs.

Tout en vous parlant des vierges je vous ai aussi beaucoup parlé des solitaires : je n'ai (339) cependant pas fini, et j'ai encore à vous parler de la troisième classe, des anachorètes, qui n'emportent avec eux dans le désert que du pain et du sel. Leur fondateur est saint Paul ermite, ou mieux saint Jean-Baptiste, en remontant plus haut; et saint Antoine les a illustrés. Ces paroles de Jérémie conviennent bien à saint Jean-Baptiste : « Il est bon à l'homme de porter le joug dès sa jeunesse : il s'assiéra, se tiendra dans la solitude et dans le silence, parce qu'il s'est chargé de ce joug ; il tendra la joue à celui qui le frappera, il se rassasiera d'opprobres, et le Seigneur ne le rejettera pas pour toujours. » Je reviendrai plus tard, si vous voulez, sur leurs travaux et leur vie angélique dans un corps de chair. J'en étais à l'avarice lorsque je vous ai parlé des solitaires : je continue donc. Si vous suivez leurs exemples et imitez leurs vertus, vous n'aurez que du mépris non-seulement pour l'argent, l'or et les richesses de ce monde, mais encore pour le ciel et la terre, et, vous attachant uniquement à Jésus-Christ, vous chanterez avec le prophète-roi : « Le Seigneur est mon partage. »

Quoique l'apôtre saint Paul nous ordonne de prier sans cesse, et que le sommeil soit pour les saints une sorte d'oraison, nous n'en devons pas moins partager en heures différentes le temps que nous donnons à la prière, et tout quitter pour y vaquer. Outre le matin et le soir, moments que tout le monde sait consacrés à la prière, outre tierce, sexte, none, nous devons encore prier Dieu avant de nous mettre à table et en la quittant. Il n'est pas mal, la nuit, de nous lever deux ou trois fois pour nous rappeler les passages de l'Ecriture que nous avons appris, de nous munir de la prière en sortant de la maison, et à notre retour de ne nous asseoir qu'après avoir prié; car il faut. donner à l'âme la nourriture dont elle a besoin avant de reposer le corps. Il est bon aussi de faire le signe de la croix sur toutes nos actions et nos démarches. Ne parlez mal de personne, et gardez-vous de donner du scandale à vos frères. Qui êtes-vous pour oser condamner le serviteur d'autrui? S'il tombe ou s'il demeure ferme, cela regarde son maître; mais il demeurera ferme parce que le Seigneur est tout-puissant pour l'affermir. Ne vous flattez pas de l'emporter en vertu et en mérite sur ceux qui ne jeûnent pas parce que vous jeûneriez deux jours de suite : vous jeûnez, il est vrai, mais n'êtes-vous point impatiente et emportée? et puis celui qui ne jeûne pas est peut-être doux et rempli de l'amour de Dieu. Sobre à ses repas, réglé dans sa nourriture, il en rend grâce à Dieu, tandis que vous, quoique mortifiée de corps et d'esprit, vous digérez, pour ainsi dire, vos peines et votre faim dans les plaintes et la mauvaise humeur. Aussi le prophète Isaïe répète-t-il sans cesse : « Ce n'est point là le jeûne que j'ai choisi, dit le Seigneur; »  et encore : « Vous jeûnez au milieu des procès et des querelles, et vous frappez les petits avec une violence impitoyable: pourquoi jeûnez-vous pour moi?» Est-ce jeûner que de conserver de la haine, je ne dis pas jusqu'à la nuit, mais des mois entiers?

Attentive sur vous-même, que vos bonnes couvres soient votre propre gloire, et ne la placez point dans les fautes des autres; ne vous réglez point sur les femmes qui, ne cherchant qu'à satisfaire leurs passions, n'ont d'autre occupation que de compter leurs revenus et de calculer la dépense de chaque jour pour leur maison : la chute du perfide Judas n'a pas entraîné les autres apôtres dans le précipice; la foi des fidèles n'a pas fait naufrage avec Phigelle et Alexandre. Ne me dites point que celle-ci jouit de son bien, que celle-là est généralement estimée, que les frères et les soeurs lui rendent de fréquentes visites et qu'elle ne cesse pas pour cela d'être vierge. A cela je réponds d'abord qu'il n'est pas certain que cette personne soit véritablement vierge; car Dieu a bien d'autres yeux que nous; l'homme ne voit que ce qui frappe les sens, mais Dieu lit au fond du coeur. De plus, elle peut être vierge de corps sans l'être d'esprit. Cependant en parlant d'une véritable vierge saint Paul dit : « II faut qu'elle soit sainte de corps et d'esprit. » Qu'elle jouisse au reste tant qu'elle voudra de la vaine estime des hommes, qu'elle démente l'apôtre saint Paul en conservant la vie de l'âme dans les délices du siècle : quant à nous, suivons toujours les exemples de ceux qui se distinguent par la régularité de leur vie et la pureté de leurs mœurs.

Prenez pour modèle de votre conduite la sainte Vierge, qui par son extrême pureté mérita d'être la mère du Seigneur. Marie, qui n'avait pas encore été saluée par aucun homme , (340) surprise et effrayée, ne sut que répondre à l'ange Gabriel, qui lui apparut sous la forme d'un homme en la saluant : « Je vous salue, pleine de grâces; le Seigneur est avec vous; » mais enfin sachant qui il était, elle lui répondit, et, quoique tremblante à la vue d'un homme, elle ne craignit point de s'entretenir avec un ange. Il vous est loisible de devenir aussi la mère du Sauveur : prenez ce grand, ce nouveau livre dont parle un prophète, tracez sur ses pages en caractères ordinaires et lisibles : « Hâtez-vous de prendre les dépouilles; » et lorsque vous vous serez approchée de la prophétesse et que vous aurez conçu et enfanté un fils, dites à Dieu «Nous avons conçu par votre crainte, Seigneur, nous avons senti les douleurs de l'enfantement, et nous avons enfanté et mis au monde l'esprit du salut. » Alors votre fils vous répondra « Voici ma mère et mes frères. » Cet enfant, conçu et dépeint dans l'étendue d'un coeur nouveau, croîtra; et après avoir remporté les dépouilles de ses ennemis, après avoir attaché à la croix les principautés et les puissances, il vous épousera devenu plus grand, et par un changement étonnant vous deviendrez son épouse après avoir été sa mère. Il est difficile sans doute, mais il est glorieux de devenir semblable aux martyrs, aux apôtres, à Jésus-Christ même.

Pour arriver à ce magnifique résultat il faut être dans le sein de l'Eglise, manger la Pâques dans une même maison, entrer dans l'arche avec Noé; il faut que Rahab, cette femme débauchée qui est devenue juste aux yeux de Dieu, nous retire chez elle tandis que Jéricho tombe en ruines. Quant aux vierges que se vantent d'avoir certains hérétiques et surtout les manichéens, mettez-les au nombre des prostituées et non au rang des vierges. En effet, si le démon a formé leurs corps, quel respect peuvent-elles avoir pour l'ouvrage de leur ennemi? Mais, comme elles n'ignorent pas que le nom de vierge est glorieux et respectable aux yeux des hommes, elles se couvrent de la peau de brebis ; antéchrists, elles contrefont Jésus-Christ, et dissimulent sous un nom honorable les infamies d'une vie déréglée et corrompue, réjouissez-vous, ma soeur, réjouissez-vous, ma fille, réjouissez-vous, vierge de Jésus-Christ, puisque vous possédez le fond et la solidité d'une vertu dont les autres n'ont que les dehors et l'apparence. » Nos paroles jusqu'à présent paraîtront dures à ceux qui n'aiment pas Jésus-Christ: mais ceux qui, convaincus que le soleil ne luit que sur une immense vanité, regarderont comme une boue infecte l'éclat des grandeurs humaines, mépriseront tout pour gagner Jésus-Christ, mourront avec lui pour ressusciter avec lui, crucifieront leur chair avec ses passions et ses désirs déréglés, ceux-là s'écrieront hautement: « Qui pourra nous séparer de l'amour de Jésus-Christ? sera-ce l'affliction, ou les chagrins, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou le fer et la violence?» et encore « Je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les futures, ni la violence, ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond, ni aucune autre créature ne pourra jamais nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ notre sauveur.» Le fils de Dieu s'est fait fils de l'homme pour notre salut : il attend pendant neuf mois dans le sein de sa mère le moment de sa naissance; il y éprouve mille ennuis et mille dégoûts; il en sort couvert de sang; aussitôt on l'enveloppe de langes, on le caresse, on lui sourit; et celui qui tient le monde dans sa main se renferme lui-même dans une pauvre étable. Dirai-je que, content de la pauvreté de ses parents, il mène jusqu'à l'âge de trente ans une vie silencieuse et obscure aux yeux des hommes; qu'il reste dans le silence lorsqu'on l'outrage, et qu'il prie pour ses bourreaux qui l'attachent à la croix? « Que rendrai-je donc au Seigneur pour tous les biens qu'il m'a faits?Je prendrai le calice du salut et j'invoquerai le nom du Seigneur : la mort des saints du Seigneur est précieuse à ses yeux. » Nous ne pouvons reconnaître toutes les grâces que nous avons reçues de Jésus-Christ qu'en lui donnant sang pour sang, qu'en sacrifiant notre vie pour son amour de même qu'il a sacrifié la sienne pour notre salut. Quel est le saint qui a été couronné sans avoir combattu ? Abel, innocent, est tué; Abraham court risque de perdre sa femme... Je m'arrête. Si vous voulez considérer vous-même la vie des justes sur la terre, vous verrez qu'ils ont tous souffert et que l'adversité a été leur partage. Salomon seul a vécu dans les délices; mais aussi les délices ne l'ont-elles pas perdu? « Le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il frappe de verges tous ceux qu'il (341) reçoit au nombre de ses enfants.» Ne vaut-il pas mieux combattre, s'imposer des privations, rester sous les armes, fatiguer sous le poids de la cuirasse pendant quelque temps et goûter ensuite les fruits de la victoire, que de s'engager dans une servitude éternelle pour échapper à une peine passagère? Rien ne coûte quand on aime et tout parait facile à un coeur tendre et passionné. Que ne fit pas Jacob pour posséder Rachel qui lui avait été promise en mariage! « Il servit sept ans pour Rachel, » dit l'Ecriture, « et ce temps ne lui paraissait que quelques jours. » Aussi disait-il lui-même dans la suite : « J'étais accablé de chaleur le jour et j'avais froid la nuit. » Aimons donc Jésus-Christ, attachons-nous étroitement à lui, et nous verrons les plus grandes difficultés s'évanouir et les peines les plus longues disparaître à nos yeux. Blessés des traits de son amour, nous dirons à tout moment : « Hélas! que mon exil est long! Les souffrances de cette vie n'ont point de proportion avec la gloire qui paraîtra un jour en nous, parce que l'affliction produit la patience, la patience l'épreuve et l'épreuve l'espérance. Or cette espérance n'est point trompeuse. » Vous sentez-vous accablée sous le poids de vos peines, lisez la seconde épître de saint Paul aux Corinthiens : « J'ai passé par une infinité de travaux : j'ai souvent supporté la prison, j'ai reçu des coups sans nombre, je me suis vu souvent tout près de la mort, j'ai reçu des Juifs par cinq fois différentes trente-neuf coups de fouet, j'ai été battu de verges par trois fois et une fois lapidé, trois fois j'ai fait naufrage, j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer, j'ai voyagé souvent, j'ai couru des dangers et sur les fleuves, et sur la mer, et au milieu des villes, et dans le désert, et de la part des voleurs, et de la part de ma nation, et de la part des païens, et de la part des faux-frères; j'ai souffert toutes sortes de travaux et de fatigues, les veilles fréquentes, la faim, la soif, les jeûnes réitérés, le froid et la nudité. » Qui de nous peut se vanter d'avoir souffert seulement la moindre partie des peines que ce grand apôtre a supportées? Aussi se disait-il avec confiance: «J'ai fourni ma carrière, j'ai gardé la foi: il ne me reste plus qu'à attendre la couronne de justice qui m'est réservée, que le Seigneur, comme un juge équitable, me rendra en ce grand jour. »

Les viandes sont-elles mal assaisonnées, on se met de mauvaise humeur; boit-on du vin avec beaucoup d'eau, on s'imagine faire une action fort agréable à Dieu, mais on casse les verres, on renverse la table, on frappe les domestiques, et on se venge par l'effusion de leur sang de l'eau qu'on a bue. « Le royaume du ciel se prend par violence, et ce sont les violents qui l'emportent : » vous ne l'emporterez jamais si vous ne vous faites violence; vous n'obtiendrez jamais ce pain mystérieux dont parle l'Evangile si vous ne frappez à la porte avec importunité. N'est-ce pas en effet faire une grande violence au ciel que de vouloir, nous qui ne sommes que matière, devenir semblables à Dieu même et nous élever, pour juger les anges, jusqu'à la place d'où ces esprits rebelles ont été précipités?

Dégagez-vous pour un moment des liens du corps, et examinez cette grande récompense que Dieu nous prépare comme indemnité des peines de la vie présente , récompense que l’oeil n'a point vue, que l'oreille n'a point entendue, et que le coeur de l'homme ne saurait jamais comprendre. Qui pourrait raconter votre gloire en ce jour où la Vierge Marie , mère du Seigneur, viendra au-devant de vous accompagnée des choeurs de vierges, chantant la première au bruit du tambour avec ses compagnes la défaite de Pharaon enseveli sous les eaux avec son armée après le passage de la mer Rouge : « Chantons les louanges du Seigneur. qui a fait éclater sa gloire et sa puissance en précipitant dans la mer le cheval et le cavalier! » Alors sainte Thècle, transportée de joie, se jettera à votre cou pour vous embrasser tendrement; alors votre époux viendra lui-même vous recevoir en disant : « Levez-vous, venez, mon amie, mon épouse, ma colombe; car l'hiver est déjà passé et les pluies ont cessé; » alors les anges, saisis d'étonnement, diront : « Quelle est celle-ci qui s'avance comme l'aurore, belle comme la lune, éclatante comme le soleil?» Les filles vous verront, les reines feront votre éloge, et les autres femmes publieront vos louanges. D'un autre côté, une nouvelle troupe de femmes chastes viendra à votre rencontre Sara paraîtra avec les femmes mariées, et Anne, fille de Phanuël, avec les veuves. Celles qui ont été vos mères et selon la chair et selon l'esprit seront dans différents choeurs : l'une se réjouira de vous avoir mise au monde, l'autre se félicitera de vous avoir donné une bonne éducation. Alors on verra véritablement le Seigneur entrer dans la Jérusalem céleste monté sur une ânesse; alors ces petits enfants dont le Sauveur a dit dans le prophète Isaïe : « Me voici, moi et les enfants que Dieu m'a donnés, » portant des palmes à la main pour marque de leur victoire, chanteront ensemble : «  Hosanna ! Salut et gloire! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Hosanna! Salut et gloire au haut des cieux! » alors les cent quarante-quatre mille qui sont devant le trône et devant les vieillards, prenant leurs harpes, chanteront un cantique nouveau que nul autre ne pourra chanter. Ceux-là ne se sont point souillés avec les femmes, car ils sont restés vierges, et ils suivent l'Agneau partout où il va. Si la vanité fait quelque impression sur votre coeur, si le siècle vous apparaît avec ses pompes et sa gloire, élevez-vous en esprit jusqu'au ciel, commencez à être ce que vous devez être un jour, et votre époux vous dira : « Mettez-moi comme un signe sur votre coeur et comme un sceau sur votre bras; » et par là votre coeur et votre corps étant à l'abri des tentations, vous direz : « Les grandes eaux n'ont pu éteindre la charité, et les fleuves ne seront point capables de l'étouffer. »

 

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