|
|
HOMÉLIE IX. QUE SI ON ÉLÈVE SUR CE FONDEMENT UN ÉDIFICE D'OR, D'ARGENT, DE PIERRES PRÉCIEUSES, DE BOIS, DE FOIN, DE CHAUME, L'OUVRAGE DE CHACUN SERA MANIFESTÉ. CAR LE JOUR DU SEIGNEUR LE METTRA EN LUMIÈRE, ET IL SERA RÉVÉLÉ PAR LE FEU ; AINSI LE FEU ÉPROUVERA LOEUVRE DE CHACUN. SI L'OUVRAGE DE CELUI QUI A BATI SUR LE FONDEMENT DEMEURE, CELUI-CI RECEVRA SA RÉCOMPENSE. SI L'OEUVRE DE QUELQU'UN BRÛLE, IL EN SOUFFRIRA LA PERTE ; CEPENDANT IL SERA SAUVÉ, MAIS COMME PAR LE FEU. (IBID. 12, 13, 14, 15, JUSQU'A 17.)
ANALYSE.
1. Le supplice qui attend les pécheurs, c'est le feu éternel.
2. Que les préceptes de Dieu sont faciles à pratiquer; qu'il est plus pénible de faire le mal que de s'en abstenir.
3. Si quelqu'un, possédant la vraie foi, mène une vie coupable, il ne sera point sauvé du supplice par sa foi, puisque ses rouvres seront livrées au feu.
4. Exhortation pour inspirer l'horreur du péché. Contre les avares. Qu'ils sont pires que les bêtes et que les démons.
1. La question. qui nous est ici proposée n'est pas d'une mince importance; elle touche, aux intérêts les plus graves, à ce qui préoccupe tous les hommes, à savoir si le feu de l'enfer doit avoir une fin. Le Christ a déclaré que non, en disant : « Leur feu ne s'éteindra point; leur ver ne mourra point ». (Marc, IX, 45.) Je sais que vous écoutez cela avec indifférence : qu'en faire ? Dieu nous ordonne de faire souvent. retentir cette vérité quand-il nous dit : « Fais entendre à ce peuple ». Nous avons été ordonnés pour le. ministère de la parole; et je dois, bien malgré moi; être importun à mes auditeurs. Du reste, si vous le voulez; nous ne serons pas importuns; car il est écrit : « Si tu fais le bien, ne crains pas». (Rom. XIII, 3.) Il dépend donc de vous de nous écouter, non-seulement sans peine, mais avec plaisir. Le Christ lui-même a déclaré que ce feu n'aura point de fin ; Paul , à son tour , affirme que le supplice sera immortel, et que les pécheurs subiront des tourments affreux et éternels. (II Thess. I, 9.) Il dit encore : «Ne vous abusez point : ni les fornicateurs, ni les adultères, ni les efféminés ne posséderont le royaume de Dieu ».. (I Cor. VI, 9, 10.) Il disait aussi aux Hébreux : « Recherchez la paix avec tous et la sainteté, sans laquelle nul ne verra Dieu ». (Héb. XII, 14.) Et à ceux qui disaient ; « Nous avons fait beaucoup de miracles », le Christ a répondu: « Retirez-vous de moi, vous qui opérez l'iniquité; je ne vous ai pas connus ». (Matth. VII, 22, 23.) Et les vierges ont été exclues, elles ne sont. point entrées; et de ceux qui ne l'auront point nourri, il dit.: « Et ceux-ci s'en iront au supplice éternel ». (Id. XXV, 46.) Ne me dites pas : Si le supplice n'a pas de fin, où est l'iniquité ? Quand Dieu fait quelque chose, soumettez-vous à son autorité, et ne soumettez point sa parole aux raisonnements humains. Et d'ailleurs comment ne serait-il (351) pas juste que celui qui a d'abord été comblé de bienfaits, qui a ensuite commis des fautes dignes de punition et. n'a été corrigé il par les mentes ni par les bienfaits, que celui-là, dis-je, subisse le châtiment? Si vous voulez consulter la justice et l'équité, c'était tout d'abord que nous devions être perdus; et ce n'était pas seulement la justice, mais la charité envers nous qui le demandait. Celui qui injurie quelqu'un qui ne lui a point. fait de mal, est puni selon toute justice, mais quand on injurie un bienfaiteur qui a accordé mille faveurs sans en avoir reçu aucune, à qui seul on doit l'existence, qui est Dieu ; qui a donné la vie, qui a comblé de bienfaits, qui veut mener au ciel, et que non-seulement on l'injurie, mais qu'on répète chaque jour l'outrage par ses oeuvres, quel pardon méritera-t-on? Ne voyez-vous pas comme Adam, a été puni pour un seul péché? .Oui, direz-vous; mais Dieu lui avait donné le paradis, et lui avait montré une extrême bienveillance. Or ce n'est pas la même chose de pécher quand on vit dans la sécurité et l'abondance, ou de pécher quand on est au milieu des afflictions. Eh ! c'est précisément là qu'est le mal : vous ne péchez pas au paradis, mais au sein des mille misères de cette vie, et ces misères ne vous rendent pas plus sages; n'est comme si un homme enchaîné se montrait méchant. Mais Dieu vous a promis bien plus que le paradis terrestre ; S'il n'a pas encore réalisé sa promesse, c'est pour ne pas vous amollir au milieu des combats, et s'il vous l'a faite, c'est pour ne pas vous décourager au sein des épreuves. Pour un seul péché, Adam a attiré sur lui toute mort : et nous, nous péchons mille fois tous les jours. Mais si, pour une seule faute, Adam s'est attiré tant de maux et a introduit la mort dans le monde, quel sera notre châtiment, à nous, qui attendant le ciel au lieu du paradis terrestre, vivons constamment dans le péché? Ce langage est pénible et affligeant pour l'auditeur ; j'en juge par ce que j'éprouve moi-même; mais mon. coeur est troublé et palpitant; et plus ce que l'on dit de l'enfer m'est démontré, plus je tremble et recule de frayeur: .Mais il faut en parler, de peur que nous n'y tombions. Ce n'est pas le paradis, ni des arbres, ni des plantes qu'on, vous a promis ; mais le ciel et tous ses biens. Si donc celui qui a moins reçu, a été condamné sans rémission, à plus forte raison nous, qui avons commis bien plus de péchés et sommes appelés à de plus, grands biens, serons-nous punis sans remède. Songez depuis combien de temps notre race est sujette à la mort à cause d'un seul péché. Cinq mille ans et plus se sont passés, et la mort, fruit d'un seul péché, n'est pas encore détruite. Et nous ne pouvons pas dire qu'Adam avait entendu les prophètes, qu'il avait vu d'autres hommes punis pour leurs péchés, en sorte qu'il eût pu en concevoir de la terreur et devenir sage par leur exemple; il était le premier homme, il était seul , et pourtant il fut puni. Or vous n'avez aucune de ces excuses à présenter, vous qui, après tant d'exemples, êtes devenu pire, vous qui avez reçu un Esprit si,grand et qui pourtant avez commis., non un ou deux péchés, mais des péchés sans nombre. Et parce qu'il ne faut qu'un instant pour commettre le péché, n'allez pas vous imaginer que la punition sera passagère. Ne voyez-vous, pas des hommes qui souvent ne sont coupables que d'un seul vol ou d'un seul adultère commis en un instant, passer toute leur vie dans les prisons ou dans les mines, et lutter perpétuellement avec la faire ou mille genres de mort? Et personne ne les en tire, personne ne dit que la faute n'ayant duré qu'un instant, la punition ne, doit pas durer davantage. 2. Mais, dira-t-on, ce sont les hommes qui se conduisent ainsi, et Dieu est bon. D'abord ce n'est point par cruauté, mais par charité, que les hommes agissent ainsi; et Dieu se venge aussi, précisément parce quil est bon; sa vengeance même est la preuve de sa miséricorde. Quand donc vous dites que Dieu est bon, vous. me fournissez un argument plus puissant en faveur de la punition, puisque nous offensons un être si parfait. Aussi Paul nous dit-il : « Il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant ». (Héb. X, 31.) Supportez, je vous en prie, us paroles brûlantes; peut-être, oui peut-être, y trouverez-vous quelque consolation. Quel mortel peut punir comme Dieu qui a perdu par un déluge toute la race humaine déjà si nombreuse, et qui; peu après, a fait descendre une pluie de. feu et opéré une destruction complète ? Quelle punition humaine égalera jamais celles-là? Ne voyez-vous. pas que c'est- là, en un sens, un supplice immortel? Quatre mille ans se sont écoulés, et la punition des habitants de Sodome subsiste encore dans son intégrité. Ainsi le suppliée se (352) trouve proportionné à la bonté de Dieu. S'il eût commandé des choses difficiles, impossibles, peut-être pourrait-on objecter la difficulté de ces lois ; mais quand il ne commande que des chose très-faciles, que pouvons-nous dire, nous qui n'en tenons pas même compte? Vous ne pouvez pas jeûner, ni garder la virginité ? Vous le pourriez si vous le vouliez, et ceux qui le peuvent sont une accusation contre nous, Mais Dieu n'a point usé envers nous d'une si grande sévérité, il n'a pas exigé ces choses, il n'en a point fait une loi ; il les a laissées au libre arbitré, à la bonne volonté de chacun; mais tout au moins vous pouvez être chaste dans le mariage, vous pouvez ne pas vous livrer à l'ivrognerie. Vous ne pouvez pas vous dépouiller de toutes vos richesses ? Vous le pourriez certainement, comme le prouvent ceux qui le font; mais Dieu ne vous en a point fait un commandement : il vous a seulement ordonné de vous abstenir du vol et de soulager les pauvres. Que si quelqu'un dit qu'il ne peut se contenter de sa femme, il se trompe lui-même et se fait illusion, comme le prouvent ceux qui pratiquent, la continence en dehors du mariage. Quoi donc ! je vous prie, vous ne pouvez vous dispenser d'injurier et, de maudire ? Mais le pénible, c'est de faire ces choses, ce n'est pas de s'en abstenir. Quelle sera notre excuse, à nous qui n'observons pas des commandements si faciles et si légers? Nous n'en aurons aucune. De tout cela il résulte évidemment que le châtiment n'aura pas de fin. Et comme quelques-uns pensent que le texte de l'apôtre dit le contraire, reproduisons-le et étudions-le. Après avoir dit : « Si l'ouvrage de celui qui a bâti sur le fondement, demeure, celui-ci recevra sa récompense; si l'oeuvre de quelqu'un brûle, il en souffrira la perte » il ajoute : « Cependant il sera sauvé, mais comme par le feu ». Que répondre à cela? Examinons d'abord ce que c'est que le fondement, puis ce que c'est que l'or, les pierres précieuses, le foin et la paille. Par le fondement il entend évidemment le Christ, puisqu'il dit : « Car personne ne peut poser d'autre fondement que celui qui a été posé, lequel est le Christ Jésus ». L'édifice, ce sont, d'a 'près moi, nos actions. Quelques-uns pensent que cela se rapporte aux maîtres, aux disciples et aux perverses hérésies ; mais le sujet ne s'accommode pas de cette interprétation. Dans ce cas, en effet, comment l'oeuvre serait-elle détruite, et l'ouvrier sauvé, même parle feu? Car c'est surtout l'auteur qui devrait périr, et ici ce serait celui qui aurait été construit qui subirait le principal châtiment. En effet, si le maître est l'auteur du mal, il doit être le plus puni ; comment donc serait-il sauvé? D'autre part, s'il. n'est pas coupable, et que ses disciples se soient pervertis par leur propre malice, il n'est pas juste que celui qui a construit selon les règles, soit puni et subisse un dommage. Comment donc Paul dit-il : « Il en souffrira la perte? » Evidemment cela s'applique aux actions: Comme l'apôtre doit bientôt s'attaquer au fornicateur, il pose ici longtemps d'avance la base de son argumentation. Car son usage est, quand il se dispose à traiter une question, d'en donner les prémisses et les preuves dans un autre sujet, avant d'arriver à son but. En effet, quand il voulait les blâmer de ce qu'ils ne s'attendaient pas les unis les autres dans les festins, il leur a d'abord parlé des mystères: Pressé donc d'en venir au fornicateur, il parle d'abord du fondement de l'édifice, et ajoute : «. Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que lEsprit de Dieu habite en vous ? Si donc quelquun profane le temple de Dieu, Dieu le perdra ». Déjà, en disant cela, il ébranle par la crainte l'esprit du fornicateur. « Que si on élève sur ce fondement un édifice dor, d'argent, de pierres précieuses , de bois, de foin, de paille ». Après avoir reçu la foi, il faut bâtir; c'est pourquoi il dit ailleurs : « Edifiez-vous les uns les autres par ces paroles ». (I Thess, V, 11.) En effet, le maître et le disciple concourent à la formation de l'édifice; ce qui fait dire à Paul : « Que chacun donc regarde comment il bâtira dessus ». 3. Or, s'il s'agissait ici de la foi, le langage ne serait pas juste. Car tous doivent être égaux dans la foi, puisque elle est une; mais dans la vertu tous ne peuvent pas l'être. La foi n'est pis ici plus petite, là plus grande ; elle est la même chez tous les vrais croyants; dans la conduite, au contraire, les uns sont plus diligents, les autres plus lâches; les uns plus exacts, les autres moins ; les uns font de plus grands progrès, les autres de plus petits; les uns commettent des fautes plus graves, les autres de plus légères. Voilà pourquoi Paul parle d'or, d'argent, de pierres précieuses, de bois, de foin, de paille. « L'ouvrage de chacun sera manifesté ». Il s'agit ici d'actions. « Si (353) l'ouvrage de celui qui a bâti sur le fondement, demeure, celui-ci recevra sa récompense; si l'uvre de quelqu'un brûle, il en souffrira la perte ». S'il était question de disciples et de maîtres, ceux-ci ne devraient pas être punis parce que les autres n'auraient pas écouté. Aussi dit-il : « Chacun recevra son propre salaire selon son travail » ; non pas selon le résultat, mais selon le travail. Et si les auditeurs ne prêtaient aucune attention? Il est donc clair qu'il s'agit ici des oeuvres. Voici ce qu'il veut dire : Si quelqu'un, possédant la vraie foi, mène une vie coupable, il ne sera point sauvé du supplice par sa foi, puisque ses oeuvres seront livrées au feu. Ce mot: «Brûle», signifie : Qui ne résistera pas au feu. Mais si un homme qui a des armes d'or doit traverser un fleuve de feu, il. n'en sortira que plus éclatant; s'il lest revêtu que de foin, non-seulement il n'opérera pas son trajet, mais il périra. Ainsi en est-il des oeuvres. Paul ne parle pas de personnages réels et vraiment brûlés ; mais il veut simplement inspirer de la terreur et montrer qu'il ny a pas de sécurité pour celui qui vit dans le péché. Aussi dit-il : « En souffrira la perte ». Voilà le premier supplice. « Cependant il sera sauvé, mais comme par le feu (1) ». Voilà le second. Et le sens est : Il ne périra pas comme s'es oeuvres, il ne sera pas anéanti; mais il subsistera dans le feu. Il appelle cela « être sauvé », direz-vous; cela est vrai, mais non dans la signification ordinaire du mot, puisqu'il ajoute : « Comme par le feu ». Nous aussi nous avons l'habitude de dire : Il est sauvé du feu, en parlant des objets qui n'ont pas été immédiatement brûlés et réduits en cendre. Mais à ce mot de feu n'allez pas vous imaginer que ceux qui y brûlent sont anéantis. Ne vous étonnez pas non plus de ce que l'apôtre appelle ce châtiment être sauvé, car c'est son habitude d'user d'expressions adoucies dans les sujets pénibles, et vice versa. Par exemple le mot de servitude présente une idée désagréable ; mais Paul s'en sert dans un bon serfs, quand il dit : « Réduisant en servitude toute intelligence sous l'obéissance du Christ ». (II Cor. X, 5.) Et en retour il se sert d'un terme honorable pour un sujet odieux, en disant : « Le péché a régné » (Rom. V, 2l), bien que le mot régner s'applique
1 Le feu du purgatoire, interprétation plus naturelle donnée par les autres Pères, et admise par le concile de Florence (dernière session).
mieux à un objet plus digne. De même ici le mot : « Sera sauvé » ne signifie pas autre chose que l'intensité ét la durée du supplice, comme s'il disait: Il sera tourmenté à jamais. Il continue et dit : « Ne savez-vous pas que à vous êtes le temple de Dieu ? » Après avoir d'abord parlé de ceux qui déchirent l'Eglise, il s'adresse maintenant à l'incestueux, non ouvertement, mais vaguement, en faisant allusion à sa coupable conduite et faisant ressortir sa faute par le don qu'il a reçu. Il fait également rougir les autres, en rappelant ce qu'ils ont reçu. C'est ce qu'il ne manque jamais de faire, en tirant ses motifs, ou de l'avenir, ou du passé, ou du mal ou du bien; de l'avenir, en disant : « Le jour du Seigneur mettra en lumière ce qui sera révélé par le feu » ; du passé : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu'un pro« fane le temple de Dieu, Dieu le perdra ». Voyez-vous la force de ces paroles? Cependant tant que la personne est inconnue, le langage est moins pénible à supporter, parce que la crainte du blâme est partagée entre tous. « Dieu le perdra », c'est-à-dire, le fera périr. Ce n'est point une malédiction, mais une prédiction. « Car le temple de Dieu est saint ». Or le fornicateur est souillé. Après avoir dit, pour éviter une allusion personnelle : « Car le temple de Dieu est saint », il ajoute : « Et vous êtes ce temple. Que personne ne s'abuse ». Ceci sadresse encore au coupable , qui se croyait quelque chose et se glorifiait de sa sagesse. Mais pour ne pas paraître l'attaquer hors ale propos et trop longtemps, après l'avoir jeté clans l'angoisse et dans l'épouvante, il revient à l'accusation générale, en disant : « Si quelqu'un d'entre vous paraît sage selon ce siècle, qu'il devienne fou pour être sage ». Du reste, il use ensuite d'une grande liberté de langage, vu qu'il les a assez vivement attaqués. Quelqu'un fût-il riche, fût-il noble, il est le plus vil de tous, s'il est esclave du péché. Il en est du pécheur comme d'un roi qui serait prisonnier des barbares et se trouverait par là le plus misérable des hommes. Car le péché est un véritable barbare qui n'épargne point l'âme assujettie à son joug et exerce sa tyrannie envers ses victimes. 4. En effet, rien n'est aussi déraisonnable, aussi insensé, aussi fou, aussi violent que le péché; partout où il entre, il renverse, il confond, il (354) sperd tout; il est hideux à voir, odieux et lourd à porter. Si un peintre le représentait, il ne serait, je crois, pas loin de la vérité, en lui donnant les traits d'une femme , ayant la forme d'une bête sauvage, barbare, respirant le feu, laide, noire, telle que les poètes païens nous dépeignent Scylla. Car il saisit nos pensées par des mains sans nombre, attaque à l'improviste et déchire tout, comme les chiens qui mordent à la dérobée. gais à quoi bon le peindre lui-même, quand nous pouvons faire paraître ses victimes? Laquelle décrions-nous d'abord? L'avare? Qu'y a-t-il de plus impudent que ce regard? Qu'y a-t-il de plus déshonnête et de plus cynique? Un chien n'est pas aussi insolent que ce ravisseur du bien d'autrui. Quoi de plus abominable que ses mains? Quoi de plus avide que, cette bouche qui avale tout sans se rassasier? Ne prenez pas ses traits , ses yeux pour ceux d'un homme; ce n'est pas là un regard humain. Pour lui, les hommes ne sont pas des hommes, le ciel n'est pas le ciel ; il n'a pas un signe de respect pour le Maître : l'argent est tout pour lui. Les yeux de l'homme ont l'habitude de se fixer sur ceux que la pauvreté afflige, et d'exprimer des sentiments de pitié; ceux du voleur voient les pauvres et prennent une expression sauvage. Les yeux de l'homme ne considèrent pas le bien d'autrui comme le leur propre, mais leur bien propre comme celui d'autrui ; ils ne convoitent pas ce qui est donné aux autres, mais se dépouillent plutôt en leur faveur de ce qu'ils ont eux-mêmes; ceux de l'avare, au contraire, ne sont point satisfaits qu'ils n'aient enlevé le bien de tout le monde; car ils n'ont pas le regard de l'homme, mais celui de la bête fauve. Les yeux de l'homme ne peuvent supporter de voir un pauvre nu, car le corps humain est lé leur, bien qu'il appartienne à d'autres personnes; mais ceux des avares ne sont jamais rassasiés, jamais assouvis, s'ils n'ont tout dépouillé et tout caché dans leur domicile. En sorte qu'on peut dire de leurs mains qu'elles n'appartiennent pas seulement à des bêtes fauves, mais aux bêtes fauves les plus féroces et les plus cruelles. En effet; les ours et les loups laissent leur proie quand- ils sont rassasiés; mais eux ne se rassasient jamais. Cependant Dieu nous a donné des mains pour secourir notre prochain, et non pour lui tendre des embûches. Il vaudrait mieux les couper et en être privé, que d'en faire un pareil usage. Vous souffririez de voir un loup déchirer une brebis; et vous ne pensez pas commettre un grand crime en en faisant autant à votre frère? Comment seriez-vous encore un homme? Ne voyez-vous pas que nous appelons humaine, toute action qui respire la compassion et la bonté? et que nous appelons inhumain, tout homme qui commet un .acte de dureté et de cruauté? La pitié est donc pour nous le cachet de la nature humaine, le défaut de pitié celui de l'animal sauvage. Aussi disons-nous: Est-ce un homme, ou un animal, ou un chien? Les hommes, en effet,. soulagent la pauvreté, au lieu de l'aggraver. La bouche des avares est une gueule de bêtes sauvages; elle est même plus féroce : car elle prononce des paroles dont le venin, plus terrible que la dent des animaux, donne la mort. En poussant le tableau jusqu'au bout, on verrait clairement comment l'inhumanité rend les hommes qu'elle domine, semblables aux bêtes sauvages. A examiner même le fond de leur pensée, on les nommera moins des bêtes que des démons. Car ils sont pleins de cruauté et de haine pour leurs semblables; on ne trouvera chez eux ni désir du ciel, ni crainte de l'enfer, ni respect pour les hommes, ni pitié, ni sympathie; mais impudence, audace, mépris de l'avenir; les paroles de Dieu relatives au châtiment leur semblent une fable, et ses menaces les font rire.. Telle est la pensée de l'avare. Mais puisqu'au dedans ce sont des démons, au dehors des bêtes sauvages, et pires que des bêtes sauvages, dites-moi : où les placerons-nous? Or, qu'ils soient pires que des bêtes féroces, cela est évident : car celles-ci sont féroces par nature; tandis qu'eux, naturellement portés à la douceur, ont forcé les lois dé la nature pour se transformer en bêtes fauves. Les démons ont pour auxiliaires les hommes qui se tendent à eux-mêmes des piéges; et les démons verraient échouer tous leurs piéges, si les hommes. ne secondaient leurs desseins. Les avares s'irritent même contre ceux qui veulent les aider à repousser les insultes des démons. De plus, te démon combat contre l'homme, mais non contre les autres démons; l'avare vexe en tout sens ses parents, ses proches, et ne respecte point les lois de la nature. Je sais que mes paroles en blessent un grand nombre d'entre vous; pour moi, je ne les hais pas, mais j'ai pitié de ceux (355) qui sont dans ces dispositions, et je verse sur eux des larmes; voulussent-ils m'accabler de coups, je le supporterais volontiers, pourvu qu'ils se corrigeassent de leur inhumanité. Je ne suis pas le seul à retrancher de tels hommes de l'espèce humaine; le prophète le fait avec moi, quand il dit : « L'homme étant en honneur, n'a pas compris, mais il s'est ravalé au niveau des animaux sans raison ». (Ps. XXXVIII.) Soyons donc enfin des hommes, levons les yeux vers le ciel, et recevons de là ce qui nous renouvellera selon l'image de Dieu (Col. III, 10), et recouvrons-nous nous-mêmes, afin d'obtenir les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
|