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HOMÉLIE XLIII. QUANT A LA COLLECTE POUR LES SAINTS, FAITES LA MEME CHOSE QUE J'AI ORDONNÉE AUX ÉGLISES DE GALATIE. (CHAP. XVI, VERS. 1, JUSQUA 10.)
ANALYSE.
1. Saint Paul recommande aux Corinthiens de recueillir petit à petit des aumônes pour les pauvres de Jérusalem.
2. Cette collecte faite, ils l'enverront eux-mêmes à Jérusalem par des hommes sûrs : saint Paul les accompagnera si la chose en vaut la peine.
3 et 4. Exhortation. Soyons fermes dans les épreuves. L'homme juste est quelquefois éprouvé, mais il eu sera récompensé davantage. Sanctifions nos maisons par des aumônes mises en réserve. .
1. Ayant achevé ce qu'il avait à dire sur les dogmes,. il va maintenant traiter plus spécialement des moeurs, et sans s'occuper du reste, il va droit à la vertu qui comprend toutes les autres, la charité et l'aumône. Il ne parle que de cette seule vertu et fiait sa lettre. Cette épître est la seule où il en soit ainsi ; dans les autres il ne parle pas seulement de l'aumône, mais encore de la tempérance, de la mansuétude, de la douceur, de la patience, et de toutes les autres en général, en finissant. Pourquoi ne traite-t-il ici que cette seule partie de la morale.? Parce que la plus grande partie de ce qui précède roule déjà sur des matières morales; par exemple, ce qu'il a dit pour corriger le fornicateur, pour redresser ceux qui portaient leurs différends devant les tribunaux du dehors, pour effrayer ceux qui s'adonnaient au vin et à la bonne chère, pour condamner ceux qui. se livraient aux schismes aux disputes , et qui affectaient la domination, pour représenter à ceux qui s'approchaient indignement des mystères , l'épouvantable châtiment auquel ils s'exposaient, enfin, pour définir la charité. Il ne touche plus ici que le point dont il a besoin pour mieux assister les saints. Remarquez encore ici l'habileté de l'apôtre : aussitôt qu'il (598) les a persuadés de la résurrection, et qu'il les a remplis par ce discours de ferveur et de zèle, il les met sur le chapitre de l'aumône. Ce n'est pas qu'il n'en eût déjà touché quelques, mots lorsqu'il disait : « Si nous avons semé chez vous les biens spirituels, sera-ce beaucoup si nous moissonnons de vos biens temporels ? » Et encore : « Qui plante une vigne et ne mange pas de son fruit? » (I Cor. IX, 7, 11.) Cependant, la connaissance qu'il avait de l'excellence de cette vertu le détermine à en parler encore à la fin de cette épître. Le mot de « collecte » qu'il met tout en commençant fait déjà envisager la chose comme légère et facile; puisque tous contribuent à loeuvre, la charge qui en résultera pour chacun ne pourra qu'être légère. Après avoir parlé de la collecte, il ne dit pas tout aussitôt : Que chacun de vous mette de côté chez soi, comme il était naturel de dire, non, il a soin de dire auparavant : Faites comme j'ai ordonné aux Eglises de Galatie. Mentionner les bonne uvres des autres était un bon moyen d'exciter leur zèle par l'émulation. Et remarquez comme il introduit cette mention sous forme de récit; c'est un procédé qu'il met encore en couvre dans son épître aux Romains. Il semble ne vouloir que leur parler du motif de son départ pour Jérusalem, et il prend de là occasion de se jeter sur le sujet de l'aumône : « Maintenant », dit-il, « je m'en vais à Jérusalem pour le service des saints. Car il a dit à la Macédoine et à l'Achaïë de faire quelques aumônes en commun aux. pauvres d'entre les saints». (Rom. XV, 25, 26.) Il excitait les Romains par l'exemple des Macédoniens et des Corinthiens , et ceux-ci par l'exemple des Galates. « Faites », dit-il, « comme j'ai ordonné aux Eglises de Galatie ». Les Corinthiens n'auraient-ils pas rougi de rester inférieurs aux Galates? Et il ne dit pas : J'ai persuadé, j'ai conseillé, mais : «J'ai ordonné », ce qui marque plus l'autorité. Et il ne cite pas seulement une ville, ni deux, ni trois, mais toute une nation. C'est un moyen. qu'il emploie également quand il traite des questions dogmatiques : « Comme je l'enseigne », dit-il, « dans toutes les églises des saints » . Que si l'exemple est efficace pour établir la foi des dogmes, il le sera bien davantage encore pour exciter l'émulation des bonnes oeuvres. Mais qu'avez-vous ordonné, dites-moi, bienheureux apôtre? «Que le premier jour de la semaine », c'est-à-dire le dimanche, « chacun de vous mette quelque chose à part chez soi, amassant selon sa bonne volonté (2) ». Remarquez comme il sait les exciter même par la circonstance du temps; car ce jour qu'il indique était propre à porter à l'aumône. Souvenez-vous, semble-t-il dire, quels bienfaits vous avez reçus ce jour-là. Les biens ineffables, et la racine et le principe de notre vie, c'est once jour qu'ils nous ont été donnés. C'est encore par une autre raison que ce jour augmente le zèle charitable; il est le jour du repos et de la suspension de tous les travaux. Une âme affranchie de tout embarras d'affaires, en devient plus prompte et plus apte à pratiquer l'aumône. De plus, la participation aux mystères redoutables et immortels met dans l'âme beaucoup de zèle. En ce jour donc, « que chacun de vous »; non un tel et un tel, mais «chacun de vous », quel qu'il soit, pauvre ou riche; la femme ou l'homme; l'esclave ou l'homme libre mette à part chez soi. Il ne dit pas: Que chacun porte à l'Eglise, de peur que l'on n'eût honte de donner peu; mais après que ces petites sommes mises à part peu à peu en auront fait une un peu plus considérable, alors, quand je serai venu, qu'on me l'apporte. En attendant, mettez à part chez vous quelque chose, et faites de votre maison une église, le coffret qui recevra vos aumônes sera le tronc. Devenez le gardien d'un argent sacré, faites-vous spontanément économe des pauvres. C'est votre chanté qui vous confère ce sacerdoce. Les troncs qui sont dans nos églises sont encore une marque de cette ancienne coutume. Mais hélas ! le signe seul reste, la chose ne. se voit plus nulle part. Je sais que la plupart de ceux qui sont ici me blâmeront encore de parler sur ce sujet; je les entends déjà me dire : Epargnez-nous ces désagréables , ces fâcheux discours. Laissez cela à la volonté de chacun, et que chacun suive le mouvement de son coeur; ce que vous dites maintenant ne sert qu'à nous couvrir de honte et de confusion. Mais je ne tiens aucun compte de ces remontrances. Saint Paul ne craignait pas de se rendre importun sur ce sujet, ni de tenir le langage de ceux qui mendient. Si je vous disais : Donnez-moi, à moi, et déposez vos aumônes dans ma maison, il y aurait peut-être sujet de rougir ; ou plutôt il n'y aurait pas même alors sujet, « car », dit (599) l'apôtre, « ceux qui servent à l'autel vivent de l'autel ». (I Cor. IX, 13.) 2. Toutefois on pourrait me reprocher de prêcher pour moi. Au lieu que maintenant c'est pour les indigents que je demande, ou pour mieux dire, ce n'est pas pour les indigents ; c'est, pour vous qui donnez : c'est pourquoi je parle avec une entière liberté. Quelle honte y a-t-il à dire :Donnez au Seigneur qui a faim; revêtez-le lorsque vous le rencontrerez nu ; recevez-le chez vous quand il est sans asile? Votre Seigneur ne rougit pas de dire à la face de la terre : « J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger » (Matth. XXV, 42) ; lui qui ne manque de rien et qui n'a rien à désirer. Et moi je rougirais et je n'oserais parler ! A Dieu ne plaise ! Ce serait une suggestion diabolique qu'une telle honte. Je ne rougirai donc pas, mais je parlerai en toute liberté et je dirai : Donnez à ceux qui ont besoin, élevant la voix plus haut que les indigents. Si je pouvais être convaincu par quelqu'un de chercher mon intérêt en parlant de la sorte , et de faire mes propres affaires sous le prétexte de faire celles des pauvres, ce ne serait pas, assez de la. honte pour me punir , il faudrait toutes les foudres du ciel, car il ne mériterait pas de vivre, celui qui commettrait une telle indignité. Mais si, par la grâce de Dieu, ce n'est point pour nous-mêmes que nous vous importunons; si nous vous annonçons gratuitement l'Evangile, non à la vérité en travaillant de nos mains comme Paul, mais en vivant de nos biens propres, je dirai en toute liberté : Donnez à ceux qui ont besoin , et je ne cesserai de le redire, et ceux qui ne donneront pas, je serai leur accusateur infatigable. Si j'étais général et que j'eusse sous moi des soldats, je n'aurais pas boute de demander des vivres pour mes soldats. D'ailleurs je désire extrêmement votre salut. Mais afin que mon discours soit plus efficace; je vais m'adjoindre saint Paul et vous dire avec lui : « Que chacun de vous mette à part chez soi, et qu'il amasse selon qu'il aura « prospéré ». Voyez comme il évite d'être indiscret et à charge ! Il ne dit pas: Donnez telle ou telle somme, mais : « Ce qui vous plaira », que ce soit beaucoup, que ce soit peu. Il ne dit pas : Que chacun donne ce qu'il aura gagné, mais « Selon qu'il aura prospéré », pour montrer que c'est de Dieu que nous tenons ce que nous donnons. Autre moyen de faciliter l'aumône qu'il conseille: il n'ordonne pas qu'on la donne tout entière, d'un coup, mais qu'on l'amasse petit à petit, de manière que la dépense s'effectue sans peine et passe pour ainsi dire inaperçue. Voilà pourquoi il ne demande pas qu'on dépose l'aumône sur-le-champ; mais il indique un long délai. La raison qu'il donne de cette mesure est celle-ci : « Afin qu'on n'ait pas à faire la collecte lorsque j'arriverai » c'est-à-dire, afin que vous ne soyez pas obligés de recueillir les aumônes dans le temps même où il faudra les apporter. Nouveau motif qui ne devait pas médiocrement les exciter; l'attente de Paul était bien propre à augmenter leur zèle. « Lorsque je serai arrivé, j'enverrai des hommes choisis pair vous, et à qui je donnerai des lettres, porter votre charité à Jérusalem (3) ». Il ne dit pas: J'enverrai un tel et un tel, mais : Des hommes que vous aurez choisis vous-mêmes afin que l'on n'ait pas le moindre soupçon. Voilà pour quelle raison il leur remet le choix de ceux qui porteront l'argent. Il se garde bien de leur dire : à vous de donner votre argent, à d'autres le droit de choisir ceux qui le porteront. Ensuite pour montrer qu'il ne laisse pas de s'occuper de cette bonne oeuvre, il parle des lettres qu'il donnera aux porteurs, il dit: « J'enverrai avec des lettres ceux que vous aurez choisis », comme s'il disait : Je serai moi-même avec eux, je participerai à la mission par le moyen de mes lettres. Il ne dit pas : Je les enverrai porter votre aumône, mais « votre charité », pour relever par ce terme la grandeur de leur action et du gain qui leur en revient. Ailleurs il donne à l'aumône les noms de bénédiction et de communication, l'un pour corriger la négligence, l'autre pour abaisser l'orgueil nulle part il ne se sert du mot d'aumône. « Que si la chose mérite que j'y aille moi-même, ils viendront avec moi (4) ». Ici encore l'apôtre engage les Corinthiens à donner largement. Si vos charités sont assez considérables, veut-il dire, pour que ma présence soit nécessaire, je ne refuserai pas d'y aller. Il n'a pas promis cela tout d'abord, il n'a pas dit quand je serai arrivé, je porterai l'argent. S'il eût promis cela dès le commencement, l'effet n'eût pas été le même. Mise où elle se trouve, cette promesse est parfaitement à sa place. Ainsi dès le commencement ce n'est pas une promesse formelle, mais ce n'est pas non plus (600) un silence absolu, car l'apôtre se met déjà en avant en disant: « j'enverrai ». Et encore en dernier lieu il ne parle que conditionnellement, tout dépendra d'eux-mêmes : « Si la chose le mérite », dit-il. Il dépendait d'eux assurément de donner une somme assez grosse pour que l'apôtre crût qu'elle vaudrait la peine qu'il s'en chargeât. « Or, j'irai vous voir quand j'aurai passé par la Macédoine (5)». Ceci, l'apôtre l'a déjà dit plus haut, mais avec colère; car il ajoutait : « Et je connaîtrai non les discours des orgueilleux, mais leur vertu ». (I Cor. IV, 19.).Ici il parle avec plus de douceur, afin qu'ils désirent sa présence. Et pour qu'ils ne disent pas : Pourquoi donc nous préférez-vous les Macédoniens, il ne met pas : Quand j'aurai été en Macédoine, mais : « Quand j'aurai passé par la Macédoine, car je passerai par la Macédoine. Peut-être que je séjournerai chez eux, et que j'y passerai l'hiver (6) ». Mon dessein n'est pas de vous voir seulement en passant, je veux m'arrêter chez vous et y séjourner. Il était à Ephèse lorsqu'il écrivait cette épître, et c'était pendant l'hiver. C'est pourquoi il dit : « Je demeurerai à Ephèse jusqu'à la Pentecôte (8) ». Ensuite , j'irai en Macédoine, et après l'avoir traversée , j'irai vous voir l'été ; et peut-être passerai-je l'hiver chez vous. 3. Mais pourquoi saint Paul dit-il «peut-être », sans rien assurer de positif? Parce qu'il ne prévoyait pas tout, et cela utilement. C'est pourquoi il n'affirme pas absolument, de sorte que s'il en arrivait autrement, il aurait recours pour se défendre à sa promesse conditionnelle, et à l'autorité du Saint-Esprit: gui à son, gré conduisait l'apôtre, et ne le laissait pas toujours aller où il aurait voulu. Il le témoigne, dans sa seconde épître, lorsque pour justifier son retard , il dit : « Ou quand je prends une résolution, cette résolution n'est-elle qu'humaine, et trouve-t-on ainsi en moi le oui et le non ». (II Cor. XI, 17.) « Afin que vous me conduisiez au lieu où je pourrai aller ». Ceci témoigne encore de la charité de l'apôtre et de son grand-amour pour ses disciples. « Car je ne veux pas cette fois vous voir seulement en passant , et j'espère demeurer assez longtemps chez vous, si le Seigneur le permet (7) ». Ces paroles qui sont l'expression de sa charité, tendent aussi à faire trembler les pécheurs, non pas ouvertement, mais seulement sous prétexte d'amitié. « Je demeurerai à Ephèse jusqu'à la Pentecôte ». Il leur fait part exactement de tous ses desseins et familièrement comme à des amis. Car c'est encore une marque d'amitié qu'il leur donne, de leur dire la raison pourquoi il n'a pas encore été les voir, pourquoi il diffère, et en quel lieu il demeure. « Car une grande porte s'y ouvre, visiblement devant moi, et il s'y élève contre moi beaucoup, d'ennemis » (9), Une grande « porte » et « beaucoup d'ennemis », comment ces choses vont-elles ensemble? Les ennemis s'élèvent précisément -parce que. la foi est grande, . parce qu'elle trouve une grande et large entrée. Qu'est-ce à dire une grande porte?. c'est-à-dire que beaucoup sont tout prêts à embrasser la. foi, beaucoup sont sur le point, de s'approcher de Dieu et de se convertir. Une large entrée se présente, parce que l'âme de ceux qui s'approchent est mûre pour la soumission à la foi. Le démon voyant que tant d'hommes allaient l'abandonner, soufflait partout sa fureur. Cette double raison engageait donc saint Paul à demeurer là : beaucoup de fruit d'un côté, et de grands combats de l'autre. Il encourageait aussi beaucoup les Corinthiens, en leur disant que la parole de Dieu croissait et fructifiait de toute part avec facilité. Si beaucoup d'ennemis se soulevaient contre elle, c'était une preuve de plus du progrès de l'Evangile. Car le démon n'est jamais plus en colère que lorsqu'on lui enlève beaucoup de dépouilles. Faisons- de même , et lorsqu'il s'agira de . quelque grande et. généreuse entreprise à exécuter, ne regardons pas à la peine qu'elle , causera ; mais aux fruits qu'elle produira. Voyez Paul en effet, il ne s'effraye et ne se rebute de rien, quelque nombreux que soient les ennemis; mais parce qu'une large porte s'ouvre à la foi, il persévère ; il demeure à sa tâche. Comme je l'ai dit, la multiplicité des ennemis n'était qu'un signe que le démon se sentait dépouillé. Ce n'est pas par de petites ou de mauvaises actions que l'on excite la fureur de ce monstre. Lors donc que vous voyez un homme juste et qui fait de grandes choses, souffrir toute espèce de traverses, n'en soyez pas étonnés. Il faudrait plutôt s'étonner si, recevant tant de coups douloureux, il restait néanmoins tranquille et souffrait doucement ses blessures. Vous étonnez-vous lorsqu'un serpent que l'on excite en le piquant, s'exaspère et se jette sur celui qui le pique? Il n'y a pas de serpent si (601) âpre que le démon, il se jette sur tous, et tel qu'un scorpion irrité il se dresse en agitant un dard empoisonné. Que cela ne vous trouble point. Un soldat victorieux ne revient pas d'une sanglante mêlée sans être couvert de sang, . sans rapporter des blessures. Lors .donc que vous voyez quelqu'un qui fait l'aumône, qui pratique toute espèce, de bonnes oeuvres et porte ainsi à la puissance du démon des. coups mortels, ne vous étonnez point s'il tombe dans les tentations et les dangers. Si la tentation est venue l'assaillir, c'est précisément parce qu'il a porté de rudes coups au démon. Et pourquoi, dira-t-on, Dieu permet-il que le juste soit tenté? Afin que sa couronne en soit embellie, afin que le démon voie aggraver sa défaite.. L'homme qui ayant Suivi le chemin de la vertu est arrivé à l'épreuve et qui remercie Dieu de tout, celui-là inflige au démon des coups terribles. C'est déjà beaucoup, pendant que le souffle .de la bonne fortune gonfle nos voiles de rester toujours fidèle à l'aumône et à toute espèce de vertu ; mais c'est beaucoup plus de persévérer dans cette. belle conduite en dépit de tous les maux. C'est celui-là surtout qui travaille en vue de Dieu. Ainsi donc, mes frères,, dans les dangers et dans les peines restons plus que jamais attachés à la vertu. La vie présente n'est pas le temps de la récompense.. Ne réclamons donc pas la couronne dès ici-bas, pour ne pas amoindrir notre récompense au jour des couronnes. De même que pour les ouvriers, ceux qui se. nourrissent en travaillant reçoivent un salaire plus élevé, tandis que le salaire de ceux qui sont nourris par les personnes qui les emploient se trouve notablement amoindri; de même parmi les saints, celui qui aura subi mille épreuves en pratiquant la vertu reçoit la récompense entière, et une rémunération plus considérable, non seulement pour les bonnes oeuvres qu'il a faites, mais encore pour les maux quil a soufferts. Au contraire, celui qui passe ses jours dans le relâchement,et la mollesse ne reçoit pas à beaucoup près d'aussi brillantes couronnes là-haut. Ne cherchons donc pas ici-bas notre récompense, mais soyons au comble de la joie lors«il nous arrive de souffrir en faisant le bien. 4. Et pour rendre ce que je dis plus sensible, supposons deux riches, tous deux compatissants et généreux envers les pauvres. Que l'un demeure en possession de ses richesses, qu'il jouisse de toutes les prospérités; que l'autre tombe dans la pauvreté et dans les maladies, et dans les malheurs, et que cependant il rende grâces à Dieu. .Lorsqu'ils s'en iront là-haut, lequel des deux recevra la récompense la plus grande? N'est-il pas clair que c'est celui qui aura été exercé par la maladie et l'infortune, puisqu'il n'aura montré aucune faiblesse dans une vie toujours vertueuse et cependant durement éprouvée? Celui-ci est la statue de diamant, celui ci est le serviteur de bonne volonté. Si ce n'est pas même dans l'espoir du royaume qu'il faut opérer. le bien, mais dans l'intention de plaire a Dieu, que mérite celui qui, parce qu'il ne reçoit pas dès ici-bas le prix de sa bonne conduite, se relâche dans la pratique. de la vertu ? Ne nous troublons donc pas, lorsque -nous voyons qu'un tel qui invitait les veuves, qui recevait les voyageurs, a perdu sa maison consumée par l'incendie, ou éprouvé quelqu'autre malheur, et en effet il recevra pour cela une récompense. Job lui-même est devenu moins célèbre par ses aumônes que par les épreuves qui survinrent. On méprise au contraire ses amis, on les regarde comme des gens de rien, parce qu'ils cherchaient ici les récompenses temporelles et que d'après ce principe ils condamnaient injustement le juste. Ne cherchons donc pas ici-bas notre récompense, devenons pauvres et indigents. Il est d+e la dernière folie , quand on nous propose le ciel et ce qui est au dessus pour prix de nôtre vie, d'abaisser. ses regards aux choses de. la terre. Ne faisons pas ainsi, et de quelque malheur que nous puissions être surpris, suivons Dieu. sang nous lasser, et suivons le conseil de saint Paul, ayons un tronc des pauvres dans notre maison, qu'il soit placé près de l'endroit où vous vous tenez pour prier ; et chaque fois que vous entrez pour faire votre prière, déposez d'abord votre aumône, et ensuite faites monter votre oraison; et de même que vous ne voudriez pas vous mettre en prière sans vous être auparavant lavé les mains, de même ne priez pas sans avoir fait l'aumône. Ce n'est pas une chose moins utile d'avoir ainsi une aumône cachée que d'avoir l'Evangile suspendu auprès de son lit. Si vous suspendez l'Evangile et que vous ne le pratiquiez pas, il ne vous en reviendra pas grand'chose. Avec ce petit coffre vous avez une arme contre le démon, la prière que vous (602) faites auprès a des ailes, vous sanctifiez votre maison, en y tenant en réserve les aliments du' Roi éternel. Mettez votre lit à côté de ce coffret, et nul fantôme ne troublera vos nuits, pourvu que vous n'y mettiez rien qui vienne de l'injustice. Car cet argent est destiné à l'aumône, et l'aumône ne peut avoir la cruauté pour son principe. Voulez-vous que je vous montre où il faut prendre de quoi donner cette aumône pour la rendre facile dans la pratique? Vous êtes artisan, serrurier, cordonnier, ouvrier en cuir ou en quoi que ce soit, vous vendez quelque produit de votre art, levez les prémices du prix en l'honneur de Dieu, jetez-en une parcelle en lhonneur de Dieu, partagez avec Dieu en lui donnant la moindre partie. Je ne vous demande pas beaucoup, pas plus qu'on ne demandait aux juifs qui étaient encore peu avancés dans la sagesse et même remplis de défauts. Nous qui attendons le ciel, ne devrions-nous pas rougir de ne pas. faire autant qu'eux ! Ne prenez pas ce que je vais dire pour une loi, ni comme une défense que je vous ferais de donner plus, mais je ne crois pas que vous deviez donner moins, de la dixième partie de ce que vous avez. Faites cela non-seulement lorsque vous vendez, mais lors, même , que vous achetez. Que ceux qui reçoivent des rentes et des revenus gardent aussi cette loi ; enfin qu'elle soit générale pour tous ceux qui reçoivent de l'argent: par des voies justes. Quant aux usuriers, je ne m'adresse pas à eux, ni aux soldats qui s'enrichissent par des concussions, et qui trafiquent de la misère des autres. D'une semblable source, Dieu ne veut rien recevoir; je dis ces choses à ceux qui s'enrichissent noblement. Une fois que nous avons pris cette habitude, nous sommes toujours aiguillonnés par notre conscience, lorsque, nous abandonnons cette loi ; nous reconsidérons plus la pratique comme difficile, petit à petit nous irons plus loin, et après nous être appliqués au mépris des richesses, et avoir arraché de nos coeurs cette racine de tous les maux, nous passerons cette vie dans une paix tranquille, et nous jouirons ensuite d'une autre qui ne finira pas, et que je prie Dieu de nous accorder à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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