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HOMÉLIE XXI. NE SUIS-JE PAS APÔTRE? NE SUIS-JE PAS LIBRE? N'AI-JE PAS VU JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR? NÊTES-VOUS PAS MON OEUVRE DANS LE SEIGNEUR? (CHAP. IX, VERS. 1, JUSQU'AU VERS. 12)
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ANALYSE
1. Paul confirme, par son propre exemple, la doctrine exposée dans le chapitre précédent, savoir qu'il de ce qui est permis en soi par charité pour ses frères.
2. Saint Paul a les mêmes droits que les autres apôtres«: s'il n'en use pas, c'est qu'il le veut bien.
3. Que l'apôtre a le droit de recevoir le pain matériel de ceux qu'il nourrit du pain spirituel.
4. Si Paul n'a rien voulu recevoir, ç'a été pour ne pas mettre d'obstacle à l'Evangile.
5. Contre les avares.
6. Qu'on doit faire l'aumône généreusement. Revenus de l'Eglise d'Antioche distribués aux pauvres.
7. Les fautes de nos pasteurs ne nous excuseront pas.
1. Il avait dit : « Si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de chair » ; ce qu'il ne faisait pas, mais ce qu'il promettait de faire, s'il en était besoin; et de peur qu'on ne dît : Vous vous vantez mal à propos, vous êtes sage en paroles et de bouche seulement, ce qui n'est difficile ni à moi ni à personne; si vous êtes sincère, faites-nous voir en fait ce que vous rejetez pour ne pas scandaliser un frère ; pour éviter, dis-je, cette objection, il est obligé d'en venir à la preuve et de dire à quelles choses permises il a renoncé, sans qu'aucune loi l'exigeât. Jusque-là rien de merveilleux peut-être; quoiqu'on doive admirer qu'il se soit abstenu de choses licites, non-seulement pour éviter le scandale, mais encore avec beaucoup de difficultés et de périls. Que faut-il dire des viandes immolées aux idoles? demande-t-il. Quoique le Christ ait établi que ceux qui prêchent l'Evangile doivent vivre de leur ministère, je ne l'ai cependant pas fait; j'ai préféré mourir de faim, s'il était nécessaire, subir la mort la plus cruelle , plutôt que de rien recevoir de ceux que j'instruisais. Non que les fidèles se fussent scandalisés, s'il eût accepté quelque chose de leur part; mais il fallait les édifier, ce qui était beaucoup plus important. Et il appelle en témoignage ceux chez qui il a travaillé et souffert de la faim : nourri chez des étrangers, il a vécu dans la pénurie, pour ne pas scandaliser, bien que le scandale eût été sans fondement, puisqu'il n'aurait fait qu'accomplir la loi du Christ; mais il avait pour eux des ménagements à l'excès. Or, s'il agissait ainsi sans que la loi l'y obligeât, afin d'éviter le scandale; s'il s'abstenait de choses permises, pour l'édification des autres : quels châtiments mériteront ceux qui ne s'abstiennent pas de viandes immolées aux idoles, quand c'est une occasion de ruine pour un grand nombre , et qu'ils devraient le faire même en dehors de tout scandale, puisque c'est la table des démons? C'est là le point principal et qu'il traite en bien des versets. Mais il faut reprendre les choses de plus haut. Comme je l'ai déjà dit : il ne s'explique point clairement là-dessus, il n'entre point immédiatement en matière ; mais il commence d'une autre façon , et par ces mots : « Ne suis-je pas apôtre ? » Après tout ce qui a été dit, ce n'est pas une chose indifférente que ce soit Paul qui ait fait cela. De peur qu'on ne dise Il est permis d'en manger après s'être signé, il n'insiste pas là-dessus d'abord, mais il dit quand cela serait permis , il ne faudrait pas le faire à cause du mal que cela cause à vos frères , et ensuite il prouve que cela n'est pas (427) permis: d'abord par son propre exemple; comme il va dire qu'il n'a rien reçu d'eux, il ne commence pas par là, mais il parle d'abord de sa dignité: « Ne suis-je pas apôtre? ne suis-je pas libre? » Pour qu'on ne dise pas: Si vous n'avez rien reçu, c'est que vous n'aviez pas droit de rien recevoir, il expose d'abord les raisons pour lesquelles il aurait eu le droit de recevoir, s'il l'avait voulu. Ensuite pour ne pas paraître, en disant cela, incriminer Pierre et ceux qui l'entouraient (car eux recevaient), il prouve d'abord qu'ils avaient droit de recevoir ; puis, pour qu'on ne dise pas que Pierre avait ce droit et que lui ne l'avait pas, il prévient l'esprit de l'auditeur par ses propres louanges. Et considérant qu'il était nécessaire de faire son éloge (c'était le moyen de corriger les Corinthiens) et ne voulant d'ailleurs rien dire de trop, mais simplement ce qui suffisait à son but, voyez comme il sait ménager ce double point, en se louant lui-même , non autant qu'il l'aurait pu en conscience, mais dans la mesure que la circonstance demandait. Il pouvait dire en effet J'avais le droit de recevoir plus que tous les autres, parce que j'ai travaillé plus qu'eux; ruais il ne lier t pas ce langage qui serait trop haut; il se contente de poser les principes qui faisaient la grandeur des apôtres et leur droit à recevoir, en disant: « Ne suis-je pas apôtre? ne suis-je pas libre ? » C'est-à-dire: Ne suis-je pas maître de moi-même? suis-je sous la dépendance de quelqu'un qui me fasse violence et m'empêche de recevoir? - Mais eux ont quelque chose de. plus que vous: ils ont été avec le Christ. Mais cet avantage , je l'ai eu aussi. C'est ce qui lui fait dire : « N'ai-je pas vu Jésus-Christ Notre-Seigneur? Après tous les autres, il s'est fait voir aussi à moi comme à l'avorton ». (I Cor. XV, 8.) Ce n'était pas là un mince honneur. « Car beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont pas vu ». (Match. XIII, 17.) « Des jours viendront où vous désirerez voir un seul de ces jours ». (Luc, XVII, 22.) Mais quoi ! quand vous seriez apôtre et libre et que vous auriez vu le Christ , quel droit auriez-vous de recevoir si vous ne pouvez montrer l'ouvrage d'un apôtre ? Voilà pourquoi il ajoute: « N'êtes-vous pas mon oeuvre dans le Seigneur?» Voilà le grand point sans cela le reste est inutile. Car Judas était apôtre, était libre et avait vu le Christ: mais comme il ne fit pas oeuvre d'apôtre, tout cela ne lui servit à rien. Voilà pourquoi Paul ajoute ces mots, et appelle les Corinthiens eux-mêmes en témoignage. Et comme il venait d'exprimer une grande chose , voyez quel correctif il y met , en disant : « Dans le Seigneur » ; c'est-à-dire, vous êtes l'oeuvre de Dieu et non la mienne. « Si pour d'autres je ne suis pas apôtre , je le suis cependant pour vous ». 2. Voyez-vous comme il ne dit rien de trop? Pourtant il pouvait parler du inonde entier, des nations barbares, de la terre, de la mer; il n'en dit pas un mot, et prouve sa thèse victorieusement, surabondamment et comme en passant. A quoi bon, dit-il, produire des arguments superflus, quand ceci suffit pour le sujet actuel ? Je ne cite point des succès obtenus chez d'autres; vous avez été témoins de ceux dont je parle. En sorte que n'eusse-je eu ailleurs aucun droit de recevoir, du moins je l'aurais eu chez vous. Et pourtant je n'ai rien reçu de ceux chez qui j'avais le plus droit de recevoir (car j'ai été votre maître). « Si pour d'autres je ne suis pas apôtre , je le suis cependant pour vous». De nouveau il parle en abrégé ; car il était l'apôtre du monde entier. Et pourtant, dit-il, je n'en parle pas, je ne conteste pas, je ne réclame pas : je parle de ce qui vous concerne. « Vous êtes le sceau de mon apostolat », c'est-à-dire la preuve. Si quelqu'un veut savoir mon titre à l'apostolat, je vous nomme ; chez vous j'ai donné tous les signes de l'apostolat, sans en omettre aucun c'est ce qu'il répète dans sa seconde épître « Quoique je ne sois rien, les marques de mon apostolat ont été empreintes sur vous par une patience à l'épreuve de tout, par des miracles , des prodiges et des vertus ». (II Cor. XII, 11, 12.) Qu'avez-vous eu de moins que les autres églises? Aussi dit-il : « Vous êtes le sceau de mon apostolat ». Car je vous ai fait voir des signes, je vous ai instruits par la parole, j'ai couru des dangers, jai mené une vie irréprochable. On peut voir tout cela dans ces deux épîtres, où il leur explique ces choses dans le plus grand détail. « Ma défense contre ceux qui m'interrogent, la voici ». Qu'est-ce que cela veut dire : «Ma défense contre ceux qui m'interrogent, la voici ? » A ceux qui veulent savoir comment je suis apôtre, ou à ceux qui m'accusent d'avoir reçu de l'argent, ou à ceux qui rue demandent pourquoi je n'en reçois pas, ou à ceux qui (428) veulent prouver que je ne suis point apôtre à tous ceux-là je donne pour preuve et pour justification l'instruction que vous avez reçue et les choses que je vais dire. Et quelles sont ces choses? « N'avons-nous pas le pouvoir de manger et de boire? N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme soeur? » Et comment est-ce là une apologie? Parce que quand on me voit m'abstenir de choses permises, il n'est pas juste de me soupçonner d'être un imposteur ou de travailler pour le lucre. Donc ce que j'ai dit plus haut, et l'instruction que vous avez reçue, et ce que je viens de dire tout à l'heure, suffisent à me justifier à vos yeux ; voilà mon point d'appui contre ceux qui m'interrogent; je leur dis cela et ceci encore : « N'avons-nous pas le pouvoir de manger et de boire? N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme soeur? » Et quoique j'en aie le pouvoir, je m'en abstiens. Quoi donc ! Ne mangeait-il pas? Ne buvait-il pas? Souvent certes il ne mangeait ni ne buvait; car il dit : « Nous étions dans la faim et la soif, dans le froid et la nudité ». (IICor. XI, 27.) Ici pourtant il ne le dit pas. Mais que dit-il? Ce que nous mangeons et ce que nous buvons, nous ne le recevons pas de nos disciples, bien que nous en ayons le pouvoir. « N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme soeur, comme les autres apôtres et les frères du Seigneur et Céphas? » Voyez sa sagesse ! il place en dernier lieu le coryphée, le chef fort entre tous les chefs. II était en effet moins étonnant de voir faire cela aux autres, qu'au premier de tous , à celui à qui ont été confiées les clefs du royaume des cieux. Du reste il ne le cite pas seul, mais tous les autres avec lui, comme pour dire : Cherchez en haut, cherchez en bas, vous trouverez que tous en donnent l'exemple. Car les frères du Seigneur, une fois délivrés de leur incrédulité, avaient pris rang parmi les plus illustres, quoiqu'ils ne fussent point parvenus au rang des apôtres. Aussi les place-t-il au milieu, entre les deux extrêmes. « Ou moi seul et Barnabé n'avons-nous pas le pouvoir de le faire? » Voyez son humilité ! Voyez comme son âme est exempte de jalousie ! Comme il ne passe point sous silence celui qu'il savait partager son zèle ! Sien effet tout le reste nous est commun , pourquoi non ceci encore? Comme eux nous sommes apôtres, nous sommes libres, nous avons vu le Christ, nous avons donné des preuves d'apostolat. Nous avons donc aussi le pouvoir de vivre dans le repos, et d'être nourris par les disciples. « Qui jamais fait la guerre à ses frais? » Après avoir donné, par-la conduite des apôtres, la plus forte preuve qu'il lui est permis d'agir ainsi, il en vint aux exemples, à l'usage commun , comme il a l'habitude de le faire. « Qui jamais fait la guerre à ses frais ? » Considérez comme les exemples qu'il choisit sont bien en rapport avec son sujet; comme il cite d'abord une carrière pleine de périls, la milice, les armes, la guerre. Car voilà ce qu'est l'apostolat et bien plus que cela encore. En effet, ils n'avaient pas seulement à combattre contre les hommes, mais contre les démons et le prince des démons. Son sens est donc: Ce que les rois du monde, bien que cruels et injustes, n'exigent pas, à savoir, que leurs soldats fassent la guerre, courent les dangers et néanmoins subsistent à leurs frais : comment le Christ l'exigerait-il ? Et il ne se borne pas à un seul exemple. Car l'esprit le plus simple et le plus épais est particulièrement satisfait quand il voit la coutume générale s'accorder avec les lois de Dieu. 3. Il passe donc à une autre comparaison et dit : « Qui plante une vigne et ne mange pas de son fruit? » Ici il désigne les dangers, les travaux, les misères de toute sorte, les sollicitudes. Il ajoute un troisième exemple, en disant : « Qui paît un troupeau et ne mange point du lait du troupeau ? » Il indique le soin extrême que met un maître à instruire ses disciples. Et en effet les apôtres étaient soldats, laboureurs et pasteurs, non laboureurs de terre, ni pasteurs d'animaux, ni soldats se battant contre des ennemis sensibles; mais pasteurs d'âmes raisonnables et soldats luttant contre les démons. Observons encore quelle mesure il garde en toute chose : se bornant à ce qui est utile et laissant le superflu. Il ne dit pas en effet : Qui fait la guerre et ne s'enrichit pas? mais : « Qui jamais fait la guerre à ses frais ? » Il ne dit pas: Qui plante une vigne et n'en recueille pas de l'or ou n'en mange pas tout le fruit? mais : « Et ne mange pas de son fruit? » Il ne dit pas: Qui paît un troupeau et n'en vend pas les agneaux ? mais que dit-il? « Et ne mange point de son lait?» Non pas de ses agneaux, mais de son lait: pour montrer que le maître doit se contenter d'une (429) légère consolation et du strict nécessaire en fait de nourriture. Ceci s'adresse à ceux qui veulent tout manger et recueillir tous les fruits. Telle est la loi posée par le Seigneur, quand il a dit : « L'ouvrier mérite sa nourriture ». (Matth. X, 10.) Non-seulement il le prouve par des exemples, mais il fait aussi voir ce que doit être un prêtre. Le prêtre doit avoir le courage du soldat , l'assiduité du laboureur, la vigilance du berger, et, après cela, se contenter du nécessaire. Après avoir montré par l'exemple des apôtres, puis par des comparaisons tirées de la vie commune, qu'il n'est pas défendu à un maître de recevoir de ses disciples, il passe à un troisième point et dit : « N'est-ce pas selon l'homme que je dis ces choses? La loi même ne les dit-elle pas? » Jusqu'ici en effet il n'a point parlé d'après les Ecritures , et s'est contenté de s'appuyer sur l'usage commun. Mais ne pensez pas, dit-il, que ce soient là mes seules raisons , ni que je me règle d'après la coutume des hommes, je puis vous montrer que c'est là aussi la volonté de Dieu , et je lis ce commandement dans l'ancienne loi. Voilà pourquoi il procède par interrogation , ce qui a lieu quand la chose est connue et avouée de tous : « N'est-ce pas selon l'homme que je dis ces choses? » C'est-à-dire : Est-ce que je m'appuie uniquement sur des principes humains? « La loi même ne le dit-elle pas? Car il est écrit dans la loi de Moïse : Tu ne lieras pas la bouche au buf qui foule les grains ». Et pourquoi rappelle-t-il cela, puisqu'il a l'exemple des prêtres? C'est pour prouver surabondamment sors sujet. Ensuite pour qu'on ne dise pas : Que nous importe ce qu'on a pu dire des boeufs? Il entre dans le détail en disant : « Est-ce que Dieu a soin des boeufs? » Eh quoi? Dieu n'aurait pas soin des boeufs? Certainement et il en a soin , mais non au point de faire une loi pour eux. Aussi, s'il n'avait eu quelque chose d'important en vue, à savoir, de porter les Juifs à la bienfaisance et de leur parler de leurs prêtres à l'occasion des animaux, il n'eût pas pris la peine de faire une loi pour empêcher de lier la bouche aux boeufs. Paul fait encore voir par là autre chose , les grands travaux auxquels les maîtres se livrent et doivent se livrer; puis une autre chose encore. Laquelle? Que tout ce qui est écrit dans l'Ancien Testament sur les soins à donner aux animaux , tend surtout à l'instruction des hommes , aussi bien que tout le reste, par exemple ce qu'on dit des divers vêtements, des vignes, des semences, de la terre dont il ne faut point changer la semence (1), de la lèpre, et de toute autre chose. Comme il s'adresse à des esprits encore trop grossiers, il cherche à les élever peu à peu. Et voyez comme il ne donne plus d'autre preuve, vu que la chose est évidente et claire par elle-même. Après avoir dit : « Est-ce que Dieu a soin des boeufs? » Il ajoute : « N'est-ce pas plutôt uniquement pour nous qu'il dit cela?» Ce n'est pas sans raison qu'il dit : « Uniquement », pour ne pas laisser chez l'auditeur la moindre place ,à la contradiction. Et continuant sa métaphore il dit : « Car c'est pour nous qu'il a été écrit : Que celui qui laboure doit labourer dans l'espérance », c'est-à-dire, que le maître doit recevoir le salaire de ses travaux. « Et celui qui bat le grain dans l'espérance d'y avoir part ». Et voyez sa prudence ! De la semaille il passe à l'aire, pour rappeler encore les travaux des maîtres, qui sèment aussi et battent le grain. Au labour, qui n'offre que le travail et point de fruit, il rattache seulement l'espérance; mais au battage dans l'aire il accorde un profit, en disant : « Et celui qui bat le grain a l'espérance d'y avoir part ». 4. Puis pour qu'on ne dise pas : Est-ce là le prix de si grands travaux? il ajoute : « Dans l'espérance », à savoir l'espérance du bien à venir. Car la bouche de ce buf qui n'est pas liée ne crie pas autre chose sinon que les maîtres qui travaillent ont droit à une récompense. « Si nous avons semé en vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous moissonnions de vos biens temporels?» Voilà encore un quatrième argument pour prouver qu'il faut fournir des aliments. Car après avoir dit : « Qui jamais fait la guerre à ses frais? » et : « Qui plante une vigne? » et : «Quel berger paît? » et parlé du buf qui foule le grain dans l'aire ; il produit une autre raison très-juste pour prouver qu'ils ont droit à recevoir : c'est que non-seulement ils ont travaillé, mais procuré des biens beaucoup plus considérables. Quelle est donc cette raison ? « Si nous avons semé en vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous
1 Je suppose que c'est une allusion au texte de Lévitique, chap. XIX, 19.
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moissonnions de vos biens temporels ? » Voyez-vous ce motif plus juste encore et plus raisonnable que les premiers? Là, dit-il, la semence est matérielle, et le fruit matériel; ici, au contraire, la semence est spirituelle et la récompense matérielle. Pour que ceux qui fournissent des aliments à leurs maîtres n'en soient pas trop fiers, il leur prouve qu'ils reçoivent plus qu'ils ne donnent. Car ce que les laboureurs recueillent est de la même nature que ce qu'ils sèment; mais nous, nous semons de la semence spirituelle dans vos âmes et nous recueillons du matériel : car tel est l'aliment que l'on fournit. Ensuite, pour les faire encore mieux rougir : « Si d'autres », leur dit-il, « usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi pas plutôt nous-mêmes? .» Nouvelle raison encore, empruntée aussi à des exemples, mais d'une nature différente. Car ici il ne parle plus de Pierre, ni des apôtres, mais de certains prédicateurs illégitimes, qu'il combattra plus tard et dont il dira : « Si on vous dévore, si on prend votre bien, si on vous traite avec hauteur, si on vous déchire le visage » (II Cor. XI, 20) ; et contre lesquels il escarmouche déjà. Aussi ne dit-il pas : Si d'autres reçoivent de vous; mais pour montrer leur orgueil, leur esprit tyrannique, leurs vues intéressées, il dit : « Si d'autres usent de « ce pouvoir à votre égard », c'est-à-dire, vous dominent, exercent le pouvoir, vous traitent comme des serviteurs, et ne se contentent pas de recevoir, mais y mettent une grande ardeur et agissent d'autorité. C'est pourquoi il ajoute : « Pourquoi pas plutôt nous-mêmes ? » Ce qu'il n'aurait pas dit s'il se fût agi des apôtres. Il est évident qu'il a en vue certains personnages dangereux et imposteurs. Ainsi donc, indépendamment de la loi de Moïse, vous avez vous-mêmes prescrit par une loi de fournir des aliments. Mais après avoir dit : « Pourquoi pas plutôt nous-mêmes? » il ne s'attache point à en donner ta raison; il se contente de s;en remettre pour la preuve à leur propre conscience, voulant tout à la fois les effrayer et les faire rougir .davantage. « Cependant nous n'avons point usé de ce pouvoir », c'est-à-dire, nous n'avons rien reçu. Voyez-vous comment, après avoir d'abord prouvé par tant de raisons qu'il n'est point contraire à la loi de recevoir, il dit à la fin : Nous n'avons rien reçu, pour ne pas paraître s'en être abstenu par nécessité? En effet, il ne dit pas : Je ne reçois rien, parce que cela est défendis ; car cela est permis, comme je l'ai démontré par bien des preuves : par l'exemple des apôtres ; par le cours ordinaire de la vie; par le fait du soldat, du laboureur, du berger; par la loi de Moïse; par la nature même des choses, puisque nous avons jeté en vous des semences spirituelles ; par ce que vous avez fait à l'égard des autres. Mais comme il a dit tout cela pour ne pas avoir l'air de jeter du blâme sur la conduite des apôtres qui recevaient, et pour les faire rougir et leur montrer qu'il ne s'abstient pas de la chose parce qu'elle est défendue: de même, pour ne pas paraître n'avoir donné ces preuves détaillées et ces nombreux exemples pour démontrer qu'il est permis de recevoir, qu'afin de demander à recevoir lui-même, il apporte aussitôt un correctif. Plus bas il dit en termes plus clairs : « Je n'écris donc pas ceci pour qu'on en use ainsi envers moi » ; mais ici, il se contente de dire: « Cependant nous n'avons pas usé de ce pouvoir ». Et ce qu'il y a de plus important, c'est que personne ne peut dire que nous n'en avons pas usé parce que nous étions dans l'abondance, puisque nous n'avons pas même cédé à la nécessité quand elle nous pressait; ce qu'il exprime encore dans la seconde épître, en ces termes: « J'ai dépouillé les autres églises en recevant ma subsistance pour vous servir; et quand j'étais près de vous et que je me trouvais dans le besoin, je n'ai été à charge à personne ». (II Cor. XI, 8, 9.) Et dans celle-ci: « Nous avons faim, nous avons soif, nous sommes nus , nous sommes souffletés ». (I Cor. IV, 11.) Et encore cette allusion : « Mais nous souffrons tout » ; car en disant : « Nous souffrons tout », il entend parler de la faim, d'une grande pénurie et de toutes les autres misères. Et pourtant, veut-il dire, rien de cela ne nous a fait violer la loi que nous nous sommes imposée. Pourquoi ? « Pour ne pas mettre d'obstacle à l'Evangile du Christ ». Comme les Corinthiens étaient encore trop faibles Pour ne pas vous choquer en recevant de vous, leur dit-il, nous avons mieux aimé faire plus qu'il n'est commandé, que de mettre un obstacle quelconque à l'Evangile, c'est-à-dire, à votre instruction. Si donc, malgré le pouvoir que nous en avions, malgré la pressante nécessité où nous étions placés, et l'exemple des apôtres, nous ne l'avons pas fait. « Pour ne (431) pas mettre d'obstacle » (il ne parle pas de ruine, mais « d'obstacle », et non pas simplement d'obstacle, mais « d'un obstacle quelconque », ce qui veut dire pour ne pas apporter le moindre retard au cours de la parole) ; si nous avons déployé un tel zèle, à combien plus forte raison vous qui êtes à une si grande distance des apôtres, qui n'êtes autorisés par aucune loi, et qui touchez à des choses non-seulement défendues, mais très-nuisibles à l'Evangile, à combien plus forte raison devez-vous vous en abstenir, non-seulement à cause de l'obstacle qui en résulte, mais parce que vous n'y voyez vous-mêmes aucune nécessité? Car dans tout ce discours il s'adresse à ceux qui scandalisaient leurs frères trop faibles en mangeant des viandes immolées aux idoles. 5. Ecoutons aussi ce langage, mes bien-aimés; ne méprisons pas ceux qui se scandalisent, ne mettons point d'obstacle à l'Evangile du Christ, ne manquons pas notre propre salut. Quand un frère est scandalisé, ne venez pas me dire : Telle et telle chose dont on se scandalise, n'est pas défendue; elle est permise. Je vais plus loin, moi : Quand même le Christ en personne vous l'aurait permise, si vous voyez que quelqu'un en souffre, abstenez-vous-en, n'usez pas de la permission. C'est ce que Paul a fait en ne recevant rien, quand le Christ lui permettait de recevoir. Car notre Maître est bon : il a mêlé beaucoup de douceur à ses commandements, afin que nous .n'agissions seulement par ordre, mais beaucoup par notre propre volonté. Si telle n'eût pas été son intention, il aurait pu insister davantage sur ses commandements et dire : Qu'on punisse celui qui ne jeûne pas, qu'on inflige un châtiment à celui qui ne garde pas la virginité; que celui qui ne se dépouille pas de tout ce qu'il possède soit livré au dernier supplice. Il ne l'a point fait, pour vous laisser la faculté de tendre au plus parfait, si vous en avez le désir. Voilà pourquoi il disait, en parlant de la virginité : « Que celui qui peut comprendre, comprenne » (Matth. XIX, 12) ; et pourquoi aussi il a commandé au riche certaines choses, en laissant le reste à son libre arbitre. En effet, il n'a pas dit : Vendez ce que vous avez ; mais « Si vous voulez être parfait, vendez ».(Id. 21.) Mais nous, bien loin d'aspirer à la perfection et de dépasser les commandements, nous restons bien au-dessous de ce qui est exigé. Et Paul souffrait la faim pour ne pas mettre d'obstacle à l'Evangile; et nous n'osons pas même toucher aux objets que nous avons mis de côté, bien que nous voyons beaucoup d'âmes se perdre. Que la teigne les ronge, dit-on, mais non le pauvre; qu'ils soient la proie des vers plutôt que de revêtir celui qui est nu; que le temps détruise tout, mais que le Christ meure de faim. Et qui tient ce langage? direz-vous. C'est une chose bien terrible que l'on parle ainsi, non de bouche, mais par les faits. On serait moins coupable de le dire que de le faire. Est-ce que ce n'est pas là ce que l'avarice, ce tyran cruel et inhumain, crie chaque jour à ses victimes ? Donnez à manger aux calomniateurs, aux voleurs, aux amateurs de plaisir, mais non à ceux qui ont faim et vivent dans l'indigence. N'est-ce pas vous qui faites les voleurs? N'est-ce pas vous qui alimentez le feu de la jalousie? N'est-ce pas vous qui êtes cause que l'esclave s'enfuit de chez son maître, que l'on vous tend des embûches, vous qui offrez vos richesses comme un appât? Quelle folie est celle-là ? Car c'est une vraie folie, une démence manifeste de remplir des coffres de vêtements et de mépriser un homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, nu, grelottant de froid et pouvant à peine se tenir debout. Mais, dites-vous, il feint de grelotter et d'être faible. Ne craignez-vous pas que ce mot n'attire la foudre sur votre tête? En vérité, l'indignation m'étouffe: pardonnez-moi. Quoi ! vous, adonné à la bonne chère, chargé d'embonpoint, prolongeant vos repas jusque bien avant dans la nuit, mollement vêtu, vous pensez que vous ne serez point puni d'avoir ainsi abusé des dons de Dieu ? (Car enfin, le vin n'a pas été donné pour qu'on s'enivre, ni la nourriture pour qu'on en use avec excès, ni les mets pour qu'on s'en charge outre mesure.) Et vous demandez des comptes sévères à un pauvre, à un misérable, à une espèce de cadavre; et vous ne craignez pas le terrible, le formidable tribunal du Christ? S'il simule, c'est parce que la nécessité et l'indigence l'y forcent, c'est à cause de votre cruauté, de votre inhumanité, qui exige ces sortes de feintes et ne se laisse point toucher par la pitié. Car quel est l'homme assez malheureux, assez infortuné, pour tenir une conduite aussi inconvenante, si la nécessité ne l'y poussait ; pour subir des coups et tant de mauvais traitements, et cela pour un morceau de pain?
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Ainsi cette hypocrisie de sa part proclame partout votre inhumanité. En effet, c'est peut-être après avoir prié, supplié, déploré sa misère, après avoir couru tout le jour en gémissant et en pleurant, sans trouver ce qui lui est nécessaire, qu'il a imaginé ce moyen, qui vous déshonore et vous accuse plutôt que lui. Réduit à une telle nécessité, il est au moins digne de notre compassion ; et nous qui y poussons le pauvre, nous méritons mille châtiments. Il n'aurait pas adopté ce parti, si nous étions faciles à émouvoir. Et pourquoi parler de nudité et de froid? J'ai à dire quelque chose de bien plus terrible : quelques-uns en sont venus à priver de la vue leurs petits enfants, pour vous exciter à la pitié. Comme leur dénuement , leur âge, leur infortune nous laissaient insensibles tant qu'ils jouissaient de la vue, ils ont ajouté cette nouvelle et plus grande calamité à tant d'autres, pour trouver un remède à leur faim : pensant qu'il valait mieux être privés de la lumière du soleil, ce bien commun à tous, que de lutter continuellement avec la faim et de subir la mort la plus triste. Parce que vous n'avez pas su avoir pitié de leur pauvreté, que vous vous en êtes amusés, au contraire, ils ont satisfait votre insatiable avidité, et allument pour eux comme pour vous une flamme plus terrible que celle de l'enfer. Et pour que vous compreniez bien que la cause en est là, je vous donnerai une preuve évidente et que personne ne pourra contredire. Il y a d'autres pauvres légers et superficiels qui ne savent pas supporter la faim et se résoudront à tout plutôt qu'à la subir. Souvent, après avoir cherché à exciter votre pitié par leurs paroles et leurs gestes, voyant qu'ils n'y gagnaient rien, ils ont quitté un rôle de suppliants, et se sont mis à imiter, à surpasser même les baladins, en mangeant des cuirs de vieux souliers, en s'enfonçant des clous aigus dans la tête, en se plongeant nus dans l'eau gelée; d'autres ont poussé plus loin encore l'absurdité, afin d'offrir un spectacle misérable. 6. Et vous y assistez, riant et admirant, vous glorifiant pour ainsi dire des maux des autres, d'une conduite déshonorante pour la nature. Que ferait de plus le cruel démon ? Ensuite, pour les encourager à en faire davantage encore, vous leur donnez plus d'argent. Mais quand un homme prie, invoque Dieu, s'approche avec calme, vous ne daignez pas lui répondre ni le regarder; vous lui adressez même des paroles désagréables, s'il vous presse avec importunité : faut-il que cet homme-là vive? qu'est-il besoin qu'il respire, qu'il voie le soleil? Mais pour les autres vous vous montrez gai, libéral, comme si vous étiez constitué juge de ces ridicules et diaboliques turpitudes. C'est à ceux qui provoquent de tels combats et qui ne négligent rien pour faire maltraiter les autres, qu'il faudrait plutôt adresser ces paroles : Faut-il que ces gens-là vivent? qu'ils respirent? qu'ils voient le soleil? eux qui violent les lois de la nature et outragent Dieu? Dieu vous dit : Fais l'aumône et je te donnerai le royaume des cieux, et vous ne l'écoutez pas. Le démon vous montre une tête percée de clous, et vous devenez libéral. Une, ruse, et une ruse pernicieuse du méchant esprit, vous fait agir plutôt que la promesse divine, source de biens sans nombre. Quand vous devriez, même à prix d'or, empêcher ces spectacles et éviter d'en être 'témoin, tout souffrir, tout mettre en oeuvre pour faire cesser ces folies; vous faites tout, vous ne négligez rien, au contraire, pour qu'elles aient lieu et qu'elles se passent sous vos yeux. Demanderez-vous encore, dites-moi, pourquoi il y a un enfer? Demandez plutôt pourquoi il n'y en a qu'un. Car quels châtiments ne méritent pas ceux qui établissent ces cruels et barbares spectacles, qui rient de choses qui devraient les faire pleurer et vous aussi , vous surtout qui forcez ces malheureux à des actions aussi indécentes? Mais, dites-vous, je ne les force pas. Comment ne les forcez-vous pas, quand vous ne daignez pas même prêter l'oreille aux pauvres plus modestes , qui pleurent et invoquent Dieu, et que vous prodiguez l'argent à ceux-ci et leur attirez des admirateurs? Nous les quittons, dites-vous, avec la compassion dans le coeur. Et vous exigez tout cela ! O homme, exiger tant de peines pour deux oboles, leur ordonner de se déchirer pour gagner leur nourriture, de se couper la peau de la tête si cruellement, si misérablement; non, ce n'est pas là de la pitié. Paix ! dites-vous, ce n'est pas nous qui perçons de clous ces têtes. Plût au ciel que ce fût vous ! le mal ne serait pas aussi grand. Car celui qui tue quelqu'un est beaucoup plus coupable que celui qui ordonne qu'on le tue lui-même; et c'est ce qui arrive ici. En effet, ils souffrent des douleurs (433) plus vives quand on leur commande d'exécuter eux-mêmes ces ordres cruels, et cela à Antioche, dans la ville où les chrétiens ont pris leur nom, où se trouvaient les plus doux des hommes, où l'aumône produisait jadis des fruits si abondants. Car on n'y donnait pas seulement à ceux qui étaient présents, mais on envoyait aux absents, à de grandes distances, et cela quand on était menacé de famine. Que faut-il donc faire? direz-vous. Dépouiller cette cruauté, signifier à tous les pauvres qu'ils ne recevront rien de vous tant qu'ils se conduiront ainsi ; que vous serez généreux envers eux, au contraire, s'ils se présentent avec modestie. Quand ils sauront cela, tant misérables soient-ils, je vous réponds qu'ils ne seront pas tentés de se maltraiter ainsi; mais ils vous sauront gré de les avoir délivrés de la dérision et de la douleur. Maintenant vous livreriez vos fils pour des cochers, vous sacrifieriez vos âmes pour des danseurs, mais pour le Christ souffrant de faim vous ne sacrifieriez pas la plus minime partie de votre fortune ; si peu que vous donniez d'argent, vous croyez avoir tout donné, sans songer que l'aumône ne consiste pas simplement à donner, mais à donner avec largesse. Aussi ce ne sont pas ceux qui donnent, mais ceux qui donnent abondamment que le prophète exalte et appelle heureux. Il ne dit pas seulement : Il a donné. Que dit-il donc? « Il a répandu, il a donné aux pauvres ». (Ps. III.) A quoi vous sert de donner de vos richesses la valeur d'un verre d'eau puisé dans la mer, de ne pas imiter la générosité de la veuve? Comment oserez-vous dire : Seigneur, ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde, et suivant l'étendue de votre compassion, effacez mon iniquité (Ps. L), quand vous n'aurez point eu pitié vous-même selon la grande miséricorde, que vous n'en aurez peut-être même eu aucune? Car je suis couvert de honte quand je vois beaucoup de riches montés sur des chevaux à frein d'or, traînant à leur suite des serviteurs chargés d'or, ayant des lits d'argent et une quantité d'autres meubles de luxe, et qui se trouvent beaucoup plus pauvres que les pauvres quand il faut donner à un mendiant. Et quelle raison en donnent-ils souvent ? Cet homme, disent-ils, a les ressources communes de l'Eglise. Eh ! que vous importe? Si je donne, vous n'êtes pas sauvés pour cela; si l'Eglise donne, vos péchés ne sont pas effacés pour autant. Si vous vous dispensez de donner parce que l'Eglise doit donner aux pauvres; vous vous dispenserez donc de prier, parce que les prêtres prient? Vous serez toujours à table, parce que d'autres jeûnent? Vous ne savez donc pas que Dieu a fait une loi de l'aumône moins en faveur de celui qui la reçoit qu'en faveur de celui qui la donne? Le prêtre vous est-il suspect? Ce serait une faute très-grave; mais je ne discute pas là-dessus; faites tout par vous-mêmes, et vous recueillerez une double récompense. Ce que nous disons de l'aumône, nous ne le disons pas pour nous attirer vos dons, mais pour que vous les distribuiez vous-mêmes. En m'apportant vos aumônes, vous céderiez peut-être à un sentiment de vaine gloire , souvent même vous vous retireriez scandalisés et pleins de mauvais soupçons , mais en faisant tout par vous-mêmes, vous êtes à l'abri de ces inconvénients et votre récompense sera plus grande. 7. Je ne dis point ceci pour vous obliger à apporter ici votre argent, ni pour me plaindre du mal qu'on dit des prêtres. S'il faut s'indigner, s'il faut gémir, c'est sur vous qui dites ce mal. Car les victimes de la calomnie n'en seront que mieux récompensées, mais les calomniateurs doivent s'attendre au jugement et à un supplice plus terrible. Ce n'est donc pas par inquiétude et par intérêt pour les prêtres, mais pour vous, que je parle. Et quoi d'étonnant à ce que de tels soupçons envahissent certaines âmes dans notre siècle, quand au temps même de ces saints qui prenaient les anges pour modèles, de ces Hommes dépouillés de tout, des apôtres, veux-je dire, il y avait déjà des murmures à l'occasion du service des veuves, parce qu'on négligeait les pauvres; alors que personne ne possédait rien en propre, mais que tout était en commun? Laissons donc là ces vains prétextes, et ne pensons pas nous excuser en disant que l'Eglise possède beaucoup. Quand vous pensez à ces grandes ressources, rappelez-vous aussi cette foule de pauvres inscrits, cette multitude de malades, ces innombrables occasions de dépenses; examinez, étudiez, personne ne vous en empêche, nous sommes tout prêts à vous rendre compte. Mais je veux aller plus loin. Après que nous vous aurons rendu nos comptes et démontré que nos dépenses ne sont pas moindres que nos revenus, qu'elles les dépassent même (434) quelquefois, nous vous adresserions volontiers une question : Au sortir de cette vie, lorsque nous entendrons le Christ nous dire : « Vous m'avez vu avoir faim et vous ne m'avez pas donné à manger; vous m'avez vu nu et vous ne m'avez pas vêtu » (Matth, XXV, 42), que dirons-nous? Comment nous justifierons-nous? Produirons-nous tel ou tel qui n'aura point obéi aux ordres, ou quelques prêtres suspects? Est-ce que cela vous regarde? nous dira le Christ. Je vous accuse des fautes que vous avez commises. Vous avez à vous laver de vos propres péchés, et non à me faire voir que d'autres les ont commis. C'est à cause de votre parcimonie que l'Eglise est obligée de conserver ce qu'elle a ; et si tout se passait selon les lois apostoliques, c'est votre bonne volonté qui devrait former ses revenus : ce qui lui serait un sûr coffre-fort, un trésor inépuisable. Mais comme vous thésaurisez pour la terre, que vous renfermez tout dans vos coffres, et qu'elle est forcée de dépenser pour les assemblées de veuves, pour les choeurs de vierges, pour les besoins étrangers, pour les malheureux voyageurs, pour les infortunés prisonniers, pour les malades et les estropiés, ou pour toutes les autres nécessités de ce genre, que faut-il faire ? Les repousser tous et fermer tous les ports? Mais qui viendra au secours de tant de naufragés? Qui répondra aux pleurs, aux lamentations, aux gémissements qui se font entendre de tous côtés? Ne parlons donc pas au hasard. A l'heure qu'il est, comme je l'ai déjà dit, nous sommes prêts à vous rendre des comptes : et quand cela ne serait pas, quand vous auriez des maîtres pervers, rapaces, avares, leur conduite coupable ne serait pas encore une excuse pour vous. Car le bon et très-sage Fils unique de Dieu, qui voit tout et qui sait que dans la longue série des siècles et sur la vaste étendue du globe, il y a beaucoup de mauvais prêtres, de peur que leur négligence n'augmente la lâcheté de leurs subordonnés, et afin d'ôter tout prétexte qui en pourrait naître, a dit: « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse; ainsi faites tout ce qu'ils vous disent de faire, mais n'agissez pas selon leurs oeuvres » (Matth. XXIII, 2, 3), montrant par là que, quand même vous auriez un mauvais maître , cela ne vous excuserait point de rie pas faire attention à ce qu'il dit. Car vous ne serez pas jugés d'après les actions de votre maître , mais d'après sa doctrine que vous n'avez pas suivie. Si donc vous accomplissez les commandements, vous pourrez vous présenter en toute assurance; mais si vous dédaignez la doctrine, il ne vous servirait à rien de montrer une multitude de prêtres corrompus. Judas était apôtre, et cela n'excusera jamais les voleurs sacrilèges et les avares. Un accusé ne pourra pas dire : Il y a eu un apôtre voleur, sacrilège et traître ; ce sera au contraire une raison de plus pour nous faire condamner et livrer au supplice, de n'être pas devenus sages aux dépens des autres. Car tout cela a été écrit pour nous détourner de les imiter. Laissons donc de côté un tel et un tel, et occupons-nous de nous ; chacun rendra compte à Dieu pour lui-même. Afin que ce compte présente une vraie justification, réglons notre vie, tendons aux pauvres une main généreuse, bien convaincus que l'accomplissement des préceptes est notre seule apologie et qu'il n'y en a point d'autre. Si nous pouvons l'offrir, nous éviterons les intolérables supplices de l'enfer, et nous obtiendrons les biens futurs. Puissions-nous y parvenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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