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CINQUIÈME HOMÉLIE. DE L'INCOMPRÉHENSIBILITÉ DE LA NATURE DE DIEU.
ANALYSE. Le Fils et le Saint-Esprit connaissent parfaitement le Père. Les mots Dieu et Seigneur sont communs au père et au Fils. Prudence de saint Paul dans ses enseignements. Non-seulement la substance des anges, mais aussi celle de notre âme est incompréhensible pour nous. Les Anoméens objectent : « Vous adorez donc ce que vous ignorez ! » Réponse à cette objection. Puissance de la prière. L'humilité produit la confiance.
1. Quand on traite un sujet vaste qui exige plusieurs discours, et qui demande non-seulement un, deux, ou trois jours, mais beaucoup plus, il ne faut pas le présenter en . bloc et d'un seul coup à l'intelligence des auditeurs; il convient de le diviser en plusieurs parties; ce qui le rend plus facile à suivre pour tous. La langue, l'ouïe, chacun de nos sens a ses règles et ses limites; quiconque dépasse ces bornes, émousse la vigueur de ces organes. Quoi de plus doux que la lumière? Quoi de plus agréable que les rayons du soleil ? Et cependant cette douceur, ce plaisir trop prolongé devient, pour l'il, pénible et insupportable. Aussi, Dieu a-t-il fait succéder au jour la nuit qui repose les yeux fatigués, ferme les paupières, ranime la vigueur de l'organe de la vue, et le rend plus apte à ses fonctions du lendemain. Ainsi la veille et le sommeil, quoiqu'opposés, nous offrent, bien réglés, une égale jouissance; la lumière nous est douce, doux aussi est le sommeil qui nous dérobe la lumière. L'excès est partout fâcheux et funeste; la modération, douce, agréable et utile. Il y a déjà quatre ou cinq jours que nous parlons de l'incompréhensible; la discussion ne sera pas encore terminée aujourd'hui; mais après vous en avoir entretenu suffisamment, nous ne fatiguerons pas outre mesure votre attention, et nous laisserons vos esprits se reposer un peu. Où en sommes-nous restés la dernière fois? C'est là qu'il faut reprendre, puisque nous continuons aujourd'hui de traiter le même sujet. Selon le fils du Tonnerre, disions-nous, nul n'a jamais vu Dieu, excepté le Fils unique qui est dans le sein du Père, qui nous l'a fait connaître. (Jean, I, 18.) Montrons aujourd'hui en quel endroit le Fils unique a exposé ce dogme, le voici : Il répondit aux Juifs et dit : Nul n'a vu le Père, si ce n'est Celui qui est de Dieu; celui-là a vu le Père. (Ibid. VI, 46.) II appelle encore ici vision la connaissance. Il ne dit pas simplement : Nul n'a vu le Père, sans rien ajouter. On aurait pu croire qu'il s'agit des hommes seuls. Il a ajouté ce qui suit pour exclure et les anges, et les archanges et les vertus célestes. Car après ces mots : Nul n'a vu le Père, il continue : Si ce n'est Celui qui (226) est de Dieu, celui-là a vu le Père. S'il eût dit simplement: Nul, beaucoup d'auditeurs, peut-être, auraient cru qu'il n'était question que de notre nature dans cette exclusion. Mais joignant au mot nul les mots : Si ce n'est le Fils, il exclut par là toute la création. Et le Saint-Esprit, direz-vous. Aucunement; car le Saint-Esprit ne fait pas partie de la création, et l'expression nul caractérise toujours la créature. Appliquée au Père, elle n'exclut pas le Fils, ni au Fils, le Saint-Esprit. Montrons encore plus clairement que nul implique l'exclusion de la créature et non du Saint-Esprit. Au sujet de la science qui ne convient qu'au Fils, écoutons ce que dit saint Paul aux Corinthiens : Qui connaît les secrets de l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui ? Ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l'Esprit de Dieu. (I Cor. II, 11.) Comme ici le mot nul n'exclut pas le Fils, de même appliqué au
2. Le Père, dira-t-on, est appelé un seul Dieu, parce que le Fils, quoique Dieu, n'est pas un Dieu aussi grand que le Père. De cette distinction, il faudrait conclure, à Dieu ne plaise ! que le Fils étant appelé un seul Seigneur, le Père quoique Seigneur, n'est pas un Seigneur aussi grand que le Fils. Si cette dernière parole est une impiété, que penser de la première? Mais ce mot un seul Seigneur ne dépouille pas le Père de la vraie domination pour la conférer au Fils seul; de même, ce mot un seul Dieu ne prive pas le Fils de la véritable et réelle divinité pour l'attribuer uniquement au Père. Le Fils est Dieu, même Dieu que le Père, tout en restant Fils; la suite le prouve. En effet, si le mot Dieu ne convient qu'au Père, sil ne peut s'appliquer qu'à cette Personne première et inengendrée, comme une qualification propre à elle seule et distinctive, il est superflu d'ajouter le mot Père. Il suffit de dire un seul Dieu, pour savoir de qui l'on parle. Mais le nom de Dieu étant commun au Père et au Fils, en disant un seul Dieu, saint Paul n'indiquait pas clairement de quelle Personne il était question. Aussi dut-il ajouter le mot Père pour montrer qu'il s'agissait de la première personne inengendrée, le mot Dieu, ne suffisant pas à cet effet, puisqu'il est commun au Père et au Fils. Car il y a des noms commuas et des noms propres; ceux-là indiquent l'identité d'essence , ceux-ci caractérisent les propriétés des personnes. Ainsi les noms de Père et de Fils sont propres à chaque personne; ceux de Dieu et de Seigneur leur sont communs. S'étant servi du mot un seul Dieu, l'Apôtre emploie encore un nom propre pour montrer de qui il parlait, et nous empêcher de tomber dans l'hérésie de Sabellius. Car les noms Dieu et Seigneur ne sont ni inférieurs, ni supérieurs l'un à l'autre; cela est ici évident. Dans l'Ancien Testament, le Père est sans cesse appelé Seigneur. Le Seigneur ton Dieu, le Seigneur est un (Ex. XX, 2); Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul (Deut. VI, 13) ; Notre-Seigneur est grand, sa puissance est infinie et sa sagesse n'a point de bornes (PS. CXLVI, 5) ; Qu'ils sachent que votre nom est le Seigneur, et que vous êtes seul le Très-Haut sur toute la terre. (PS. LXXXII, 19.) Si ce nom était inférieur à celui de Dieu, et indigne de l'essence divine, il ne faudrait pas dire : Qu'ils connaissent que votre nom est le Seigneur. D'autre part, si le mot Dieu l'emporte sur celui de Seigneur, s'il est plus honorable, il ne faut pas attribuer le nom propre du Père au Fils, qui selon eux est inférieur. Mais il n'en est pas ainsi. Le Fils n'est pas au-dessous du Père, ni le nom de Seigneur moindre que celui de Dieu. Aussi la sainte Ecriture donne ces deux noms indifféremment au Père et au Fils. Vous avez vu le Père appelé Seigneur, voyons maintenant le Fils appelé Dieu. Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils à qui on donnera le nom d'Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous. (Is. VII, 14; Matth. I, 23.) Vous le voyez, le nom de Seigneur est attribué au Père, et celui de Dieu au Fils. (227) Comme il est dit auparavant : Qu'ils connaissent que votre nom est le Seigneur. Il est dit ici : On lui donnera le nom d'Emmanuel. Un petit Enfant nous est né, un Fils nous a été donné, il sera appelé l'ange du grand conseil, le Dieu fort, puissant. (Is. IX, 6.) Admirez la puissance et la sagesse spirituelle des prophètes. Pour qu'on ne croie pas que, par le mot de Dieu, ils entendent le Père, ils rappellent d'abord l'Incarnation. Car le Père n'est pas né d'une vierge, n'a pas été petit enfant. Un autre prophète s'écrie : Il est notre Dieu, et nul autre ne subsistera devant lui. (Bar. III, 36.) De qui parle-t-il? Du Père? Nullement. Ecoutez comment il rappelle aussi l'Incarnation. Après ces mots: Il est notre Dieu, nul autre ne subsistera devant lui, il ajoute : Il a trouvé toutes les voies de la science, et il l'a donnée à Jacob son serviteur, à Israël son bien-aimé. Après cela il a été vu sur la terre et il a conversé avec les hommes. Saint Paul a dit les paroles suivantes : Desquels est sorti selon la chair, Jésus-
3. C'est vrai, me direz-vous. Mais montrez-nous un passage où l'Ecriture, en parlant du Père et du Fils, nomme le Père Seigneur. Je vais vous le montrer, et de plus vous prouver qu'elle appelle le Père et le Fils indifféremment Dieu et Seigneur. Où cela? Un jour Jésus-
Telle est la vérité, et en reprenant le texte un peu plus haut, volas verrez clairement que ce n'est point une vaine conjecture. Quant aux viandes offertes aux idoles, nous n'ignorons pas que nous avons tous assez de science. La science enfle, la charité édifie. Quant à ce qui est de manger de ces viandes, nous savons que les idoles ne sont rien dans le monde, et qu'il n'y a nul autre Dieu que le seul Dieu. (I Cor. VIII, 1 et 4.) Il parle, comme vous le voyez, à ces Grecs qui admettaient la pluralité des dieux. Il continue ainsi: Car quoique plusieurs soient appelés dieux, et plusieurs seigneurs au ciel et sur la terre, et qu'il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs (c'est-à-dire ainsi appelés), nous n'avons qu'un seul Dieu le Père, d'où tout découle, et qu'un seul Seigneur Jésus-
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En entendant ces expressions : nul et autres semblables, gardez-vous d'en abuser pour amoindrir la gloire de la Trinité, mais apprenez de là combien elle l'emporte sur la créature. Ailleurs il est dit : Qui a connu les desseins de Dieu ? (Rom. II, 34; Is. XL,13.) Ces paroles ne nous donnent pas non plus le droit de refuser cette connaissance au Fils ni au Saint-Esprit; nous l'avons prouvé plus haut, par un texte de saint Paul : Qui connaît les secrets de l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui? Ainsi personne ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l'Esprit de Dieu; par un passage de saint Luc où Jésus-
4. Que dis-je, des anges ? l'essence de notre âme elle-même, nous ne la connaissons pas parfaitement, ou plutôt nous l'ignorons tout à fait. Si les Anoméens prétendent le savoir, demandez-leur ce que c'est que la substance de l'âme? Est-ce de l'air? du vent? un souffle ? une flamme? Rien de tout cela, assurément; car tout cela est corps, et l'âme est incorporelle. Ils ignorent la nature des anges et celle de leur âme, et ils se vantent de connaître parfaitement leur Seigneur et leur Créateur? Quoi de plus triste que cette folle? Mais pourquoi parler de la substance de l'âme? Personne ne peut dire comment elle est dans le corps, Est-elle répandue dans la masse ? Ce serait absurde; cette manière d'être est le propre des corps. Cela ne peut se dire de l'âme. Car, les mains et les pieds coupés, elle demeure entière, et en mutilant le corps, on ne mutile pas l'âme. Mais si elle n'est pas répandue dans tout le corps, réside-t-elle dans une partie? Alors les autres parties sont mortes; car ce qui n'est pas animé est mort. Cette hypothèse est inadmissible. Nous savons que l'âme est dans notre corps; comment y est-elle ? nous l'ignorons. Dieu nous a dérobé cette connaissance pour rabattre nos prétentions, nous maintenir dans l'humilité, et nous empêcher de rechercher et de scruter ce.qui est au-dessus de nous. Mais pour prouver cette vérité sans le secours du raisonnement, revenons à l'Ecriture sainte: Nul n'a vu le Père sinon Celui qui est de Dieu celui-là a vu le Père. Ce passage, direz-vous, n'attribue pas au Fils une connaissance parfaite. Il indique que la créature ne connaît pas Dieu: Nul n'a vu le Père, et que le Fils le connaît : Sinon Celui qui, est de Dieu; celui-là a vu le Père. Qu'il le connaisse parfaitement, et comme il se connaît lui-même, cela n'est pas démontré. Il peut se faire que ni la créature, ni le Fils, quoique ayant une science plus grande, ne le comprennent pas parfaitement. Le Fils sait que Dieu existe, voilà tout ce que vous pouvez conclure de votre citation: mais qu'il le connaisse entièrement et comme il se connaît lui-même, rien ne le prouve. Faut-il vous le montrer . par la sainte Ecriture et par les paroles mêmes de Jésus-
Ailleurs le Sauveur déclare la même chose : Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. (Matth. XI, 27.) Il révèle non autant qu'il connaît, mais (229) selon que nous sommes capables d'entendre. Si saint Paul en agit ainsi, à plus forte raison Jésus-
5. A quoi bon citer l'Ecriture sainte? L'absurdité du système que nous combattons est si évidente, son extravagance si grande, que les païens eux-mêmes, plongés dans les ténèbres de l'idolâtrie, n'ont rien osé de semblable. Aucun n'a eu l'audace de définir l'essence divine, et de lui imposer un nom; que dis-je? l'essence divine ! Malgré tous leurs efforts, les philosophes n'ont pu définir la nature des esprits, et ils en donnent plutôt.une description obscure, un aperçu, qu'une définition. A tout cela qu'est-ce qu'objectent nos sages Anoméens ? Vous ne connaissez pas ce que vous adorez. Voilà l'objection. Certes , après avoir si clairement démontré par l'Ecriture sainte que l'essence de Dieu ne peut être connue parfaitement de personne, je ne devrais pas relever une pareille attaque. Mais puisque c'est le désir de les éclairer et non la haine qui me fait parler, montrons-leur qu'il y a plus d'ignorance dans leur prétention de comprendre Dieu, que dans l'aveu de notre impuissance. Supposons deux hommes qui discutent sur la grandeur du ciel. L'un dit : le regard de l'homme ne peut en embrasser l'étendue; l'autre prétend qu'il le mesure.de la main; dites-moi, quel est celui qui comprend mieux la grandeur du ciel, celui qui se vante d'en connaître la mesure, ou celui qui avoue son ignorance? Si ce dernier connaît mieux l'étendue du ciel que le premier, pourquoi n'aurions-nous pas la même réserve que lui en parlant de Dieu? Agir autrement, n'est-ce pas le comble de la folie ? Il nous suffit de savoir que Dieu existe , sans vouloir pénétrer son essence. Ecoutez saint Paul : Pour s'approcher de Dieu il faut croire qu'il est. (Héb. XI, 6.) Le Prophète reproche à l'impie d'ignorer, non la nature, mais l'existence de Dieu: L'impie a dit dans son coeur : il n'y a pas de Dieu. (Ps. XIII, 1.) Ce qui distingue l'impie, c'est de nier qu'il y a un Dieu, et non d'ignorer quelle est son essence; de même c'est satisfaire à son devoir que de reconnaître que Dieu existe. Les Anoméens font encore une autre objection. Laquelle? Il est écrit, disent-ils : Dieu est esprit. (Jean, IV, 24.) Mais est-ce la définition de son essence? Qui le croira, pour peu qu'il ait seulement ouvert les saintes Ecritures? A raisonner de la sorte, Dieu sera aussi un feu. S'il est dit: Dieu est esprit, il est aussi écrit : Notre (230) Dieu est un feu dévorant. (Héb. XII, 29.) On l'appelle encore : une source d'eau vive. (Jér. II, 13.) Il ne sera pas seulement esprit, source, feu, mais aussi âme, souffle, intelligence humaine, pour ne rien dire de plus absurde. Je ne veux pas continuer et imiter leur folie. Le mot esprit (pneuma) a plusieurs sens. Il signifie notre âme, comme dans ce passage de saint Paul: Livrez cet homme à Satan, afin que son esprit ou son âme soit sauvée (I Cor. V, 5); le vent, d'après le Prophète : Vous les briserez par le souffle d'un esprit, c'est-à-dire d'un vent impétueux (Ps. XLVII, 8); un don spirituel : L'esprit lui-même rend témoignage à notre esprit (Rom. VIII, 16) ; et encore : Je prierai de coeur, et je prierai d'esprit. (I Cor. XIV, 15); la colère selon Isaïe : N'était-ce pas vous qui vouliez les détruire dans la rigueur de votre esprit, c'est-à-dire de votre colère ? (Is. XXVII, 8); le secours de Dieu : Le
6. Ne cessons pas d'intercéder pour eux. La prière est une arme puissante, un trésor inépuisable de richesses infinies, un port à (abri des tempêtes, une cause de tranquillité, la racine, la source, la mère d'une foule de biens; elle est préférable à un empire. Souvent quand le roi est en proie à la fièvre et étendu sur sa couche, se pressent autour de lui les médecins, les gardes, les serviteurs, les officiers; mais ni l'art des médecins, ni la présence des amis, ni les soins des serviteurs, ni la variété des remèdes, ni la magnificence des apprêts, ni l'abondance des richesses, nul moyen humain ne peut calmer la maladie. Mais si quelqu'un plein de confiance en Dieu entre et touche seulement le corps en faisant une prière fervente, il chasse subitement le mal. Et ce que la richesse, la multitude des serviteurs, une science rare, une grande expérience, la gloire du roi n'ont pu produire, souvent la prière d'un pauvre mendiant l'a opéré. Je dis la prière, non lâche et distraite, mais fervente et partant d'un coeur contrit et d'un esprit attentif. C'est elle qui pénètre les cieux. L'eau répandue sur un vaste espace ne s'élève pas, mais comprimée par la main d'un habile ouvrier, plus rapide qu'un trait, elle jaillit vers le ciel. Ainsi l'âme de l'homme, tant qu'elle jouit de l'abondance, demeure plongée dans la mollesse; mais quand les revers et les chagrins l'accablent, grâce à cette heureuse épreuve, elle exhale vers Dieu des prières pures et ferventes. Ces prières arrachées par l'angoisse sont plus facilement exaucées; écoutez le Prophète: Dans l'affliction j'ai crié vers le Seigneur, et il m'a exaucé. (Ps. CXIX,1.) Embrasons donc notre coeur; que le souvenir de nos péchés brise notre âme; non pour la jeter dans le désespoir, mais pour la rendre sobre; vigilante, digne d'être exaucée, et pour la conduire au ciel. La lâcheté et la paresse cèdent bientôt devant la douleur et l'affliction qui recueillent l'âme et la font rentrer en elle-même. Celui qui prie ainsi avec larmes, ne tarde pas à éprouver une grande joie dans son coeur. Les nuées en s'amassant obscurcissent d'abord le ciel; mais après qu'elles sont tombées sous forme de pluie, l'air redevient pur et serein. Ainsi la douleur, concentrée à l'intérieur, obscurcit l'intelligence; mais lorsque par une prière accompagnée de larmes, elle s'est exhalée et manifestée au dehors, l'âme recouvre sa joie, et le secours de Dieu, comme un rayon vivifiant, pénètre le coeur qui prie. Mais dira froidement quelqu'un, je crains, je suis tout confus, je ne puis ouvrir la bouche. Timidité satanique; prétexte de la paresse. Le démon veut vous fermer tout accès auprès de Dieu. Vous vous sentez découragé? Tant mieux, c'est une raison de plus pour avoir confiance. Vous avez une très-petite idée de vous-même. C'est ce qu'il faut; c'est un grand avantage : au contraire si vous présumez trop de vous, malheur à vous, votre honte et votre damnation éternelles sont inévitables. Quelles que soient vos bonnes couvres, quelque juste que vous soyez à vos yeux, si vous vous appuyez sur vous-même, votre prière perd sa vertu. Au contraire, quelque nombreux- que soient vos péchés, si vous vous regardez comme le dernier de tous, vous trouverez grâce devant Dieu, quoiqu'il n'y ait pas beaucoup d'humilité à se croire pécheur quand on l'est -réellement. L'humilité consiste à se regarder comme un néant, malgré la grandeur et le nombre de ses mérites. Il est humble celui qui après avoir dit avec saint Paul: Ma conscience ne me reproche rien, ajoute : mais pour cela je ne suis pas justifié (I Cor. IV, 4) ; et encore : Jésus-
7. Pour mieux comprendre cette comparaison, souvenez-vous du pharisien et du publicain. Le pharisien joint la justice à l'orgueil : Je vous rends grâces, dit-il, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, voleurs, injustes, ni comme ce publicain. (Luc. XVIII, 11.) Insensé ! Le genre humain ne suffit pas pour assouvir son orgueil; il insulte follement â ce publicain qui se trouve à côté de lui. Et celui-ci, que fait-il ? Il ne repousse pas les injures, il supporte ces reproches, et reçoit ces paroles avec reconnaissance. Le trait de l'ennemi fut pour lui un remède; son insulte, une louange; ses reproches, une couronne. Tel est l'avantage de l'humilité; telle est la récompense de quiconque souffre avec patience les calomnies et les injures d'autrui. Nous pouvons aussi en recueillir un autre fruit considérable, comme fit le publicain. Car, en recevant ces reproches, il obtint la rémission de ses péchés. Et après cette prière : Ayez pitié de moi, qui suis pécheur, il descendit justifié, et non pas l'autre; les paroles l'emportent sur les oeuvres, les discours sur les actions. L'un vanta justice, jeûne, dîmes; l'autre fit une humble prière, et tous ses péchés lui furent remis. Car Dieu n'entendit pas seulement les paroles; il vit le fond du coeur, et touché par l'humilité et la contrition du publicain, il eut pitié de lui et le reçut favorablement. Je dis ceci pour vous engager, non à pécher, mais à vous humilier. Car, si un publicain, la pire espèce de pécheur, en confessant ses fautes avec un coeur humble et sincère, en reconnaissant sa misère, a obtenu de Dieu une telle grâce, quelles bénédictions n'obtiendront-ils .pas ceux qui, malgré leurs vertus, sont toujours humbles ! C'est pourquoi je vous exhorte, je -vous conjure de vous confesser à Dieu souvent. Je ne vous oblige pas à révéler vos péchés aux hommes, en présence de vos frères. Ouvrez votre cur à Dieu; montrez-lui vos blessures; demandez-lui les remèdes nécessaires. Montrez-vous à lui, non comme à un ennemi, mais comme à un médecin; malgré votre silence, il connaît tout. Parlez, et cela vous sera utile. Parlez, et ayant. déposé toutes vos iniquités, vous reviendrez pur et justifié, et vous serez délivré de la honte d'un aveu public. Les trois enfants étaient dans la fournaise, donnant leur vie pour Dieu. Cependant après un tel sacrifice, ils s'écrient : Nous n'osons ouvrir la bouche; nous sommes devenus un sujet de confusion et de honte à vos, serviteurs et à ceux qui vous adorent. (Dan. III, 33.) Pourquoi donc ouvrez-vous la bouche? Pour dire que cela ne vous est pas permis, et par là apaiser le Seigneur. La puissance de la prière éteint la violence du feu, arrête la fureur des lions, fait cesser les guerres, apaise les combats, calme les tempêtes, chasse les démons, ouvre les portes du ciel, brise les liens de la mort, guérit les maladies, écarte les dangers, raffermit les villes chancelantes, éloigne les fléaux du ciel, les embûches des hommes, et en un mot tous les malheurs. Je dis la prière, non celle que la bouche prononce, mais celle qui s'échappe du fond du coeur. Les arbres qui ont de profondes racines résistent à tous les efforts des vents, sans se rompre ni s'arracher, parce que les racines les attachent fortement au sol; ainsi la prière qui sort du fond de l'âme, qui vient de la partie la plus intime de l'âme, monte sans crainte vers le ciel, sans qu'aucune distraction puisse la détourner de son but. Voilà pourquoi le Prophète s'écrie : Des profondeurs de l'abîme j'ai crié vers vous, Seigneur. (Ps. CXXIX, 1.) Que servent ces applaudissements que j'entends? louez-moi par vos oeuvres, pratiquez ce que vous approuvez. C'est une consolation pour un malheureux de raconter ses infortunes à des hommes, de leur confier ses chagrins, comme si la parole les faisait disparaître; à plus forte raison, serez-vous ranimés et consolés, si vous découvrez à Dieu les misères de votre âme. Souvent l'homme (232) est importuné par les plaintes et les larmes d'un malheureux; il le dédaigne et le repousse. Il n'en est pas ainsi de Dieu; il invite, il presse, vous lui exposez longuement vos misères, il vous en aime davantage, il exauce vos prières. C'est ce que nous déclare Jésus-
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