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HOMÉLIES SUR LA PÉNITENCE
TROISIÈME HOMÉLIE. De l'aumône et des vierges.
ANALYSE.
1° Résumé du sermon précédent : on y a vu trois voies de pénitence , ce discours va en montrer une quatrième : l'aumône. 2° Explication de la parabole des dix vierges. Sans l'huile de la charité la virginité ne peut ouvrir le ciel. 3° Puissance (le l'aumône, elie protégera au jour du jugement ceux qui l'auront pratiquée. Continuation de la parabole des dix vierges. Difficulté de la virginité inconnue des anciens, et qui n'a paru sur la terre que depuis que la fleur de la virginité a fleuri. 4° Récapitulation, exhortation.
1. Savez-vous le point de départ de notre dernier discours et sa conclusion; savez-vous de quel sujet à quel autre les paroles de la précédente homélie ont passé? Je crois que vous l'avez oublié; et je ne vous en accuse ni ne vous en blâme : moi, je m'en souviens. Chacun de vous a femme et enfants, chacun de vous a le souci de, foutes les affaires domestiques; les uns sont occupés à l'armée, les autres sont artisans, tous sont absorbés par (285) des emplois divers. Mais nous, c'est à la parole divine que nous donnons nos soins, à elle que nous pensons, à elle que nous consacrons notre temps. Aussi, n'êtes-vous pas à censurer, mais plutôt à louer pour votre zèle, car vous ne nous avez pas abandonné un seul dimanche; laissant tout de côté, vous accourez à l'ég
Eh bien ! payons donc notre dette ! mais quelle est-elle? Nous entreprenions dernièrement un sermon sur la pénitence et nous disions que les voies en sont nombreuses et variées pour nous rendre le salut facile. Si Dieu ne nous eût donné qu'une seule voie de pénitence nous l'eussions refusée en disant : Nous ne pouvons pas la suivre, nous ne pouvons pas nous sauver ! Mais voici que nous coupons cette objection par le pied ! Ce n'est pas une voie de pénitence que Dieu vous donne, ni deux, ni trois; c'en est une foule et très-diverse, afin que leur multitude vous rende aisée votre ascension vers le ciel. Nous disions que la pénitence est facile, qu'elle n'impose pas un lourd fardeau. Etes-vous pécheur? Entrez à l'ég
2. N'avez-vous pas compris dans 1'Evangile la parabole des dix vierges ? elles gardèrent la virginité; mais, comme elles n'avaient pas l'aumône, elles furent exclues des noces de l'Époux. Il était dix vierges, cinq folles et cinq sages. (Matt. XXV, 2.) Les sages avaient une provision d'huile; les folles n'en avaient pas et laissaient leurs lampes s'éteindre. Les folles allèrent trouver les sages et leur dirent : Donnez-nous de l'huile de vos vases. J'ai honte et confusion, je pleure d'entendre une vierge appelée folle ; je rougis quand ces mots accouplés frappent mon oreille ! Après avoir pratiqué une vertu si belle, après avoir tant combattu pour la conservation de la virginité, après avoir élevé leur corps à une céleste sublimité, après avoir rivalisé avec les esprits angéliques, après avoir surmonté la fièvre ardente, la flamme de la volupté, elles sont appelées folles et folles à bon droit; puisque, après avoir accompli la grande oeuvre, elles échouent dans un détail. Et les folles s'approchant des sages, leur dirent : Donnez-nous de l'huile de vos vases. Celles-ci répondirent : Nous ne pouvons vous en donner, de peur qu'il n'y en ait point assez pour nous et pour vous. (Matt. XXV, 8.) Ce n'était ni la dureté de coeur, ni la méchanceté qui les faisait agir de la sorte, mais l'embarras du moment l'Époux était sur le point d'arriver. Elles avaient toutes leurs lampes; mais les unes avaient réservé l'huile, et les autres non. Or, la flamme représente la virginité, et l'huile l'aumône; de même que la flamme s'éteint si elle n'est alimentée par l'huile; ainsi périt la virginité si elle ne se soutient par l'aumône. Donnez-nous de l'huile de vos vases, disent les unes. Nous ne pouvons vous en donner, répondent les autres. Cette parole ne vient pas d'un mauvais sentiment, mais d'une crainte prudente : il n'y en aurait peut-être pas assez pour nous et pour vous; nous avons peur qu'en cherchant toutes à entrer, nous ne soyons toutes laissées dehors; mais retournez sur vos pas et achetez-en auprès des marchands. Quels sont les marchands de cette huile? Ce sont les pauvres, assis aux portes de l'ég
3. Cette seule parole ferait la gloire et le bonheur de celui en faveur de qui elle serait dite, et ce n'est que la parole d'un homme; essayez d'après cela de vous représenter le Christ en ce grand jour où il fera, en présence de ses anges et de toutes les puissances célestes, l'appel de ses créatures et dira : Celui-ci sur la terre m'a donné l'hospitalité ; celui-ci m'a prodigué mille bienfaits; celui-ci m'a recueilli dans mon exil quand j'étais étranger, imaginez ensuite la sainte confiance du juste au milieu des anges, son bonheur au milieu du peuple céleste ! Celui de qui le Christ rend témoignage, pourrait-il ne pas jouir d'un crédit supérieur à celui des anges mêmes ? L'aumône est donc une grande chose, mes frères ! Embrassons-la comme l'oeuvre sans pareille ! Elle est assez puissante pour effacer tous les péchés et pour écarter de vous le jugement : devant le juge vous vous taisez, et elle se tient à côté de vous et plaide votre cause; bien plus, vous vous taisez, et elle fait retentir ses mille et mille voix qui vous bénissent. Donnez selon la mesure de votre pouvoir, donnez du pain; si vous n'avez pas de pain, donnez une obole; si vous n'avez pas une obole, donnez un verre d'eau seulement; si vous n'avez pas même cela, compatissez aux misères d'autrui, et vous gagnez la récompense. La récompense appartient, non pas à l'action faite par contrainte, mais à la bonne volonté. Tandis que nous discourons sur ce point, la pensée des dix vierges nous échappe : revenons à notre sujet : Donnez-nous de l'huile de vos lampes. Nous ne pouvons vous en donner, nous craignons qu'il n'y en ait pas assez pour vous et pour nous; mais retournez sur vos pas et achetez-en auprès des marchands. Les vierges folles étaient parties pour faire leur emplette, l'époux arriva ; les vierges qui avaient leurs lampes allumées entrèrent avec lui et la porte de la chambre nuptiale fut fermée. (Matth. XXV, 10.) Les cinq folles arrivèrent aussi et frappèrent à la porte en criant : ouvrez-nous; mais l'époux leur répondit de l'intérieur : retirez-vous : je ne vous connais pas! Après tant de peine qu'elles avaient prise, qu'entendirent-elles ? Je ne vous connais pas, c'est-à-dire, comme je l'ai énoncé plus haut, qu'elles possédèrent vainement et inutilement le riche trésor de la virginité. Examinez après quels travaux accomplis elles se virent exclues ! C'est après avoir réfréné l'incontinence, après avoir lutté d'émulation avec les vertus d'en-haut, après avoir dédaigné les choses de ce monde, après avoir enduré de terribles feux, après avoir franchi mille obstacles, après avoir pris leur essor de la terre vers le ciel, après avoir conservé intact le sceau de leur corps, après avoir acquis le grand honneur de la chasteté , après avoir rivalisé avec les anges, après avoir foulé aux pieds les nécessités corporelles, après avoir mis la nature en oubli, après avoir accompli dans leur corps matériel ce qui fait le privilège des esprits immatériels, après avoir conquis la possession inexpugnable de cette belle virginité, après tout cela, elles entendirent : Eloignez-vous de moi ; je ne vous connais pas. Et n'allez pas vous imaginer que ce soit une petite grandeur que celle de la virginité ! La virginité est telle que pas un des anciens n'a pu la conserver. Nous devons à une grâce exceptionnelle que les choses qui furent si redoutables aux prophètes et aux anciens justes sont devenues maintenant aisées et faciles. Quelles étaient ces choses si lourdes et si dures ? La virginité et le mépris de la mort: mais aujourd'hui de simples jeunes filles mêmes ne s'en font nulle frayeur. La possession de la virginité était autrefois tellement difficile que personne parmi les anciens n'eut la force de s'y exercer. Noë fut juste et sa vertu fut attestée de Dieu; mais il eut (288) commerce avec une femme. Abraham et Isaac furent aussi, comme lui, les héritiers de la promesse; mais ils eurent commerce avec une femme. Joseph le chaste refusa énergiquement de commettre le crime de l'adultère; mais il eut, lui aussi, commerce avec une femme. C'est qu'alors la profession de virginité était une lourde charge : la virginité n'est devenue robuste que depuis que la fleur de la virginité a germé. Aucun des anciens n'a donc pu la pratiquer, parce que c'est une grande affaire que de dompter le corps. Tracez-moi le portrait de la virginité et vous apprendrez la grandeur de cette vertu : elle a encore à soutenir chaque jour et de tous côtés une guerre qui ne peut lui laisser repos ni trêve, une guerre pire que celle des barbares. Les barbares en effet gardent des instants de relâche par suite des traités tantôt ils se lancent au combat et tantôt ils s'arrêtent; ils observent un certain ordre, ils respectent certains temps ; mais la guerre contre la virginité n'a jamais de suspension d'armes. Celui qui pousse cette guerre est le démon qui ne sait pas épier patiemment l'occasion d'entrer en campagne, qui n'attend pas de renforts pour engager la lutte; il est toujours debout cherchant à surprendre la vierge au dépourvu pour la frapper d'un coup mortel: la vierge ne peut jamais cesser la bataille, elle porte partout avec elle le combat et l'ennemi. Les condamnés eux-mêmes, après avoir comparu sous les yeux du juge au temps nécessaire, ne sont pas tourmentés de cette sorte ; mais la vierge, en quelque lieu qu'elle aille, conduit avec elle son juge et traîne son adversaire qui ne lui donne de repos ni le soir ni la nuit, ni à l'aurore ni en plein jour, qui l'attaque partout, en lui suggérant des images voluptueuses, en lui mettant le mariage en tête afin de chasser de son coeur la vertu et d'y faire naître le péché, afin d'en arracher la continence et d'y semer l'impureté. A chaque heure il met le feu à ce foyer de la volupté qui brûle si agréablement. Imaginez donc quel est le labeur de cette entreprise ! Et pourtant, malgré tout cela, les vierges folles entendirent cette parole : Eloignez-vous de moi, je ne vous connais pas! Voyez combien c'est une grande chose que la virginité : quand elle a l'aumône pour soeur, aucun obstacle ne lui résiste, elle est supérieure à tout. C'est pourquoi, si les cinq folles n'entrèrent point en la chambre nuptiale, c'est qu'elles n'eurent pas l'aumône avec la virginité. Quelle honte ! Elles ont vaincu la volupté et n'ont pas méprisé l'argent; vierges, elles ont renoncé à la vie, et crucifiées, elles ont aimé les biens de la vie. Plût à Dieu que vous eussiez souhaité un mari ! votre faute eût été moindre; vos désirs eussent eu pour objet ce qui est de même nature que vous, tandis que présentement votre culpabilité est plus grave, parce que vous avez désiré ce qui est d'une nature étrangère. Que celles qui se trouvent soumises à un mari se montrent inhumaines et dures, soit; elles ont leurs enfants pour prétexte. Si vous dites à l'une d'elles donne-moi l'aumône, elle répond : j'ai des enfants : je ne peux pas. Si Dieu t'a donné des enfants, s'il t'a fait recueillir le fruit de tes entrailles, ce fut pour te rendre humaine et charitable, et non pas dure et impitoyable : ne change donc pas une cause de douceur en motif de dureté. Veux-tu laisser à tes enfants un bel héritage ? Laisse-leur l'aumône, afin que tous célèbrent ta louange, afin que tu lègues un souvenir illustre. Mais toi qui n'as pas d'enfants, toi qui es crucifiée à cette vie, pourquoi amasses-tu les biens de cette vie ? 4. Notre discours s'est animé ut sur le sujet de la pénitence, et sur celui de l'aumône. Nous avons dit que l'aumône est une magnifique possession; puis la question de la virginité, vaste comme l'Océan, s'est ouverte à nous. Vous avez donc pour première et grande voie de pénitence l'aumône, assez puissante pour rompre la chaîne de vos péchés; vous en avez une autre par laquelle vous pourrez vous affranchir du péché. Priez à chaque instant; mais priez sans défaillir, implorez la clémence divine sans lâcheté : Dieu ne résistera pas à votre persévérance, il vous fera remise de vos fautes, il vous accordera ce que vous demanderez. Si vous êtes exaucé pendant que vous priez, persistez dans la prière pour rendre grâces ; si vous n'êtes pas exaucé, persistez encore pour obtenir de l'être. Ne dites pas : J'ai beaucoup prié et je n'ai pas été exaucé : c'est souvent pour votre propre utilité qu'il en arrive ainsi. Dieu sait que vous êtes paresseux et facile au découragement et que, vu besoins une fois satisfaits, vous vous retirez et cessez votre prière : il vous ajourne, il fait de vos besoins un moyen de vous obliger à vous adresser à lui plus assidûment et à le prier, avec ferveur. En effet si, pressé par la nécessité, et l'indigence, vous êtes lâche, vous n'avez (289) aucune application à la prière, que seriez-vous si vous n'aviez besoin de rien? C'est donc pour votre avantage que Dieu agit de la sorte il veut que vous ne laissiez pas la prière de côté. Persévérez donc, ne faiblissez pas : la prière peut obtenir beaucoup, mes amis; mais ne l'entreprenez pas comme une affaire de petite importance. Que la prière remette les péchés, apprenez-le des divins Evangiles eux-mêmes. Que disent-ils? Le royaume des cieux ressemble à un homme qui vient de fermer sa porte et d'aller à son repos avec ses serviteurs, lorsque arrive, à la nuit, un voisin qui réclame du pain et qui heurte en disant : Ouvre-moi; j'ai besoin de pain. Il lui répond : Je ne puis t'en donner. Nous sommes couchés, mes serviteurs et moi. L'autre continuant de heurter à la porte, il lui dit une seconde fois : Je ne puis t'en donner. Nous sommes couchés, mes serviteurs et moi. Le voisin, même après avoir entendu ce refus, resta à la porte heurtant toujours; il ne s'en alla pas que le maître de la maison n'eût dit : Levez-vous, donnez-lui ce qu'il demande et laissez-le partir. (Luc, XI, 5.) L'Evangile nous enseigne donc qu'il faut prier toujours; ne vous rebutez jamais, et, si vous ne recevez pas ce que vous sollicitez, persévérez jusqu'à ce que vous le receviez. Vous trouverez dans les Ecritures plusieurs autres voies de pénitence. La pénitence fut, dès avant la venue du Christ, prêchée par son prophète Jérémie qui a dit : Celui qui est tombé ne se relève-t-il pas? Celui qui s'est égaré ne revient-il pas au chemin ? (Jérém. VIII, 4.) Et ailleurs : Ensuite je lui ai dit : après avoir commis la fornication, reviens encore à moi. (Id. III, 7.) Ainsi Dieu nous a donné nombreuses et diverses les voies de pénitence afin de couper à la racine tout prétexte de lâcheté . si nous rien avions qu'une seule, nous ne pourrions pas y passer. Le diable fuit toujours devant la pointe acérée de la pénitence : avez-vous péché? entrez à l'ég
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