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HOMÉLIES SUR LA PÉNITENCE.SEPTIÈME HOMÉLIE. De la pénitence ; de la componction ; que Dieu est prompt à sauver, lent à punir ; histoire de Rahab.
ANALYSE.
1° La pénitence est le creuset du péché. Une des raisons de l'admirable patience de Dieu envers les pécheurs, c'est que d'une mauvaise racine il sort quelquefois de beaux et bons fruits ; exemple, Job descendait d'Esaü. 2° Une autre raison d'épargner longtemps les pécheurs, c'est qu'ils peuvent se convertir, et afin qu'ils le fassent, Dieu est sévère aux justes et doux aux pécheurs. 3° Développement de la même pensée. C'est pour le plus grand bien de tous que Dieu se montre indulgent pour les pécheurs et sévère pour les justes. 4° Il faut se souvenir de ses péchés bien qu'effacés, pour ne plus retomber dans de nouveaux péchés; c'est la disposition du coeur, et non la longueur du temps qui fait la pénitence. L'homme est lent à édifier, prompt à détruire, c'est le contraire pour Dieu. Dieu mit sept jours à détruire Jéricho. 5° Rahab la courtisane. Rahab est la figure de l'Eg
1. Le divin Apôtre emploie partout un langage céleste et développe la parole évangélique avec une science infinie : ce n'est pas. de son propre sentiment qu'il ose tirer ce qu'il enseigne, c'est appuyé authentiquement sur la royale autorité du Maître, qu'il proclame les dogmes de la foi. Mais il montre principalement son habileté, quand il est amené à parler de pénitence aux pécheurs. Je dois vous prêcher aussi sur le même sujet. Pour rappeler en passant une partie de ce que j'ai déjà dit, vous avez entendu en quels termes cet homme généreux et admirable s'adressait aux Corinthiens: Puissé-je, en arrivant parmi vous, n'avoir pas à pleurer sur beaucoup de ceux qui ont péché et qui n'ont pas fait pénitence! (II Cor. XII, 21.) Ce grand docteur était homme par nature, mais il était ministre de Dieu par vocation; c'est pourquoi il parle en quelque sorte le langage des anges; il menace les pécheurs et il promet miséricorde aux pénitents comme s'il s'adressait du haut du ciel aux uns et aux autres. En raisonnant (312) ainsi, je n'attribue pas la puissance souveraine à la parole personnelle de Paul, je rapporte tout à la grâce de Dieu dont cet apôtre a lui-même dit : Cherchez-vous à éprouver si c'est le Christ qui parle en moi? (II Cor. XIII, 3.) Il offre donc aux pécheurs un bienfaisant remède, la pénitence pour le salut. Aujourd'hui l'Evangile, concordant avec la leçon apostolique, nous représente le Sauveur dispensant avec abondance la rémission des péchés. En effet, le Sauveur, en guérissant le paralytique, lui adresse les paroles que vous connaissez : Mon fils, vos péchés vous sont remis. (Marc, II, 5.) La rémission des péchés est la source du salut, la couronne de la pénitence : la pénitence est la guérison du péché, le don céleste, la puissance merveilleuse qui, par la grâce, triomphe de la loi en empêchant son application rigoureuse. Dieu ne dédaigne pas le fornicateur, ne repousse pas l'adultère, ne chasse pas l'ivrogne, ne déteste pas l'idolâtre, n'expulse pas le médisant, ne poursuit pas le blasphémateur et le vaniteux; mais en convertissant les uns et les autres, il les transforme : la pénitence est le creuset du péché. Il est nécessaire avant tout de connaître le but que Dieu se propose; mais, au lieu d'aborder l'étude de ce sujet avec nos idées personnelles, démontrons la vérité telle que nous la voyons attestée par les saintes Ecritures. Le but de la conduite douce et patiente de Dieu à l'égard des pécheurs est double et tout en faveur de notre salut : d'une part le Seigneur veut procurer aux hommes le salut par la pénitence, de l'autre il veut tenir en réserve ses bienfaits pour ceux de leurs descendants qui doivent un jour progresser dans la vertu. Et, s'il faut me répéter, je dirai que Dieu se montre si accommodant afin que le pécheur se convertisse lui-même et ne ferme pas à ses enfants la porte du salut. Lors même que le pécheur viendrait à retomber dans l'ornière de son impénitence, Dieu épargnerait la souche afin de conserver les fruits; ou bien il lui arrive souvent, comme je l'ai dit, de transformer la souche elle-même; mais si elle est tombée en complète pourriture, il diffère le châtiment, il temporise afin de sauver au moins ceux qui feront pénitence. plus tard : c'est avec raison; et comment? Ecoutez. Tharé, le père d'Abraham, fut un adorateur d'idoles : Dieu fit sagement de ne pas lui infliger dès ce monde la punition de son impiété; en effet, s'il eût coupé la racine, d'où donc fût sorti Abraham, cet admirable fruit de foi ? Quoi de pire qu'Esaü? Eh bien ! voyez en lui un autre exemple de sage bonté : connaissez-vous une méchanceté plus insolente que la sienne? Ne fut-il pas impudique et impie, comme ledit l'Apôtre? (Hébr. XII, 16.) Ne fut-il pas pour son père et pour sa mère un fils dénaturé ? Ne fut-il pas, au moins par la pensée, le meurtrier de son frère? Ne fut-il pas odieux au Seigneur, selon le témoignage de l'Ecriture J'ai aimé Jacob, j'ai détesté Esaü? (Rom. IX, 13.) Fornicateur, fratricide, libertin, haï de tous, pourquoi ne disparaît-il pas? Pourquoi n'est-il pas retranché et enlevé de ce monde? Pourquoi ne reçoit-il pas sur-le-champ la punition qu'il mérite ? Pourquoi? Il est vraiment intéressant d'en dire le motif : si Dieu l'avait détruit, la terre aurait perdu un magnifique fruit de justice : et lequel? Esaü engendra Raquel, qui engendra Zara, qui engendra Job. (Gen. XXXVI.) Comprenez-vous que cette fleur de patience ne se serait jamais épanouie, si la justice divine en avait détruit la racine par une punition trop prompte? 2. Dans tous les événements vous pouvez saisir la même pensée. Ainsi, à l'égard de ces Egyptiens, qui proféraient des blasphèmes intolérables, Dieu montre une patience infinie, à cause des florissantes ég
Dieu se montre partout dur pour les justes autant que doux et facile au pardon envers les pécheurs. Il relève l'homme qui a péché, qui est tombé, en lui disant : Est-ce que celui qui est tombé ne se relève pas ? Est-ce que celui qui s'est écarté ne revient pas ? (Jérém. VIII, 4) ; et ailleurs : Pourquoi l'imprudente fille de Juda s'est-elle éloignée de moi par une fuite honteuse? (Ibid.) ; et ailleurs encore : Revenez à moi et je reviendrai à vous. (Zach. I, 3.) Dans un autre endroit sa prodigieuse clémence le porte à affirmer par serment que le salut vient de la pénitence : Vive moi! dit le Seigneur : je ne veux pas la mort du pécheur, je veux qu'il se convertisse et qu'il vive. (Ezéch. XXXIII, 24.) Mais voici ce qu'il dit au juste : Après que l'homme aura mis en pratique toute justice et toute vérité, s'il vient à s'écarter et à pécher, je ne me souviendrai pas de sa vertu: il mourra dans son péché. (Ezéch. XVIII, 24.) Quelle rigoureuse sévérité pour le juste ! et quelle générosité envers le pécheur ! C'est ainsi que Dieu dispose toutes choses avec variété et diversité ; sens changer lui-même, il divise et mesure pour notre utilité la distribution de ses dons. Et comment ? Ecoutez. En épouvantant le pécheur qui persévère dans son iniquité, il le pousserait au désespoir; en louant le juste, il amollirait la vigueur de sa vertu et l'exposerait à tomber dans l'insouciante négligence d'un homme qui aurait heureusement atteint son but ; c'est pourquoi il prend pitié du pécheur et il effraye le juste : Le Seigneur est terrible pour ceux qui sont autour de lui (Psaum. LXXXVIII, 9) ; et pourtant il est doux à tous. Le Seigneur, dit l'Ecriture, est terrible pour ceux qui sont autour de lui. Qui sont-ils, sinon les saints ? Le Seigneur, dit David, est glorifié dans l'assemblée des saints; il est grand, il est terrible pour tous ceux qui l'entourent. (Psaum. CXLIV, 8.) Si Dieu voit un pécheur faillir, il lui tend la main; s'il voit un juste se tenir ferme, il lui inspire la terreur : cette conduite est d'une exacte justice, d'un salutaire jugement. La crainte soutient le juste, la clémence relève le pécheur. Voulez-vous comprendre clairement combien sa bonté est opportune et combien sa sévérité nous devient utile et avantageuse ? Prêtez attention afin de ne pas laisser échapper cette grande théorie. Une femme pécheresse, connue pour s'être plongée dans toutes les débauches et tous les vices, coupable de mille fautes, enchaînée par d'innombrables oeuvres de péchés, mais qui avait soif du salut par la pénitence, se glissa un jour au banquet des saints : je dis le banquet des saints, parce que le Saint des saints y assistait. Ainsi, pendant que le Sauveur était assis à la table de Simon le pharisien, cette misérable femme pénétra secrètement dans la maison, vint toucher les pieds de Jésus, les arrosa de ses larmes et les essuya de ses cheveux. (Matth. XXVI, 6.) Et lui, avec une ineffable bonté, il la pria écrasée sous la masse de ses péchés, il la releva et lui dit : Tes péchés sont remis. (Luc, VII, 47.) Mon dessein n'est pas de discuter tout ce récit : je ne veux en tirer qu'un témoignage. Voyez quelle généreuse libéralité ! Je vous le dis, beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé. (Ibid.) Cette femme pécheresse a donc obtenu aisément l'oubli d'une multitude de fautes. Et Marie, soeur de Moïse, gagne par un léger murmure le terrible châtiment de la lèpre. (Nombr. XII, 10.) Dieu dit aux pécheurs. Quand vos péchés seraient rouges comme le coccin, ils deviendront blancs comme la neige. (Isaïe, I, 18.) Il change les ténèbres en lumière par la conversion, il dissipe par une parole de charité la multitude désordonnée des péchés. Au contraire il dit à l'homme qui marche dans la justice : Quiconque dira à son frère, Fou, sera condamné à la géhenne du feu. (Matth. V, 22.) Pour un seul mot il inflige une telle punition tandis qu'il témoigne tant d'indulgence pour des péchés si nombreux.
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3. Remarquez encore un fait singulier ! Nos péchés sont comptés comme autant de dettes; or Dieu fait une remise aux pécheurs de la somme totale, tandis qu'il exige des justes tous les intérêts. Un homme qui lui devait dix mille talents vint le trouver et adoucit ses justes exigences en lui disant avec contrition et avec d'instantes supplications : Seigneur, ayez un peu de patience pour moi, je vous rendrai tout. (Matth. XVIII, 26.) Et le Seigneur dans sa bonté n'hésita pas à le libérer de tout; il accepta en paiement la confession de la dette. Voilà donc un débiteur de dix mille talents qui reçoit remise de cette somme entière; mais aux justes Dieu réclamera capital et intérêts; il le déclare : Pourquoi n'avez-vous pas placé mon argent chez les banquiers, afin qu'à mon arrivée je pusse l'exiger avec usure ? (Luc, XIX, 23.) Ce que j'en dis n'est pas pour prétendre que Dieu éprouve de l'aversion à l'égard des justes Dieu n'aime rien plus que l'homme juste; mais, comme je l'ai indiqué plus haut, il veut réconforter le pécheur en le consolant, et affermir le juste en lui inspirant une crainte salutaire. Aux premiers. il pardonne un grand nombre de péchés comme à des gens hostiles et malades d'orgueil; il demande aux autres un compte rigoureux même des plus légères fautes, il ne souffre en eux rien d'imparfait. Ce qu'est un riche en ce monde, le juste l'est devant Dieu ; ce qu'est un pauvre en ce monde , le pécheur l'est devant Dieu : rien de plus pauvre que le pécheur, rien de plus riche que le juste. C'est pourquoi saint Paul dit de ceux qui se conduisent avec piété et sagesse : Je rends grâces à Dieu de ce que par lui vous vous êtes enrichis en tout, en toute parole et en toute science. (I Cor. 1, 4, 5.) Le bienheureux Jérémie, parlant des impies, s'est exprimé ainsi : Sans doute ils sont pauvres c'est pourquoi ils n'ont pas pu entendre la parole du Seigneur. (Jér. V, 5.) Comprenez-vous bien qu'il nomme pauvres ceux qui se sont écartés de la vertu? Dieu a donc pitié des pécheurs comme des gens pauvres; et il se montre exigeant envers les justes comme envers des gens riches. Aux premiers il fait des largesses à cause de leur indigence; aux autres il demande des comptes sévères à cause de l'opulence de leur piété. Cette conduite qu'il tient à l'égard des pécheurs et des justes, il la tient pareillement à l'égard des riches et des pauvres ; de même qu'il encourage le pécheur par sa clémence et effraye le juste par sa sévérité, de même il arrange et distribue l'économie des choses humaines. Voit-il certains personnages entourés des splendeurs des hautes dignités, les princes, les rois, tous ceux qui se distinguent par la richesse, il leur parle pour les effrayer, il fait planer sur la puissance une utile terreur: Et maintenant, ô rois, comprenez; instruisez-vous, ô vous qui jugez la terre! Servez le Seigneur dans la crainte, et tressaillez devant lui avec tremblement. (Psaum. II,10.) Car il est le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. (I Tim. vi, 15.) Où est l'autorité du pouvoir, là il pose la terreur de sa puissance; où est la bassesse de l'humilité, là il offre le remède de sa clémence. Ce grand Dieu, ce Roi des rois, ce Seigneur des seigneurs étant lui-même descendu de sa gloire, devient, selon l'expression de la sainte Ecriture, le père des orphelins et le juge des veuves en même temps qu'il se montre le Roi des rois, le Prince des princes, le Seigneur des seigneurs. Voyez-vous combien est grande sa charité ? Voyez-vous combien est utile la crainte qu'il inspire à la piété et à la puissance ? Là où il voit que la puissance suffit à la consolation, il apporte la crainte comme un utile contre-poids; et là où il voit l'orphelin accablé sous le mépris et la femme en proie à une pauvreté qu'aggrave encore son veuvage, il apporte sa clémence comme consolation: Je suis le père des orphelins. Dieu fait deux choses; il montre sa charité et il punit l'orgueilleuse puissance. En se nommant lui-même père des orphelins, il veut en même temps consoler les malheureux et effrayer les puissants pour les empêcher de nuire aux orphelins et aux veuves. Celle-ci a perdu par la mort son mari et ceux-là ont perdu leur père : la loi de la nature a frappé le mari et le père; la loi de la charité divine les remplace; et la même grâce qui a donné le roi des saints pour juge à la veuve, le donne pour père à l'orphelin. C'est pourquoi, ô impies, si vous faites tort à la veuve, vous irritez son protecteur; si vous persécutez les orphelins, vous attaquez les enfants de Dieu. Je suis le père des orphelins et le juge des veuves. (Psaum. LXVII, 6.) Qui sera assez audacieux dans son impiété pour persécuter injustement les enfants et pour chagriner les veuves que Dieu a pris sous sa tutelle? Voyez-vous combien sont sages les remèdes (315) qu'il a préparés? voyez-vous comment, sans se contredire lui-même, il s'accommode aux divers besoins des hommes en inspirant la terreur aux uns et en prenant pitié des autres? Employons donc comme remède sauveur la pénitence ou plutôt recevons de la main même de Dieu cette pénitence qui doit nous guérir : ce n'est pas nous en effet qui la lui offrons, c'est lui qui la fait entrer dans notre coeur. Voyez-vous la sévérité de Dieu dans la loi et sa charité dans la grâce. Lorsque je parle de sévérité dans la loi, je ne prétends pas blâmer le législateur; mais je veux publier la douceur de la grâce évangélique. La loi en effet punissait sans rémission les pécheurs, mais la grâce surseoit au châtiment avec une extrême indulgence afin de donner temps à la conversion. Recevons donc, mes frères, la pénitence comme le remède qui nous sauvera, comme le remède qui détruira nos péchés. Or la vraie pénitence n'est pas celle que l'on publie des lèvres, mais celle que l'on pratique par des oeuvres solides ; la vraie pénitence est celle qui efface jusqu'au fond du coeur la souillure du péché. Lavez-vous, dit la sainte Ecriture ; chassez le péché de votre âme, chassez-le bien loin de mes yeux. (Isaïe, I, 16.) Que signifie cette redondance d'expressions ? N'était-ce pas assez de dire : chassez le péché de votre âme, pour indiquer toute la pensée? pourquoi ajouter: chassez-le bien loin de mes yeux? parce que les yeux de l'homme voient d'une manière et les yeux de Dieu voient d'une autre; l'homme n'aperçoit que le visage, Dieu regarde dans le coeur. (I Rois, XVI, 7.) Ne souillez pas,la pénitence par de fausses apparences, mais montrez en de dignes fruits à mes regards qui scrutent les replis les plus cachés. 4. Il faut que nous conservions toujours présent le souvenir de nos péchés, même après nous en être purifiés. Dieu par clémence vous en accorde le pardon ; mais vous, pour la sécurité de votre âme, ne les oubliez pas. Le souvenir du passé est la sauvegarde de l'avenir; l'âme qui sent le remords d'une première faute montre une vigilance plus soigneuse contre les fautes suivantes. C'est pourquoi David s'écriait : Mon péché est toujours contre moi (Ps. XL, 5) ; il tenait sous ses yeux son ancien péché, afin de se préserver des péchés futurs. Que Dieu demande de nous l'habitude de cette précaution, je le prouve par ce qu'il dit lui-même: Ecoutez : C'est moi qui détruis le péché, et je ne me souviendrai plus de lui; mais toi, souviens-t'en, et entrons en jugement, dit le Seigneur: dis le premier ton péché, afin que tu sois justifié. (Isa. XLIII, 25.) Dieu ne fait pas attendre le pardon après la pénitence : aussitôt dit le péché, aussitôt la justification est accordée; vous avez fait pénitence et du même coup vous avez trouvé miséricorde. Ce n'est pas la longueur du temps (lui absout; c'est la disposition du pénitent qui efface le péché: il se peut qu'un homme, après de longues peines, n'obtienne rien, tandis qu'un autre, après une rapide mais sincère confession, sera délivré du péché. Samuel consuma un temps infini à prier pour Saül et passa de nombreuses nuits dans l'insomnie pour gagner le salut de ce pécheur; mais Dieu ne prêta aucune attention à la longueur du temps ainsi employé, parce que la conversion du roi ne concourait pas avec les instances du prophète; il dit donc à celui-ci: Samuel, jusqu'à quand pleureras-tu Saül? moi, je l'ai rejeté. (I Rois, XVI, 1.) Ce mot jusqu'à quand exprime la durée de la supplication et la persévérance du suppliant. Dieu ne s'en soucia point parce que la pénitence du royal coupable ne s'était pas jointe à l'intervention du juste. Voyez au contraire le bienheureux David : A peine a-t-il reçu la réprimande du pieux Nathan, à peine a-t-il entendu des menaces, qu'il témoigne d'une vraie conversion et s'écrie : J'ai péché contre le Seigneur! (II Rois, XII, 13.) Sur-le-champ, à l'instant même, cette parole prononcée d'un coeur sincère apporte le salut à ce pécheur repentant, parce que la correction suit sans aucun retard la confession. Nathan lui répond donc : Le Seigneur vous a remis votre péché. (Ibid.) Et remarquez combien Dieu est lent à punir et -prompt à sauver-; examinez combien de temps sa clémence lui fait différer le châtiment ! David avait péché, la femme coupable était enceinte : aucune punition n'avait suivi leur faute; ce n'est qu'après la naissance de l'enfant du péché qu'arrive le médecin du péché. Pourquoi donc ne furent-ils pas frappés immédiatement après la faute commise? Dieu voyait la conscience de ces deux pécheurs aveuglée par les premières fumées du péché et comme assourdie au .fond du gouffre où ils venaient de tomber; il temporisa avant de prêter secours à ces âmes où fermentait la passion ; il ne fit paraître le châtiment que plus tard; mais dans un même instant (316) la pénitence et la rémission se déclarent : Le Seigneur vous a remis votre péché! O merveilleuse dispensation de la menace ! Voyez combien Dieu est prompt à pardonner ! Et ce qu'il a fait pour David, il le fait pour une foule d'autres , lent à détruire , prompt à édifier. Prenons un exemple. Parmi les hommes, on met un long temps à élever un édifice, un long temps à bâtir une simple maison : si la durée de la construction est longue, bien courte est celle de la destruction. Dieu agit tout différemment : lorsqu'il construit, il construit vite; lorsqu'il détruit, il détruit lentement. Rapidité dans la construction, lenteur dans la destruction, ces deux qualités sont le propre de Dieu : celle-ci intéresse sa bonté, et celle-là sa puissance; cette rapidité vient de l'excellence de sa puissance et cette lenteur vient de la plénitude de sa bonté. La preuve des paroles se trouve dans l'expérience des faits : en six jours Dieu créa le ciel et la terre, les immenses montagnes, les pleines, les vallées, les collines ombragées, les forêts, les plantes, les fontaines, les fleuves, le paradis, toute cette infinie variété qui frappe nos regards, cette mer aux flots sans limite, les îles, les régions maritimes et continentales; en six jours Dieu a fait et embelli tout ce monde visible; en six jours il a organisé les êtres raisonnables et les êtres irraisonnables ; il a mené à la perfection l'ornement de cet ensemble qui tombe sous nos yeux : et ce Dieu, si rapide à construire l'univers, s'est montré d'une lenteur extrême quand il s'est agi de détruire une ville. Il veut renverser Jéricho et il dit à Israël : Fais-en le tour pendant sept jours; et au septième jour ses murailles s'écrouleront. (Josué, VI, 3.) Vous avez créé le monde en six jours, et vous en mettez sept à détruire une ville ! Pourquoi ne la ruinez-vous pas d'un seul coup? N'est-ce donc pas de vous que le Prophète a dit bien haut : Si vous entr'ouvrez le ciel, la terreur de votre nom s'emparera des montagnes et elles fonderont comme la cire devant le feu ? (Isaïe, LXIV, 1, 2.) N'est-ce pas de votre puissance que David racontait les oeuvres : Nous ne craindrons rien lorsque la terre sera ébranlée et que les montagnes seront transportées au coeur de la mer? (Psaum. XLV, 3.) Vous pouvez transporter les montagnes et les précipiter dans les flots ; mais vous ne voulez pas détruire une ville rebelle et vous employez sept jours à sa ruine ! Pourquoi? Ce n'est pas la puissance qui me fait défaut, répond le Seigneur; mais ma clémence patiente et temporise : Je donne sept jours à Jéricho comme trois à Ninive; peut-être acceptera-t-elle pendant ce temps la pénitence qui lui est prêchée, peut-être se sauvera-t-elle ! Et qui donc lui prêche la pénitence? Les ennemis l'ont cernée, le stratège a bloqué ses murailles : partout la crainte, partout le tumulte ! Quelle voie lui avez-vous ouverte pour la pénitence? Lui avez-vous envoyé un prophète? un évangéliste? Y a-t-il parmi ce peuple quelqu'un qui puisse lui suggérer ce qu'il convient de faire? Oui, dit-il, ils ont chez eux un maître de pénitence, cette admirable femme, cette Rahab que j'ai sauvée par la pénitence! Elle faisait partie de la même masse; mais, comme elle n'avait pas les mêmes dispositions, elle n'a point participé à leur infidélité ni par conséquent à leur péché ! 5. Et voyez quelle singulière proclamation de clémence ! Ce Dieu qui a écrit dans la loi : Vous ne commettrez ni l'adultère ni la fornication (Exod. XX, 14), ce Dieu change par bonté cette parole et s'écrie par l'organe du bienheureux Jésus: Que Rahab la courtisane vive! (Josué, VI, 17.) Ce Jésus, fils de Nave, qui a dit: « Vive la courtisane ! » est l'image du Seigneur Jésus qui a dit : Les courtisanes et les publicains vous précéderont au royaume des cieux. (Matth. XXI, 31.) Si Rahab mérite de vivre, pourquoi est-elle courtisane? Si elle est courtisane, pourquoi lui souhaiter de vivre? Je rappelle son premier état, dit l'Ecriture, afin que vous en admiriez le changement. Mais, demanderez-vous , qu'est-ce qu'a donc fait Rahab qui lui donnât droit au salut? Est-ce parce qu'elle a reçu pacifiquement les éclaireurs hébreux? Une hôtelière en eût fait tout autant! Ce n'est point par de simples paroles qu'on gagne le salut, mais c'est par la foi et par l'amour de Dieu. Or, pour comprendre la grandeur de la foi de cette femme, écoutez l'Ecriture elle-même qui en raconte et en atteste les bonnes oeuvres. Elle était dans une maison de débauche, comme une perle roulée dans la boue , comme de l'or coulé dans la fange, comme une fleur étouffée par les ronces; cette âme pieuse était captive dans la demeure de l'impiété. Appliquez votre attention ! Elle reçoit les éclaireurs, et elle prêche dans un lupanar le Dieu qu'Israël a renié dans le désert, Et qu'ai-je besoin de rappeler (317) le désert? Lorsque le mont Sinaï était enveloppé de nuées et de ténèbres, au bruit des trompettes, au milieu des éclairs et d'autres phénomènes terribles, Dieu fit entendre, du sein des flammes, ces paroles : Ecoute, Israël; le Seigneur ton Dieu, le Seigneur est unique. (Deut. VI, 39.) Les autres dieux ne seront rien pour toi. (Exod. XX, 4.) Je suis au ciel sur ta tête, je suis en la terre sous tes pieds; nul n'est Dieu, hors moi. (Deut. IV, 39.) Israël, après avoir entendu tout cela, se fabriqua un veau d'or et rejeta son Dieu; Israël oublia son Maître et répudia son bienfaiteur ; Israël dit à Aaron : Fais-nous des dieux. (Exod. XXXII, 1.) S'ils sont dieux , pourquoi dites-vous de les faire ? et si on peut les faire, comment sont-ils dieux? C'est ainsi que les mauvaises passions s'aveuglent, se combattent et se détruisent elles-mêmes. On fabriqua un veau, et l'ingrat Israël de s'écrier : Voilà tes dieux, Israël! voilà ceux qui t'ont tiré de la terre d'Egypte. (Exod. XXXII, 4.) Tes dieux! et il ne voit qu'un veau, qu'une idole fabriquée. Pourquoi donc tes dieux? Le peuple voulait témoigner qu'il n'adorait pas seulement ce qui frappait ses yeux, mais qu'il se représentait en imagination la pluralité des dieux ; il donnait une expression à sa pensée, il ne bornait pas son hommage à ce qu'il voyait. Pour en revenir à notre sujet, Israël, après avoir entendu les ordres de Dieu, après avoir été comme assiégé de prodiges, après avoir été nourri de l'enseignement de la loi, Israël renie tout ce que Rahab, enfermée dans un lieu de débauche, proclame courageusement; elle dit aux éclaireurs : Nous avons appris tout ce que votre Dieu a fait aux Egyptiens. (Jos. II, 9.) Le Juif s'écrie : Voilà tes dieux, ô Israël! voilà ceux qui t'ont tiré de la terre d'Egypte, tandis que la courtisane attribue leur salut à Dieu et non pas aux dieux. Nous avons appris tout ce que votre Dieu a fait aux Egyptiens, nous l'avons entendu raconter, notre coeur s'en est fondu de crainte et notre force nous a abandonnés. (Ibid.) Comprenez-vous comment elle recueille et accepte, par la foi, la parole du législateur : Et j'ai reconnu que votre Dieu est en haut dans le ciel, et ici-bas sur la terre; nul n'est Dieu, hors lui. (Ibid.) Rahab est la figure de l'Eg
Et voyez avec quelle adresse elle voile ses bons sentiments ! Lorsque les envoyés du roi arrivent pour rechercher les éclaireurs et lui demandent : Des hommes ne sont-ils pas entrés vers toi? Elle leur répond : Oui, ils sont entrés. Elle s'abrite d'abord derrière la vérité afin de pouvoir ensuite introduire le mensonge. Le mensonge ne se fait pas accepter tout seul, il a besoin de mettre en avant la vérité. Aussi les gens qui mentent avec le plus d'habileté et de succès commencent par dire quelque chose d'exact, quelque chose de généralement avoué ; après quoi ils amènent doucement le douteux, puis le faux. Les éclaireurs sont-ils entrés vers toi? disent les envoyés du roi. Oui, répond Rahab. Si elle eût tout d'abord répondu: Non, elle n'eût fait que provoquer les investigations minutieuses des messagers. Au lieu de cela, elle dit : Ils sont entrés, et ils sont repartis par tel chemin; poursuivez-les et vous les atteindrez. O merveilleux mensonge ! ô ruse heureuse ! ce n'est pas pour trahir Dieu, c'est pour sauver sa piété que Rahab les emploie. Si donc Rahab s'est rendue par la pénitence digne du salut, si son éloge est publié par la bouche des saints, si Jésus, fils de Nave, s'écrie ! Que Rahab la courtisane vive; si saint Paul nous déclare que Rahab la courtisane a mérité de ne pas périr avec les incrédules, combien plus sommes-nous assurés d'obtenir (318) le salut en faisant pénitence. La vie présente est le temps de la pénitence; les péchés qui sont amoncelés sur nous doivent nous faire trembler si la pénitence n'en prévient la punition : Hâtons-nous de paraître en face de Dieu avec une humble confession. (Ps. XCIV, 2.) Eteignons le bûcher réservé à nos crimes ; il n'est pas besoin d'eau à flots, quelques larmes suffisent. Le feu du péché est immense, mais quelques larmes l'éteignent: ce sont elles qui en étouffent le foyer et en lavent les souillures. Le bienheureux David a déclaré et attesté en ces termes la puissance des larmes : Je laverai chaque nuit ma couche de mes pleurs et j'en arroserai mon lit. (Ps. VI, 7.) S'il n'eût voulu marquer que leur abondance, c'eût été assez de dire : J'arroserai mon lit de mes larmes; pourquoi donc dit-il d'abord : Je laverai ma couche. C'est qu'il veut exprimer en même temps qu'elles nettoient et purifient la conscience souillée. 6. Le péché est la cause de tous les maux cause des chagrins, cause des bouleversements, cause des guerres, cause des maladies, cause de toutes ces souffrances rebelles à la guérison qui tombent sur nous de tous côtés. Pareil à un excellent médecin qui, non content d'examiner les symptômes apparents d'une maladie, en recherche soigneusement le principe, le Sauveur voulut nous montrer que le péché est la source originelle de toutes les misères qui accablent les hommes; c'est pourquoi ce grand médecin des âmes, s'adressant au paralytique qu'il savait avoir été infirme de conscience avant d'être infirme de corps, lui dit : Voici que tu es guéri: ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire. (Jean, V, 14.) Ainsi le péché avait, causé l'infirmité de cet homme, le péché avait été le principe de ses souffrances, de ses douleurs, de tout son mal. D'autre part, j'admire la manière dont ce même Dieu qui dès l'origine avait infligé à l'homme la douleur en punition du péché, annule sa sentence par la sentence même et neutra
Prions donc et apaisons dès ici-bas ce juge suprême; supplions-le de toutes nos forces; ce n'est point avec de l'argent... je me trompe c'est avec de l'argent s'il faut parler juste, que nous toucherons sa clémence, mais avec de l'argent, qu'il recevra par les mains des pauvres. Donnez à l'indigent une part dans vos biens et vous trouverez Dieu favorable à votre cause. Je vous parle comme à des amis intimes: la pénitence sans l'aumône est sans vie et sans ailes, elle ne peut prendre son essor quand elle ne s'élance pas sur les ailes de la charité. C'est l'aumône qui donna des ailes à la piété. du pénitent Corneille, selon la parole de l'Apôtre : Tes aumônes et tes prières sont montées au ciel. (Act. X, 4.) Si sa pénitence n'avait pas été soulevée par l'aumône, elle ne serait pas arrivée jusqu'à Dieu. Aujourd'hui le marché de l'aumône est ouvert. Nous voyons des captifs et, (319) des pauvres, nous voyons ceux qui errent à travers la place publique, nous voyons ceux qui crient, ceux qui pleurent, ceux qui gémissent: un merveilleuse affaire commerciale nous est proposée. Le but de tout négoce et l'intention de tout marchand ne sont pas autres que d'acheter à vil prix pour vendre le plus cher :possible. N'est-ce pas ce que veut chaque commerçant? N'est-il pas certain que tous cherchent à vendre fort cher ce qu'ils ont acheté presque pour rien et à retirer un bénéfice largement multiplié? Eh bien ! Dieu nous offre une occasion de ce genre : achetez maintenant à bas prix des droits à la justification et vous les vendrez bien cher dans l'avenir, si toutefois il est permis de nommer vente la récompense éternelle. Ici-bas, la justification s'achète pour peu de chose, pour un pauvre morceau de pain, pour un lambeau de vêtement, pour un verre d'eau froide: Si quelqu'un donne à un pauvre un verre d'eau, il ne perdra pas sa récompense (Matth. X, 42), a dit le Maître qui nous a enseigné ce négoce spirituel. Un verre d'eau sera digne de la récompense, et le don généreux de vêtements ou d'argent ne la méritera-t-il pas? Disons au. contraire qu'il la méritera large et abondante. Pourquoi le Christ parle-t-il d'un verre d'eau? Il a voulu désigner une aumône qui ne coûte rien ; en donnant un verre d'eau, on ne se prive de rien, on ne dépense rien, pas même un petit morceau de bois. Dès lors, si dans une largesse qui n'occasionne pas de frais la grâce du bienfait est estimée si haut, à quelle rémunération n'aura pas droit le juste qui fournira des vêtements, qui distribuera des sommes d'argent, qui procurera l'abondance de tous les autres biens? Tant que nous verrons devant nous des vertus que nous pouvons acquérir à bas prix, prenons-les, enlevons-les, achetons-les à celui qui les dispense si généreusement. Vous qui avez soif, nous dit-il, venez à la source d'eau vive; vous qui n'avez pas d'argent, venez aussi et achetez. (Isaïe, LV, 1.) Pendant que le marché est ouvert, achetons des aumônes, ou plutôt par les aumônes achetons le salut. Mais, direz-vous, je sais tout cela parfaitement; je l'ai appris de longue date et vous n'êtes pas le premier à me l'enseigner; ce n'est pas à vous que nous entendons exposer cette doctrine pour la première fois; vous ne prêchez rien de nouveau, vous ne prêchez que ce que plusieurs des prédicateurs ici présents nous ont déjà expliqué. Je sais moi-même, je sais fort bien que souvent vous avez été instruits de ces vérités et d'autres du même genre; mais plût à Dieu que vous mettiez en pratique quelque peu de ce bien qui a été si souvent enseigné: Celui qui prend pitié du pauvre prête au Seigneur à gros intérêts! (Prov. XIX, 17.) Prêtons l'aumône à Dieu pour recevoir les intérêts de la clémence. Mais, ô parole merveilleuse ! celui qui a pitié du pauvre prête à Dieu ! Pourquoi l'Ecriture dit-elle : Celui qui a pitié du pauvre prête à Dieu, et non pas donne à Dieu? L'Ecriture connaît notre avarice; elle sait que notre insatiable cupidité n'a en vue que le lucre et ne cherche que le gain; si elle ne dit pas simplement : Celui qui a pitié du pauvre donne à Dieu, c'est pour vous ôter l'idée qu'il ne s'agit que d'un simple salaire: Celui qui a pitié du pauvre prête à Dieu. Si nous prêtons à Dieu, il devient notre débiteur. Que voulez-vous donc qu'il soit pour vous, juge ou débiteur? Le débiteur traite avec grand respect son créancier; le juge ne ménage guère son emprunteur. 7. Il est nécessaire d'examiner encore un second motif pour lequel Dieu affirme que c'est lui prêter à intérêts que de donner aux pauvres. Dieu voyait que notre avarice, comme je l'ai dit, ne vise qu'au profit, et que celui qui possède de l'argent ne veut pas le prêter à moins de bonnes sûretés : le prêteur en effet exige une hypothèque, ou un gage, ou une caution, et il ne lâche ses deniers que sous une de ces trois garanties : caution, gage ou hypothèque; Dieu voyait que personne ne se soucie de prêter en dehors de ces conditions, que personne ne daigne seulement regarder la pure charité et que tous n'ont d'yeux que pour le gain; Dieu voyait que le pauvre est empêché de recourir à ces divers moyens, n'ayant point d'hypothèques à offrir puisqu'il ne possède rien, n'ayant aucun gage à présenter puisqu'il est tout nu, n'ayant pas de caution à interposer puisque son indigence lui ôte tout crédit; Dieu voyait le pauvre mis en danger par sa misère et le riche mis en danger par son inhumanité; c'est pourquoi il se plaça entre les deux, il offrit sa parole comme caution au pauvre emprunteur, comme arrhes au riche prêteur : Tu ne fais pas crédit à cet homme, parce qu'il est pauvre; fais-moi crédit puisque «je suis riche, » dit-il. Dieu a vu le pauvre, et il a été ému de pitié; Dieu a vu le pauvre (320) et loin de le dédaigner, il s'est donné lui-même pour garant de celui qui ne possède rien; il est venu au secours de l'indigent avec une infinie bonté ; j'en prends à témoin ces paroles du bienheureux David: Le Seigneur s'est placé à la droite du pauvre. (Ps. CVIII, 31.) Celui qui a pitié du pauvre prête à Dieu : Aie donc confiance, ô riche ! ne crains pas de me prêter. Mais combien gagnerai-je d'intérêts si je vous prête? Tu fais une grave injure à Dieu en lui demandant raison de cette manière : et toutefois, comme je veux condescendre à ton iniquité et vaincre ta rigueur par ma bonté, établissons notre compte. Que gagnes-tu en prêtant à autrui? quels intérêts réclames-tu? n'est-ce pas le centième, si tu te bornes à un gain légitime? Si tu le dépasses pour écouter ton avarice, c'est une double, une triple injustice dont tu recueilleras le fruit. Eh bien ! je prétends vaincre ton avarice, et venir à bout de ton insatiable cupidité; je prétends combler par ma générosité infinie tes infinis désirs. Tu demandes le centième, je te donne le centuple. Vous empruntez donc, Seigneur; vous m'empruntez à intérêts l'aumône que je fais ici-bas aux pauvres quand me paierez-vous? Je demande votre parole, parce que je veux que notre contrat soit solide. Désignez-moi l'époque du paiement, marquez le terme où vous vous acquitterez de votre dette. Voilà certes qui est superflu : Car le Seigneur est fidèle en toutes ses paroles (Psaum. CXLIV, 13) : toutefois comme l'habitude et l'intention de celui qui emprunte de bonne foi sont de fixer des époques et des termes, apprenez quand et comment vous serez payé par celui auquel vous prêtez par l'intermédiaire des pauvres. Lorsque le Fils de l'homme aura pris place sur son trône de gloire, lorsqu'il aura rangé les brebis à sa droite et lès chevreaux à sa gauche, il adressera la parole à ceux qui seront à sa droite. Remarquez avec quelle douceur le débiteur parle à son créancier, avec quelle générosité l'emprunteur acquitte sa dette ! Venez, dit-il, venez, les bénis de mon Père; entrez en possession du royaume qui vous est préparé depuis la création du monde. Et pourquoi? Parce que j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'étais nu et vous m'avez vêtu; j'étais captif et vous êtes venus à moi; j'étais infirme et vous m'avez visité; j'étais étranger et vous m'avez accueilli. (Matth. XXV, 31 et suiv.) Alors, ceux qui, dans la vie présente, auront dignement rempli leurs devoirs de charité, considérant d'une part leur misère personnelle et de l'autre la dignité du divin débiteur, s'écrieront : Mais, Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu ayant faim et que nous vous avons nourri? Quand est-ce que nous vous avons , vu ayant, soif et que nous vous avons désaltéré, vous en qui espèrent les yeux de tous les hommes, vous qui leur donnez la nourriture en abondance ? O bonté admirable ! il cache sa grandeur par miséricorde. J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger. O bonté admirable ! ô bonté sans mesure ! Celui qui donne à toute chair la nourriture, celui qui, en ouvrant ses mains, comble de ses bénédictions tout être vivant (Ps. CXLIV, 16), j'ai eu faim, dit-il, et vous m'avez donné à manger. Sa grandeur n'en est pas diminuée, c'est sa bonté seule qui s'engage et répond pour les pauvres. J'ai eu soif et vous m'avez donné à boire. Quel est celui qui prononce de telles paroles? C'est celui même qui verse l'abondance des eaux dans les lacs, dans les fleuves et dans les fontaines; celui qui dit dans l'Évangile : Quiconque croira en moi, selon l'expression de l'Écriture, verra des fleuves d'eau vive couler de son sein (Jean, vu, 38) ; et ailleurs : Que celui qui a soif vienne à moi et se désaltère. (Ibid.) J'étais nu et vous m'avez habillé. Nous avons habillé celui qui couvre le ciel de nuages et qui se fait le vêtement de l'Ég
Et voyez ici une autre disposition qui, mise en parallèle avec la conduite des hommes, nous fait admirer une fois de plus le Juge divin. Si vous avez prêté à un pauvre, qui plus tard est parvenu à la fortune et se trouve en état de vous payer sa dette , il vous rembourse, mais en se dérobant aux yeux de tous, en prenant bien garde de s'exposer à rougir de sa position première, il vous remercie, mais il tient votre bienfait caché par honte de son ancienne indigence. Dieu n'agit pas de cette manière: il reçoit en secret et il rend en public; quand il emprunte, c'est dans le secret de l'aumône; quand il paie sa dette, c'est en présence de toutes les créatures. Mais quelqu'un dira peut-être : Puisque Dieu m'a donné la richesse, pourquoi n'a-t-il pas donné au pauvre à peu près comme à moi? Il pouvait donner au pauvre absolument comme à vous, mais il ne l'a pas voulu. Il a voulu qu'en vous 1a richesse ne restât pas stérile, et que dans le pauvre l'indigence ne demeurât pas sans récompense. Il vous a mis par la richesse en position de vous enrichir par l'aumône et de dissiper votre bien pour la justice, selon la parole de l'Ecriture : Il a dissipé son bien en donnant aux pauvres, et sa justice est établie pour l'éternité. (Psaum. CXI, 9.) Comprenez-vous que par l'aumône le riche amasse un trésor de justice éternelle? Comprenez-vous que le pauvre, à défaut de cette richesse qui lui permettrait d'opérer sa justification, possède sa pauvreté par laquelle il recueille les fruits immortels de la patience? Car la patience des pauvres ne périra pas pour l'éternité. (Psaum. IX, 19.) Ainsi soit-il en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui revient toute gloire dans les siècles des siècles.
Traduit par M. A. SONNOIS.
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