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DIXIÈME HOMÉLIE.
ANA LYSE. Il est très-avantageux d'entendre la parole de Dieu. Merveilles de la création. Admirable variété qu'elle présente.Les païens sont inexcusables d'avoir adoré l'univers. Il faut s'abstenir de jurer.
1. Je vous félicite de votre docilité, et je me réjouis de vous voir mettre en pratique les conseils que je vous ai donnés au sujet de ceux qui ne jeûnent pas, et qui pour cette raison ne viennent pas nous entendre : aujourd'hui, ce me semble, bon nombre, après avoir dîné, sont venus compléter cette belle assemblée; et ce qui me le fait supposer, c'est que je vois un auditoire plus brillant, une affluence plus considérable. Nous n'avons donc point perdu notre temps, je crois, en insistant sur ces conseils, en vous pressant de ramener vos frères autour de votre mère commune, et de leur persuader qu'après la réfection corporelle, il n'est pas défendu de prendre part au festin spirituel. Dites-moi, bien-aimés frères, quand est-ce que vous avez mieux agi qu'aujourd'hui? Est-ce lors de notre dernière réunion, quand, au sortir de table, vous alliez dormir? Ne préférez-vous pas, maintenant que vous avez dîné, vous trouver ici, pour nous entendre vous expliquer les lois du Seigneur? Est-ce quand vous vous teniez sur la place publique, occupés à de futiles conversations? N'aimez-vous pas mieux être ici, avec vos frères, afin de prêter l'oreille aux paroles des prophètes? Ce qui est honteux, mes chers auditeurs, ce n'est pas de manger, c'est de rester chez soi après avoir mangé, et de se priver ainsi de ces pieuses solennités. Si vous restez chez vous, vous n'en deviendrez que plus paresseux et plus lâches; au contraire, en vous rendant parmi nous, vous secouerez le sommeil et la torpeur, et vous serez plus résignés, plus courageux dans les revers. Mais pourquoi tant de paroles? si vous vous tenez à côté de celui qui jeûne, ne sentez-vous point comme une suave odeur répandue autour de lui ? L'homme qui jeûne, n'est-ce pas comme un parfum spirituel? et ses peux, sa langue, tout en lui n'exhale-t-il pas la sainteté de sa vie? Je ne prétends point blâmer les autres; je veux seulement faire voir les avantages qu'offre le jeûne ; et le jeûne dont je veux parler, ce n'est pas seulement la privation de nourriture, mais bien plutôt la fuite du péché. Car celui qui a pris de la nourriture, et qui apporte ici de saintes dispositions ne mérite guère moins d'estime que s'il jeûnait; au contraire, à quoi sert-il de jeûner, si l'on ne s'empresse de prêter à nos discours une oreille attentive. Mangez, et venez ensuite, pleins de zèle et d'ardeur; (38) ne vaudrez-vous pas mieux, je vous le demande, que celui qui jeûne et reste chez lui? Il nous sera, sans aucun doute, moins avantageux de jeûner que de participer à cette doctrine spirituelle. Où entendrez-vous ailleurs les sages pensées que l'on vous expose en ce lieu? Allez au tribunal, on p conteste, on y dispute sans cesse; allez au sénat, on y traite d'affaires politiques; chez vous, c'est le souci de vos affaires privées qui vous accable; aux rendez-vous de la place publique, il n'est question que de choses terrestres et périssables; on s'y entretient d'objets à vendre, de tributs, de tables bien servies, de marchés, de contrats de toute sorte, de testaments, d'héritages, et de mille autres choses de ce genre. Allez au palais lui-même; là encore n'entendrez-vous point parler d'argent, de puissance, de cette gloire que l'on y prise si fort? Mais il ne s'y dit rien qui touche aux intérêts spirituels. Ici, au contraire, de quoi nous entretenons-nous? N'est-ce point de notre âme, de notre vie, de notre destinée? Ne nous demandons-nous pas pourquoi nous séjournons si longtemps ici-bas, quel sera notre partage au sortir de cette vie, quel sort nous est réservé, pourquoi notre corps est pétri de boue, quelle est la nature de la mort; ne considérons-nous pas ce qu'est la vie présente et ce que sera la vie future? Rien de terrestre dans tous ces sujets; rien qui ne se rapporte aux choses spirituelles. Que de secours pour opérer notre salut ! et quelle espérance remplit nos âmes quand nous retournons dans nos demeures ! 2. Ce n'est donc pas en vain que j'ai répandu la bonne semence dans vos curs. Vous avez répondu à mon appel. Tous ceux qui s'étaient absentés, vous avez réussi à les ramener dans nos réunions. Nous voulons donc vous en témoigner notre reconnaissance, et après vous avoir remis en mémoire ce que nous disions l'autre jour, achever de vous payer notre dette. Que disions-nous donc? Nous nous demandions comment, avant de nous avoir donné les Ecritures, la Providence avait pourvu à notre instruction; et nous disions qu'elle nous avait instruits par la création, qu'elle avait étendu le ciel au-dessus de nos têtes, comme un livre immense où peuvent lire les ignorants et les savants, les pauvres et les riches, les Scythes et les Barbares; en un mot, tous les hommes qui habitent la terre : livre bien plus vaste que la multitude de ceux qu'il instruit. Nous avons traité longuement de la nuit et du jour, de leur succession, de cet accord si beau qui règne entre eux; et ensuite du nombre des saisons et de leur égale durée. De même que dans toute l'année le jour n'a pas une seule demi-heure de plus que la nuit, de même aussi les saisons se la distribuent avec là plus parfaite égalité. Je vous le disais encore, ce n'est pas seulement la grandeur et la beauté de la création qui nous révèlent un si puissant créateur, mais aussi la manière dont le Seigneur en a cimenté entre elles les diverses parties, au moyen de ces lois si contraires aux lois ordinaires de la nature. C'est une loi de la nature que l'eau soit soutenue par la terre; et dans la création, c'est la terre qui est soutenue sur les eaux. C'est encore une loi de la nature que le feu prenne en haut son essor; dans la création nous voyons tout le contraire, puisque les rayons du soleil se dirigent vers la terre. Au-dessus du firmament se trouvent des eaux qui ne s'écoulent point : elles n'éteignent point le soleil qui fournit sa course au-dessous d'elles, et le soleil à son tour ne les dissipe point. .Nous ajoutions encore : Les quatre éléments dont se compose l'univers sont en lutte les uns contre les autres; ils devraient, d'après leur nature, se détruire réciproquement, et toutefois ils continuent à coexister. Il est donc bien manifeste qu'une invisible puissance les tient enchaînés, et cette puissance, c'est la volonté du Seigneur. Je veux insister aujourd'hui sur ce sujet; prêtez-moi donc toute votre attention. Ce qui se passe dans notre corps peut servir à vous rendre plus sensibles les merveilles de la création. Le corps humain, qui a si peu d'étendue, qui est si petit, se compose néanmoins des quatre éléments, du chaud, du sec, de l'humide et du froid : c'est-à-dire, de sang, de bile jaune, d'humeur, de bile noire. Et que personne ne nous reproche de nous jeter sur un terrain qui n'est pas le nôtre. L'homme spirituel, en effet, dit saint Paul, porte son jugement sur toutes choses, et il n'est jugé par personne. (I Cor. II, 15.) Est-ce que saint Paul ne touche pas à une question d'agriculture, en nous parlant de la résurrection : Insensé, dit-il, la semence que tu jettes en terre n'est vivifiée qu'après avoir passé par la mort! (I Cor. XV, 36.) Si donc saint Paul a pu s'occuper d'agriculture, qui pourrait nous blâmer de vouloir effleurer certaines questions de médecine? Nous devons vous entretenir de l'oeuvre (39) de Dieu dans la création de l'univers, et pour cela il nous faut recourir aux données de cette science. Comme je vous le disais donc, notre corps est composé de quatre éléments, et si l'un d'eux vient à troubler cette union, cela suffit pour causer la mort. Ainsi, une surabondance de bile donne la fièvre, et si l'excès est par trop considérable, la mort ne tarde pas à s'en suivre. Que le froid vienne à prédominer, on voit se produire la paralysie, les tremblements, les apoplexies et bien d'autres maladies encore. En un mot la surabondance de l'un ou de l'autre de ces éléments amène toute sorte d'infirmités; c'est assez pour cela que l'un d'eux sorte de ses limites, se révolte pour ainsi dire contre les autres, et rompe l'harmonie de l'ensemble. Oserait-on maintenant prétendre que cet univers est l'oeuvre du hasard et continue à subsister par lui-même? Notre corps si étroit pourtant, si petit, a les remèdes et la médecine à sa disposition: une âme y réside et le dirige, la philosophie lui vient en aide, il a mille autres ressources, et cependant il ne peut rester toujours dans le même état; mais il meurt, il se corrompt à la suite des secousses qu'il a ressenties au dedans de lui-même, et le monde, si vaste, qui renferme des corps si vastes aussi, composé des mêmes éléments que nos corps, aurait pu demeurer si longtemps inaltérable sans qu'une Providence veillât sur lui ! Qu'y aurait-il de plus contradictoire ? Notre corps, soutenu par une Providence qui le protège à l'intérieur et à l'extérieur, peut à peine suffire à sa conservation; et le monde, sans le secours d'une Providence, n'aurait, depuis tant d'années, rien éprouvé de ce qu'éprouvent nos corps ! Comment se fait-il, je vous le demande, qu'aucun de ces éléments n'ait franchi ses limites et n'ait absorbé les autres ? Qui est-ce qui les a réunis dès le principe? Qui est-ce qui les a enchaînés? Qui leur a mis un frein? Qui les a si longtemps contenus? Si le monde eût été simple et uniforme, rien de tout cela n'eût été impossible. Mais il y a entre ces éléments une telle opposition, qu'il faudrait être bien insensé pour croire qu'ils se soient rassemblés d'eux-mêmes, et qu'ils demeurent unis sans l'action d'une Providence. Ce n'est pas la nature, c'est la volonté qui nous sépare les uns des autres; cependant, nous rapprochons-nous tant que persistent le ressentiment et la haine? Ne faut-il pas qu'on nous réconcilie, qu'on affermisse cette réconciliation, qu'on nous persuade de demeurer en paix, de ne plus nous diviser? Comment donc ces éléments, qui n'ont en partage ni la raison ni le sentiment, qui par nature sont ennemis l'un de l'autre, se seraient-ils rassemblés et auraient-ils pu demeurer unis, sans l'opération de cette ineffable puissance, qui les a joints ensemble et les tient sans cesse enchaînés ? 3. Ne voyez-vous pas comment le corps se dissout, se corrompt, périt en un mot, dès que l'âme s'est éloignée de lui? comment chacun des éléments qui le constituent se sépare des autres? Et n'est-ce pas ce qui se produirait dans l'univers, si la Providence qui le gouverne cessait de faire sentir sa puissance? Un navire sans pilote ne pourrait continuer sa course, il serait bientôt submergé : comment donc l'univers pourrait-il subsister, sans une Providence qui le dirigé ? C'est une comparaison que je ne veux point développer. Supposez seulement que le monde soit un navire, ayant pour carène la terre que nous habitons, pour voiles le ciel, pour matelots les hommes, et que l'abîme lui-même soit l'océan: comment se fait-il que depuis si longtemps le monde n'ait point fait naufrage? Laissez un navire une seule journée sans pilote et sans matelots, ne sera-t-il pas aussitôt submergé? Or, il y a plus de cinq mille ans que le monde existe, et l'abîme ne l'a pas englouti. Un navire ! que dis-je ? Mais construisez une cabane au milieu des vignes; et une fois la récolte achevée, laissez-la déserte deux ou trois jours seulement, elle se détériore peu à peu et finit par tomber. Ainsi donc une cabane, pour subsister, a besoin qu'on la soutienne; et cet univers si vaste, si beau, si admirable, ces lois du jour et de la nuit, ce choeur des saisons qui se succèdent avec tant de régularité, cette variété si, prodigieuse qu'offre la nature dans la terre, dans les eaux de l'océan, dans l'atmosphère, dans le ciel, dans les plantes, dans les oiseaux, dans les poissons, dans les quadrupèdes, dans les reptiles, dans les hommes qui sont les rois de la création, tout cela eût pu se soutenir sans le secours d'une Providence ! Représentez-vous ensuite les prés, les jardins, ces fleurs innombrables, ces plantes si utiles, au parfum si suave, aux formes si variées, qui naissent dans des climats si différents, qui portent tant de noms divers; représentez-vous encore les arbres fruitiers, et ceux qui ne donnent point de fruit, les métaux, (40) les animaux qui vivent sur la terre, ceux qui vivent dans la mer, les poissons, les oiseaux, les montagnes, les forêts et les bois; quelle magnifique prairie ici-bas ! quelle magnifique prairie dans les cieux ! Oui, la terre est comme une prairie aux aspects. les plus variés, et lé ciel lui-même, tout parsemé d'étoiles, ne ressemble-t-il pas à une prairie tout émaillée de fleurs ? La terre produit les roses, au ciel se peint l'iris aux mille nuances. Et l'oiseau n'est-il pas fleuri comme une prairie? Voyez en effet le paon et son riche plumage, voyez ces oiseaux dont la pourpre étincelante éclipserait les teintures les plus belles ! Songez à la beauté des cieux, que les siècles n'ont pu ternir, que l'on dirait créée d'aujourd'hui, tant elle conserve d'éclat et de splendeur! Et le sein de la terre qui ne cesse d'enfanter depuis si longtemps, a-t-il rien perdu de sa fécondité? Et ces fontaines qui jaillissent du sol, qui coulent jour et nuit, les a-t-on vues se tarir depuis qu'elles existent? La mer, qui reçoit un si grand nombre de fleuves, a-t-elle jamais franchi ses bornes? Mais pourquoi passer en revue tant de merveilles incompréhensibles ? Il nous suffit d'en contempler une seule, pour nous écrier : Que vos oeuvres sont magnifiques, ô Seigneur,' Vous avez créé toute chose avec une admirable sagesse. Mais que disent les infidèles quand nous leur rappelons cette magnificence de l'univers, sa beauté, ses richesses, sa fécondité? Et voilà précisément, disent-ils, ce que nous reprochons à Dieu. Nous le blâmons d'avoir fait cet univers si grand et si beau. S'il lui eût donné moins de grandeur et de beauté, nous n'aurions pas songé à en faire notre Dieu. Ce qui nous a trompés, c'est cette magnificence qui nous jetait dans l'étonnement, c'est cette beauté qui nous ravissait d'admiration. Vaine réplique. Non, ce n'est pas la grandeur et l'ornement du monde qui a été cause de leur impiété, maïs bien leur ignorance et leur déraison. Ce qui le prouve, c'est que nous n'avons point commis la même erreur. Pourquoi donc ne lui avons-nous pas, nous aussi, décerné les honneurs divins? Ne le contemplons-nous pas aussi bien que les infidèles? Nous procure-t-il de moindres avantages? Avons-nous une âme, un corps différents des leurs? Ne foulons-nous point la même terre ? Pourquoi donc, à l'aspect de tant de grandeur et de beauté, avons-nous éprouvé d'autres sentiments? Mais voici ce qui achève de les confondre. Oui, c'est leur folie et non point la beauté de l'univers qui les a rendus impies; autrement qu'ils me disent pourquoi ils ont adoré le singe, le crocodile, le chien, en un mot, ce qu'il y a de plus vil parmi les animaux. En vérité ils se sont égarés dans leurs pensées; leurs coeurs ont été plongés dans les ténèbres de la folie; tout en proclamant bien haut leur sagesse, ils sont devenus insensés. (Rom. I, 21, 22.) Toutefois nous ne nous contenterons point de cette réponse; il nous faut entrer dans de plus grands développements. 4. Dieu prévoyait tous ces vains prétextes, et dans sa sagesse il a trouvé moyen de les écarter. En même temps qu'il faisait le monde si magnifique et si admirable, il le faisait aussi périssable et corruptible. Il y imprima de nombreuses marques de faiblesse; et ce double caractère, nous le retrouvons dans le monde aussi visible que dans, les apôtres. Or, que voyons-nous dans les apôtres? Ils font beaucoup de prodiges, opèrent d'éclatantes merveilles, de nombreux miracles; et Dieu cependant permet qu'on les flagelle, qu'on les chasse, qu'on les jette en prison ; il permet qu'ils tombent malades, qu'ils vivent sans cesse. clans la tribulation, pour que les hommes, témoins de leurs miracles, ne songent pas à les prendre pour des dieux. Aussi, tout en leur accordant de si grandes faveurs., il les laisse sujets à la mort, sujets même à de fréquentes maladies, il ne les délivre pas de leurs infirmités, pour qu'on ne se méprenne point sur leur nature. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'apôtre saint Paul dans ce passage : Si je voulais me glorifier, j'en aurais le droit; je ne le ferai cependant point, de peur que l'on ne m'estime au-dessus de ce que l'on voit en moi, ou de ce que l'on entend dire de moi. Et encore : Ce trésor, nous le portons dans des vases bien fragiles (II Cor. XII, 6 ; IV, 7) ; c'est-à-dire dans un corps mortel et corruptible. Pour fabriquer un vase, on emploie la terre et le feu . ne peut-on point comparer à des vases les corps de ces saints personnages ? Ils sont de terre aussi, et le feu divin leur a fait sentir sa puissante efficacité. Et pourquoi donc le Seigneur a-t-il déposé un pareil trésor, de si abondantes faveurs dans un corps sujet à la corruption? C'est, continue l'Apôtre, afin de bien montrer que cette vertu surabondante vient de Dieu et non point de nous-mêmes (Ibid). Quand vous voyez les apôtres ressusciter les morts, et cependant demeurer infirmes et incapables de se guérir, vous êtes sûrs qu'ils (41) n'ont point opéré ce miracle en vertu de leur propre puissance, mais par la puissance de l'Esprit-Saint. Que les envoyés de Dieu soient souvent malades, n'est-ce pas ce que vous dit l'Apôtre dans ce conseil à Timothée : Buvez un peu de vin, lui dit-il, à cause de votre estomac et de vos fréquentes indispositions. (I Tim. V, 23.) Ne dit-il pas encore : Quant à Trophime, je l'ai laissé malade à Milet? (II Tim. IV, 20.) Et dans son épître aux Philippiens : Epaphrodite a été malade presque au point d'en mourir. (Philip. II, 27.) Malgré tout cela ne les prenait-on peint pour des dieux, ne voulait-on pas leur offrir des sacrifices, ne disait-on pas : Des dieux cachés sous une forme humaine sont descendus jusqu'à nous? (Act. XIV, 10.) S'ils n'eussent point été sujets aux maladies, à quelles impiétés n'en serait-on point ventru, à la vue de leurs miracles? Ici donc pour ne pas exposer les hommes à les prendre pour des dieux à raison des prodiges qu'ils opéraient, le Seigneur a permis que leur corps ne fût pas exempt d'infirmités, et que souvent ils fussent en proie aux tentations c'est ce qu'il a fait aussi en créant le monde: il lui a donné de la beauté et de la grandeur, mais en même temps il l'a fait périssable. Les Ecritures nous parlent de ce double dessein du Tout-Puissant. Ici elles nous redisent la beauté des cieux: Les cieux racontent la gloire de Dieu, s'écrie le Psalmiste (Ps. XVIII, 11); et ailleurs : Il a élevé le ciel comme une voûte, et il l'a étendu comme un pavillon au-dessus de la terre. (Isai. XL, 20.) Et encore: Celui qui soutient la voûte des cieux. (Eccli. XI, 43.) D'autre part elles nous le montrent périssable , malgré tant de grandeur et de beauté; dans ce passage, par exemple : Au commencement Seigneur, vous avez établi la terre sur ses fondements, et les cieux sont l'oeuvre de vos mains. Ils périront, et vous demeurerez, et ils vieilliront, comme un vêtement; et vous les changerez comme on change un manteau, et ils seront changés. (Ps. XVIII, 6.) Et David ne dit-il pas ailleurs au sujet du soleil : Il s'avance comme un époux qui sort de la chambre nuptiale : pour fournir sa course il bondira comme un géant. Ne vous met-il pas sous les yeux la grandeur et la beauté de cet astre ? C'est un époux qui sort de la chambre nuptiale. Aussitôt après l'aurore, il lance de tous côtés ses rayons, il orne le ciel comme d'un voile de safran, il donne aux nuages la couleur des roses, tout le jour il poursuit sa course sans trouver d'obstacles qui viennent l'interrompre. Vous avez vu sa beauté, vous avez vu sa grandeur. Voici maintenant que l'Ecriture vous parle de sa faiblesse. Qu'y a-t-il de plus brillant que le soleil, disait un écrivain sacré? et cependant il s'éclipse. Ce ne sont pas seulement les éclipses qui attestent son imperfection, mais encore les nuages qui passent au-dessous de lui. En vain lance-t-il ses rayons, en vain s'efforce-t-il de rompre les nuages, il reste impuissant contre une nuée trop dense et qui refuse de céder. C'est lui, dites-vous, qui fait croître les semences; oui, mais ce n'est pas lui tout seul; il lui faut le concours de la terre et de la rosée, de la pluie et du vent, et aussi des différentes saisons de l'année. Sans ces auxiliaires le soleil ne sert de rien aux plantes. Or Dieu peut-il avoir besoin d'autrui pour faire ce qu'il veut? Le propre de la nature divine, n'est-ce pas de n'avoir besoin de quoi que ce soit? Ce n'est pas de la sorte que Dieu fit germer les semences: il n'eut qu'à ordonner, et toutes aussitôt sortirent de terre. Et pour vous apprendre que ce ne sont pas les éléments, mais son commandement qui fait tout et qui tire du néant les éléments eux-mêmes, il envoie la manne aux Hébreux sans le concours d'aucun élément : Il leur donna le pain du ciel, dit le Psalmiste. (Ps. LXXVII, 24.) Le soleil a besoin de la nature entière pour faire croître les, plantes et les fortifier ; que dis-je ? n'est-il pas lui-même composé de beaucoup d'éléments, et peut-il se suffire à lui-même ? Pour se mouvoir, il lui faut les cieux, qui sont, pour ainsi parler, le sol où il s'appuie; pour briller, il lui faut un air pur et transparent. Que l'air devienne trop dense, il ne peut montrer son éclat; pour qu'on puisse supporter sa chaleur, pour qu'il ne brûle pas notre terre, il faut de la fraîcheur et de la rosée. Voilà donc un astre dont les éléments triomphent, un astre dont ils tempèrent la violence. Un nuage, un mur, un autre corps nous en dérobe la lumière; la rosée, les fontaines, la fraîcheur de l'air en corrigent les ardeurs; et cet astre serait Dieu ? Il est de l'essence de Dieu de n'avoir aucune imperfection, de n'avoir besoin de rien, d'être pour toutes les créatures l'auteur de tous les biens, de n'être gêné dans son action par quoi que ce soit. N'est-ce pas l'idée que nous en donnent tour à tour saint Paul et le prophète Isaïe ? Voici le langage que ce (42) dernier prête au Seigneur: Je remplis le ciel et la terre, dit le Seigneur (Jérém. XXIII, 24); et encore : Je suis le Dieu toujours proche de sa créature et jamais éloigné d'elle. (Ibid. 23.) Ecoutez aussi David: J'ai dit au Seigneur: Vous êtes mon Dieu, car vous n'avez pas besoin de mes biens (Ps. XV, 2.) Saint Paul voulant nous montrer ce même Dieu comme ne manquant de rien et nous faire comprendre qu'il est de son essence de ne manquer de rien et de dispenser tout à tous, nous dit : C'est Dieu qui a fait le ciel et la terre; il n'a besoin de quoi que ce soit, il donne à tous la vie, la respiration et toutes choses. (Act. XVII, 24, 25.) 5. Nous aurions pu passer en revue les autres éléments, le ciel, l'air, la terre, la mer, en faire ressortir les imperfections, faire voir comment chacune de ces créatures ne peut se passer d'une autre, sous peine de périr et de se corrompre. La terre, en effet, sans les fontaines, sans cette humidité que la mer et les fleuves y répandent, ne serait-elle pas bien vite consumée? L'air n'a-t-il pas besoin du soleil comme le soleil a besoin de l'air? Mais ne prolongeons pas trop cet entretien. Nous en avons dit assez pour mettre sur la voie ceux qui voudront continuer cette étude. Si la plus belle de toutes les créatures, le soleil, vous apparaît cependant si imparfaite et si défectueuse, que sera-ce des autres parties de l'univers? Cette conclusion, je laisse aux hommes studieux le soin de la développer; et maintenant, avec le secours des Ecritures, je vais vous démontrer que ce n'est pas seulement le soleil, mais le monde tout entier qui est périssable. Les éléments se détruisent réciproquement; une trop grande fraîcheur tempère l'ardeur du soleil, et une chaleur trop forte dissipe à son tour cette humidité; en un mot, les éléments, par une influence réciproque, se donnent ou reçoivent des qualités et une manière d'être différentes. Tout cela ne nous prouve-t-il pas qu'ils sont périssables et que toutes les choses visibles sont matérielles? Mais tout cela est trop au-dessus de nos forces il vaut mieux vous conduire à la source si délicieuse des saintes Ecritures, afin de reposer un peu vos esprits. Là il ne s'agit plus simplement du ciel et de la terre; l'Apôtre va vous révéler, vous montrer jusqu'à l'évidence que toute la création est asservie à la corruption, pourquoi elle y est asservie, quand est-ce qu'elle sera transformée, et quelle sera ensuite sa condition. Il commence par dire que les souffrances du temps présent ne sont point en rapport avec la gloire future qui nous sera un jour manifestée; et ensuite il ajoute : La création tout entière attend la manifestation des enfants de Dieu; car elle est assujettie à la vanité, non de plein gré, mais à causé de celui qui l'a constituée dans cet état en lui laissant l'espérance. (Rom. VIII, 18, 19, 20.) Quand il nous dit : La création est assujettie à la vanité, n'est-ce pas pour nous faire entendre qu'elle est périssable ? C'est Dieu qui l'a voulu, et il l'a voulu à cause de nous. Elle devait alimenter l'homme sujet à la mort. Ne devait-elle point périr elle-même? Il était juste que des corps périssables vécussent au sein d'un monde périssable. Mais, dit l'Apôtre, elle ne restera pas éternellement dans le même état : Elle sera elle-même un jour tirée de cet esclavage de la corruption. Et voulant nous indiquer ensuite le temps et le but de cette transformation, il ajoute : Ce sera pour la liberté et la gloire des enfants de Dieu. (Rom. VIII, 21.) Quand nous serons ressuscités, dit-il, et que nous aurons revêtu des corps incorruptibles, alors le ciel et la terre, le monde tout entier sera lui-même incorruptible et immortel.-Si donc vous voyez le soleil se lever, admirez la puissance du Créateur; si vous le voyez se cacher et disparaître, reconnaissez l'imperfection de sa nature et gardez-vous de l'adorer comme Dieu. Et ce n'est pas seulement par la nature des éléments que le Seigneur a voulu vous en montrer, la faiblesse. N'a-t-il pas donné à certains hommes, ses serviteurs, la puissance de leur commander, en sorte que si l'aspect des éléments ne vous convainc point de leur servitude, vous appreniez par leur soumission aux ordres de l'homme, qu'ils sont, comme vous, de simples créatures? C'est pourquoi Josué, fils de Nun, dicta cet ordre au soleil: Que le soleil s'arrête en face de Gabaon, et la lune en face de la vallée d'Elon. (Jos. X, 12.) Et le prophète Isaïe ne fit-il pas rétrograder le soleil, sous le règne d'Ezéchias? (Isai. XXXVIII, 8.) Moïse ne commanda-t-il pas à l'air, à la mer, à la terre, aux rochers ? Elisée ne changea-t-il pas la nature des eaux? les trois enfants ne triomphèrent-ils pas des flammes de la fournaise ? Voyez quel soin la Providence a pris de nos intérêts ! Par la beauté des éléments elle nous révèle sa divine puissance, par leur imperfection elle nous tient en garde contre (43) l'impiété et nous empêche de leur rendre nos hommages. 6. Empressons-nous de rendre gloire à ce Dieu qui veille ainsi sur nous; mais ne nous bornons pas à des hymnes de louange, glorifions-le par nos uvres, par la,sainteté de notre vie, et surtout abstenons-nous de jurer. Toutes les fautes, en effet, ne sont point punies de la même manière; Dieu punit plus sévèrement celles qu'il est aisé d'éviter. C'est ce que voulait faire entendre Salomon, quand il disait : Il n'y a rien d'étonnant que l'on surprenne un homme à s'emparer du bien d'autrui; il vole pour apaiser la faim qui le dévore; mais l'adultère, c'est le manque de raison qui le conduit à la perte de son âme. (Prov. VI, 30, 32.) Et voici ce qu'il veut dire; sans doute le vol est une faute grave, mais cependant moins grave que l'adultère. Si le motif qui fait agir le voleur ne peut l'excuser, du moins la pauvreté est une circonstance qui atténue sa faute ; mais l'adultère, nulle nécessité ne peut le contraindre; c'est un insensé qui se précipite dans le gouffre du péché. N'est-ce pas aussi ce que l'on peut dire au sujet de ceux qui jurent? Ils ne peuvent mettre en avant le moindre prétexte, il y â chez eux mépris formel de la loi de Dieu. Je sais bien que je vous fatigue, que je vous ennuie en revenant sans cesse à ces conseils; toutefois, je ne cesserai de vous les adresser, afin que, redoutant mon impudence, vous renonciez enfin à cette funeste habitude. Si ce juge impitoyable et cruel se laissa fléchir par crainte des importunités d'une veuve (Luc, XVIII, 2), ne changerez-vous pas aussi de conduite, surtout quand je vous en conjure, non dans mon intérêt , mais au nom de votre propre salut. Que dis-je? mon salut n'y est-il pas intéressé? N'est-ce pas votre bonne conduite qui constitue mes propres mérites ? Si je travaille, si je me fatigue en vue de votre salut, ne dois-je pas souhaiter que vous preniez soin vous-mêmes de vos âmes; s'il en était ainsi, vous finiriez par vous corriger entièrement. Qu'est-il besoin de vous tenir un long discours ? Si les violateurs de la loi n'avaient ni enfer ni aucun supplice à redouter, si vous n'aviez aucune récompense à attendre pour l'avoir observée, et que je vous eusse demandé cet amendement dans votre conduite comme une pure faveur, est-ce que vous n'auriez pas dû vous mettre à l'oeuvre? Cette grâce,. si légère, n'auriez-vous pas dû l'accorder à mes instances? Or c'est Dieu qui vous la demande, et cela dans votre intérêt, non dans le sien. Qui donc serait :assez ingrat, assez misérable , assez insensé pour refuser à Dieu ce bienfait, quand surtout l'auteur du bienfait doit en retirer tout l'avantage? Réfléchissez donc à tout cela; rentrés chez vous,, répétez tout ce que vous venez d'entendre; ceux que vous verrez n'être pas fidèles à observer ce précepte, reprenez-les de toute manière, et alors vous serez récompensés pour vos mérites et pour ceux d'autrui, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-
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