Page d'accueil du site Méditerranées
Table des matières


Fabiola ou l'Eglise des Catacombes
du cardinal Wiseman (1854)


 

Préface

Introduction Sommaire Chapitre 1

 

 

Retour
Index
Alphabétique

 


Retour
Sommaire
Général


Ecrivez-nous

Quand on forma en Angleterre le plan d'une Bibliothèque catholique populaire, on le soumit à l'approbation de l'auteur du petit ouvrage que nous publions aujourd'hui. Non seulement il encouragea ce dessein, mais il alla même jusqu'à proposer une série de récits qui seraient une peinture vive et fidèle de l'état de l'église aux différentes périodes de son existence. Le premier de ces récits, par exemple, aurait pour titre l'église des catacombes ; le second, l'église des basiliques ; chacun d'eux embrasserait une période de trois siècles. L'église du cloitre, et peut-être même l'église des écoles, pourraient être l'objet de deux autres études.

En développant ce projet, il ajouta, ce que le lecteur trouvera sans doute fort indiscret, qu'il entreprendrait volontiers la première partie de ce travail, afin de mieux faire comprendre son idée. Il fut pris au mot, et vivement pressé de se mettre à l'oeuvre. Après y avoir mûrement réfléchi, il accepta, avec cette réserve que ce ne serait pas un travail de longue haleine, mais une simple récréation pour ses heures de loisir. C'est à cette condition que l'auteur a pris la plume dès les premiers jours de cette année : il a été fidèle à sa promesse.

Ce petit livre a donc été écrit en mille endroits, à toute heure, le matin, le soir, à bâtons rompus, chaque fois qu'un devoir inflexible se laissait dérober quelques instants, et que le corps et l'esprit se refusaient à de plus graves occupations; à l'auberge du grand chemin, pendant la halte du voyage, dans les situations et les circonstances les plus variées, parfois les plus pénibles. C'est par fragments qu'il a été composé : dix lignes aujourd'hui, demain cinq ou six pages la plupart du temps sans livres à consulter ni ressources d'aucune sorte. Dès le commencement il fut pour l'auteur ce qu'il en attendait, une véritable récréation, et ramena souvent dans son âme la paix, la tranquillité, grâce aux souvenirs qu'il réveillait et aux associations d'idées qu'il faisait naître ; en réunissant dans son esprit les débris épars de ses anciens travaux et des lectures de sa jeunesse, il a pu vivre familièrement avec les hommes et les choses d'un siècle meilleur que le nôtre.

Mais pourquoi tant d'explications au lecteur ? Pour deux raisons.

D'abord il est fort possible qu'une pareille méthode laisse quelque trace dans le cours d'un ouvrage : on pourra le trouver disparate, décousu ; s'il en était ainsi, on en devinerait facilement la cause.

En second lieu, le lecteur ne devra point s'attendre a un savant traité des antiquités ecclésiastiques. Rien n'eût été plus facile que de jeter un vernis scientifique sur ce petit livre, et d'encombrer la moitié de ses pages de notes et de renvois. Ce ne fut jamais la pensée de l'auteur ; il a plutôt désiré de familiariser son lecteur avec les usages, les habitudes, la condition, les idées, les sentiments et l'esprit des premiers siècles du christianisme. Pour cela il fallait être fort au courant des lieux et des choses de cette époque, et y joindre une connaissance familière et plus intime que savante de ses annales. Par exemple, des monuments comme les Actes des martyrs ont dû être fréquemment étudiés, plutôt afin de laisser des souvenirs durables dans l'esprit de l'auteur qu'au point de vue de la science et de la critique de l'antiquaire. Aussi a-t-il décrit les lieux et les monuments qu'il a pu maintes fois contempler lui-même, tels qu'il les voyait surgir dans son imagination, d'après ses souvenirs, et non d'après les livres.

Une autre source de documents a été largement exploitée. Tous ceux qui connaissent le Bréviaire romain ont pu observer que dans l'office de certains saints domine un style particulier qui décrit leur vie d'une manière tout à fait caractéristique. Ce résultat ne tient pas tant à l'ensemble du récit qu'aux expressions mises dans la bouche du bienheureux, aux brèves descriptions des événements de sa vie, répétées à chaque instant dans les antiennes, les répons et jusque dans les versets ; il en résulte une individualité vivante, un portrait clair, net et d'une singulière perfection. Tels sont les offices des saintes Agnès, Agathe, Cécile et Lucie, et celui de saint Clément. Chaque personnage revit dans notre esprit sous des traits si distincts, qu'il nous semble le reconnaître et avoir vécu avec lui.

Si, par exemple, nous choisissons la vie de cette Agnès, nous sommes immédiatement frappés des circonstances suivantes. évidemment quelque païen l'importune de son admiration ; elle rejette à plusieurs reprises l'offre de sa main et de ses biens. Tantôt elle l'avertit qu'il a été prévenu par un heureux rival auquel elle a engagé sa foi ; tantôt elle lui représente, sous les images les plus variées, l'objet de son choix, qui reçoit même les hommages de la lune et du soleil. Dans d'autres occasions, elle décrit les riches présents, les splendides parures dont se plaît à l'embellir Celui qui, par ses chastes caresses, a gagné. son coeur. Puis à la fin, répondant à de plus vives instances, elle repousse l'amour de l'homme périssable, "dont se nourrit la mort", et se déclare triomphalement l'épouse du Christ. On emploie les menaces; elle répond que l'ange qui la protège saura bien la défendre.

L'histoire de sainte Agnès, grâce à ces fragments de son office, était aussi clairement écrite que l'est un mot dont on a réuni les lettres éparses. Mais dans le cours de ce récit on discerne une particularité vraiment admirable de son caractère. Il est hors de doute que la sainte avait toujours devant les yeux l'objet invisible de son amour ; elle le voyait, l'entendait, le sentait ; leurs coeurs étaient unis par une mutuelle et véritable affection, telle que le coeur de l'homme en ressent sur la terre. Elle semble marcher sous l'influence d'une continuelle vision et d'une douce extase causée par la présence de son époux, qui a vraiment orné son doigt de l'anneau, teint ses joues de son propre sang, et l'a couronnée de roses naissantes. Son oeil est vraiment fixé sur lui ; elle ne cesse de le contempler et d'échanger avec lui des regards empreints du plus tendre amour.

Qui oserait altérer l'expression d'un type aussi pur, ou se hasarderait à lui en substituer un autre ? Qui oserait se flatter de tracer un portrait plus fidèle ou plus achevé que celui que nous offre l'église ? Car, en mettant de côté toute recherche relative à l'authenticité des actes qui ont inspiré ces passages, et même sans s'arrêter à discuter avec dom Guéranger si la critique sévère d'un siècle passé n'a que trop légèrement rejeté de pareils documents ecclésiastiques, il est évident que l'église, dans l'office de sainte Agnès, a voulu mettre sous nos yeux un exemple de la plus haute vertu, personnifiée dans le caractère de la sainte. Tel est le point de vue que l'auteur de ces quelques pages a cru devoir adopter.

Le lecteur verra lui-même si ce but a été atteint. Quoi qu'il en soit, si l'on compare les sujets traités ici, et qui se rattachent de près ou de loin au récit, avec un ouvrage élémentaire comme les Moeurs des chrétiens de Fleury, et si l'on tient compte de la somme d'érudition que l'on peut s'attendre à trouver dans notre travail, destiné à être très répandu, on pourra s'assurer qu'il contient, sur les pratiques et les croyances de ces temps primitifs, des notions tout aussi exactes que celles des ouvrages d'une forme plus savante.

Il ne faut pas non plus oublier que notre travail n'est pas une étude historique ; excepté dans les derniers chapitres, il ne s'étend pas au delà de quelques mois. C'est plutôt une série de tableaux qu'un récit continu des événements. On a réuni dans un étroit espace, aux dépens de la chronologie, des faits qui s'étaient passés à des époques et en des contrées différentes. L'édit de Dioclétien et le martyre de sainte Agnès ont été avancés, le premier de deux mois, le second d'un an ; l'épisode de saint Sébastien, dont la date est incertaine, n'a lieu qu'une année plus tard. Tout ce qui regarde la topographie chrétienne a été l'objet des plus grands soins. Un martyre arrivé à Imola a été transporté à Fondi.

Il était nécessaire aussi de donner une idée de la morale et des opinions du monde païen, comme contraste à celles des chrétiens, mais en voilant avec soin les plus tristes aspects de ce tableau, afin que rien ne forçât les yeux du chrétien à se détourner ou son front à rougir. Nous souhaitons de tout notre coeur que ce livre, qui a été pour nous un délassement, récrée aussi le lecteur livré à de plus graves occupations ; qu'après l'avoir lu il puisse se dire qu'il n'a pas perdu son temps, ni livré son esprit à de frivoles pensées. Espérons plutôt que nous aurons réussi à exciter, pour ces âges primitifs, l'admiration et l'amour qu'un enthousiasme exagéré pour de plus récentes et de plus brillantes époques de l'histoire de l'église est trop souvent parvenu à diminuer et à affaiblir.


Introduction Haut de la page Chapitre 1