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TROISIÈME HOMÉLIE. Sur les gloires de la Vierge mère.
1. Volontiers, lorsque j'en trouve l'occasion, je m'approprie les paroles des Saints afin de rendre plus agréable au lecteur ce que je lui offre dans des vases plus beaux. Et pour commencer par emprunter le langage d'un Prophète, je m'écrierai : malheur à moi, non point parce que je me suis tu, mais parce que j'ai parlé, moi dont les lèvres sont impures (Isa., VI, 5). Hélas! que de vanités, que de mensonges, que de hontes sont sorties de cette bouche infiniment souillée, qui entreprend aujourd'hui de traiter des sujets divins! J'ai bien peur que ce ne soit pour moi qu'il a été dit: « Pourquoi entreprenez-vous de raconter mes justices, et pourquoi avez- vous mon alliance sur les lèvres (Psalm., XLIX, 16) ? » Que je serais heureux si de l'autel qui est dans les Cieux, non pas seulement un charbon, mais un grand globe de feu était approché de ma bouche pour en brûler au vif la rouille épaisse qui la ronge ! Peut-être serais-je digne alors de rapporter dans mon imparfait langage les doux et chastes entretiens que l'Ange et la Vierge ont échangés entre eux. L'Evangéliste dit donc : « Et l'Ange étant entré dans le lieu où elle était, elle, c'est-à-dire Marie, lui dit . Je vous salue pleine de grâce, le Seigneur est avec vous (Luc., I, 28). » Où était-elle lorsque l'Ange vint la trouver ? Je pense qu'elle était retirée à l'écart dans sa chambre virginale, où peut-être, après avoir fermé la porte sur elle, elle priait le Père dans le secret. Les anges ont coutume, en effet, d'assister à nos prières, et se plaisent dans la société de ceux qu'ils voient lever des mains pures en priant, ils aiment à offrir à Dieu, comme un sacrifice de douce odeur, l'holocauste d'une sainte dévotion. Aussi l'Ange a-t-il montré, en saluant Marie, lorsqu'il fut arrivé près d'elle, combien ses prières étaient agréables au Très-Haut. Il ne fut pas difficile à l'Ange de pénétrer dans la retraite de la Vierge, quoiqu'elle eu eût fermé la porte; car, par la vertu de sa substance, il jouit du privilège de ne jamais être arrêté par des serrures de fer en quelque lieu qu'il veuille pénétrer. Pour les esprits célestes, il n'y a point de murailles, tout est accessible à leurs regards, il n'est corps si durs et si épais qu'ils soient qu'ils ne puissent pénétrer et traverser. Il n'est donc point à présumer que l'Ange ait trouvé ouverte la petite porte du réduit où la Vierge se tenait, soit pour éviter le commerce des hommes et se soustraire à leurs entretiens, soit pour se livrer en silence à la prière et se trouver à l'abri des tentations qui pouvaient assaillir sa chasteté virginale. La Vierge très-prudente avait donc, en ce moment, fermé sa porte pour les hommes, mais elle ne l'avait point fermée pour les Anges. Aussi un Ange put-il pénétrer dans sa retraite, bien que tout accès fût interdit aux hommes jusqu'à elle. 2. Etant donc entré là où elle se tenait, l'Ange lui dit: «Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. » Nous voyons dans les Actes des Apôtres (Act., VI, 5), que saint Etienne fut aussi plein de grâce et que les apôtres furent remplis du Saint-Esprit, mais il y a une grande différence entre eux et Marie. D'ailleurs la plénitude de la divinité n'a point habité dans Etienne comme en Marie. L'Ange lui dit : « Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. » Mais faut-il s'étonner qu'elle fût pleine de grâce quand le Seigneur même était avec elle? Si je m'étonnais de quelque chose ce serait plutôt de voir que l'Ange retrouve en Marie celui même qui l'avait envoyé vers elle. Dieu est-il donc venu plus vite que l'Ange pour être arrivé sur la terre plus tôt que son rapide messager? Je n'en serais point surpris; car pendant que le Roi se reposait sur le sein de la Vierge, le nard dont elle était parfumée a répandu son odeur qui s'est élevée comme la fumée des aromates en sa glorieuse présence et elle a trouvé grâce devant lui aux acclamations de tous les assistants qui disaient : « Quelle est celle-ci qui monte par le désert comme une petite vapeur d'aromates, de myrrhe et d'encens (Cant., III, 6) ? » Alors le Seigneur sortant de son lieu saint, s'élança comme un géant dans la carrière, et quoique son essor fût du plus haut des Cieux (Psalm., XVIII, 6), cependant, porté sus l'aile d'un désir excessif, il devance l'arrivée de son messager auprès de la Vierge qu'il aime, qu'il s'est choisie et dont la beauté le captive. C'est lui que l'Église voit avec bonheur venir de loin et dont elle dit dans sa joie : « Je vois mon bien-aimé, le voici qui vient sautant sur les montagnes et franchissant les collines (Cant., II, 8). » 3. Or, ce n'est point sans raison que ce Roi a senti ses désirs s'allumer pour la beauté de la Vierge, elle avait fait ce que David son père lui avait conseillé longtemps d'avance quand il lui disait : « Ecoutez, ma Fille, ouvrez les yeux et prêtez une oreille attentive: oubliez votre peuple et la maison de votre père, » si vous le faites, « le Roi sera épris de vos charmes (Psalm., XLIV, 11). » Elle entendit et elle vit, non pas à la manière de ceux qui en écoutant n'entendent pas, et en regardant ne voient pas; trais elle entendit et crut, elle vit et comprit. Elle obéit à ce quelle avait entendu et soumit son coeur à la règle de conduite indiquée, elle oublia son peuple et la maison de son père, car elle ne se mit point en peine d'augmenter l'un par le nombre de ses enfants ni de laisser dans l'autre un héritier des biens paternels; elle regarda comme un vil fumier la gloire qui pouvait l'attendre au milieu de son peuple et les biens terrestres qu'elle pouvait espérer de l'héritage de son père, afin de gagner le Christ. Son espoir ne fut point déçu, puisqu'en même temps qu'elle eut le Christ pour Fils elle conserva son voeu de virginité. Il est donc bien vrai qu'elle est pleine de grâce, cette vierge qui a retenu la grâce de la virginité en même temps qu'elle obtenait celle de la fécondité. 4. L'Ange dit donc : « Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. » Il ne dit pas le Seigneur est en vous, mais « le Seigneur est avec vous. » C'est que Dieu qui est présent tout entier également en tous lieux par la simplicité de sa substance, ne se trouve pourtant pas de la même manière dans les créatures raisonnables que dans les autres; et parmi celles-là il n'est pas présent avec la même efficacité dans les méchantes que dans les bonnes. Ainsi il se trouve dans les êtres sans raison, mais il n'y est point compris; au contraire, dans toutes les créatures raisonnables, il est compris par l'intelligence, mais il ne l'est par l'amour que dans les bonnes. Il n'y a donc que dans les créatures raisonnables et bonnes qu'il se trouve de telle façon qu'il est en même temps avec elles à cause de la conformité de leurs volontés avec la sienne. En effet, ces créatures-là soumettent leurs propres volontés à la justice, en sorte que Dieu peut, sans déchoir, vouloir ce qu'elles veulent, et par le fait qu'elles ne sont point en désaccord de volonté avec lui, elles unissent Dieu à elles d'une manière toute spéciale. Mais s'il en est ainsi par rapport à tous les autres saints, à plus forte raison en est-il de même, mais d'une manière plus spéciale encore pour la sainte Vierge; car avec elle l'accord est tellement grand que Dieu s'est uni non-seulement sa volonté, mais sa chair même; en sorte que de sa propre substance et de la Vierge il fit ou plutôt se fit un être qui est le Christ, qui, sans être tout entier de Dieu ni tout entier de la Vierge, fut néanmoins tout entier fils de Dieu et tout entier fils de la Vierge, car il n'y a pas deus fils en lui, mais un seul fils de Dieu et de Marie en même temps. L'Ange dit donc : «Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. » Or ce Seigneur, ce n'est pas seulement le Fils que vous revêtez de votre chair, mais c'est aussi le Saint-Esprit par l'opération duquel vous concevrez , c'est également le Père qui a engendré celui que vous concevrez. Oui, le Père est avec vous, le Père, dis-je, qui fait que son Fils soit votre fils. Le Fils est avec vous, le Fils qui, pour accomplir en vous un admirable mystère, s'ouvre votre sein d'une manière miraculeuse et respecte en même temps le sceau de votre virginité. L'Esprit-Saint est avec vous, l'Esprit-Saint qui, de concert avec le Père et avec le Fils, sanctifie votre sein. Donc le Seigneur est bien avec vous. 5. « Vous êtes bénie entre toutes les femmes. » Ajoutons à ces paroles d'Elisabeth celles qui les suivent: « Et le fruit de vos entrailles est béni. » Mais ce n'est pas parce que vous êtes bénie que le fruit de votre ventre est béni, c'est au contraire parce qu'il vous a prévenue de la douceur de ses bénédictions que vous êtes bénie. Oui certainement il est véritablement béni ce fruit de vos entrailles, en qui toutes les nations elles-mêmes sont bénies et de la plénitude duquel vous avez reçu, ainsi que les autres hommes quoique d'une manière bien différente. Vous êtes donc bénie, mais entre toutes les femmes; quant à lui, il est béni entre les hommes, non entre les anges, selon ce que dit l'Apôtre qui le proclame le Seigneur béni par-dessus tous les siècles (Rom., IX, 6). On dit un homme béni, un pain béni, une femme, une terre bénie, et ainsi de toute autre créature; mais c'est d'une manière toute spéciale que le fruit de votre ventre est béni puisqu'il est le Dieu béni par-dessus tous les siècles. 6. Ainsi le fruit de vos entrailles est béni. Béni en odeur, béni en saveur, béni en beauté. C'est l'arôme délicieux de ce fruit que sentait celui qui disait: « L'odeur qui sort de mon fils est semblable à celle d'un champ de fleurs que le Seigneur a comblé de ses bénédictions (Gen., XXVII, 2?). » Peut-on douter que celui que le Seigneur a béni soit véritablement béni? Sans doute, il était sous le charme du goût excellent de ce fruit celui qui exhalait sa satisfaction en ces termes: « Goûtez donc et voyez combien le Seigneur est doux (Psalm. XXXIII, 9), » et encore: « Combien est donc grande, Seigneur , l'abondance de votre ineffable douceur, que vous avez cachée pour ceux qui vous craignent (Psalm. XXX, 20) ! » Un autre disait de même « Si toutefois vous avez goûté combien doux est le Seigneur (I Petr., II, 3). » Et ce fruit, disait-il lui-même, en parlant de soi et en nous invitant à le manger: « Celui qui me mange aura encore faim et celui qui me boit ressentira encore l'aiguillon de la soif (Eccli., XXIV. 29). » Il est évident que c'est à cause de sa douce saveur qu'il parlait ainsi ; le goûter seulement, donne l'envie de le goûter encore. C'est un bien bon fruit que celui qui est la nourriture et la boisson des âmes qui ont faim et soif de la justice. Je vous ai parlé de son arôme et de sa saveur, écoutez maintenant ce qui a été dit de sa beauté. S'il est vrai, comme l'atteste l'Ecriture, que le fruit de mort était non-seulement agréable au goût mais encore à la vue (Gen., III, 6), à combien plus forte raison devons-nous rechercher une beauté de vie dans ce fruit de vie sur lequel, au dire de la sainte Ecriture, les anges mêmes désirent reposer les yeux (I Petr., I, 12) ? Celui qui s'écriait: « L'éclat de sa gloire vient de Sion (Psalm. XIX, 2), » voyait certainement sa beauté en esprit et désirait vivement la contempler des yeux de son corps. Mais pour ne pas vous figurer que ce n'était que d'une beauté médiocre qu'il parlait avec cet enthousiasme, rappelez-vous ce qu'on lit dans un autre psaume: « Vous surpassez en beauté les enfants des hommes; une grâce admirable est répandue sur vos lèvres parce que Dieu vous a béni de toute éternité (Psalm. XLIV, 3). » 7. Ainsi « le fruit de vos entrailles » que le Dieu a béni de toute éternité « est béni; » et c'est de sa bénédiction que vous êtes vous-même bénie entre toutes les femmes, attendu que l'arbre qui porte de bons fruits ne saurait être un mauvais arbre. Oui, vous êtes bénie entre toutes les femmes, puisque vous avez échappé à la malédiction qui les atteignit toutes, quand il fut dit à Ève : « Vous enfanterez dans la douleur (Gen., III, 16), » et à cette autre malédiction encore après la première : « Maudite soit la femme stérile en Israël (Deut., VII, 14); » et même vous avez reçu une bénédiction toute particulière pour ne point demeurer stérile et pour échapper en même temps aux., douleurs de l'enfantement. Quelle dure et triste nécessité, quel joug accablant pèse sur toutes les filles d'Ève ! Elles ne peuvent être mères sans douleur, ni demeurer stériles sans être maudites. La douleur leur fait appréhender d'avoir des enfants, et la malédiction leur fait craindre de n'en avoir point. Que ferez-vous, ô vierge qui entendez et qui lisez cela? Si vous devenez mère, ce n'est que dans la douleur; si vous demeurez stérile, c'est pour être maudite. Quel parti prendrez-vous, ô vierge pudique? Partout, me répondrez-vous, je ne vois qu'angoisses; néanmoins j'aime mieux m'exposer à être maudite et demeurer vierge que de commencer par concevoir dans la concupiscence un fruit que je ne pourrai ensuite mettre au jour que dans la douleur. D'ailleurs d'un côté si je vois la malédiction, je ne vois point de péché, tandis que de l'autre se trouvent la douleur et le péché. Après tout, cette malédiction, qu'est-ce autre chose que le mépris des hommes ? Car si la femme stérile est maudite, cela ne veut dire qu'une chose, c'est qu'elle est un objet d'opprobre et de mépris aux yeux des hommes, encore cela n'a-t-il lieu qu'en Israël seulement, parce qu'elle est regardée comme inutile et improductive. Mais pour moi, je compte pour moins que rien de déplaire aux hommes, pourvu que je puisse me présenter comme une chaste vierge au Christ. O Vierge sage, Vierge pieuse, où donc avez-vous appris que Dieu aimait les vierges? Quelle loi, quels préceptes, quelle page de l'ancien Testament vous a prescrit, conseillé, engagé à ne pas vivre selon la chair dans la chair, et à mener la vie des anges sur la terre ? Où donc aviez-vous lu, bienheureuse Vierge, que « la sagesse de la chair est une mort (Rom., VIII, 6), » et « qu'il ne faut point prendre de la chair un soin qui aille jusqu'à contenter tous ses désirs (Rom., XIII, 14) ? » Où aviez-vous vu au sujet des vierges, que « les vierges seules chantent le cantique nouveau et suivent l'Agneau partout où il va (Apoc., XIV, 4) ? » Où aviez-vous vu louer «ceux qui se sont rendus eunuques pour le royaume des Cieux (Matth., XIX, 12) ? » Où aviez-vous appris que « si nous vivons dans la chair, ce n'est point selon la chair que nous combattons (II Corinth., X, 3) ; que celui qui marie sa fille fait bien, mais que celui qui ne la marie pas fait mieux encore (Ibid. XXV) ? » Qui donc vous avait fait entendre ces paroles: « Je voudrais que vous fussiez tous comme moi (Ibid. XL), car selon moi, il est bon à l'homme de demeurer dans cet état; ce n'est point un précepte que je vous fais au sujet de la virginité, mais c'est un conseil que je vous donne (Ibid. XXV) ? » Pour vous, point de commandement, point de conseil, point d'exemple antérieur; c'est l'onction divine qui vous a tout fait comprendre. La parole de Dieu elle-même, vivante, opérante, vous avait éclairée avant de se revêtir de votre chair et de s'appeler votre fils. Ainsi vous faites le voeu de vous conserver vierge pour le Christ, et vous ignorez que vous devez lui donner une mère. Vous choisissez le mépris des enfants d'Israël et vous voulez encourir la malédiction de la stérilité pour celui à qui vous voulez plaire, et voilà que les malédictions cèdent la place aux bénédictions et que la stérilité est remplacée par la fécondité. 8. Ouvrez donc votre sein, ô Vierge , préparez votre giron et vos flancs, car celui qui est tout-puissant va accomplir en vous de grandes choses, si grandes qu'au lieu des malédictions d'Israël tous les peuples vous combleront de bénédictions. Ne craignez point la fécondité, ô Vierge prudente, elle ne nuira en rien à votre virginité. Vous concevrez, mais vous ne pécherez point; vous serez grosse, mais vous ne connaîtrez point les fatigues de la grossesse; vous enfanterez, il est vrai, mais ce sera sans tristesse; sans connaître d'homme, vous aurez un fils. Mais quel fils ? Celui même dont Dieu est le Père. Le Fils de la splendeur du Père sera la couronne de votre chasteté. La sagesse du coeur du Père sera le fruit de votre sein virginal. En un mot, vous enfanterez Dieu même et vous concevrez de Dieu. Prenez courage, Vierge féconde, chaste épouse, mère virginale; vous ne serez pas plus longtemps exposée aux malédictions d'Israël, parce que vous ne serez plus comptée parmi les femmes stériles. Si vous êtes encore chargée de malédictions par les descendants d'Israël selon la chair, ce n'est point parce qu'ils vous trouvent stérile, mais plutôt parce qu'ils haïssent votre fécondité. Rappelez -vous que le Christ même fut maudit sur la croix, lui qui vous a bénie dans les cieux, parce que vous êtes mère; mais vous êtes bénie aussi sur la terre par l'ange Gabriel, et toutes les générations du monde vous proclameront, avec raison, bienheureuse. Vous êtes donc bénie entre toutes les femmes et le fruit de vos entrailles est béni. 9. « En entendant l'Ange parler ainsi, Marie fut troublée de son langage, et elle pensait en elle-même ce que pouvait être cette salutation (Luc, I, 29). » Les vierges, qui sont véritablement vierges, sont naturellement timides et ne se croient jamais en sûreté. Bien plus, pour échapper à ce qu'elles redoutent dans leur timidité, elles en viennent jusqu'à craindre au sein même de la plus complète sécurité; elles savent, en effet, qu'elles portent un précieux trésor dans des vases fragiles, qu'il est bien difficile de vivre comme des anges au milieu des hommes et, comme des habitants du ciel sur la terre, de pratiquer enfin le célibat quand on a un corps de chair. Aussi soupçonnent-elles de secrètes embûches dans tout ce qui leur parait nouveau, et dans tout ce qui se produit tout à coup autour d'elles. A leurs yeux tout cela recouvre quelque piège dressé contre elles. Voilà ce qui explique le trouble de Marie aux paroles de l'Ange; elle fut troublée, dit l'Evangéliste, mais non décontenancée. Le Psalmiste avait dit: « J'étais plein de trouble et je ne pouvais parler, mais je songeais aux jours anciens et j'avais les années éternelles présentes à l'esprit (Psal., LXXVI, 5). » Tel fut le trouble de Marie, et tel fut son silence; mais en même temps elle se demandait ce que signifiait cette salutation. Son trouble venait évidemment de sa pudeur virginale, mais, si elle ne fut point décontenancée, c'est à sa force qu'elle le doit, et si, dans son silence, elle réfléchit encore, c'est une preuve de sa prudence. « Or, elle se demandait ce que signifiait cette salutation. » Sans doute notre Vierge prudente savait qu'il arrive quelquefois que l'ange de Satan se transfigure en ange de lumière, et, comme elle était aussi humble que simple, elle ne pouvait croire que ce salut lui vînt d'un ange véritable: aussi se demandait-elle ce que signifiait cette salutation. 10. Alors l'Ange, considérant la Vierge et remarquant sans peine qu'elle était intérieurement en proie à des pensées bien différentes, dissipe ses appréhensions, chasse ses doutes, et, l'appelant familièrement par son nom, il lui dit avec bonté de ne rien craindre. « Ne craignez point, Marie, lui dit-il, car vous avez trouvé grâce devant Dieu (Luc, I, 30). » Il n'y a là ni piège ni ruse; ne craignez ni trame perfide; ni embûches. Je ne suis point un homme, mais un ange, et un ange non de Satan, mais de Dieu. « Ne craignez donc point, Marie, vous aven trouvé grâce devant Dieu. » Oh! si vous pouviez savoir à quel point votre humilité est agréable à Dieu et quelle élévation vous attend auprès de lui! Vous ne vous jugeriez point indigne des entretiens d'un ange, non plus que de ses hommages. Sur quoi me fonderai-je, en effet, pour dire que vous n'avez point trouvé grâce aux yeux des anges, quand vous avez trouvé grâce auprès de Dieu? Vous avez trouvé ce que vous cherchiez, mais ce que personne n'a trouvé avant vous; vous avez, dis-je, trouvé grâce devant Dieu. Mais de quel grâce est-il ici question ? De celle qui rétablit la paix entre Dieu et l'homme, qui détruit la mort et répare la vie. Voilà la grâce que vous avez trouvée auprès de Dieu. Et la preuve, c'est que « Vous allez concevoir dans votre sein pour l'enfanter ensuite, un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus, (Luc, I, 31). » Comprenez, Vierge prudente, au seul nom du fils qui vous est promis, quelle grâce unique vous avez trouvée devant Dieu, «Vous lui donnerez le nom de Jésus, » dit-il ; or, un autre Évangéliste nous donne le sens de ce nom, en rapportant ainsi la manière dont l'Ange lui-même l'a expliqué : « Parce que ce sera lui qui sauvera son peuple et le délivrera de ses péchés (Matth., I, 21). » 11. Je trouve qu'il y a eu deux Jésus, qui furent la figure de celui dont il est parlé ici, et tous les deux furent placés à la tête d'Israël. L'un ramena son peuple de Babylone (Esdr., II et V) ; l'autre le fit entrer dans la terre promise (Josue, XXI et XXXIII). Mais s'ils purent l'un et l'autre protéger leur peuple contre les attaques de ses ennemis, ils étaient hors d'état de le délivrer de ses péchés. Le Nôtre, au contraire, non-seulement délivre son peuple de ses péchés, mais encore l'introduit dans la terre même des vivants; « Car il sauvera son peuple et le délivrera de ses péchés. » Or, quel est-il celui-là qui remet même les péchés? Plaise au ciel que le Seigneur Jésus daigne nie compter dans son peuple, et me sauver de mes propres péchés ! On peut bien dire en vérité que le peuple dont ce Jésus est le Seigneur et le Dieu, est vraiment bienheureux, puisqu'il doit sauver son peuple de ses péchés. Mais jai bien peur qu'il n'y en ait beaucoup qui se disent de son peuple et n'en soient point en effet; oui je crains qu'il une dise un jour à quelques-uns de ceux qui semblent plus religieux que les autres dans sont peuple : « Ces gens-là m'honorent du bout des lèvres, mais leur coeur est loin de moi (Matth., XV, 8 et II Tim., II, l9). » Car le Seigneur Jésus connaît ceux qui sont à lui, il sait quels sont ceux qu'il a élus dès le principe. « Pourquoi, dit-il, m'appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous point ce que je vous dis (Luc, VI, 46) ? » Voulez-vous savoir si vous appartenez ou plutôt voulez-vous appartenir à son peuple ? Faites ce qu'il vous dit, et vous serez compté parmi les siens. Oui, faites ce qu'il vous prescrit lui-même dans son Evangile, ce qu'il vous ordonne dans la loi et les Prophètes, ce qu'il vous commande par ses ministres dans l'Eglise; obéissez à ses vicaires, je veux dire à vos supérieurs, non-seulement à ceux qui sont bons et faciles, mais même à ceux qui sont difficiles; apprenez aussi de ce même Jésus qu'il es doux et humble de coeur et vous serez de ce peuple heureux qu'il s'est choisi pour héritage, vous serez de ce peuple digne de louanges que le Seigneur Dieu des armées a béni en disant: « Tu es l'oeuvre de mes mains, Israël, tu es mon héritage (Isa., XIX, 25). » Mais de peur que vous ne confondiez ce peuple avec le peuple charnel d'Israël , il lui rend encore ce témoignage. « Un peuple que je n'avais point connu s'est soumis à moi et il m'a obéi dès qu'il a entendu ma voix (Psalm., XVXX, 45). » 12. Mais écoutons ce que l'Ange pense de celui à qui il donne un nom avant même qu'Il soit conçu : « Il sera grand, dit-il, et sera appelé le Fils du Très-Haut (Luc, I, 32). » Certainement, celui qui aura l'honneur « d'être appelé le Fils du Très-Haut, » ne peut manquer d'être « grand lui-même. » En effet, n'est-il pas grand celui « dont la grandeur n'a point de bornes (Psalm., CXLXV, 3) ? » D'ailleurs, « qui est grand comme notre Dieu. » Effectivement il est grand, car il ne l'est pas moins que le Très-Haut, étant lui-même aussi le Très-Haut, attendu que le Fils de Dieu ne saurait croire que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu (Philipp., II, 6). Celui qui doit être regardé comme un usurpateur, c'est celui qui tiré du néant pour être fait ange, osa se comparer à son Créateur, et revendiquer pour soi ce qui est le propre du Fils du Très-Haut, qui ne fut point créé par son Père, mais engendré en la forme de Dieu. Car si le Trés-Haut, Dieu le Père, tout-puissant qu'il soit, ne put faire une créature égale à lui, il n'a pas pu non plus engendrer un Fils qui lui fût inférieur. Il a fait l'ange grand, mais non point aussi grand que lui, à plus forte raison, ne l'a-t-il point fait Très-Haut. Il n'y a que le Fils unique qui ait été sinon fait, du moins engendré Tout-Puissant par le Tout-puissant, Très-Haut par le Très-Haut, Eternel par l'Eternel, et qui puisse, sans usurpation et sans injure pour Dieu, se comparer en tout à luis C'est donc avec raison qu'il est dit que celui qui est le Fils du Très-Haut sera grand lui-même. 13. Mais pourquoi est-il dit: « Il sera, » au lieu de dire il est grands, puisqu'il est toujours également grand, qu'il ne peut le devenir davantage, et qu'il ne saurait être plus grand après sa conception, qu'il ne l'était ou l'avait été auparavant. L'Ange ne se serait-il point servi de ce mot, « il sera, » pour indiquer que celui qui déjà était grand entant que Dieu, serait grand aussi en tant qu'homme ? Oui, « il sera effectivement grand ; » grand comme homme, grand comme docteur, grand comme prophète, car voici en quels termes il est parlé de lui dans l'Evangile, «un grand prophète a paru parmi nous (Luc, VII, 16). » Or ce grand prophète a été prédit ainsi par un moindre prophète que lui. « Voici venir un grand prophète qui renouvellera Jérusalem. » Et vous, ô Vierge, si celui que vous allez enfanter, nourrir et allaiter, n'est qu'un tout petit enfant, en voyant ce petit enfant, songez qu'il sera grand. Oui, il sera grand, car Dieu même l'élèvera tellement en gloire' en présence des puissants du monde, que peuples et rois l'adoreront et le serviront. Que votre âme exalte donc le Seigneur, b Marie, car« il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut. Il sera grand et le Tout-puissant, lui dont le nom est saint, et il fera de grandes choses en vous Quel nom en effet est plus saint que celui qui « sera le nom du fils du Très-Haut? » Et nous aussi qui sommes petits, disons les louanges du Seigneur qui est grand, mais qui s'est fait petit lui-même afin de nous faire grands aussi. « Un petit enfant est né pour nous, dit le Praphète, et un fils nous a été donné (Isa., IX, 6). » Oui, il est né pour nous, non point pour lui, cet enfant qui a reçu de son Père avant les tempe une naissance bien plus glorieuse, n'avait pas besoin de naître encore d'une simple mère dans le temps. Il n'est pas né non plus pour les anges, car ils l'avaient dans sa grandeur et n'avaient pas besoin de l'avoir petit enfant. C'est donc bien pour nous qu'il est né et à nous quil a été donné, parce qu'il n'y a que nous qui eussions besoin de lui. 14. Il ne nous reste plus maintenant qu'à faire avec celui qui nous est né et qui nous a été donné, ce pour quoi il nous est né et nous a, été donné: Servons-nous de lui puisqu'il est à nous, pour notre propre bien et, avec le Sauveur, opérons notre salut. Il est là au milieu de nous, ce petit enfant. O petit enfant que les petits appellent de tous leurs voeux ! O enfant effectivement petit en malice sinon en sagesse! Travaillons à devenir tels que ce petit enfant-là; apprenons de lui qu'il est doux et humble de coeur, afin que notre grand Dieu ne se soit pas fait petit pour rien, ne soit pas mort pour rien, n'ait pas été crucifié pour rien. Apprenons son humilité, imitons sa mansuétude, embrassons son amour, partageons sa passion et lavons-nous dans son sang. Offrons-le comme une victime de propitiation pour nos péchés, car ce n'est pas pour autre chose qu'il nous est né et qu'il nous a été donné. Oui, exposons-le aux yeux de son père et à ses propres yeux à lui-même, car le Père n'a point épargné son propre Fils, il l'a même livré pour nous (Rom., VIII, 32) ; le Fils lui-même s'est anéanti en prenant la forme de l'esclave (Philipp., II, 7), il a livré son âme à la mort, a été mis au nombre des scélérats, s'est chargé de nos péchés à tous et a prié pour les pécheurs afin qu'ils ne périssent point (Isa., LIII, 12). Ceux pour qui le Fils a prié afin qu'ils ne périssent point ne sauraient périr, de même que ceux pour qui le Père a livré son propre Fils à la mort, ne peuvent que vivre. Il y a donc lieu d'espérer également de l'un et de l'autre notre pardon puisqu'ils ont l'un et l'autre fait preuve d'une égale miséricorde dans leur bonté, qu'ils ont sine volonté d'une égale puissance et qu'ils n'ont l'un et l'autre qu'une seule et même substance, la substance divine dans laquelle Dieu le Saint-Esprit vit et règne avec eux dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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