CARÊME II
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DEUXIÈME SERMON POUR LE PREMIER JOUR DU CARÊME. Comment nous devons nous convertir au Seigneur.

 

1. Maintenant donc, dit le Seigneur Tout-Puissant, convertissez-vous à moi, de tout votre coeur, dans les jeûnes, dans les larmes et dans les gémissements. Déchirez vos coeurs, non vos vêtements (Joël. II, 12.et 13). » Que veut dire le, Seigneur, quand il nous ordonne, mes bien aimés frères, de nous convertir à lui? En effet, n'est-il point partout et ne remplit-il point l'univers entier de sa présence ? Où me tourner pour me tourner vers vous, Seigneur mon Dieu? Si je monte dans le ciel, vous y faites votre demeure, et si je descends dans l'enfer, vous y êtes présent (Psal. CXXXVIII, 8). Que voulez-vous que je fasse ? Où me tourner pour me tourner vers vous ? Est-ce en haut, est-ce en bas? Est-ce à droite, est-ce à gauche, que je me tournerai ? Mes frères, ces paroles' cachent une pensée, un secret qui n'est dévoilé qu'aux amis. C'est un mystère du royaume de Dieu, il n'en est parlé ouvertement qu'aux apôtres, dans le tuyau de (oreille, quant au reste des hommes, il ne leur est parlé qu'en paraboles. « Si vous ne vous convertissez, dit-il, et si vous ne devenez semblables à ce petit enfant, vous n'entrerez point, dans le royaume des cieux (Matt. XVIII, 3).» Je comprends parfaitement maintenant en quel sens il veut que nous nous tournions vers lui. C'est vers lui enfant, qu'il veut due nous nous tournions, afin que nous apprenions de lui qu'il est doux et humble de mur; il ne nous a été donné enfant que pour cela. Sans doute il est grand aussi, mais il ne l'est que dans la cité de Dieu, à qui s'adressent ces paroles : « Séjour de Sion, tressaille d'allégresse et loue le Seigneur, parce que le grand Saint d'Israël est dans ton sein (Isa. XII, 6). » O homme, pourquoi t'enfles-tu? Pourquoi t'élèves-tu sans cause ? Pourquoi ces pensées de grandeur et ces regards toujours dirigés vers ce qui est élevé et qui ne peut être bon pour toi? Sans doute, le Seigneur est grand, mais ce n'est pas en tant que tel qu'il t'est proposé en exemple ; s'il faut louer sa grandeur, on ne saurait en même temps l'imiter. Sa magnificence est également élevée, tu ne pourras jamais l'égaler, en vain tu t'enflerais au point d'en crever, jamais tu ne pourras y atteindre. Il est dit ; « L'homme descendra au fond de son cœur et Dieu sera éleva, LXIII, 8 ). » En effet, Dieu est élevé, mais il regarde les choses basses et humbles et ne voit que de loin celles qui sont élevées (Psal. CXXXVII, 6). » Telle est la loi de la piété, et c'est pour l'établir que vous avez tant souffert, Seigneur. S'il nous avait indiqué la voie de la grandeur, et que ce fut la seule qui conduisit au salut de Dieu, que ne feraient point les hommes pour s'élever? Avec quelle charité ils se renverseraient les uns les autres, et se fouleraient aux pieds ? Avec quelle impudence ils ramperaient sur les pieds et sur les mains, pour arriver en haut, et pour s'élever au dessus de tous leurs semblables? Or, il est certain que ceux qui veulent s'élever au dessus de leurs voisins, rencontreront bien des difficultés, auront beaucoup de rivaux, trouveront bien des contradicteurs, bien des gens qui s'efforceront aussi de s'élever de leur côté. Au contraire, rien de plus facile que de s'humilier si on le veut. Voilà, mes bien-aimés, ce qui nous rend tout à fait inexcusables et ne nous laisse pas la ressource du voile le plus léger.

2. Mais voyons maintenant comment nous pourrons nous tourner vers cet enfant, vers ce maître de mansuétude et d'humilité : « Convertissez-vous à moi, dit le Seigneur, de tout votre coeur. » Mes frères, si le Seigneur s'était contenté de nous dire : « convertissez-vous, sans rien ajouter, peut-être aurions-nous pu répondre : c'est fait, vous pouvez maintenant nous prescrire autre chose. Mais il nous parle là, si je l'entends bien, d'une conversion toute spirituelle, qui ne saurait être l'œuvre d'un seul jour; plût au ciel même qu'elle pût s'accomplir pendant le cours entier de la vie présente. Quant à la conversion du corps, si elle est seule, elle est nulle, car cette sorte de conversion, qui n'en est pas une véritable, n'est qu'une vaine apparence de conversion. Combien à plaindre est l'homme qui, tout entier adonné aux choses du dehors, et oublieux de sou intérieur, se croit quelque chose tandis qu'il n'est rien ! il se trompe lui-même. « Je me suis répandu comme l'eau, dit le Psalmiste, et tous mes os se sont disloqués (Psal. XXI, 5).» Un autre Prophète a dit aussi : « Des étrangers ont dévoré toute. sa joie et il ne s'en est même point aperçu (Osee. VII, 9). » Comme il ne regarde que l'extérieur il croit que tout va bien pour lui, parce qu'il ne voit point le ver qui le ronge à l'intérieur. Il a toujours la tonsure, ses vêtements n'ont point changé, il pratique ses jeûnes et chante l'office aux heures indiquées , mais « son cœur est bien loin de moi, dit le Seigneur (Marc. VII, 4). »

3. Mais veuillez remarquer quel est l'objet de votre (a) amour ou de votre crainte, de votre joie ou de votre tristesse, et vous trouverez que vous avez un coeur mondain sous l'habit du religieux, un cœur pervers sous les dehors de la conversion. Le cœur est en effet tout entier dans ces quatre sentiments, et je crois que c'est d'eux qu'il faut entendre ces mots, convertissez-vous à Dieu de tout votre coeur. Que votre cœur se convertisse donc, c'est-à-dire, qu'il n'aime que Dieu ou du moins que pour Dieu; que votre crainte se convertisse également à lui,

 

a — Les Anciens ne reconnaissaient que ces quatre passions, parce que toutes les autres découlent de celles-là. Saint Bernard s'exprime comme eux, ainsi qu'on peut le voir encore dans le quatorzième sermon sur le Psaume quatre-vingt-dixième, n. 9 dans le cinquantième des Sermons divers, n. 2 et 3,   dans le quatre-vingt-cinquième sermon sur le Cantique des cantiques n. 5, dans le cinquième livre de la Considération, 9 et dans le traité de l'Amour de Dieu n. 23.

 

car toute crainte qui n'a pas Dieu pour objet, ou ne se rapporte pas à lui, est mauvaise. De même que votre joie et votre tristesse se convertissent à lui de la même manière. Or il en sera ainsi, si vous ne vous affligez ou ne vous réjouissez qu'en lui. Que peut-il se voir, en effet, de plus pervers, que. de se réjouir quand on a mal fait, et d'être heureux des pires choses ? D'un autre côté toute tristesse qui est selon la chair donne la mort (II Cor. VII, 10). Si donc vous vous affligez à cause de vos péchés ou de ceux du prochain, c'est bien, et votre tristesse est salutaire. Si vous vous réjouissez des grâces de Dieu, votre joie est sainte, et vous pouvez la goûter en toute sécurité dans le Saint-Esprit. Vous devez même vous réjouir, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, du bonheur de vos frères, et gémir de même de leurs malheurs, selon ce qui est écrit : « Soyez dans la joie avec ceux qui s'y trouvent, et dans les larmes avec ceux qui en versent (Rom. XII, 15). »

4. Toutefois il faut bien se garder de mépriser même la conversion du corps, attendu qu'elle n'est pas une preuve sans importance de la conversion du coeur. Voilà pourquoi, dans le passage que j'ai cité, le Seigneur, après avoir dit : «de tout votre coeur, » ajoute : « dans le jeûne, » ce qui ne concerne que le corps. Mais à ce sujet, je veux que vous sachiez bien, mes frères, que vous devez jeûner non-seulement des aliments du corps, mais de tout ce qui flatte la chair et de tout ce qui est un plaisir pour le corps. Je dis plus, vous devez jeûner plus rigoureusement de vices que de pain. Il est même un pain dont je ne veux pas que vous jeûniez jamais, de peur que vous ne tombiez en défaillance le long du chemin ; et si vous ne savez de quel pain je veux parler, je vous dirai que c'est du pain de vos larmes, selon les paroles mêmes de mon texte: « dans le jeûne, dans les larmes et les gémissements. » En effet, le regret de notre vie passée réclame de nous des gémissements, et le désir de la félicité future doit faire couler nos larmes. Le Prophète a dit : « Mes larmes ont été mon pain le jour et la nuit, quand on me disait tous les jours, où est ton Dieu (Psal. XLI, 4). » La nouveauté de cette vie a peu de charmes pour celui qui ne gémit point sur le passé, qui ne déplore point les péchés qu'il a commis, et qui ne pleure point sur le temps perdu. Si vous ne pleurez point, c'est que vous ne sentez pas les blessures de votre âme, les coups portés à votre conscience. De même vous ne ressentez pas un bien vif désir des joies futures si vous ne les appelez point tous les jours avec larmes, et vous les connaissez bien peu, si votre âme ne refuse pas toute consolation jusqu'à ce qu'elle en jouisse.

5. Puis, le Prophète continue : « déchirez vos coeurs et non point vos vêtements. » Ces paroles sont évidemment un reproche adressé à la dureté de coeur et aux vaines superstitions des Juifs. En effet, ils déchiraient volontiers leurs vêtements mais non leurs coeurs. Comment d'ailleurs auraient-ils pu déchirer des coeurs de pierre qu'on ne pouvait même circoncire. « Déchirez vos coeurs, dit donc le Prophète, et non vos vêtements. Où est parmi nous celui dont la volonté tient ordinairement un peu trop de l'entêtement ? Que celui-là déchire son coeur avec le glaive de l'esprit, qui n'est autre que la parole de Dieu. Qu'il le brise et se hâte de le réduire en poudre, car ce n'est point se convertir à Dieu de tout son coeur, que de le faire sans l'avoir brisé. Et jusqu'à ce qu'on le retrouve dans cette Jérusalem dont toutes les parties sont dans une parfaite union entre elles, il nous sera toujours prescrit bien des choses : Or si nous péchons en un point de la loi, nous sommes coupables comme l'ayant violée tout entière (Jac. II. 10). Le sage a dit : « L'esprit du Seigneur est multiple (Sap. VII, 22); » or comment suivre un esprit multiple si on ne se multiplie soi-même. Mais écoutez un homme que Dieu avait- trouvé selon son coeur. « Mon Dieu, mon cœur est préparé, dit-il, mon coeur est prêt (Psal. LVI, 8). » Préparé à l'adversité, préparé pour la prospérité : prêt pour les grandes choses, prêt pour les humbles, il est prêt à tout ce que vous ordonnerez. Voulez-vous faire de moi un pasteur de brebis? voulez-vous me placer à la tête des peuples? Mon cœur est tout prêt, Seigneur, mon cœur est préparé. Qui est comme David, disposé à sortir, ou à entrer, ou hier. à marcher à la volonté du Roi ? Il disait encore, en parlant des pécheurs : « Leur cœur s'est épaissi comme le lait, mais pour moi je me suis appliqué à la méditation de votre loi (Psal. CXVIII, 70). » La dureté du coeur, l'obstination de l'esprit ne viennent que de ce que nous méditons notre propre volonté, au lieu de méditer la loi de Dieu.

6. Eh bien, mes chers amis, déchirons donc nos coeurs, et conservons nos vêtements intacts. C'est un bon vêtement que la charité, un excellent vêtement que l'obéissance. Heureux ceux qui la conservent avec soin, pour ne point aller nus. D'ailleurs, «bienheureux ceux dont les péchés sont couverts (Psal. XXXI, V) ; » or, « La charité couvre une multitude de péchés (Jac. , 20). » Oui, déchirons nos coeurs, selon ce qui est dit, pour conserver entiers ces vêtements-là, comme a été conservée intacte la robe du Sauveur. Non-seulement se déchirer le cœur est un moyen de conserver sa robe entière, mais c'est même la manière d'en faire une robe traînante, et de couleurs variées, telle que celle que le Patriarche Jacob a donnée au fils qu'il aimait plus que tous ses autres enfants (Gen. XXXVII, 3). C'est en effet le moyen de persévérer dans les vertus et de donner à la vie entière de belles et harmonieuses couleurs. C'est de ce déchirement du cœur que vient la beauté de celle qui est la fille du Roi, au milieu des franges d'or et des divers vêtements dont elle est environnée (Psal. XLIV, 15). Cependant on peut encore entendre d'une autre manière ce déchirement du coeur, en ce sens que s'il est mauvais, il faut, en le déchirant, l'ouvrir à la componction et, s'il est dur, l'ouvrir à la compassion. En effet, n'ouvre-t-on point un ulcère pour livrer passage à l'humeur corrompue qu'il renferme ? Pourquoi donc ne déchirerait-on point le coeur pour qu'il se répande par les entrailles de la charité ? il est doublement boit qu'il soit ainsi déchiré, pour que  le virus du péché ne demeure point enfermé et caché dans le coeur, et pour que nous ne fermions point les entrailles de la miséricorde à notre prochain dans le besoin, afin que nous puissions, nous aussi, obtenir miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est Dieu et béni par-dessus tout, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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