SEPTUAGÉSIME I
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PREMIER SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA SEPTUAGÉSIME.

 

1. Mes frères, je trouve une grande consolation dans ces paroles du Seigneur: « Celui qui est enfant de Dieu, écoute la parole de Dieu (Joan. VIII, 47). » C'est donc pour cela que vous l'écoutez si volontiers, c'est parce que vous êtes des enfants de Dieu. Je sais bien qu'il est dit dans un autre endroit de la sainte Ecriture . « Tout a été fait de lui, par lui et en lui (Rom. III, 36). » Mais ceux qui, selon l'expression de saint Jean, « ne sont pas nés du sang ni de la volonté de la chair, mais de Dieu (Joan. I, 13), » sont nés de lui, d'une tout autre manière ; ce qui fait dire au même Évangéliste, dans une de ses épîtres : « Quiconque est né de Dieu ne pèche point, son origine céleste le préserve du péché (I Joan. V, 18). » Quand il dit qu'il ne pèche point, il veut dire qu'il ne persévère point dans le péché, attendu que son origine céleste, qui ne peut être déçue, le conserve et l'empêche de périr : ou bien encore il ne pèche point, c'est-à-dire il est comme s'il ne péchait point, attendu que son péché a ne lui est pas imputé, c'est en cette manière-là que son origine céleste le conserve. Mais qui pourra parler de cette génération-là? Qui peut dire : moi, je suis du nombre des élus, je compte parmi les prédestinés à la gloire éternelle; je suis un des enfants de Dieu ? Oui, je le demande, qui est-ce qui peut parler de la sorte? Surtout quand on entend l'Écriture sainte protester en ces termes : « Personne ne sait s'il est digne d'amour ou de haine (Eccles. IX. 1). » Il est certain que nous ne sommes point assurés de notre salut; mais l'espérance, qui s'appuie sur la foi, nous console et empêche que nous ne soyons torturés par l'inquiétude et le doute, à ce sujet. Aussi, nous at-il été donné des indices et des signes si manifestes de salut, qu'il n'est pas permis de douter que ceux en qui ils se rencontrent, ne soient du nombre des élus. Oui, c'est pour cela, que ceux qu'il a connus dans sa prescience éternelle, Dieu les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image  de son Fils; il a voulu, s'il leur refusait la certitude du salut, afin de les maintenir dans une sorte de sollicitude à ce sujet, leur donner au moins dans l'espérance, la grâce de la consolation. Aussi, voilà pourquoi nous devons toujours être inquiets, et nous humilier avec crainte et tremblement sous la main puissante de Dieu; car si nous pouvons savoir, en partie du moins, ce que nous sommes maintenant,

 

a On peut consulter à propos de ce passage, le quatrième des Serinons divers, le traité De la grâce et du libre arbitre, et nos notes de la tin du volume, sur cet endroit.

 

il nous est de toute impossibilité de prévoir ce que nous serons un jour. Que celui donc qui est debout prenne toujours garde de tomber, et qu'il s'efforce à persévérer, et même de s'affermir par de nouveaux progrès dans le genre de vie qui est un indice et une présomption de prédestination.

2. Or, de tous les signes qui nous donnent quelque confiance, et qui nous permettent de concevoir une certaine espérance, le plus grand est celui dont nous avons parlé en commençant : « Quiconque est né de Dieu, écoute la parole de Dieu. » On en trouve quelquefois qui écoutent les paroles de Dieu, comme si ce qu'on dit ne les regardait point. Ils l'écoutent sans rentrer en eux mêmes, sans examiner leur conduite, sans se demander même si, par hasard, ce qu'ils entendent n'a point été dit pour eux. Bien plus, s’il arrive que la parole de Dieu, qui est pleine de vie et d'efficacité, qui va frapper là où il lui plaît, à son gré, non point au gré de celui qui parle, si, dis-je, il arrive que cette parole s'attaque ouvertement aux vices dont ils se sentent atteints, ils détournent les yeux de leur coeur, ou inventent je ne sais quelle excuse pour pallier leurs défauts, et se séduisent ainsi misérablement eux-mêmes. Dans ces gens-là je ne trouve pas les signes de salut, ou même je crains plutôt que, s'ils n’écoutent point la parole de Dieu, ce ne soit parce qu'ils ne sont point nés de Dieu. Chez vous, mes frères, j'en rends grâce à Dieu, je trouve des oreilles qui savent écouter, je vois sans doute dans la manière dont vous vous hâtez d'en profiter, les fruits de la parole de Dieu en vous, mais bien plus, je le confesse, il me semble, même pendant que je vous parle, que; je sens le désir, l'ardeur dont vous êtes embrasés de cette parole; d'ailleurs, plus vous sucez le lait de la parole avec avidité, plus le Saint-Esprit, par sa grâce, en remplit rites mamelles; plus vous buvez rapidement ce que je vous verse, plus je reçois de quoi vous verser encore. C'est ce qui fait que je vous fais entendre la parole de Dieu un peu plus souvent que ce n'est la coutume de notre ordre ! je sais d'ailleurs qui est celui qui a dit : « Tout ce que vous dépenserez de plus, je vous le rendrai à mon retour (Luc. X, 35). »

3. Aujourd'hui, mes frères, nous célébrons le commencement de la septuagésime dont le nom est assez connu dans l'Eglise entière. Eh bien , mes très-chers frères, je vous dirai que ce nom me cause plusieurs souffrances dans l'âme. D'abord je suis ému jusqu'au fond du coeur, au souvenir de cette patrie où tout excède tout nombre, toute mesure et tout poids, après laquelle je soupire ardemment. Combien de temps encore ne recevrai-je tous les biens de l'âme et du corps qu'avec poids, nombre et mesure ! combien n'y a-t-il point de mercenaires dans la maison de mon père, qui ont du pain en abondance, tandis que moi, je meurs de faim? Car, c'est du pain matériel qu'il a été dit à Adam et que la malédiction est passée jusqu'à nous : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front (Gen. III, 19), » et lorsque j'ai travaillé, on me pèse le pain qu'on me donne, on me mesure mon breuvage, et mes autres aliments me sont comptés. Oui, voilà comment sont les choses en cette vie du corps. Comment sont-elles dans celle de l'âme ? Je ne mange qu'après avoir soupiré; et encore, plût à Dieu que je reçusse quelques débris du céleste festin mémé, après que j'ai gémi et pleuré, et que, semblable à un petit chien, je pusse ramasser les miettes qui tombent de la table de mes maîtres ! O Jérusalem, cité du grand Roi qui te nourrit du plus pur froment, et que le cours d'un fleuve remplit de gaîté ! Dans tes murs, il n'y ,a plus ni poids ni mesure, tout est satiété, abondance extrême. Tu ne connais même point de nombre, attendu qu'en toi tous participent au même bien. Mais moi, qui suis tout entier dans le changement et dans le nombre, quand me sera-t-il donné d'arriver à cette cité que je recherche de tous mes venus? quand, Seigneur, votre gloire se manifestera-t-elle à moi et en serai-je rassasié ? Quand m'enivrerai-je de l'abondance de votre demeure , et me désaltérerai-je au torrent de vos voluptés? Car maintenant les gouttes qui en tombent sur la terre sont si petites, que c'est à peine si je puis avaler ma propre salive.

4. Oui, mes frères, il est très-vrai que maintenant tout nous est donné avec poids, avec mesure et avec nombre; mais un jour viendra qu'il n'en sera plus ainsi. En effet, pour ce qui est du nombre, nous lisons quelque part : « La sagesse est sans nombre (Psal. CXLVI, 5). » Quant au poids, entendez l'Apôtre nous parler d'un poids où il n'y a plus de poids, « d'un poids excessif et éternel d'une souveraine et incomparable gloire (II. Cor. IV, 17). » L'entendez-vous, un poids éternel, mais un poids excessif, comme il a soin de le dire auparavant ? Et Jésus-Christ, ne l'entendez-vous point promettre une mesure sans mesure; « une mesure bien foulée, bien pressée, et qui se répandra par dessus les bords (Luc. VI, 38) ? » Mais quand verrons-nous ces choses? Sans doute quand nous serons arrivés au terme de la présente septuagésime, je veux dire à la fin de notre captivité. Nous lisons, en effet, que pour les enfants d'Israël, le terme marqué à leur captivité de Babylone, fut une septuagésime d'années (Jérem. XXV, et XXIX). En effet, quand elle se fut écoulée, ils revinrent dans leurs foyers, le temple fut relevé de ses ruines, et leur ville fut rebâtie. plais nous, mes frères, quand finira cette autre captivité qui dure depuis le commencement du monde ? quand en verrons-nous tomber les liens ? Quand se relèvera pour nous la sainte Jérusalem ? Ce sera sans doute à la fin de cette septuagésime qui se compose du nombre dix et du nombre sept, à cause des dix commandements de Dieu qui nous ont été faits et des sept obstacles qui retardent notre marche dans la voie de ces commandements.

5. Le premier obstacle que nous rencontrons et qui absorbe une partie de notre temps, ce sont les nécessités de ce misérable corps ; qui doute, en effet, que nous soyons fréquemment détournés des exercices spirituels, par le besoin de prendre du sommeil, de la nourriture, des vêtements et le reste ? Eu second lieu, nous sommes encore retenus par les vices de l'âme, tels que la légèreté, les soupçons, les mouvements d'impatience et d'envie, le désir de la louange et le reste que nous éprouvons tous les jours en nous. Le troisième et le quatrième obstacle consistent dans les prospérités et dans les adversités de ce monde. Car, de même que le corps, parce qu'il est corruptible, appesantit l'âme, ainsi notre habitation terrestre pèse, sur un esprit qui songe à mule choses à la fois. (Sap. IX, 15). Prenez donc doublement garde de tomber dans les filets de la tentation, et cherchez les armes de la justice, pour la repousser, à droite et à gauche. Le cinquième, le plus grave et le plus redoutable obstacle, se trouve dans l'ignorance. En mille circonstances, en effet, nous ne savons point ce que nous devons faire, si bien que nous ignorons même ce que nous devons demander à Dieu dans la prière, pour le prier comme on doit le faire (Rom. VIII, 26). Le sixième obstacle est la présence de notre ennemi, qui tourne autour de nous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer (I. Petr. V, 8). Plût au ciel que nous en fussions quittes pour ces six obstacles à surmonter, et que le septième ne nous atteignit point, et que nous n'eussions aucun péril à redouter des faux frères. Oui plût à Dieu que nous n'eussions à essuyer d'assaut , que des esprits malins avec leurs suggestions, et que les hommes ne pussent nous nuire par leurs pernicieux exemples, par leurs conseils importuns, par leurs paroles flatteuses on. médisantes, et de mille autres manières encore. Vous voyez combien il nous est nécessaire, pour triompher de ces sept obstacles qui s'opposent à notre marche, que nous soyons aidés des sept dons du Saint-Esprit. C'est donc à cause de ces sept obstacles, qui nous retardent dans la voie des commandements de Dieu, que nous passons le temps dans les larmes de la pénitence, le temps de 1a Septuagésisme, pendant lequel nous cessons de chanter le solennel Alleluia (a), et nous reprenons, des le commencement, la lamentable histoire de la chute de l'homme.

 

a L'usage s'était établi partout, dans l'Eglise, depuis   le siècle de Grégoire le Grand, de supprimer l'Alleluia à partir de la Septuagésime. Mais les Cisterciens ne cessaient de le chanter qu'à partir de la Quadragésime, ainsi que Abeilard l'objecta à saint Bernard dans sa cinquième lettre; la règle de saint Benoît, chapitre XV, l'avait réglé, ainsi. Cependant bien longtemps avant saint Bernard, les abbés au Synode d'Aix-la-Chapelle, en 817, s'étaient rangés à l'usage de Rome. Mais cet usage n'existait point encore du temps de saint Benoit; on ne connaissait même pas, à cette époque, la fête de la Septuagésime. Le quatrième concile de Tolède, en 633, canon onzième, parle de cet usage comme étant déjà ancien.

 

 

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON SUR LE PREMIER SERMON POUR LA SEPTUAGÉSIME, n. 1.

  273. « Il est comme s'il ne péchait point, etc. Ce passage,  et tous les endroits semblables qui pourraient se rencontrer dans saint Bernard, ne favorisent aucunement la triple erreur des hérétiques. Ils n'abondent point dans le sens de Jovinien non plus que dans celui de Pélage qui prétendaient que les justes passaient la vie entière sans péché. Ils ne sont pas plus favorables au sens de Calvin et de ses partisans qui soutiennent que le juste ne peut plus perdre la charité. Enfin ils ne sauraient être invoqués par ceux qui disent que les fidèles ne sont justifiés que par la non-imputation de leurs péchés.

Pour ce qui est de la première de ces erreurs, le saint Docteur explique clairement sa pensée dans le XXIII sermon sur le Cantique des cantiques, n.15. Il l'explique bien plus clairement encore dans le chapitre ix de son traité de la Grâce et du libre Arbitre. En effet, à propos de ce passage de saint Jean, chapitre ni, il s'exprime en ces termes : « Mais cela n'est dit que de ceux qui sont prédestinés à la vie éternelle en ce sens, non pas qu'ils ne pèchent point du tout, mais que, s'ils pèchent, leur péché ne leur est point imputé, soit parce qu'ils l'ont expié par de dignes fruits de pénitence, soit parce qu'ils l'ont couvert du manteau de la charité. »

Quant à la seconde erreur, voici, en ce qui concerne l'admissibilité de la grâce, comment il s'exprime dans sa lettre XLII, à Henri archevêque de Sens, au chapitre IV, à propos de la foi feinte : « Il y a donc des âmes qui perdent la foi, la Vérité même nous l'affirme, et qui perdent en même temps le salut, puisque le Sauveur leur en fait un reproche, d'où je conclus qu'ils perdent en même temps la charité sans laquelle on ne peut être sauvé. etc. » Voir Melchior Canus livre IV, des lieux théologiques, chapitre dernier, à la réponse au huitième argument, et Guillaume Estius sur le passage précité de saint Jean, et on aura leur avis sur le sentiment de saint Bernard.

Enfin, en ce qui concerne la troisième erreur, notre saint Docteur enseigne très-clairement que, la justification ne consiste pas dans la. seule non-imputation de nos péchés par Dieu, mais dans une certaine qualité surnaturelle. En effet, entre autres passages de ses oeuvres qu'on peut citer à l'appui de ce que nous avançons ici, on peut lire sa lettre XI aux Chartreux et ce qu'il a emprunté à cette lettre pour le faire passer dans le XII chapitre de son traité de l'Amour de Dieu, où il s'exprime en ces termes : « la charité donne la charité, la substance l'accident. Quand je parle de celle qui donne, je parle de la substance, et quand je parle de celle qui est donnée, je parle de l'accident. » On peut voir encore le sermon XXVII, sur le Cantique des cantiques. (Note de Mabillon.)

 

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