LETTRE CXXXIX
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

 

LETTRE CXXXIX. (Année 412.)

 

On remarquera dans cette lettre les efforts de saint Augustin pour arracher au glaive de la loi les donatistes coupables, et l'on verra aussi de quel poids d'affaires était constamment écrasée la vie de l'évêque d'Hippone.

 

AUGUSTIN A SON ILLUSTRE SEIGNEUR, A SON TRÈS-CHER ET TRÈS-DÉSIRÉ FILS MARCELLIN; SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. J'attends impatiemment les actes promis par votre excellence; je désire les faire lire dans l'église d'Hippone, et si cela se peut, dans toutes les églises de mon diocèse. Il faut que les hommes entendent et reconnaissent de quels crimes ont fait l'aveu ces ennemis, à qui la crainte de Dieu n'a point arraché le repentir; car l'action de la justice a pu seule rompre la dureté de ces coeurs cruels. Parmi eux se trouvent et ceux qui, d'après leur propre déclaration, ont tué un de nos prêtres, aveuglé et estropié un autre de nos frères; et ceux qui n'ont pas osé nier que ces crimes fussent à leur connaissance tout en affirmant qu'ils les condamnaient; ceux-ci repoussent la paix catholique sous prétexte de ne pas se souiller des iniquités d'autrui, et ils demeurent dans un schisme sacrilège au milieu d'une multitude de scélérats; enfin il en est qui ont été jusqu'à dire qu'ils resteraient dans le schisme, quand même on leur démontrerait la vérité catholique et le mensonge des donatistes. Ce n'est pas peu de chose ce que Dieu a voulu faire par votes. Plût à Dieu que vous eussiez beaucoup de causes de ce genre à entendre et de fréquentes occasions de mettre en lumière les iniquités , l'extravagance et l'opiniâtreté des donatistes ! Plût à Dieu que des actes semblables , publiés en tous lieux, répandissent la vérité par tout le monde ! Votre excellence écrit qu'elle ne sait pas si elle doit ordonner la publication de ces actes dans la Théoprépie (1) ; faites-le s'il y a de

 

1. C'était le nom d'une église de Carthage qui appartenait alors aux donatistes.

 

la foule par là; sinon, qu'on choisisse un lieu plus fréquenté, car il ne faut y manquer en aucune manière.

2. Quant à la peine qui doit suivre l'aveu de tels crimes, je demande, malgré leur énormité, que ce ne soit pas la mort; je le demande, soit pour notre conscience, soit pour qu'on rende hommage à la mansuétude catholique. L'avantage que nous tirerons de pareils aveux, ce sera de montrer la douceur que garde l'Eglise catholique envers ses ennemis les plus acharnés. En face d'atrocités semblables, toute peine qui ne sera pas l'effusion du sang sera considérée comme fort douce. Quelques-uns des nôtres, émus de ces cruautés, nous accuseront de faiblesse et de négligence; mais après ces premiers mouvements , qui sont l'effet ordinaire de crimes récents, on comprendra ce qu'il y a d'excellent dans notre conduite miséricordieuse, et nous lirons alors et nous montrerons plus volontiers ces mêmes actes, ô mon illustre Seigneur, très-cher et tres-désiré fils ! Notre saint frère et collègue dans l'épiscopat, Boniface, est auprès de vous; je vous ai envoyé un mémoire par le diacre Pérégrin, qui est parti avec lui  en entendant la lecture de ce mémoire, ce sera comme si vous m'entendiez. Décidez ensemble ce qui vaudra le mieux pour l'intérêt de l'Eglise, avec l'aide du Seigneur, qui a la puissance de nous secourir en de si grands maux. En ce moment, Macrobe , évêque donatiste, accompagné d'une bande de misérables des deux sexes, court çà et là dans les campagnes; il s'est fait ouvrir des églises que la crainte avait fermées. L'audace de cette troupe a été réprimée par la présence de Spondée , agent de l'illustre Céler, que je vous ai recommandé et que je vous recommande beaucoup encore ; mais depuis que celui-ci est parti pour Carthage, Macrobe s'est fait ouvrir les églises mêmes qui sont situées sur les terres de Céler et y réunit la multitude. Avec Macrobe se trouve Donat, le diacre rebaptisé pendant qu'il tenait à ferme un bien de l'Eglise : c'est lui qui a pris la principale part au meurtre de l'un de nos prêtres. Puisque Macrobe souffre un Donat, quels misérables ne sont pas avec lui ? Si le proconsul ou bien vous avec lui, vous prononcez la sentence contre les coupables et que lui, par hasard, persiste à vouloir les livrer au glaive, malgré sa qualité de chrétien et, autant du moins que j'ai pu le remarquer, son peu de penchant pour de telles sévérités, ordonnez, s'il est (296) nécessaire, que les lettres que je vous ai adressées à tous les deux soient jointes aux Actes. J'entends dire qu'il est au pouvoir du juge d'adoucir la sentence et de diminuer la peine prescrite par les lois. Si le proconsul n'a pas égard à mes lettres, qu'il lui plaise au moins d'ordonner que les coupables soient gardés en prison, et nous travaillerons à obtenir leur grâce de la clémence impériale : il ne faut pas que l'effusion du sang de nos ennemis déshonore les souffrances des serviteurs de Dieu qui doivent être une gloire pour l'Eglise. Car je sais que dans l'affaire des clercs d'Anaune tués par les païens et maintenant honorés comme des martyrs (1), l'empereur ordonna aisément que les meurtriers , qui étaient déjà retenus en prison, ne fussent pas punis de mort.

3. J'ai oublié pourquoi vous m'avez renvoyé les livres sur le baptême des enfants que j'avais adressés à votre excellence ; c'était peut-être pour que je les revisse et les corrigeasse, car je les ai trouvés pleins de fautes; mais il m'a été impossible d'y mettre la main jusqu'à présent; je n'ai pas même pu achever la lettre que j'avais commencé à dicter pour vous, quand j'étais là, et qui devait être jointe à mon ouvrage ; sachez qu'elle est restée imparfaite parce que j'y ai trop peu ajouté. Si je pouvais vous rendre compte de toutes mes journées et de tant de travaux indispensables qui m'occupent, vous gémiriez et vous vous étonneriez de la multitude d'affaires dont le poids m'accable et qu'il ne m'est pas possible de renvoyer; elles ne me permettent pas d'accomplir ce que vous me demandez avec instance et ce que je regrette extrêmement de ne pouvoir faire. Lorsque les besoins de ceux qui me pressent et qu'il ne m'est permis ni de repousser ni de dédaigner me laissent quelque repos, il ne me manque pas à dicter de préférence de ces choses qui se présentent à de tels moments qu'elles ne supportent pas le moindre retard. C'est ainsi que j'ai fait une assez grande besogne, l'abrégé de notre conférence de Carthage, dont personne ne voulait se charger à cause du monceau d'écritures qu'il fallait lire; c'est ainsi que j'ai écrit la lettre aux donatistes laïques sur cette même conférence; je l'ai achevée depuis peu, ainsi que deux autres lettres assez longues, l'une à votre adresse, l’autre à l'adresse de

 

1. Ce sont les saints martyrs Sisinnius, Martyrius et Alexandre, mis à mort en 397. Anaune est située aux environs de la ville de Trente, célèbre par son concile.

 

l’illustre Volusien : vous avez dû les recevoir. Enfin j'ai maintenant en main un livre en réponse à cinq questions que m'a proposées notre cher Honoré, réponse que je ne puis faire attendre, vous le voyez bien. La charité agit comme une mère : celle-ci ne proportionne pas ses soins à son amour, mais aux besoins de chacun de ses enfants; elle veut que les faibles ne le soient plus, et, quant aux forts, elle ne les dédaigne pas : si elle les laisse un peu de temps, c'est qu'elle se sent en sûreté à leur égard. Cette nécessité de remplir des tâches qui me sont imposées ne me laisse pas le temps de faire ce qui serait le plus de mon goût, car ces travaux dévorent le peu de loisir qui me reste au milieu des affaires ou des désirs d'autrui dont je suis obsédé, et parfois je ne sais plus que faire.

4. Vous voyez combien vous devez prier le Seigneur avec moi; mais je ne veux pas pour cela que vous cessiez de me presser . il y aura toujours quelque chose au bout de vos instances. Je recommande à votre Excellence une Eglise de Numidie dont les besoins ont fait partir notre saint collègue Dauphin : il a été envoyé par mes frères et collègues associés aux mêmes travaux et aux mêmes périls. Je me dispense de vous écrire ici pour son affaire parce que vous l'entendrez lui-même. Vous trouverez le reste dans le mémoire que j'adresse maintenant au prêtre de votre Eglise, et dans celui que je lui ai déjà adressé par le diacre Pérégrin : il est inutile de le répéter. Que votre coeur garde toujours sa force dans le Christ, ô mon illustre seigneur, très-cher et très-désiré fils ! Je recommande à votre excellence notre fils Rufin, premier magistrat de Cirta.

 

 

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