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LETTRE CCXLVI.
Saint Augustin fait voir en peu de mots ce qu'il y a de faux et d'absurde dans la doctrine qui mettrait les péchés des hommes sur le compte du destin.
AUGUSTIN A LAMPADIUS.
1. Je me suis aperçu lorsque vous étiez près de moi, et je viens de voir par votre lettre avec plus de satisfaction et de certitude, combien votre esprit s'émeut de ce qu'on dit du destin et de la fortune. Je vous dois une grande réponse; le Seigneur me fera la grâce de la faire de la façon qu'il jugera la meilleure pour le salut de votre foi. Car ce n'est pas un petit mal, non-seulement d'être entraîné par de fausses opinions à commettre le péché en cédant aux attraits de la volupté, mais encore excuser en refusant le remède de la confession. 2. Pour le moment sachez en peu de mots que si la volonté n'est pas elle-même la cause du péché, toutes les lois et toutes les règles de la morale, les louanges, les reprochés, les exhortations, les terreurs, les récompenses, les supplices, et tout ce qui sert à conduire et à gouverner le genre humain s'ébranle, tombe en ruine, et qu'il n'y reste plus aucune trace de justice. Combien donc est-il meilleur et plus juste de blâmer les erreurs des astrologues que d'être forcés de condamner et de rejeter les lois divines et même le soin de nos maisons ! et d'ailleurs les astrologues eux-mêmes n'en sont pas là. Après que quelqu'un d'entre eux a vendu de sottes prédictions à des gens qui ont de largent, et. que, détachant ses yeux des tablettes d'ivoire, il s'occupe du gouvernement de sa maison, le voilà qui commence à adresser des reproches à sa femme; il ne se borne pas aux mots, il en vient aux coups; je ne dis pas pour l'avoir vu folâtrer plus qu'il ne faut, mais pour l'avoir vu rester trop longtemps à sa fenêtre. Si pourtant elle lui disait Pourquoi me battez-vous? battez plutôt Vénus, si vous le pouvez, car c'est elle qui me force de faire cela; l'astrologue assurément ne se soucierait pas des vaines paroles qu'il débite aux étrangers pour les tromper, et ne se mettrait en peine que de la justice de ses sévérités. 3. Lors donc que quelqu'un, repris pour une faute, la rejette sur le destin et prétend qu'on ne doit pas la lui reprocher, parce que le destin l'a contraint à faire ce qu'il a fait, qu'il revienne à lui-même et qu'il pratique cela avec les siens : qu'il ne châtie pas le serviteur qui l'aura volé, qu'il ne se plaigne pas du fils qui l'outrage, qu'il ne menace point un mouvais voisin. Où sera son droit de châtier ou de se plaindre, si tous ceux qui lui font du tort n'ont point agi par leur propre faute, mais sous la contrainte du destin ? Si au contraire, dans son pouvoir et son devoir de père de famille, il étend sa vigilance sur tous ceux qui lui sont soumis ; s'il les exhorte au bien, les détourne du mal et leur prescrit l'obéissance; s'il récompense ceux qui obéissent et s'il punit ceux qui méprisent ses ordres, s'il rend le bien pour le bien et s'il déteste les ingrats, qu'ai-je besoin de disputer avec lui sur le destin? chacune de ses paroles et chacune de ses actions sont des démentis donnés à tous les astrologues. Si cette courte lettre ne vous suffit point et que vous désiriez un livre là-dessus, attendez que j'aie quelque loisir, et priez Dieu qu'il m'accorde. du temps et tout ce qu'il faut pour satisfaire votre esprit à cet égard. J'y serai plus disposé cependant si votre charité veut bien me rappeler plus d'une fois par lettre la promesse que je vous fais, et si vous m'apprenez par une réponse ce que vous pensez de ce que je vous écris aujourd'hui.
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