MÉPRIS DU MONDE

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CONFÉRENCE SUR
LE MÉPRIS DU MONDE.

 

Il y a en ce monde sept choses qui , soigneusement pesées et attentivement considérées , apprendraient à l'homme à le mépriser facilement, à le vaincre, à le fuir et à se porter à servir Dieu. Car servir Dieu, c'est sortir de l'esclavage.

La première chose, c'est la peine qui accable les partisans empressés du monde. Quel homme, en effet, pourra demeurer sans tourment dans les honneurs, sans tribulation dans le commandement, et sans vanité dans l'élévation ? Aussi les réprouvés s'écrieront-ils à la fin des temps : « Nous nous sommes lassés dans la voie de l'iniquité et de la perdition; nous avons marché dans des chemins âpres. (1) » Ils se fatiguent sur la terre dans leurs désirs, et après cette vie ils sont en proie aux tourments. Notre coeur trouvera donc une sécurité profonde à n'être possédé en rien par la concupiscence du siècle. S'il soupire, au contraire, après les choses de la terre , jamais il ne pourra goûter ni paix ni tranquillité : ce qu'il n'a pas excitera sa convoitise, et ce qu'il a le remplira de la crainte de se le voir enlever. « Gardez-vous donc, mes bien-aimés, de chérir le monde et ce qui est dans le monde (2), » je veux dire les délices et les richesses du monde. Bienheureux l'homme qui

 

1 Sap., 5. — 2 I Joan., 2.

 

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connaît Jésus-Christ et ignore tout le reste. Malheureux, au contraire, celui qui sait tout et méconnaît Jésus-Christ. « Savoir beaucoup de choses sans Jésus, a dit quelqu'un , c'est vraiment ignorer; mais savoir bien Jésus-Christ, c'est assez, quand même vous seriez étranger à tout le reste. »

La seconde chose à considérer, c'est que l'amour du monde nous fait négliger un bien meilleur. En effet, les hommes pleins de cet amour sont tellement appliqués et empressés à acquérir les biens terrestres, qu'ils négligent les biens célestes. Car , plus ils s'avancent, sous l'empire de cet amour, dans l'oubli de Dieu , plus ils en sont abandonnés et plus leur âme s'endurcit. En même temps plus ils s'attachent au mal , moins ils comprennent les biens qu'ils perdent. Arrivés au mépris de Dieu , ils ne sentent plus combien déplorables sont les actes d'une telle vie. Mais les saints, au contraire , n'ayant aucune affection pour ce monde, ne désirant que la grâce céleste; les saints, dis-je, vivent dans une tranquillité profonde; car la félicité terrestre n'est rien autre chose qu'une grande misère. Oh ! combien heureux est celui à qui il a été donné de mépriser le monde et de servir Jésus-Christ! Etre esclave du Seigneur est un bien préférable à toute liberté.

La troisième raison qui doit nous exciter au mépris du monde et des choses temporelles, c'est leur vanité. La joie du siècle n'est en effet que vanité. On soupire avec ardeur après son arrivée lorsqu'elle est à venir ; et l'on ne peut la retenir lorsqu'elle est

 

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présente. Tout passe, tout s'envole, tout s'évanouit comme une fumée. Malheur donc à ceux qui aiment de telles chimères ! Aussi quelqu'un a-t-il écrit : « Le jour présent s'enfuit, et l'on ignore encore quel sera le lendemain. Apportera-t-il la peine ou le repos ? Ainsi disparaît la gloire du monde. »

Oui , le monde passe et sa concupiscence passe avec lui. (Saint Jean, I, 1, 9.) Que choisirez-vous donc? de vous attacher aux choses temporelles et de vous en aller avec le temps , ou bien d'aimer Jésus-Christ et de vivre pour l'éternité? Les hommes parfaits ont sans cesse sous les yeux la brièveté de la vie présente; ils vivent comme s'ils mouraient chaque jour, et ils se préparent avec d'autant plus de sollicitude à l'avenir, qu'une méditation continuelle de la fin de toutes choses leur fait voir que ce qui passe ne saurait avoir la moindre valeur ; que ce qui vient après cette vie étant sans limites est immense, et que ce qui finit n'est rien. Leur âme éclairée par la lumière d'en-haut fixe sur les biens célestes les regards d'une considération attentive; et plus elle comprend la réalité de ces biens suprêmes , plus elle dédaigne profondément ceux de la terre. Aussi les plaisirs de cette vie, plaisirs tant estimés des pécheurs, ne sont aux yeux des justes qu'une vile boue, et ils fuient comme une calamité ce qui est cher aux amateurs du siècle; car ils savent que ceux-là sont ennemis de Dieu , à qui le monde est toujours prospère. O pécheurs dépourvus d'intelligence et privés de prudence ! ah! s'ils avaient la sagesse ! s'ils comprenaient et prévoyaient la fin

 

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dernière de toutes choses ! Ils sentiraient combien grande est la multitude des réprouvés , combien faible est le nombre des élus, combien frivole est la vanité de ce qui est terrestre. Ils reconnaîtraient le nombre effroyable des péchés qui se commettent, la grandeur du bien qu'on omet et la perte du temps; ils se mettraient en garde contre le péril de la mort, le jugement suprême et le supplice éternel.

La mort nous montre à découvert que tout ce que les impies poursuivent en ce inonde , c'est-à-dire les richesses, les plaisirs, les honneurs, doit être l'objet de nos mépris. Elle nous montre que le travail de ceux qui recherchent les richesses est un vain travail, puisque l'homme doit rentrer nu au sein de la terre ; que la fatigue à courir après les plaisirs est inutile, puisque le corps le plus délicatement nourri deviendra la pâture des vers ; que l'ambition des honneurs est infructueuse, puisque l'homme sera recouvert de terre et foulé aux pieds par les autres hommes et les animaux. Gardez-vous donc, mes frères, d'aimer le monde et ce qui est dans le monde. Laissons là ces choses vaines et futiles ; portons-nous seulement à la recherche des biens qui ne finiront point. Cette vie est pleine de misères ; la mort viendra nous la ravir tout d'un coup, au jour le plus imprévu, et ensuite il n'y aura plus que des supplices pour celui qui aura négligé d'en profiter. Rentrez en vous-mêmes, ô prévaricateurs (1), et attachez-vous à celui qui vous a créés ; demeurez avec lui et vous serez inébranlables.

 

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Ce monde est vain et trompeur. L'heure où il doit finir est incertaine , la mort est horrible, notre juge formidable, et la peine infinie.

Le quatrième motif qui nous sollicite au mépris de ce monde, c'est l'inconstance de sa gloire. En effet, alors que l'homme demeure avec le plus de joie et de bonheur sur cette terre, alors qu'il espère y passer encore de longues années, il est enlevé tout-à-coup par la mort; son âme est séparée de son corps, et , pleine de misères , elle s'avance , tremblante et dans la douleur, vers une région entièrement inconnue; elle voit les démons venir à sa rencontre et lui faire cortége. Où sont maintenant ces courtisans du monde qui, il y a quelques jours seulement, vivaient au milieu de nous? Il n'est resté d'eux que de la poussière et des vers. Remarquez bien ce qu'ils sont et ce qu'ils ont été. Ils furent des hommes comme vous : ils ont bu , ils ont mangé, ils ont passé leurs jours dans les délices, et ils sont descendus en un moment au fond des abîmes. Ici leur chair est abandonnée aux vers, et là-bas leur âme est la proie des flammes éternelles. Gardez-vous donc, mes frères, d'aimer le monde, mais suivez Jésus-Christ qui a dit : « Mon royaume n'est pas de ce monde (1). » Soupirez de tous les désirs de votre âme après la céleste patrie , afin de pouvoir la posséder au dernier jour. Il n'y a point ici-bas de vraie consolation; mais la vie véritable se trouve là où la mort ne sera jamais à redouter.

La cinquième chose qui doit nous retirer de l'amour

 

1 Joan., 18.

 

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de ce monde, c'est le danger auquel sont exposés ceux qui y vivent. Que font les hommes du siècle vivant selon le siècle ? Ils s'enfoncent de plus en plus dans le péché, et leur âme est tellement percée des blessures de leurs crimes qu'ils ne la sentent même plus. L'adultère, la fraude, le vol, le mensonge et tous les maux se sont répandus avec abondance. Depuis le plus petit jusqu'au plus grand, tous s'appliquent à satisfaire leur avarice. Chacun poursuit avec une ardeur sans frein la femme qui lui est étrangère (1). Chacun ne songe qu'à étendre davantage les limites de ses domaines. Et il n'en est point, ou du moins il en est peu qui pensent aux moyens de sauver leur âme. Oh ! comme le démon est triomphant de nos jours. Tous suivent la pente du péché. C'est à peine s'il en est un petit nombre qui se convertissent. Tout notre superflu s'en va en folles dépenses; nous soupirons après les biens de la terre; nous n'avons de pensées que pour les choses de la terre; nous dédaignons Dieu et ses commandements , et nous écoutons sans effroi parler de ses jugements formidables. Non, mes frères, n'aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde, car tout ce qui s'y trouve devient une arme à l'usage du démon ; mais servons Jésus-Christ : « rien n'est meilleur, rien n'est plus avantageux qu'une bonne vie.

Ce qui nous porte en sixième lieu à fuir le monde, c'est l'inconstance des choses qu'il renferme. Nous lisons qu'un philosophe s'écriait : « Quand je pense

 

1 Jer., 8-5.

 

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à la joie et au repos que goûte un coeur pur ; au bonheur qui remplit une intelligence occupée à contempler Dieu; à la sécurité et à l'espérance dont jouit une âme pleine du divin amour, je me dis qu'une telle vie est véritablement une image de la vie de Dieu même. » Il est aveugle celui qui s'adonne à autre chose, car tout ce qui est incréé nous déifie.

Qu'est-ce donc que notre vie, sinon une course vers la mort? Qu'est-ce que vivre, sinon subir un long tourment? Si l'on voulait juger chaque chose d'un point de vue plus élevé, on verrait qu'en tout il n'y a que peine et misère. O partisans du monde ! pour quelle fia travaillez-vous? Pourquoi vous tourmenter vous-mêmes pour des riens , quand il est en votre puissance de posséder le Créateur de l'univers? Que cherchez-vous de plus? De quoi pourrez-vous être satisfaits si le Créateur lui-même est insuffisant à vos désirs? O enfants des hommes! jusqu'à quand aurez-vous le coeur appesanti? Pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge (1) ? Gardez-vous d'aimer le monde et ce qui est dans le monde.

Quiconque veut arriver à la terre de promission, c'est-à-dire acquérir la gloire de la patrie céleste, doit nécessairement traverser la mer Rouge en se servant de la verge de la croix , passer de l'Egypte dans le désert, renoncer à une vie de délices et aux ténèbres du péché , se soumettre à une vie laborieuse et mourir avec Jésus-Christ sur la croix de la pénitence.

 

1 Ps., 4.

 

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C'est ainsi qu'à l'heure de la mort il méritera d'entendre cette douce parole adressée autrefois au Larron : « En vérité, je vous le dis : vous serez aujourd'hui avec moi dans le Paradis (1). »

Enfin , ce qui doit en dernier lieu éteindre en nous l'amour de ce monde, c'est la blessure secrète que les biens de la terre ont coutume de faire à ceux qui les aiment. Il est difficile, en effet, de se conserver sans tache au milieu des vanités du siècle : sans cesse exposé au danger, vous ne sauriez être longtemps en sûreté. Elle est donc heureuse, cette âme dont les plaisirs ne sont accompagnés d'aucune souillure, et qui voit accroître sa pureté dans le calme de la vérité; cette âme que la loi de Dieu pénètre d'une telle félicité qu'elle la rend victorieuse de tous les plaisirs de la chair. Oui ! celui qui a commencé à goûter Jésus-Christ ne trouve plus qu'amertume en ce monde, car la chair devient intolérable à l'âme qui a joui de son Sauveur.

(2) Saint Augustin s'écrie à cette occasion : « Je vous en prie, Seigneur ! Que tout me devienne amertume; soyez vous seul doux à mon âme, vous, la douceur ineffable, qui rendez suave les choses les plus amères. C'est cette douceur qui changea en délices pour Laurent les charbons embrasés ; cette douceur qui remplit de joie les apôtres lorsqu'ils s'en retournaient heureux d'avoir été dignes de souffrir des injures pour le nom de Jésus. André marche au supplice dans l'ivresse et la sécurité,

 

1 Luc., 25. — 2 Lib. Soliloq., c. 22.

 

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parce qu'il va entrer en possession de cette douceur. C'est pour l'obtenir que Barthélemi abandonne son corps aux bourreaux ; pour la goûter que Jean avale sans crainte la coupe empoisonnée. Pierre en a à peine savouré les délices, qu'oubliant toutes les choses de ce monde, il s'écrie comme un homme en proie à l'ivresse : « Seigneur, il nous est bon d'être ici; faisons-y trois tentes (1). » Demeurons ici et livrons-nous à la contemplation; nous n'avons plus besoin d'autre chose. Une goutte seulement de ce bonheur est arrivée jusqu'à lui, et tout autre bonheur lui devient insipide. Qu'aurait-il dit s'il eût participé à cette abondance inénarrable cachée en votre divinité et que vous tenez en réserve pour ceux qui vous craignent? C'est à cette douceur ineffable qu'avait puisé Agathe , votre vierge, lorsqu'elle marchait vers la prison, triomphante de joie et de félicité, comme si elle eût été invitée à un festin brillant. Enfin c'est à cette source que s'était désaltéré , je le crois, celui qui disait : « Combien est grande, Seigneur, l'abondance de votre douceur , de cette douceur que vous avez réservée à ceux qui vous craignent! — Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux (1).»

Mais celui qui n'a pas participé à cette douceur de Dieu ne prend aucun soin de se soustraire aux souillures des plaisirs terrestres. C'est un grand bienfait du Seigneur que d'avoir renoncé aux vices et aux délices de ce monde. Poussez donc des

 

1 Matt., 17. — 2 Ps 30-33.

 

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gémissements , infortunés amateurs de la terre, vous qui détruisez votre corps avant le temps et donnez la mort à votre âme. D'où vous viennent ces infirmités si multipliées et ces morts si soudaines, si ce n'est de l'excès de vos festins et de l'usage effréné des plaisirs? Alors que vous croyez en jouir avec bonheur, vous vous trompez vous-mêmes, vous oubliez votre âme pour votre corps, et avant le temps vous précipitez le corps et l'âme sous les coups de la mort. Livrez-vous à la bonne chère et enivrez-vous, car après la. mort vous ne pourrez plus le faire ! Semez la corruption, et de la corruption vous moissonnerez la sentence divine que le Juge irrité lancera au grand jour du jugement, en disant : « Allez, maudits, au feu éternel (1). »

Hélas ! votre coeur s'est endurci à l'égal de la pierre, si vous ne tremblez en pensant que vous vous exposez à une telle sentence à cause des consolations futiles de ce monde. Riais peut-être direz-vous qu'après avoir passé votre vie dans le péché , vous en ferez l'aveu à l'heure de votre mort et que vous en obtiendrez de Dieu le pardon. Hélas ! vaine espérance! fausse pensée! Il arrive rarement qu'à la fin de sa vie celui-là mérite l'indulgence divine, qui , aux jours de la force et de la santé, n'a pas craint de se rendre coupable contre Dieu. C'est ma persuasion : « je tiens pour certain que celui dont la vie a toujours été mauvaise n'aura point une bonne fin. « La mort des saints est précieuse devant le Seigneur (2),

 

1 Matt., 25. — 2 Ps. 115.

 

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dit le Psalmiste, mais la mort des pécheurs est détestable. » N'aimez donc point le monde, mes frères , ni ce qui est dans le monde. Mais fuyez du milieu de Babylone; sortez de Hur, la ville des Chaldéens, c'est-à-dire de la fournaise des vices. Fuyez et sauvez vos âmes. Accourez aux villes de refuge, aux lieux où la religion exerce son empire. C'est là que vous pourrez faire pénitence des fautes passées, en obtenir le pardon dans le temps présent, et attendre avec confiance la gloire à venir.

 

 

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