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TRAITÉ SUR LES ERREURS CONTENUES DANS LE LIVRE DES PRINCIPES D’ORIGÈNE.

 

A AVITUS.

 

Il y a environ dix ans que le saint homme Pammaque m'envoya des papiers parmi lesquels se trouvait le Livre des Principes d'Origène, qu'une certaine personne avait traduits ou plutôt entièrement défigurés, en me priant instamment d'en faire une traduction exacte et fidèle où l'on pût voir sans aucun déguisement tout ce qu'il y a de bon ou de mauvais dans cet auteur. Je fis ce qu'il souhaitait de moi; je lui envoyai ce livre; mais il ne put le lire sans horreur, et il le serra dans son portefeuille de peur qu'il n'empoisonnât les âmes si on le rendait public. Un frère fort zélé, mais dont le zèle n'était pas selon la science, le pria de le lui prêter, avec promesse de le lui rendre dès qu'il l'aurait lu. Pammaque le lui confia, ne pouvant pas s'imaginer qu'il pût, en si peu de temps abuser de sa bonne foi et de sa confiance. Mais celui-ci ayant fait transcrire tout l'ouvrage par des copistes, le rendit à Pammaque plus tôt qu'il ne le lui avait promis. Il poussa encore plus loin son indiscrétion, pour ne pas dire sa témérité, en confiant à d'autres (418) la copie qu'il avait surprise. Et comme il est difficile de conserver exactement les abréviations dits un ouvrage de longue haleine qui traite des choses mystiques, surtout quand on le dicte furtivement et à la hâte, tout était si confondu et si délivré dans cette copie qu'on n'y trouvait en plusieurs endroits ni ordre ni sens.

Vous me priez donc, taon cher Avitus, de vous envoyer un exemplaire de cette traduction que je n'avais confiée qu'à Pammaque , et que ce frère, dont je viens de vous parler. a eu l'indiscrétion de rendre publique. Je vous envoie ce que vous souhaitez, niais en même temps je vous avertis que vous trouverez dans cet ouvrage plusieurs choses qui font horreur, et qu'en le lisant vous serez obligé, selon la parole du Seigneur, de marcher parmi les scorpions et les serpents.

Telles sont, par exemple, ces propositions qu'on trouve dès le commencement du premier livre: que Jésus-Christ, Fils de Dieu, n'a point été engendré, mais créé; que Dieu le Père étant invisible de sa nature, ne peut être vu même par le Fils; que le Fils qui est l'image d'un Père invisible, n'est point vérité si ou le compare au Père; et que pour les hommes qui ne sont pas capables de comprendre la vérité d'un Dieu tout-puissant, il n'est que l'image de la vérité, en sorte que la majesté et la grandeur du Père sont en quelque manière bornées dans le Fils; que le Père est une lumière incompréhensible, et que le Fils en comparaison du Père n'est qu'une petite lueur, qui néanmoins nous parait une grande lumière à cause de notre faiblesse. L'auteur fait ici une comparaison de deus statues, dont l'une, qui est fort grande, remplit tout le monde et devient en quelque façon invisible par son extrême grandeur ; et l'autre, qui est fort petite, tombe sous le sens ; il compare le Père à celle-là, et le Fils à celle-ci.

Il dit que le l'ère est bon et d'une bonté complète et absolue, que le Fils n'est point lion, qu'il n'est que l'ombre et l'image de la bonté; de manière qu'on ne dit pas absolument qu'il est bon, mais en parlant de sa bonté, on y ajoute quelque chose; on dit, par exemple, qu'il est le bon pasteur; et ainsi du reste.

Il ajoute que le Saint-Esprit est inférieur au Père et au Fils en gloire et en dignité , et il le met au troisième rang. Il avoue d'abord qu'il ire sait pas si le Saint-Esprit a été rait ou non ; mais dans la suite il fait assez connaître duel est son sentiment, lorsqu'il dit que tout a été l'ait, excepte Dieu le Père; que le Fils est inférieur au Père et ne tient que le second rang après lui ; et que le Saint-Esprit qui est inférieur au Fils, demeure dans toutes les âmes saintes. D'où il conclut que le Père est plus fort que le Fils et le Saint-Esprit, le Fils plus fort que le Saint-Esprit, et qu'enfin le Saint-Esprit a plus de force et de vertu que tout ce qu'on appelle Saint.

Parlant ensuite des créatures raisonnables, après avoir dit qu'elles sont torchées par leur faute dans des corps terrestres , voici ce qu'il ajoute : « Quelle négligence et quelle indolence pour ces créatures spirituelles, d'oublier ainsi leur dignité, de se dégrader elles-mêmes, de s'abandonner au vice, et de se rendre dignes d'être enfermées dans le corps grossier des bêtes brutes?» Et un peu après : « C'est, dit-il, ce qui nous oblige de croire que les unes sont restées volontairement en la compagnie des Saints, et se sont attachées au service de Dieu; que les autres étant , échues par leur propre faute de l'état de sainteté dans lequel elles avaient été créées, se sont rendues dignes par leur négligence d'être changées en démons; qu'après cela on verra encore de nouveaux changements et de nouvelles vicissitudes, de manière que celui qui est homme à présent pourra devenir ange dans un autre monde; et que celui qui est ange et qui se comportera avec lâcheté et négligence sera relégué dans un corps grossier et deviendra homme. » Il confond et renverse tellement l'ordre des choses que, selon lui, un archange peut devenir démon, et un démon être rétabli au rang des anges.

Il ajoute que ceux qui auront chancelé, sans néanmoins se laisser tomber, seront mis sous la conduite et la direction des principautés, des trônes, des dominations, afin de s'élever par leur secours à un état plus parfait; que peut-être ils composeront une société d'hommes dans quelque autre monde, lorsque Dieu , selon Isaïe , fera un ciel nouveau et une terre nouvelle; mais que ceux qui n'auront pas mérité d'être hommes pour redevenir anges, seront changés en diables, en anges du diable, en de méchants démons; et que, selon leurs différents mérites, ils auront dans chaque aronde des emplois différents. Il dit que les démons même, ces (419) princes des ténèbres, s'ils veulent se tourner au bien, deviendront hommes dans quelque monde, et seront ensuite rétablis dans leur premier étal; en sorte néanmoins qu'ils ne seront élevés à la dignité des anges, qu'après avoir expié leurs fautes dans un corps humain et souffert durant un certain temps plusieurs supplices. Ce qui fait voir que toutes les créatures raisonnables peuvent passer par différents états en devenant hommes, non pas tout d'un coup, mais par degrés; que les hommes et les anges deviendront démons, s'ils s'acquittent de leurs devoirs avec négligence; et que les démons seront rétablis dans la dignité d'anges, s'ils veulent travailler à acquérir la vertu.

Il dit encore que toutes les substances corporelles seront entièrement détruites, ou du moins qu'à la fin des siècles les corps seront semblables à l'air et aux autres corps qui sont d'une nature encore plus subtile et plus dégagée de la matière. II est aisé de voir par là ce qu'il pense de la résurrection.

Il soutient aussi que le soleil, la lune et les autres astres sont des corps animés; et que, comme les hommes en punition de leurs péchés ont été condamnés à vivre dans des corps grossiers et pesants, de même les astres du ciel ont reçu des corps plus ou moins lumineux; et que les démons ayant commis des péchés encore plus grands, ont été revêtus d'un corps d'air: que, selon l'Apôtre, toute créature est assujettie à la vanité, et qu'elle ne sera affranchie de cette servitude qu'au jour de la manifestation des enfants de Dieu.

Mais pour ne pas être accusé ici de lui prêter ce qu'il n'a pas dit, voici ses propres paroles : « A la fin du monde, Dieu ayant tiré les âmes et les créatures raisonnables de leurs prisons et de leurs cachots; les unes pesantes et paresseuses marcheront lentement; les autres vives et intelligentes fourniront promptement leur arrière. Comme elles ont toutes leur libre arbitre, et qu'elles peuvent à leur gré s'adonner ou à la vertu ou au vice, celles-là seront plus malheureuses, et celles-ci plus heureuses qu'elles ne sont à présent ; elles changeront d'état selon leurs différentes inclinations et les différents mouvements dont elles sont agitées, c'est-à-dire que les anges deviendront hommes ou démons, et que les démons deviendront hommes ou anges. »

Après avoir démontré par plusieurs raisons que le démon peut devenir vertueux , quoique son penchant ne le porte pas encore à aimer et à pratiquer la vertu, il prouve port au long que les anges, les âmes et les démons, qui selon lui sont d'une même nature, quoiqu'ils aient des inclinations différentes, peuvent par un excès de folie et de négligence devenir des brut es; et qu'ils aiment mieux entrer dans le corps de quelque animal et demeurer dans les eaux , que de souffrir la violence du feu et les autres supplices auxquels ils ont été condamnés. Si cela est, nous devons craindre, non-seulement les bêtes à quatre pieds, mais encore les poissons. Et de peur qu'on ne l'accusât d'admettre la métempsycose de Pythagore, après avoir blessé l'esprit du lecteur par des opinions si détestables, il ajoute enfin : « Au reste, on ne doit point regarder ce que j'ai dit comme des dormes et des vérités que je veuille enseigner et soutenir; ce ne sont que des recherches et des questions que j'expose et auxquelles je ne m'arrête qu'en passant. »

Dans le second livre il soutient que le nombre des mondes est infini ; non pas qu'il v en ait plusieurs à la fois, et semblables les uns aux autres, comme le prétendait Epicure; mais il veut que l'un commence lorsque l'autre finit; qu'avant celui-ci où nous sommes il y en ait eu un autre, et qu'il y en aura encore un autre après et ainsi successivement les uns après les autres. Il doute néanmoins s'il v aura quelqu'un de ces mondes qui ressemble entièrement à un autre, ou s'ils seront tous différents.

Il dit encore un peu après : « Si toutes les créatures, comme nous l'avons déjà dit, doivent un jour être sans corps, tous les corps seront donc détruits et réduits au néant d'où ils ont été tirés; après quoi il viendra un temps où ils seront encore nécessaires. » Il ajoute ensuite :  « Mais si ce corps corruptible est revêtu de l'incorruptibilité, et si ce corps mortel est revêtu de l'immortalité, comme nous l'avons déjà fait voir et par les lumières de la raison et par (autorité de l'Ecriture sainte; alors la mort sera absorbée et détruite par une entière victoire. et la corruption anéantie par l'incorruptibilité ; peut-être même que tous les corps, sur lesquels seuls la mort peut agir, seront entièrement détruits. » Et un peu après : « Si ce que je dis n'est pas contraire à la foi, peut-être serons-nous (420) jour sans corps, ou s'il est vrai que celui qui vit entièrement assujetti à Jésus-Christ n'a point de corps, et que toutes les créatures doivent un jour lui être assujetties, il faut conclure que nous n'aurons point de corps quand nous serons entièrement assujettis à Jésus-Christ. »

Il dit encore au même endroit : « Quand toutes les créatures seront assujetties à Dieu, elles se dépouilleront de leur corps et alors tous les corps seront détruits. Que s'il est nécessaire de les rétablir pour servir aux créatures raisonnables qui seront déchues de leur premier état, ils seront créés une seconde fois. Car Dieu laisse aux âmes des combats à soutenir et des ennemis à vaincre, pour leur faire comprendre que ce n'est point par leurs propres forces, mais par sa grâce qu'elles peuvent remporter une pleine et entière victoire: ce qui me fait croire que Dieu ne crée des mondes différents que pour différentes causes; et que ceux-là se trompent qui s'imaginent que tous les mondes seront semblables. »

Il ajoute ensuite : «Je m'imagine qu'à la consommation des siècles, les choses se passeront de l'une ou de l'autre de ces trois manières; et je laisse au lecteur à juger laquelle est la véritable et la meilleure. Car ou nous n'aurons point de corps, lorsqu'étant assujettis à Jésus-Christ, nous le serons aussi à Dieu, et que Dieu sera tout en tous; ou de même que toutes les créatures étant assujetties à Jésus-Christ le seront aussi à Dieu avec Jésus-Christ et seront étroitement unies ensemble ; de même les corps changeant de substance seront composés de dualités très excellentes et se résoudront en air dont la nature est très pure et très simple ; ou enfin cette sphère que nous avons dit ci-dessus être fixe et immobile sera anéantie avec tout ce qu'elle contient, et celle qui est au-dessous et qui est distinguée par deux cercles sera appelée la bonne terre; et cette autre sphère qui environne immédiatement notre terre, et que nous appelons ciel , sera la demeure des saints. » N’est-ce pas là donner dans les erreurs du paganisme, et joindre à la pureté de la doctrine évangélique les visions et les rêveries des philosophes ?

Origène dit encore dans le même livre : « Il faut donc conclure que Dieu est invisible. Or, s'il est invisible de sa nature, il s'ensuit que le Sauveur même ne le peut voir. » Et un peu plus bas : « De toutes les âmes qui sont descendues dans un corps humain, il n'y en a aucune qui ait entièrement conservé les traits et les caractères que la créature lui avait d'abord imprimés, excepté celle dont le Sauveur a dit : «Personne ne peut me ravir mon âme, mais c'est de moi-même que je la quitte. » Et dans cet autre endroit : « On ne peut, dit-il, traiter cette matière avec trop de précaution, parce que les âmes quand elles seront sauvées et en possession d'une vie bienheureuse, cesseront peut-être d'être âmes; car comme notre Seigneur est venu pour chercher et pour sauver ce qui était perdu, afin qu'il ne soit plus perdu; de même l'âme qui s'était perdue, et pour le salut de laquelle notre Seigneur est venu, ne sera plus âme quand elle sera sauvée. Il faut aussi examiner s'il y a eu un temps où l'âme n'était point âme, et s'il y aura un temps où elle cessera d'être âme, de même qu'il y a eu un temps où ce qui a été perdu n'était pas perdu , et qu'il y aura encore un temps où il cessera d'être perdu. »

Après s'être étendu fort au long sur la nature et. la condition des âmes, voici ce qu'il ajoute : « L'esprit en s'abandonnant au péché est devenu âme, et l'âme en s'appliquant à la vertu redeviendra esprit ; comme il paraît par l'âme d'Esaü qui, en punition de ses péchés, a été condamnée à vivre dans une condition moins heureuse que celle dans laquelle elle avait été créée. Quant aux corps célestes, il faut savoir que l'âme du soleil (qu'on l'appelle comme on voudra) n'a pas commencé d'exister lorsque le monde a été lait, mais qu'elle existait déjà avant d'entrer dans ce corps ardent et lumineux. On doit dire la mime chose de la lune et des étoiles, qui, pour des causes antérieures à l'état où elles sont aujourd'hui, ont été assujetties malgré elles à la vanité, afin de mériter un jour la récompense qui leur est destinée; elles sont forcées d'agir, non suivant leur volonté, mais d'après celle du Créateur qui leur a assigné à chacune une place.

Quant au feu et aux supplices de l'enfer dont l'Écriture sainte menace les pécheurs, ils ne consistent pas dans des tourments sensibles et des châtiments extérieurs, mais dans les remords de la conscience et dans un triste et affligeant souvenir que Dieu par sa puissance nous remettra devant les yeux. Car il reste dans nos âmes je ne sais quelle semence (421) qui reproduit tous les péchés que nous avons commis ; Dieu mime expose à nos yeux comme un tableau de toutes les impiétés et de toutes les infamies auxquelles nous nous sommes autrefois abandonnés, et l'âme, envisageant cette affreuse peinture de ses désordres passés, est brûlée par les ardeurs et déchirée par les cuisants remords de sa propre conscience. »

Il ajoute ensuite : « A moins qu'on ne veuille donner le none d'obscurité et de ténèbres à ce corps épais et terrestre dont nous sommes revêtus, et dans lequel nous reprendrons une nouvelle vie lorsque ce monde sera fini et qu'il nous faudra passer dans un autre monde. »

N'est-ce pas là soutenir ouvertement la métempsycose de Pythagore et de Platon?

Sur la fin du second livre, parlant de notre perfection, il dit : « Lorsque nous serons arrivés au point de n'être ni chair, ni corps et peut-être même ni âme non plus; alors notre esprit ayant acquis tour sa perfection , et n'étant plus obscurci par les nuages épais que l'ornent les passions , verra à découvert et face à face les substances raisonnables et intelligibles. »

Voici encore les erreurs qu'on trouve dans son troisième livre : « Que si une rois, dit-il, nous convenons que Dieu pour des causes antérieures a créé et formé des vases, les uns pour des usages honorables, et les autres pour des usages vils et honteux ; pourquoi n'entrerons-nous pas dans les plus secrets replis de l'âme pour nous convaincre qu'elle a fait autrefois des choses qui l'ont rendue digne d'être et aimée dans l'un, et haïe dans l'autre, avant même qu'elle supplantât dans Jacob et qu'elle fût supplantée dans Esaü?

Et: « ce n'est, dit-il, que pour le bien ou le mal qu'elles ont fait autrefois, que les âmes sont destinées, les unes à des usages honorables et les autres à des usages vils et honteux. » Et au même endroit : « Or le vase qui, à cause de ses mérites précédents, avait été fait pour être un vase d'honneur, deviendra dans un autre siècle un vase d'infamie, si dans celui-ci il ne s'emploie pas aux usages pour lesquels il avait été formé; et au contraire si le vase qui, pour ses fautes précédentes, avait été appelé vase d'infamie, veut se corriger dans le siècle présent, il deviendra dans un autre siècle un vase sanctifié, propre au service du Seigneur, et préparé pour toutes sortes de bonnes oeuvres » . Et il ajoute aussitôt: « Je crois qu'il y a des hommes lui, en s'engageant d'abord dans des vices peu considérables, peuvent porter leur malice et leur iniquité si loin, qu'à moins de se corriger et de faire pénitence de leurs péchés, ils deviendront enfin démons, et qu'au contraire il y en a d'autres qui, en travaillant à guérir leurs plaies et à réprimer leurs passions, deviendront anges de démons qu'ils étaient. J'ai déjà dit plusieurs fois que durant cette multitude infinie de siècles qui se succèdent les uns aux autres, il y a des âmes qui s'abandonnent tellement au crime qu'elles arrivent enfin au dernier degré de malice, et que d'autres s'élèvent du dernier degré de malice jusqu'à une. vertu parfaite et consommée. » Par là il veut faire voir que les hommes, c'est-à-dire les âmes peuvent devenir démons, et que les démons peuvent redevenir anges.

Il dit encore dans le même livre : «Il faut examiner aussi pourquoi nos âmes sont poussées vers différents objets, tantôt par certains mouvements et tantôt par d'autres. » Il attribue ces différentes impressions aux bonnes oeuvres que quelques âmes ont faites avant de descendre dans les corps. C'est ainsi qu'il juge du tressaillement de saint Jean dans le sein de sa mère lorsqu'Elisabeth, entendant Marie qui la saluait, confessa qu'elle était indigne de l'honneur que cette Vierge lui faisait. Et il ajoute ensuite : « L'on voit au contraire de petits enfants encore à la mamelle, qui sont possédés par des esprits malins, et qui paraissent inspirés comme des sorciers et des devins. Il y en a même qui dès leurs plus tendres années sont livrés à un démon pythonicien. Or, quand on est persuadé qu'il n'arrive rien sans la permission de Dieu, et que ce Dieu gouverne toutes choses avec,justice, peut-on croire que sa Providence abandonnât de la sorte des enfants qui n'ont rien fait qui mérite une si cruelle disgrâce?»

Il dit encore en parlant du monde : «Je crois qu'il y a eu un autre monde avant celui-ci, et qu'il y en aura encore un autre après. Voulez-vous que je vous prouve qu'il y aura un autre monde après que celui où nous sommes aura été entièrement détruit? Écoutez ce que dit Isaïe : « Il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle qui subsisteront toujours devant moi. » Voulez-vous que je vous fasse voir qu'il y a eu d'autres mondes avant que celui-ci fut créé? (422) Écoutez ce que dit l'Ecclésiaste : « Qu'est-ce qui a été autrefois? c'est ce qui doit être à l'avenir. Qu'est-ce qui s'est fait? c'est ce qui se doit faire encore. Il n'y a rien de nouveau sous le ciel, et on ne peut dire : voilà une chose nouvelle, car elle a été déjà dans les siècles écoulés avant nous. » Ce passage l'ait voir non-seulement qu'il y a eu des mondes avant celui-ci où nous sommes, mais qu'il y en aura encore d'autres après, et que ces arondes n'existent pas tous en morne temps, mais qu'ils se succèdent les uns aux autres.» Et il ajoute aussitôt: «Je crois que le ciel est la demeure de Dieu et le lieu de notre véritable repos; que c'est là que les créatures raisonnables jouissaient de leur ancienne félicité avant de descendre ici, de passer des choses invisibles aux visibles, et d'être précipitées en terre, où elles ont eu besoin d'un corps grossier et terrestre. C'est pour cela que Dieu a créé ce monde visible. et leur a donné des corps proportionnés aux lieux qu'elles habitent. Or, comme il veut saurer et corriger ceux qui sont tombés, il envoie en ce monde des ministres dont les uns occupent certains lieux, sont assujettis aux nécessités de ce aronde; et les autres s'acquittent exactement et dans des temps connus de Dieu des l'onctions dont il les a chargés. Le soleil, la lune et les étoiles, qui sont du nombre de ces ministres, et que l'Apôtre appelle « créatures, » occupent la partie supérieure de ce monde. Or « cette créature est assujettie à la vanité, » parce qu'elle est exposée à nos yeux et environnée d'un corps épais et grossier. Ce n'est. pourtant pas volontairement qu'elle est assujettie à la vanité, mais par l'ordre de celui qui l'y a assujettie; avec espérance d'être délivrée de cette servitude. Enfin les autres ministres que nous croyons être des anges, gouvernent le monde dans les lieux et dans les temps que Dieu seul tonnait. » Et un peu après : « C'est la divine Providence qui règle et entretient l'ordre que nous voyons dans ce monde, et qui permet que quelques anges soient précipités tout à coup du haut du ciel, et que les autres descendent en terre peu à peu et par degrés. Ceux-ci descendent volontairement, et ceux-là sont précipités malgré eux. Les premiers s'acquittent avec plaisir de l’emploi que le Créateur leur a donné de relever ceux qui tombent ; mais les autres sont forcés malgré eux de demeurer pendant un long temps dans le ministère dont il les a chargés. » Et encore: «De tous ces différents mouvements, il s'ensuit qu'il y aura aussi différents mondes et qu'après celui-ci où nous sommes, Dieu en créera un tout différent. Eh bien! il n'y a que Dieu, Créateur de toutes choses, qui puisse présider à tous ces différents événements, mesurer les différents progrès des créatures, récompenser la vertu et punir le vice, régler cette vicissitude continuelle des siècles qui se succèdent les nus aux autres,et conduire toutes choses à une même fin. Car lui seul sait pourquoi il permet que les uns, abandonnés à Pur propre volonté, tombent de l'état sublime où ils étaient élevés, et pourquoi il visite les autres et leur donne la main pour les rétablir peu à peu dans leur première dignité.

Après avoir touché cette question qui regarde la fin et la consommation de toutes choses, il conclut en ces termes: « Puisqu'il y a des choses, comme nous avons déjà dit plusieurs fois, qui commencent par où les autres finissent , on demande si alors il v aura encore des corps, ou si l'on vivra sans corps après qu'ils auront été détruits, et s'il faut croire que les créatures qui n'ont point de corps mèneront une vie incorporelle, telle que nous savons qu'est celle de Dieu. Si tous les corps que l'apôtre saint Paul appelle « les choses visibles, » appartiennent à ce monde qui tombe sous nos sens, il n'y a point de doute que les créatures qui n'ont pas de corps mèneront une vie incorporelle. » Et un peu après : « Quant aux paroles de l'apôtre saint Paul: Que toutes les créatures seront délivrées de la corruption à laquelle elles sont assujetties pour participer à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu, nous expliquons ces paroles en disant : que les créatures raisonnables et incorporelles qui tiennent le premier rang parmi les créatures ne sont point assujetties à la corruption, parce qu'elles n'ont point de corps, qui seuls sont sujets à la corruption; mais ces corps en seront délivrés lorsqu'ils participeront à la gloire du Fils de Dieu. »

Il dit encore au même endroit: « Rien ne nous persuade mieux qu'il n'y aura point de corps quand toutes choses auront pris fin, que ce que dit le Sauveur dans cette prière : « De même que nous ne sommes qu'un vous et moi, de même que ceux-ci ne soient qu'un en nous. » (423) Car nous devons savoir ce que Dieu est et ce que le Sauveur doit être; en quoi consiste cette ressemblance du Père et du Fils qui est promise aux saints, et comment les saints ne seront qu'un dans le Père et le Fils, de même que le Père et le Fils ne sont qu'un. En effet, si la vie que mèneront les saints est entièrement semblable à celle de Dieu, il faut nécessairement ou que Dieu ait un corps et soit environné de quelque matière, comme nous sommes environnés de chair; ou, si cela parait indigne de Dieu, particulièrement à ceux qui ont quelque idée de la majesté et de la gloire de cet être incréé et supérieur à tous les êtres, il faut ou que nous perdions toute espérance de ressembler à Dieu, si nous devons avoir des corps; ou que notre vie, si elle participe au bonheur de celle de Dieu, comme on nous le fait espérer, en ait toutes les prérogatives. » Tout cela fait voir ce qu'il pense de la résurrection, et que son opinion est que tous les corps seront détruits, et que nous serons sans corps, comme nous étions avant d'en être revêtus.

Parlant encore des différents mondes qui se succèdent les uns aux autres; après avoir dit que les anges deviendront démons, qui les démons deviendront anges ou hommes, que les hommes seront changés en démons, et qu'il y aura en toutes choses une vicissitude et une révolution perpétuelles, il confirme enfin son opinion par ces paroles : « Il n'y a point de cloute qu'après un certain temps Dieu créera une nouvelle matière, de nouveaux corps et un nouveau monde, à cause des différentes inclinations des créatures raisonnables; car, déchues peu à peu de cette parfaite félicité qu'elles pouvaient goûter jusqu'à la consommation des siècles, elles ont porté leur malice à un tel degré qu'elles ont entièrement changé de nature, parce qu’elles n'ont pas voulu se maintenir dans leur premier état ni jouir d'une béatitude immuable. Il faut savoir aussi que plusieurs créatures raisonnables ne changent jamais, et se soutiennent dans leur premier état jusqu'au second, au troisième et quatrième monde; que la félicité des autres est si peu altérée qu'on s'en aperçoit à peine, et qu'enfin quelques-unes tombant du comble de la gloire sont précipitées dans le fond de l'abîme. Or, dans la création des mondes, Dieu, qui est le dispensateur de toutes choses, sait employer ces créatures selon leurs mérites, et autant qu'il est nécessaire pour le gouvernement et la conservation du monde; en sorte que celle qui surpasse les autres en malice et qui est devenue toute terrestre, deviendra démon dans le monde suivant, et tiendra le premier rang parmi ces créatures, afin de servir de jouet aux anges qui sont déchus de leur premier état. » Ne veut-il pas établir par là que les hommes qui dans ce monde s'abandonnent au péché peuvent devenir diables et démons dans un autre monde, et que les démons peuvent aussi dans un autre monde devenir anges et hommes?

Après s'être étendu fort au long pour montrer que toutes les créatures corporelles auront des corps spirituels et d'une matière très subtile, et que toutes les substances seront changées en un corps très pur et plus éclatant que la lumière et environnées d'une gloire que l'esprit humain ne saurait comprendre; il ajoute enfin : « Et Dieu sera tout eu toutes choses, de manière que. toutes les substances corporelles seront changées en celle qui est la meilleure et la plus excellente de toutes, c'est-à-dire en la substance de Dieu. »

Il avance encore dans son quatrième livre, qui est le dernier de cet ouvrage, ces erreurs que l’Eglise de Jésus-Christ condamne : « Comme ceux, dit-il, qui meurent en ce monde par la séparation de l'âme et du corps, occupent en enfer des lieux différents, selon le mérite et la nature de leurs oeuvres ; de même ceux qui, pour ainsi parler, meurent dans les fonctions de la Jérusalem céleste, descendent dans l'enfer de notre inonde, afin d'occuper sur la terre des lieux différents et proportionnés à leurs mérites. » Il continue : « Puisque nous avons comparé les âmes qui vont de ce monde aux enfers avec celles qui descendent du ciel en terre et qui sont morses en quelque façon, il faut examiner soigneusement si nous ne pourrions pas dire la même chose de la naissance des unes et des autres; car les âmes qui naissent ici-bas et y prennent un corps humain, viennent des enfers parce qu'elles se sont tournées vers le bien, ou descendent d'en haut, où elles menaient une vie plus heureuse; de même parmi toutes les âmes qui habitent le firmament , les unes s'y sont élevées d'ici-bas par l'amour de la vertu, et les autres y sont descendues du ciel, n'étant pas assez criminelles pour être (424) précipitées dans les lieux que nous habitons : «  Par là, il veut insinuer que le firmament, c'est-à-dire le ciel, est un enfer par rapport à un ciel plus élevé ; et que notre terre est un enfer par rapport au firmament, et un ciel par rapport aux enfers qui sont au-dessous de nous ; de manière que ce qui est enfer à l'égard des uns, est ciel à l'égard des autres.

Il n'en demeure pas là ; il dit encore qu'à la consommation des siècles, et lorsque nous retournerons à la Jérusalem céleste, les puissances ennemies déclareront la guerre au peuple de Dieu, afin qu'il exerce dans les combats son courage et sa vertu, dont il ne peut donner des marques qu'en résistant fortement à des ennemis qui ont été vaincus, comme nous le lisons dans le livre des Nombres, par une sage conduite, par la belle disposition des troupes, et par une expérience consommée dans l'art de la guerre. Après avoir dit que cet Evangile éternel, qui doit subsister éternellement dans le ciel, dont saint Jean parle dans son Apocalypse, surpasse autant notre Evangile, que la prédication de Jésus-Christ est au-dessus des sacrements de l'ancienne loi, il ajoute (ce qu'on ne peut même penser sans sacrilège) que Jésus-Christ doit souffrir la mort au milieu des airs pour le salut des démons, quoiqu'il ne s'en explique pas formellement ; que comme Dieu s'est fait homme pour sauver les hommes, il se fera aussi démon pour sauver les démons. Mais de peur qu'on ne s'imagine que je dénature le texte, je veux rapporter ici ses propres paroles: « Comme Jésus-Christ, dit-il, a perfectionné les ombres de la loi par les ombres de l'Évangile, et que toute la loi n'est que l'ombre et la figure des cérémonies qui s'observent dans le ciel, il faut voir attentivement si l'on peut dire qu'il manque quelque chose à la loi, au culte et aux cérémonies du ciel, et si elles ont besoin d'être perfectionnées par la publication de cet Évangile que saint Jean dans son Apocalypse appelle «éternel, » par rapport au nôtre qui est temporel, et qui a été annoncé dans un monde et dans un siècle périssable et passager. Quoiqu'il y ait de la présomption et de la témérité à savoir si notre Sauveur souffrira dans l'air, je crois néanmoins que nous pourrions pousser jusque-là notre curiosité et nos recherches. Car puisque les esprits de malice sont répandus dans l'air, et que nous n'avons point  de honte de confesser que le Seigneur a été attaché à la croix pour détruire ce qu'il a détruit par sa passion, pourquoi craindrions-nous de dire qu'à la fin des siècles il souffrira peut-être en l'air quelque chose de semblable, avant de sauver par sa passion toutes les nations qui habitent dans tous les lieux du monde? »

Voici encore d'autres blasphèmes qu'il profère contre le Fils : « Si le Fils connaît le Père, il semble que par cette connaissance il peut le comprendre de la même manière que nous disons que l'esprit d'un ouvrier comprend toutes les règles de son art. Il est certain que si le Père est dans le Fils, le Fils comprend le Père qui est en lui. Que si par le mot de compréhension on entend non-seulement une action de l'esprit par laquelle il comprend et conçoit les choses qu'il connaît. mais encore une vertu et une puissance par laquelle celui qui connaît les choses renferme et contient tout ce qu'il confiait, on ne peut pas dire que le Fils comprend le Père; c'est le Père qui comprend toutes choses, et comme le Fils est au nombre des choses que le Père comprend, il faut conclure que le Père comprend le Fils. » Or, pour nous faire voir pourquoi le Père comprend le Fils, et que le Fils ne peut comprendre le Père, voici ce qu'il ajoute : « Le lecteur curieux me demandera peut-être si le Père se connaît lui-même de lit même manière que le Fils le connaît? mais s'il sait qu'il est écrit: « Mon Père qui m'a envoyé est plus grand que moi, » et s'il est persuadé que cela est absolument et universellement vrai, il avouera que les connaissances du Père surpassent celles du Fils, puisque le Père se connaît lui-même d'une manière plus pure et plus parfaite que le Fils ne le connaît. »

Voici encore un endroit qui fait voir qu'Origène admet la métempsycose et l'anéantissement des corps : « Si l'on peut prouver, dit-il, que la substance incorporelle et raisonnable étant séparée du corps, subsiste et vit par elle-même, et qu'elle est moins heureuse quand elle est unie au corps que lorsqu'elle en est séparée; on sera obligé d'avouer que les corps ne sont point faits pour eux-mêmes, et qu'ils ne sont créés que de temps en temps et à cause des différents changements qui arrivent parmi les créatures raisonnables, afin que celles qui en ont besoin en puissent prendre quelqu'un. (425) Mais après que ces créatures se sont corrigées de leurs vices et affranchies de la corruption dans laquelle elles s'étaient engagées, alors les corps sont entièrement anéantis, leur nature et leur destination étant de sortir du néant et d'y rentrer par une vicissitude perpétuelle.

Cet auteur porte son impiété encore plus loin; car sur la fin de ce même livre il dit qu'il n'y a aucune différence entre les substances raisonnables, c'est-à-dire que le Père, le Fils, le Saint-Esprit, les anges, les puissances, les dominations, toutes les autres vertus célestes, et l'âme même de l'homme sont d'une même nature. « Dieu, dit-il, et son Fils unique, et le Saint-Esprit, les anges, les puissances et les autres vertus, et l’homme intérieur qui a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, sont d'une nature intellectuelle et raisonnable : d'où l'on doit conclure que Dieu et toutes ces créatures sont en quelque façon d'une même substance. »  De peur qu'on ne lui reproche un si horrible blasphème, il ajoute ces mots : «en quelque façon. » Cependant il fait part de la nature divine aux anges et aux hommes, tandis que dans un autre endroit il la refuse et au fils et au Saint-Esprit, de peur qu'on ne croie qu'il partage la divinité.

Cet ouvrage étant donc rempli de toutes les erreurs que je viens de vous indiquer, ne faut-il pas avoir perdu l'esprit pour se contenter d'en changer quelques endroits qui regardent le Fils et le Saint-Esprit, et qui sont de véritables blasphèmes; et pour publier le reste tel qu'il est , et le louer même d'une manière impie, comme si toutes ces erreurs ne venaient pas d'une source également empoisonnée? Ce n'est pas ici le lieu de combattre toutes ces impiétés. D'ailleurs il est à croire que ceux qui ont écrit entre les erreurs d'Arius, d'Eunomius, de Manès et de plusieurs autres hérétiques, n'auront pas manqué de réfuter aussi celles d'Origène. Si quelqu'un donc veut lire cet ouvrage et aller à la terre promise, qu'il mette ses souliers de peur que les serpents ne le mordent et que le scorpion ne le pique, et qu'il lise cette lettre avant de commencer sa route pour connaître ce qu'il doit éviter.

 

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