SUR LES JUIFS
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TRAITÉ SUR LES JUIFS.

 

A DARDANUS, PRÉFET.

 

Vous me demandez quelle est la terre promise où les Juifs s'établirent après leur fuite d'Egypte. « Car leurs pères ayant autrefois habité ce pays, ne leur a-t-il pas été plutôt rendu que promis? » Ce sont les propres termes que vous employez vous-même à la fin de la lettre que vous m'avez adressée.

La question que vous soulevez indique assez que vous êtes de l'opinion de plusieurs de nos auteurs qui s'imaginent que la véritable terre de promission est celle dont David dit : « Je crois fermement voir un jour les biens du Seigneur dans la terre des vivants; » et Jésus-Christ dans l'Evangile : « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils possèderont la terre » En effet, lorsque David inspiré d'en haut parlait ainsi, il était dans la terre de promission et régnait non seulement sur la Judée, mais encore sur plusieurs nations voisines qu'il avait réunies à son empire, c'est-à-dire depuis le torrent de l'Egypte qui passe proche de Rhinocorure, jusqu'au grand fleuve de l'Euphrate. Ce qui lui fait dire dans un autre endroit : « Je m'avancerai dans l'Idumée, je la foulerai aux pieds, et les étrangers me seront soumis. » Or, comment espérait-il posséder ce qui lui appartenait delà par droit de conquête? Mais pour apprendre aux Juifs quelle est cette terre après laquelle il soupire, et pour ne leur laisser aucun doute, il ajoute : « Je crois fermement voir un jour les biens dit Seigneur dans la terre des vivants. » La Judée que ce prince gouvernait n'est donc point la terre des vivants , c'est-à-dire d'Abraham , d'Isaac et de Jacob, dont Notre Seigneur a dit en parlant de la résurrection : « Dieu n'est point le Dieu des morts, mais des vivants; » elle est la terre et la demeure de ces morts dont il est question dans Ezéchiel « L'âme qui aura péché elle-même mourra. »

Et dans le prophète-roi : « Les morts, Seigneur, ne vous loueront point, ce sera nous qui vivons, » et ceux qui au jour de la résurrection iront au-devant du Sauveur, d'après ces paroles de l'Apôtre : « Je vous déclare compte l'ayant appris du Seigneur que, nous qui vivons et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort; » et que le prophète Jérémie a eus en vue : « Ceux qui se retirent de vous seront écrits sur la terre. »

Ces paroles de David : « Je crois fermement voir un jour les biens du Seigneur, » nous indiquent assez qu'on doit les prendre dans un sens spirituel ; car quels autres biens pouvait-il désirer? Que manquait-il à ce grand prophète, qui était si puissant que son lits Salomon devint le plus riche monarque de la terre avec les biens immenses que son père lui avait laissés ? Il souhaitait donc voir et posséder dans la terre des vivants ces biens que le Seigneur a réservés à ceux qui l'aiment, biens infinis que l’oeil n'a point vus, dont l'oreille n'a point entendu parler, et que le coeur de l'homme ne saurait comprendre.

Si l'on prend à la lettre ces paroles de l'Evangile : « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils possèderont la terre, » elles paraissent contraires à l'expérience que nous acquérons tous les jours, et qui ne nous démontre que trop que les biens de la terre sont ordinairement la propriété de, ces hommes emportés et violents qui ne semblent nés que pour la guerre; et qu'au contraire ceux qui sont d'un naturel doux et pacifique perdent souvent par leur extrême douteur l'héritage même que leurs pères leur ont laissé. C'est pourquoi nous lisons au psaume 44, où le prophète nous représente sous le nom de Salomon l'union de Jésus-Christ avec son Eglise : « Vous qui êtes le très puissant, ceignez votre épée sur votre cuisse; servez-vous de votre beauté et de votre majesté ainsi que d'un arc tendu; soyez heureux et régnez par la douceur, par la vérité et la justice; et votre droite vous fera faire des progrès étonnants et miraculeux. » C'est ce même Sauveur qui dit encore dans un autre psaume : Souvenez-vous, Seigneur, de David et de toute sa douceur; » et ailleurs : « le Seigneur prend sous sa protection ceux qui sont doux. » Il s'explique dans l'Evangile d'une manière encore plus claire et plus nette lorsqu'il dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. » Aussi est-ce pour nous donner une figure de ce divin Sauveur, que l'Ecriture sainte nous représente Moïse compte le plus doux de tous les hommes. Telle est donc cette terre où les âmes saintes (436) et pacifiques doivent posséder ces « biens du Seigneur » qu'Abraham, Isaac, Jacob, les prophètes et les autres justes n'ont pu obtenir avant l'incarnation de Jésus-Christ, puisque l'Ecriture nous montre Abraham dans les lieux souterrains avec Lazare, quoique dans des places différentes, et que nous entendons dire à Jacob, cet homme si juste. « Je pleurerai et je gémirai sans cesse jusqu'à ce que je descende au fond de la terre. » C'est Jésus-Christ qui nous ouvre les portes du ciel par son sang, d'après ses propres paroles au larron : « Vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis. » Telle est encore une fois cette terre des vivants, terre où Dieu déploie toutes ses richesses et où abondent ces biens du Seigneur que le premier Adam a perdus, et que le second a retrouvés, ou plutôt dans la possession desquels il nous a rétablis, selon cette parole de l'Apôtre : « La mort a exercé son règne depuis Adam jusqu'à Moïse; » c'est-à-dire jusqu'à la loi, à l'égard même de ceux qui n'ont pas péché par une transgression de la loi de Dieu, comme a fait Adam, qui est la figure du monde.

Voulons-nous savoir quelle est cette terre? Le prophète Malachie nous en donne une juste idée. « Toutes les nations vous appelleront un peuple heureux, parce que vous possédez une terre de délices. » Le texte grec forte une terre « volontaire,» parce qu'elle est l'objet ou des désirs des saints. ou des complaisances de Dieu. Le prophète Isaïe nous en trace une pareille peinture : « Il parlera d'une manière obscure et enveloppée, et il sera dans la terre de Sion comme un grand fleuve dans une terre altérée. » Quelle est cette terre de Sion où l'on verra couler ce grand fleuve? C'est la terre dont le prophète-roi parle dans un autre endroit : « On a dit de vous de grandes choses, ô cité de Dieu ! » et ailleurs : « Le Seigneur aime les portes de Sion, plus que toutes les tentes de Jacob. » Quoi donc ! Dieu aime-t-il ces portes que nous voyons aujourd'hui réduites en cendres et en poussière? C'est ce qu'on ne persuadera jamais, je ne dis pas à des personnes sages, mais à ceux qui n'ont pas même le sens commun. Le Psalmiste l'entend ainsi lorsqu'il dit : «Vous avez visité la terre, et vous l'avez comme enivrée de pluies ; vous l'avez comblée de toutes sortes de richesses. Le fleuve de Dieu a été rempli d'eaux et. vous savez par là préparé de quoi nourrir les habitants de la terre. Enivrez d'eau les sillons, multipliez les productions, et elle semblera se réjouir de l'abondance de ses rosées par les fruits qu'elle produira. »  En effet, Dieu visite tous les jours cette terre, l'enivre de ses pluies, et la couvre de toutes sortes de richesses. C'est là que coule ce fleuve qui, selon le Psalmiste, « réjouit la cité de Dieu par l'abondance de ses eaux; » ce fleuve que le prophète Ezéchiel nous décrit d'une mystérieuse manière, et dont les deux rives sont plantées d'arbres qui produisent tous les mois des fruits nouveaux. C'est cette terre qui figure dans les Proverbes du Sage : « Celui qui laboure sa terre, sera rassasié de pain. » Ceci ne peut s'appliquer à cette terre que nous voyons, partage des hommes pécheurs, et dont il est écrit : « La terre sera maudite à causerie ce que vous avez fait. » Car combien y en a-t-il qui se fatiguent à travailler à la terre, et qui cependant pour diverses causes languissent dans la misère et la disette? Remarquez bien ces paroles de l'Ecriture : « Celui qui laboure sa terre, » c'est-à-dire la terre qui lui appartient en propre, et qu'on ne saurait jamais lui ravir. C'est dans ce même sens que le Sage dit encore ailleurs « L'homme rachètera son âme par ses propres richesses; » ce qui n'est pas toujours vrai à prendre ces paroles à la lettre ; car combien y en a-t-il qui sont délivrés avec l'argent de leurs amis! Ceux qui cultivent cette terre sont les apôtres ; c'est à eux que Jésus Christ a dit « Vous êtes le sel de la terre, » et ailleurs : « C'est par votre patience que vous possédez vos âmes. Aussi saint Paul ajoute : « Nous sommes les coopérateurs de Dieu, et vous, vous êtes le champ que Dieu cultive et l'édifice qu'il bâtit.» Je passe ici sous silence une infinité d'autres passages, de peur de fatiguer le lecteur et de lui donner à penser, en multipliant les citations, que je me défie de son habileté et de sa mémoire.

Nous devons aussi remarquer soigneusement, d'après les livres sacrés, que les saints n'ont point demeuré dans le pays que les Juifs appellent la terre de promission, mais qu'ils n'ont fait qu'y passer comme voyageurs et comme étrangers. « Je suis un étranger et un voyageur, disait un de ces hommes justes, de même que mes pères l'ont été. » Longtemps exilé parmi les ténèbres de cette terre, il disait (437) dans l'amertume de son coeur et avec larmes « Malheur à moi parce que le pèlerinage est long! J'ai demeuré avec ceux qui habitent dans Cédar; mon âme a été longtemps étrangère. Dans tous les passages où l'Ecriture sainte parle des habitants de la terre, pour peu qu'on veuille examiner ce qui précède et ce qui suit, on remarquera aisément qu'elle ne donne ordinairement ce nom qu'aux pécheurs, comme dans cet endroit de l'Apocalypse de saint Jean: « Malheur aux habitants de la terre! » Abraham est le premier à qui le Seigneur promit la terre de Chanaan : «Je vous donnerai ce pays et à votre postérité. » Cependant ce saint patriarche n'y posséda jamais rien, comme le témoigne saint Etienne dans le beau discours qu'il prononça autrefois en présence du sénat des Juifs. « Alors Abraham, » dit ce premier martyr de Jésus-Christ, « sortit du pays des Chaldéens, et vint demeurer à Charran. Après la mort de son père, Dieu le fit passer en cette terre que vous habitez aujourd'hui, où il ne lui donna aucun héritage, pas même pour poser son pied; seulement il lui promit de lui en donner la possession, ainsi qu'à sa postérité. » Mais de peur que le lecteur ne s'imagine que Dieu a donné aux enfants ce qu'il n’avait pas accordé au père, voici comment l'apôtre saint Paul s'en explique dans l'épître aux Hébreux : « C'est par la foi que celui qui reçut le nom d'Abraham obéit en allant dans la terre qu'il devait recevoir pour héritage, et qu'il partit ignorant où il allait. C'est par la foi qu'il demeura dans la terre qui lui avait été promise comme dans une terre étrangère, habitant sous des tentes avec Isaac et Jacob, qui devaient être héritiers avec lui de cette promesse. Car il attendait cette cité bâtie sur de solides fondements, qui a Dieu même pour fondateur et architecte. » Ensuite, après avoir parlé d'Abel, d'Enoch, de Noé et de Sara, il ajoute : « Tous ces saints sont morts dans la foi, n'ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis , mais les voyant et comme les saluant de loin, et reconnaissant qu'ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. Car ceux qui parlent de la sorte font bien voir qu'ils cherchent leur patrie. Que s'ils avaient eu dans l'esprit celle d'où ils étaient sortis, ils avaient assez de temps pour y retourner. Mais ils en désiraient une meilleure, qui est la patrie céleste. » Enfin, après avoir fait mention de plusieurs autres saints, voici comment il finit : « Cependant toutes ces personnes, qui avaient un témoignage dans la foi, n'ont point reçu la récompense promise; Dieu ayant voulu, par une faveur particulière qu'il nous a faite, qu'ils ne reçussent qu'avec, nous l'accomplissement de leur bonheur... Car nous nous sommes approchés de la montagne de Sion, de la ville du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, d'une troupe innombrable d'anges, de l'assemblée et de l'Eglise des premiers nés qui sont écrits dans le ciel. »

Je sais bien que les Juifs toujours perfides et incrédules rejettent ces témoignages quoique corroborés par l'autorité de l'Ancien Testament. Quant aux chrétiens, ils doivent savoir que non-seulement toutes les Eglises de l'Orient, mais encore tous les anciens auteurs ecclésiastiques de l'Eglise grecque, reçoivent cette lettre adressée aux Hébreux comme étant de saint Paul, quoique plusieurs l'attribuent ou à saint Barnabé ou à saint Clément. Au reste, qu'importe l'auteur, puisqu'il est certain qu'elle est l'ouvrage d'un chrétien, et qu'on la lit tous les jours dans les églises ? Que si les Latins ne la mettent point au nombre des livres canoniques, les Grecs n'y mettent pas non plus l'Apocalypse de saint Jean ; cependant, nous autres Orientaux nous mettons l'une et l'autre dans le canon des saintes Ecritures, nous conformant en cela, non point aux coutumes que nous voyons aujourd'hui établies dans les Eglises, mais à l'exemple des anciens écrivains ecclésiastiques, qui les citent souvent comme des livres canoniques, et non pas comme des ouvrages apocryphes; car ils se servent rarement de l'autorité des auteurs profanes.

Je prie ceux qui prétendent que le peuple juif après sa sortie d'Egypte prit possession de ce pays, devenu pour nous par la Passion et la Résurrection du Sauveur une véritable terre de promission; je les prie, dis-je, de nous faire voir ce que ce peuple en a possédé; ce qui depuis Dan jusqu'à Bersabée ne s'étendait que l'espace de cent soixante milles de longueur. L'Ecriture sainte n'en donne pas davantage à David et à Salomon, les deux plus puissants rois qui aient jamais régné en Israël. Je ne parle point ici des peuples qu'ils ont subjugués et qui sont entrés dans leur alliance, je veux dire les cinq villes des Philistins, Gaza, Ascalon, Getli, Accaron (438) et Azot; les Iduméens qui ne sont éloignés de Jérusalem qu'environ soixante et quinze milles du côté du midi ; les Arabes et les Agaréniens, qu'on appelle aujourd'hui Sarrazins et qui habitent les environs de Jérusalem. J'ai honte de dire quelle est la largeur de la terre de promission, et je crains que les Païens ne prennent de là occasion de blasphémer. Ont rie compte que quarante et six milles depuis Joppe jusqu'à notre petit bourg de Bethléem; après quoi on ne trouve plus qu'un affreux désert habité par des nations barbares descendues d'Ismaël, dont l'Ecriture a dit : «Il dressera ses pavillons vis-à-vis ses frères.»

Le plus éloquent de tous les poètes dit aussi que ces peuples n'ont aucune demeure certaine, et il les appelle « Barcéens» du nom de « Barca, » qui est un bourg situé dans le désert; les Africains les nomment aujourd'hui par corruption «Bariciens.» On leur donne encore divers autres noms selon les différents pays qu'ils habitent; ils s'étendent depuis la Mauritanie jusqu'aux Indes, par l'Afrique, l'Egypte, la Palestine, la Phénicie, la Célé-Syrie, l'Osroëne, la Mésopotamie et la Perse. Voilà donc, ô Juifs ! l'étendue du pays que vous vous vantez de posséder, et dent vous tirez vanité parmi les nations qui ne vous connaissent pas. Cela est bon pour les ignorants; quant à moi, je vous connais à fond.

Vous me direz peut-être que, par la terre de promission, on doit entendre celle dont Moïse fait la description dans le livre des Nombres, et qui est bornée au midi par la mer Salée, par les villes de Senna et de Cadesbarné, et par le torrent d'Egypte qui va se décharger dans la grande mer proche du Rhinocorure; à l'occident par cette grande mer qui baigne les côtes de Palestine, de Phénicie, de Célé-Syrie et de Cilicie; au nord par ce cercle que forment les monts Taurus et Zéphyrius, et qui s'étend jusqu'à Emath, qu'on appelle Epiphanie de Syrie; à l'orient par la ville d'Antioche et par le lac de Cenereth qu'on nomme aujourd'hui Tibériade, et par le Jourdain qui se décharge dans la mer Salée, que nous appelons à présent la mer Morte. Au-delà du Jourdain ce sont les deux tribus de Ruben et de Gad, et la demi-tribu de Manassé. Il est vrai que Dieu vous l'a promise cette terre, mais il ne vous l'a jamais livrée ; et si vous aviez observé la loi du Seigneur et marché dans la voie de ses commandements; si, au lieu d'adorer le Dieu tout-puissant. vous n'aviez pas rendu un culte sacrilège à Belphégor, à Baal, à Belzebub et à Chamos, vous seriez entrés en possession de cette terre heureuse qui vous avait été promise; mais vous avez tout perdu, parce que vous avez préféré ces idoles au vrai Dieu. on me promet dans l'Evangile la possession du royaume du ciel, dont il n'est fait aucune mention dans l'Ancien Testament; mais si je n'observe pas les commandements du Seigneur, je serai privé de ce royaume, non point par le fait de celui qui me l'a promis, mais par mon fait personnel; car là où il y a liberté de choisir, c'est inutilement que nous souhaitons ce qui a été promis, si nous refusons de travailler.

Lisez le livre de Josué et des Juges, et vous verrez combien étroites sont les bornes du pays que vous possédez. Je ne parle point ici des contrées et des villes d'où vous n'avez pu chasser les étrangers, puisqu'il n'a pas même été en votre pouvoir d'exterminer les Jubéséens de votre capitale, et qu'au scandale de vos voisins ils ont partagé avec vous cette grande ville qu'on a appelée successivement Jebus, Jalem et Jérusalem, et qu'on nomme aujourd’hui Elia. Vous en étiez si peu maîtres, que votre temple a été bâti dans l'aire d'Oman-Jebuséen, et par les mains mêmes des païens et des étrangers. Salomon employa à ce grand ouvrage soixante et dix mille tailleurs de pierre, et quatre-vingt mille manoeuvres qui portaient les fardeaux, ce qui faisait en tout cent cinquante mille hommes, sans compter les inspecteurs des travaux : tant était prodigieux le nombre d'incirconcis qui demeuraient avec vous dans cette grande ville.

Je ne prétends point par là insulter à la Judée, comme un hérétique imposteur m'en accuse faussement, ni détruire la vérité de l'histoire, qui est le fondement spirituel que nous tirons des saintes Ecritures; mais je veux confondre l'orgueil des Juifs qui préfèrent la pensée étroite de la synagogue à la large pensée évangélique.

S'ils ne veulent s'attacher qu'à la lettre qui tue, et non point à l'esprit qui vivifie, qu'ils nous montrent dans la terre de promission des ruisseaux de miel et de lait; mais s'ils croient au contraire que cette expression signifie une abondance générale, nous aussi alors nous préférons à une terre de ronces et d'épines, la terre des vivants, la terre de promission, d'après les (439) paroles du Seigneur à Moïse en parlant de la réprobation d'Israël et de ln vocation des Gentils «Laissez-moi faire, que j'extermine ce peuple, et je vous ferai le chef d'une nation nombreuse;» et d'après le Père Eternel à son Fils: « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et vos possessions s'étendront jusqu'aux extrémités de la terre. »  Et cela se voit plus clairement dans le prophète Isaïe : « Il ne suffit pas que vous me serviez à relever les tribus de Jacob, et à réunir les restes d'Israël; je vous ai établi la lumière de toutes les nations afin que vous soyez le Sauveur de toute la terre. »

Ce qui fait voir très sensiblement que «toutes les choses qui sont arrivées à ce peuple n'étaient que des ombres et des figures, et qu'elles ont été écrites pour nous servir d'instruction, à nous autres qui nous trouvons à la fin des temps. »

Vous avez commis plusieurs crimes, ô Juifs ! et vous êtes devenus esclaves de tous les peuples que vous avez eus pour voisins. Pourquoi? à cause de votre idolâtrie. Dans cet état d'esclavage où vous vous êtes trouvés tant de fois, Dieu, touché de vos misères, vous a envoyé des juges pour vous gouverner, et des libérateurs pour rompre les fers dont les Moabites, les Philistins, les Ammonites et plusieurs autres nations vous avaient chargés; enfin, toujours rebelles à Dieu, vous avez vu du temps de vos rois tout votre pays livré aux Babyloniens. L'abandon du temple a duré soixante et dix ans; Cyrus, roi des Perses, vous rendit la liberté, comme le rapportent fort au long Esdras et Néhémias. Sous Darius, roi des Perses et des Mèdes, Zorobabel, fils de Salathiel, et le grand-prêtre Jésus, fils de Josedech, rebâtirent le temple. Je ne veux pas raconter ici tous les maux que les Egyptiens, les Mèdes et les Macédoniens vous ont fait souffrir; je ne vous rappellerai point les cruautés qu'Antiochus Epiphanès, le plus impitoyable de tous les tyrans, a exercées contre vous; je ne dirai point par combien d'insultes et d'outrages pompée, Gabynius, Scaurus, Varus, Casius et Sosius ont déshonoré vos villes et particulièrement Jérusalem. Enfin cette grande ville a été prise et son temple détruit sous Titus et Vespasien. Les habitants qui échappèrent au massacre, y restèrent encore cinquante an, c'est-à-dire jusqu'à l'empire d'Adrien. Mais le temple ayant été entièrement détruit, et la ville et le temple demeurent ensevelis sous leurs propres ruines depuis près de quatre cents ans.

Pour quel crime êtes-vous donc tombes dans cet abîme de misères? Il est certain que vous n'adorez point les idoles; quoique asservis à la domination des Perses et des Romains et accablés sous le joug d'une dure captivité, jamais vous n'avez voulu reconnaître les dieux étrangers. Comment donc se fait-il que Dieu dont les miséricordes sont infinies, et qui ne vous a jamais oubliés, soit insensible à vos malheurs et ne pense point à vous tirer de captivité, ou pour mieux dire, à vous envoyer l'Anté-Christ que vous attendez? Par quel péché encore une fois, par quel crime avez-vous oblige le Seigneur à détourner les yeux de dessus vous? Voulez-vous le savoir? Souvenez-vous de ces paroles de vos pères : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants; venez, tuons-le, et nous serons maîtres de son héritage. Nous n'avons point d'autre roi que César. »Vos désirs seront accomplis; vous serez esclaves de César jusqu'à la fin du monde, « c'est-à-dire jusqu'à ce que la multitude des nations soit entrée » dans l'Eglise, «et qu'ainsi tout Israël soit sauvé,» et que les premiers soient les derniers.

Voilà ce que j'ai dicté à la hâte et en peu de mots, sur la demande d'un homme aussi distingue que vous, qui, après avoir rempli deux fois avec tant dignité la place de préfet, vous distinguez encore plus aujourd'hui par l'éclat de vos vertus. L'on m'a demandé réponse en même temps, ou plutôt le même jour que j'ai reçu votre lettre; de manière que je me suis vu réduit ou à me taire, ce qui n'était pas convenable, ou à vous répondre quoique d'une manière fort incomplète, et c'est ce dernier parti que la charité m'a conseillé de prendre.

 

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