THÉOPHILE
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THÉOPHILE

TRAITÉ. A THÉOPHILE, PATRIARCHE D’ALEXANDRIE, SUR JEAN DE JÉRUSALEM.

 

Nous avons vu par votre lettre que vous êtes en possession de l'héritage que le Seigneur a laissé à ses apôtres, lorsque retournant vers son Père il leur dit : «Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix; » et de la félicité qu'il leur a promise lorsqu'il a déclaré « heureux les pacifiques. » Vous caressez en père, vous instruisez en maître, vous ordonnez en évêque. Vous êtes venu nous voir, non pas la verge à la main, mais dans un esprit de charité, de douceur et de paix, pour nous donner dès la première de vos instructions un parfait exemple de l'humilité de Jésus-Christ qui, venant sauver les hommes, n'est point entré dans le monde armé de foudres et de tonnerres, trais y est né dans une étable, commençant sa vie par des cris et des soupirs comme les autres enfants, et la finissant sur la croix dans un profond silence. Vous aviez lu ce qui est écrit de lui dans la personne de celui qui n'en était que la figure: « Seigneur, souvenez-vous de David et de son extrême douceur; » et ce qu'il dit aussi de lui-même en sa propre personne : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. » C'est sur cet excellent modèle que vous vous êtes réglé à votre arrivée. Vous avez parcouru le vaste champ des Ecritures, comme une abeille parcourt les fleurs des campagnes; vous avez su l'art d'y ramasser dans un discours plein d'éloquence tout ce qui était le plus propre à nous inspirer l'amour t'e la paix; et comme cette paix était le but où nous tendions, et que nous avions dejà commencé à courir pour l'atteindre, vos discours ont augmenté notre ardeur et hâté notre course. Comme elle était le port où nous souhaitions d'arriver, et que nous avions déjà tendu les voiles pour cela, vos exhortations, comme un gent favorable, sont venues enfler ces voiles pour nous faire arriver plus tôt; en sorte que bien loin d'avoir eu de la répugnance à entrer dans les sentiments de concorde et d'union que vous veniez nous inspirer, nous les avons reçus au contraire avec toute la joie dont nous étions capables. Mais que nous sert-il de vouloir la paix, si (447) tout notre pouvoir se borne à la souhaiter inutilement, sans être en état de nous la procurer? Car si nous avons la consolation de savoir que Dieu ne laisse pas même la simple volonté du bien sans récompense, il nous reste toujours un juste sujet de douleur de nous voir réduits à laisser imparfait un ouvrage dont nous souhaitons l'accomplissement avec tant d'ardeur. L'Apôtre le savait bien que, pour établir une paix solide, le consentement des deux partis est nécessaire. «Vivons, dit-il, en paix autant qu'il est en nous avec toutes sortes de personnes.» Et le prophète nous dit : « La paix, la paix. » Mais où est cette paix, et quel moyen de la trouver, si l'on se contente seulement de faire semblant de la vouloir? si lorsqu'on témoigne de bouche qu'on la désire, on travaille effectivement par sa conduite à la rompre; si l'on déclare au dehors qu'on ne souhaite que l'union et la concorde, pendant qu'on n'a autre chose en vue que de réduire tout le monde dans une dure servitude ?

Nous souhaitons la paix; et non-seulement nous la souhaitons, mais encore nous la demandons avec instance. Mais la paix que nous souhaitons est une paix sincère et véritable, une paix de Jésus-Christ, une paix sans inimitié, une paix sans guerre, une paix où l'on ne cherche qu'à gagner les autres et à se les unir par les liens d'une amitié étroite, et non pas à les traiter en ennemis avec hauteur.

Car pourquoi appeler paix ce qui ne sent que l'esprit de domination? et pourquoi ne pas donner aux choses les noms qui leur conviennent? Qu'on donne le nom d'inimitié à des haines déclarées, mais qu'on n'appelle paix que cette union solide et sincère que forme la charité. Nous ne rompons point l'unité de l'Église, nous ne nous séparons point de la communion de nos pères ; nous pouvons nous vanter au contraire d'avoir sucé, pour ainsi dire, la foi catholique avec le lait. Il n'est point de chrétien plus uni à l'Église que celui qui ne s'en est jamais séparé par l'hérésie; mais nous ne savons ce que c'est qu'une paix sans charité et une communion sans paix. Nous savons ce que dit l'Évangile : « Si, lorsque vous présentez votre don à l'autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre don devant l'autel et allez vous réconcilier auparavant avec votre frère, et puis vous viendrez offrir votre don. » Que s'il n'est pas permis à celui qui n'est point en paix avec son frère d'offrir un présent à l'autel, lui sera-t-il permis d'y recevoir le corps adorable de Jésus-Christ? Et moi, en quelle conscience oserai-je approcher de la sainte Eucharistie, et répondre amen, si je crois que celui qui me la donne n'a pas la charité dans le coeur?

Donnez-vous, je vous prie, la patience de m'entendre, et ne prenez pas la vérité que je vais vous dire pour une basse flatterie. A-t-on jamais eu la moindre répugnance de communiquer avec vous? Est-il jamais arrivé qu'au moment où vous donniez la communion, on ait détourné le visage en tendant la main pour la recevoir? Avez-vous jamais reçu au milieu de ce banquet sacré un baiser de Judas? Aussi ne craignons-nous pas de vous dire que les moines, bien loin d'appréhender votre arrivée, l'ont souhaitée et s'en sont réjouis. On les a vus sortir du fond de leurs déserts, et s'empresser à l'envi de vous donner des marques de leur respect et de leur soumission. Qui les a portés à cela, sinon l'amour sincère qu'ils ont pour vous? Oui, je le dis, c'est cet amour seul qui a pu réunir ce nombre infini de moines de tant de solitudes écartées; car si un père doit aimer ses enfants, les enfants aussi doivent réciproquement aimer leur père et leur évêque, mais d'un amour tendre et sincère et où la crainte n'ait point de part. On dit ordinairement qu'on hait celui que l'on craint, et qu'on ne peut s'empêcher de souhaiter la ruine de celui qu'on fait. Aussi l'Ecriture sainte nous apprend-elle que «la charité, quand elle est parfaite, bannit la crainte » qui est la vertu des commençants. Vous ne cherchez point à vous assujettir les solitaires, mais c'est cela même qui vous les rend plus soumis. Vous leur offrez le baiser, et ils plient la tête sous le joug que vous voudrez leur imposer; vous ne voulez combattre avec eux qu'en simple soldat, et ils se font un honneur de vous choisir pour leur chef et de combattre sous vos enseignes; vous ne dédaignez pas de vous mêler avec eux comme leur égal, et c'est ce qui les engage à vous regarder comme leur maître. La liberté est ennemie de la servitude, et elle se révolte dès que l'on pense à l'opprimer. On obtient tout d'un homme libre dès qu'on ne le traite point en esclave. Nous savons les canons de l'Église, (448) nous n'ignorons point le rang que chacun doit tenir, et nous sommes dans un âge où les lectures continuelles, les fréquents exemples et une longue expérience ont dû nous apprendre bien des choses. Un roi ne tarde guère à démembrer le royaume de David, ce prince si doux et si pacifique, lorsqu'il (1) «châtie ses sujets avec des verges de fer, » et qu'il se vante d'avoir « les doigts plus gros que n'était le dos de son père.» Le peuple romain ne put pas même souffrir l'orgueil dans un de ses rois (2).

Moïse , ce fameux conducteur du peuple juif, qui avait frappé l'Egypte de dix plaies différentes, et qui semblait avoir un empire absolu sur le ciel, sur la terre et sur la mer, nous est représenté dans l'Ecriture sainte comme le plus doux de tous les hommes; et ce fut par cette douceur avec laquelle il savait tempérer ce que l'autorité souveraine a de trop dur, qu'il se maintint quarante ans dans le commandement que Dieu lui avait donné. Tandis qu'on le lapide, il prie pour ses bourreaux, aimant mieux être effacé du livre de vie que de voir périr un peuple que Dieu avait confié à ses soins, et souhaitant imiter ce souverain pasteur qui devait venir un jour chercher ses brebis égarées et les rapporter sur ses propres épaules, et qui nous a dit lui-même : «que le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Aussi un des disciples de ce bon pasteur souhaitait-il « d'être anathème pour les Israélites qui étaient ses frères et ses parents selon la chair. » Que si l'Apôtre veut périr pour sauver ceux dont la perte était déjà assurée, que ne doit pas faire un bon père pour éviter d'aigrir l'esprit de ses enfants, et de révolter par une conduite trop sévère ceux même d'entre eux qui sont les plus doux et les plus traitables!

Quoique je sois oblige de rite prescrire des bornes dans cette lettre, néanmoins la douleur dont je suis pénétré est si Vive qu'elle ne me permet pas d'être court.

L'évêque de Jérusalem avoue. lui-même dans ses lettres, qui ne respirent, à ce qu'il prétend, que la charité et la paix, mais que je trouve, moi, très piquantes; il avoue, dis-je, que je ne l'ai jamais offensé ni traité d'hérétique. Pourquoi

 

(1) Saint Jérôme fait ici allusion a la réponse que Roboam fit à ses sujets qui se plaignaient de la dureté avec laquelle il les traitait.

(2) Tarquin, surnommé le Superbe.

 

donc me traite-t-il lui même d'une manière si outrageante, en me faisant passer pour un homme rebelle à l'Eglise, et attaque d'une maladie très dangereuse ? Il épargne ceux qui lui font du mal, et il s'en prend à moi qui ne lui en fais point.

Avant l'ordination de mon frère,il n'a jamais témoigné qu'il eût eu le moindre différend avec le saint évêque Epiphane touchant les dogmes et la doctrine de l'Eglise; pourquoi donc s'est-il engagé, comme il le dit lui-même, a disputer devant tout le peuple sur une matière que personne n'avait encore abordée? Car vous êtes trop éclairé pour ne pas savoir qu'il est très dangereux d'agiter ces sortes de questions, et que le parti le plus sûr est de n'en rien dire. à moins qu'on ne s'imagine être obligé de traiter les matières les plus relevées. Quelle éloquence et quelle étendue d'esprit ne faut-il pas avoir pour parler à fond dans un seul discours, comme il se vante de l'avoir fait, de matières sur chacune desquellles en particulier les plus savants hommes se sont épuisés et ont écrit tant de volumes! Mais ce n'est point là mon affaire, c'est celle de celui qui s'en vante dans sa lettre, ou de ceux en présence desquels il s'en est vanté. Qu'il ne m'accuse donc point de lui en imposer; je n'étais point présent lorsqu'il s'en est vanté et je ne lui ai point entendu dire; j'en parle comme les autres, ou plutôt j'ai laissé crier les autres et j'ai gardé sur cela un profond silence.

Mais comparons un peu la personne de l'accusateur avec celle de l'accusé, et jugeons par le mérite, par les moeurs et par la doctrine de l'un et de l'autre, auquel des deux nous devons ajouter foi. Vous voyez que je ferme les veux sur bien des choses, que je me contente de les effleurer, et que j'aime mieux vous faire connaître ma pensée par mon silence que de l'exprimer par mes paroles.

J'ai pénétré d'abord vos intentions et je n'ai pu m'empêcher d'admirer la sagesse avec laquelle vous vous étiez comporté dans cette affaire ;car dans le dessein que vous aviez de travailler à la paix de l'Eglise, vous vous êtes, pour ainsi dire, bouché les oreilles de peur d'entendre la voix des syrènes. En effet, instruit dès vos plus tendres années dans l'étude de l'Ecriture sainte, vous n'ignorez pas en quel sens on doit prendre les vérités qu'elle nous (449)

enseigne, et vous avez si bien mesuré toutes vos paroles dans une matière si délicate, qu'on ne peut s'apercevoir si vous rejetez notre opinion ou si vous condamnez celle des autres.

Vous savez bien néanmoins que, quand on conserve la pureté de la foi et qu'on en veut faire une profession ouverte, on n'use ni de déguisements ni de détours. Ce qu'on croit simplement, on doit le confesser de même. Ne pouvais-je pas me récrier, et dire au milieu même des épées et des flammes de Babylone Pourquoi répondre autre chose que ce qu'on vous demande? pourquoi ne pas faire une confession pure et simple de la vérité?

Jean craint tout, il pèse tout, il hésite sur tout; il semble, à le voir, qu'il marche sur la pointe des piques. Mais c'est l'amour qu'il a pour la paix, après laquelle il soupire avec tant d'ardeur, qui l'empêche de répondre d'une manière précise à ce qu'on lui demande. Il souffre que les autres l'offensent impunément sans oser leur rendre injure pour injure. Cependant je garde, moi, un profond silence, et je consens qu'on fasse passer ma retenue ou pour ignorance ou pour faiblesse. A quoi ne devais-je pas m'attendre si j'eusse été assez hardi pour me déclarer son accusateur, puisqu'il m'a traité si indignement dans le temps même que je ne lui donnais que des louanges, comme il l'avoue lui-même?

Sa lettre est moins une exposition de sa foi qu'une invective continuelle et un tissu d'injures contre moi; on n'y remarque aucune de ces manières honnêtes que la bienséance a établies parmi les hommes, et il m'y traite avec autant de dédain que si je n'étais plus au monde. Il semble à l'entendre que j'aie voulu m'attirer ses réponses pour me faire un nom, ou que je me sois exposé de gaîté de coeur à ses extravagances, moi qui dès ma jeunesse ai cherché l'obscurité d'un monastère pour me dérober à la vaine estime des hommes.

Il y en a parmi nous qu'il traite avec un peu plus d'honnêteté, mais ce n'est que pour avoir ensuite le plaisir de les déchirer plus cruellement. Est-ce que nous ne pouvons pas aussi lui reprocher des choses qui sont connues de tous?

Il fait un crime à un des nôtres d'avoir été esclave avant son élévation à la cléricature, comme s'il n'y avait pas dans son clergé des clercs à qui on pourrait adresser les mêmes reproches, et comme s'il ne savait pas lui-même que saint Paul, étant en prison, baptisa Onésime et l'ordonna diacre tout esclave qu'il était. Il l'appelle imposteur, et, afin de se dispenser de prouver ce qu'il avance, il se contente de dire qu'il le sait par ouï-dire. Oh! si je voulais ajouter foi à ces sortes de bruits et me prévaloir de ce que j'entends tous les jours, je lui ferais bien voir que je sais des choses qui sont devenues si publiques que je ne puis pas les ignorer.

Il dit que l'honneur qu'on a fait à cet ecclésiastique de l'admettre dans le clergé est en quelque façon la récompense de ses impostures. Qui ne craindrait pas un homme d'un esprit si subtil et si pénétrant? Qui pourrait résister à cette éloquence qui, semblable à la foudre, renverse tout ce qu'on lui oppose? Lequel est le plus glorieux d'avancer une calomnie ou de la souffrir? d'accuser une personne qu'ensuite l'on feint d'aimer, ou de lui pardonner les injures qu'elle nous a faites? Lequel est le plus supportable de voir un imposteur devenir édile (1), ou de le voir élevé à la dignité de consul? Il sait assez ce que je passe ici sous silence, ce que je pourrais rapporter, ce que j'ai entendu, et ce que je veux bien par charité ne pas croire tout-à-fait.

Il me reproche d'avoir traduit les ouvrages d'Origène en latin. Je ne suis pas le seul qui l'ait fait; le saint confesseur Hilaire les a traduits aussi, et à son exemple j'ai retranché ce qu'il y avait de dangereux dans ses écrits, et traduit seulement ce qui pouvait être bon et utile. Qu'il lise lui-même ma traduction, s'il entend le latin; (car je m'imagine qu'il doit avoir appris cette langue par le commerce continuel qu'il a avec des frères de l'Église latine); ou s'il ne l'entend pas, qu'il ait recours à ses interprètes, et il apprendra qu'il devait me louer des choses dont il me blâme; car comme j'ai toujours loué Origène pour sa manière d'interpréter l'Écriture sainte, aussi l’ai-je toujours condamné pour sa doctrine. Est-ce que j'approuve sans

 

(1) Saint Jérôme compare ici, quoique d'une manière un peu obscure, un simple ecclésiastique avec un édile, et un évêque avec un consul; et par là il fait un reproche très adroit, mais en même temps très piquant, à Jean de Jérusalem; car c'est comme s’il lui disait: « Comment pouvez-vous trouver mauvais qu'on ait admis à la cléricature celui que vous traitez ici d'imposteur, puisqu'on vous a bien élevé vous-même à l'épiscopat, tout imposteur que vous soyez. »

 

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distinction tous les ouvrages d'Origène? Approuvé-je de même tous ceux des autres écrivains? Je sais la différence qu'il faut mettre entre les écrits des Apôtres et ceux des autres écrivains ecclésiastiques; je sais que les premiers disent toujours vrai, et que les autres se trompent quelquefois. Ce serait une manière bien nouvelle de défendre un auteur, si, en publiant. ce qu'il y a de défectueux dans les ouvrages d'Origène, je voulais en faire un crime à tous les autres; c'est-à-dire si, n'osant pas le défendre ouvertement, j'entreprenais de l'excuser, en attribuant aux autres les mêmes erreurs dans lesquelles il est tombé. Il est impossible que personne ait jamais lu six mille volumes d'Origène, puisque cet auteur n'en a jamais tant composé; et celui qui dit avoir entendu (1) quelqu'un se vanter de les avoir lus me paraît plus capable d'avoir inventé cette fausseté, que l'autre de l'avoir avancée.

Il rejette sur mon frère (2) la cause de notre division, lui qui demeure tranquillement dans ma cellule, et qui ne regarde pas tant la cléricature comme un honneur que comme un fardeau. Après nous avoir témoigné cent fois qu'il ne désirait que la paix, il va soulever par ses lettres et par ses plaintes tous les évêques d'Occident, en leur mandant que, quoique mon frère ne fût encore qu'un jeune homme et presque un enfant, on l'avait néanmoins ordonné prêtre dans Bethléem, qui est de son diocèse.

Si cela est, tous les évêques de Palestine ne sauraient l'ignorer; car le monastère de saint Epiphane, qu'on appelle l'ancien, et où l'on a ordonné mon frère , est situé dans le diocèse d'Eleuthéropolis, et non dans celui de Jérusalem.

Quant à son âge, votre béatitude sait qu'il a trente ans accomplis; or je ne vois pas qu'on puisse trouver mauvais qu'un homme de trente ans soit ordonné prêtre, puisque le mystère de l'Incarnation du Sauveur nous révèle que cet âge est un âge parfait dans Jésus-Christ. Qu'il lise l'ancienne Loi, et il apprendra qu'on élevait au sacerdoce ceux de la tribu de Lévi à l'âge de vingt-cinq ans; ou s'il veut seulement suivre

 

(1) C'est le reproche que Rufin et Jean de Jérusalem faisaient à saint Epiphane, comme saint Jérôme le témoigne dans le deuxième livre de son apologie contre Rufin.

(2) Paulinien.

 

le texte hébreu, il verra que les prêtres étaient ordonnés à l'âge de trente ans. S'il me répond que l'ancienne Loi a fait place à la nouvelle, je le renverrai à ce que dit saint Paul à son disciple Timothée : « Faites en sorte que personne ne méprise votre jeunesse;» ou bien je le renverrai à lui-même, puisque l'on sait assez qu'il n'était guère plus âgé que mon frère quand il a été sacré évêque. Il m'objectera peut-être que cela est permis à un évêque, mais non pas à un prêtre, parce que cet âge ne répondrait pas au nom qu'il porte (1); mais je lui demande pourquoi donc lui-même a-t-il ordonné un prêtre qui n'était pas plus âgé, ou même qui était plus jeune que mort frère, et, ce qui est encore plus irrégulier, qui était attaché à un autre diocèse que le sien?

Que s'il ne veut pas laisser mon frère en paix à moins qu'il ne se soustraie à la juridiction de l'évêque qui l'a ordonné pour se soumettre à la sienne, il montrera par cette conduite qu'il ne cherche la paix que comme un moyen de se venger plus aisément, et qu'il n'aura jamais de repos qu'il ne nous ait fait tout le mal dont il nous menace. Mais au reste, la retraite a tarit d'attraits pour mon frère, que quand bien même il aurait été ordonné prêtre par l'évêque de Jérusalem, il ne voudrait pas remplir les fonctions de son ordre; et si pour cela ce prélat voulait troubler la paix de l'Église, mon frère ne lui devrait alors que le respect qui est dû à tous les évêques.

Voilà jusqu'où il pousse son apologie, ou plutôt sa satire contre moi. Je ne lui ai répondu dans ma lettre qu'en peu de mots et comme en passant, pour lui faire sentir par ce que j'ai dit que j'en aurais pu dire davantage; que j'ai assez d'esprit pour découvrir ses ruses, et que je ne suis point un idiot qui n'entend que le son des paroles, sans en pénétrer le sens. Il me reste à vous prier de pardonner à ma douleur, et de considérer que si c'est un orgueil d'avoir répondu aux accusations qu'il formule, c'en est encore un plus grand de s'être déclaré mon accusateur. Je puis me flatter néanmoins d'avoir répondu avec assez de modération me contentant de lui indiquer que j'en ai laissé beaucoup plus à dire que je n'en ai dit.

 

(1) Saint Jérôme tait allusion au mot grec presbuteros d'où celui de prêtre est dérivé, et qui signifie ancien.

 

Pourquoi vont-ils chercher la paix si loin? pourquoi veulent-ils que les autres nous forcent de l'accepter? Qu'ils nous laissent en repos, et aussitôt nous serons en paix. A quoi bon nous l'aire tant de menaces, et vouloir nous effrayer par le nom de votre sainteté, puisque votre lettre ne respire que la douceur et la paix? Nous avons une preuve sensible que les lettres que vous nous avez écrites ne tendaient qu'à l'union et à la concorde ; c'est que le prêtre Isidore, qui en était le porteur, n'a jamais voulu nous rendre celles où l'on ne songeait qu'à nous leurrer par une paix fausse et simulée.

Voici sur quoi il faut que nos adversaires se prononcent. Ou nous sommes bons, ou nous ne le sommes pas : si nous le sommes, qu'ils nous laissent donc en repos; si nous ne le sommes pas, pourquoi veulent-ils se lier avec nous?

Jean a sans doute appris par sa propre expérience combien il est avantageux de s'humilier. Quand on voit un homme séparer deux choses qu'il avait unies lui-même, il est aisé de juger qu'il y est contraint par une autorité supérieure, à laquelle il ne peut résister.

Il n'y a pas longtemps qu'il a demandé et obtenu mon exil; plût à Dieu qu'il eût fait exécuter les ordres qu'on lui avait donnés pour cela! J'aurais la gloire d'avoir supporté l'exil non-seulement d'intention, mais encore de fait, comme il a le chagrin d'avoir eu la volonté de nous le faire souffrir, et de voir que cette volonté lui est réputée pour le fait.

C'est en répandant son sang, c'est en souffrant, et non pas en faisant des outrages, que l'Église de Jésus-Christ s'est établie; elle s'est accrue par les persécutions, elle a été couronnée par les souffrances de ses martyrs. Si nos ennemis, comme ils le démontrent assez par leurs lettres, ne veulent pas entrer dans ces dispositions que la douceur et la charité chrétiennes ont coutume d'inspirer; s'ils veulent user toujours de rigueur, s'ils aiment mieux persécuter les autres que d'être persécutés eux-mêmes; il y a ici des Juifs, il y a plusieurs sortes d'hérétiques, et particulièrement d'infâmes manichéens; pourquoi tant d'égards pour eux? pourquoi n'osent-ils leur causer le moindre chagrin ?

Il n'y a que nous qu'ils veulent exterminer et qu'ils accusent de troubler la paix de l'Église, à laquelle néanmoins nous sommes étroitement unis par une même communion. J’en appelle ici à votre propre témoignage : n'est-il pas juste, ou qu'ils chassent ces hérétiques avec nous, ou qu'ils nous souffrent avec eux , à moins que peut-être ils ne veuillent nous faire l'honneur de nous en séparer en nous exilant?

Un moine (je ne le puis dire sans douleur) et encore un moine qui se vante d'être évêque d'un siège apostolique, menace d'autres moines; il demande qu'on les envoie en exil, et il l'obtient. Mais, grâce à Dieu, des moines ne sont. pas gens à s'épouvanter des persécutions, et ils sont toujours plus prêts à présenter leur tête au glaive des bourreaux, qu'à en détourner le coup. Comme ils se sont volontairement exilés de leur patrie, aussi regardent-ils toutes les contrées du monde comme un lieu d'exil. Qu'est-il nécessaire d'employer l'autorité du prince, de faire de si grands frais et de se donner de si grands mouvements pour obtenir un ordre de départ? Il n'a qu'à nous faire la moindre sommation, et nous obéirons aussitôt. « La terre est au Seigneur et tout ce qu'elle confient.» Jésus-Christ n'est renfermé dans aucun lieu.

Nous allons à home avec vous pour les affaires ecclésiastiques, dit-il ensuite, nous communiquons avec cette Eglise dont il nous croit séparés. Nous n'avons pas besoin d'y aller; nous ne sommes pas moins de la communion romaine étant en Palestine que si nous étions à home; et sans aller si loin, nous communiquons ici avec les prêtres de cette Eglise qui sont à Bethléem. Tout cela prouve que ce n'est point l'intérêt de l'Église, mais la passion seule qui l'anime contre nous; et qu'on ne doit point attribuer à l'Église en général les mauvais traitements qu'il nous fait, mais à l'aversion qu'il a contre nous et qu'il tâche d'inspirer aux autres.

Je le répète encore une fois, je souhaite de vivre en bonne intelligence avec lui; je désire la paix , mais une paix de Jésus-Christ; et je vous prie de lui dire qu'il doit aussi la souhaiter, et non pas nous contraindre à l'accepter. Qu'il se contente de nous avoir traités d'une manière si dure et si outrageante, et qu'il se montre désormais un peu plus charitable envers nous, afin de guérir les plaies (452) qu'il nous a faites autrefois. Qu'il soit tel à notre égard qu'il était lorsque son propre penchant le portait à nous aimer; qu'il n'agisse point par les mouvements d'une passion étrangère; qu'il fasse ce qu'il veut lui-même, et non pas ce que les autres lui suggèrent; qu'il remplisse les devoirs d'un véritable évêque en commandant également à tous, ou qu'il imite l'apôtre saint Paul en travaillant avec une égale charité au salut de tous ses frères.

S'il agit ainsi à notre égard, nous voilà d'accord; il peut nous regarder comme ses amis et comme ses proches, et être persuadé que nous lui serons parfaitement soumis en Jésus-Christ, comme nous le sommes à tous les autres évêques. « La charité est patiente, elle est douce; la charité n'est point envieuse, elle ne s'enfle point d'orgueil ; elle endure tout, elle croit tout ; » elle est la mère de toutes les vertus, et quand elle est jointe avec la foi et l'espérance, comme saint Paul les unit en disant : « La foi, l'espérance et la charité, » ces trois vertus sont comme une « triple corde qu'on ne saurait rompre. » Nous avons la foi et l'espérance, et ces deux vertus nous unissent tous parles liens de la charité. Car nous avons quitté notre pays

pour vivre en paix dans la solitude; pour respecter les évêques de Jésus-Christ qui enseignent la véritable foi, non pas avec la sévérité d'un maître, mais avec l'affection d'un père ; pour leur rendre tout ce qui est dû à leur dignité et à leur caractère ; non pas pour nous assujettir à l'injuste domination de ceux qui, abusant du nom et de l'autorité des évêques, veulent nous traiter en esclaves. Nous n'avons pas assez d'orgueil pour leur refuser ce qui leur est dû, persuadés que celui qui honore les évêques de Jésus-Christ honore en leur personne celui dont ils tiennent la place.

Mais qu'ils se contentent du respect qu'on leur doit, et qu'ils sachent qu'ils sont pères et non pas maîtres, particulièrement de ceux qui préfèrent le repos et la tranquillité de la vie solitaire aux grandeurs et aux vanités du monde. Je prie Dieu qu'il rende vos prières efficaces, et qu'il nous fasse la grâce de nous unir tous par les liens d'une charité tendre et sincère, et non pas par une fausse paix; « de peur que, nous mordant et nous dévorant les uns les autres, nous ne nous détruisions aussi les uns les autres, » comme dit saint Paul dans son épître aux Galates.

 

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