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APPENDICE

 

Le présent volume étant resté longtemps sur le marbre, j'ai eu l'avantage de pouvoir, tout à mon aise, en soumettre les épreuves à une vingtaine de critiques — théologiens, historiens et grammairiens. « Faites-vous des amis prompts à vous censurer. » Je dois aux miens une foule de remarques particulières dont j'ai scrupuleusement profité. Quant à certaines observations plus générales, et dont, pour une raison ou pour une autre, je ne pouvais pas faire état dans le texte, j'ai pensé qu'an me permettrait de les mentionner ici. J'y ajouterai, si on le veut bien, quelques-unes des fiches que je n'ai pas utilisées, et qui pourront intéresser d'autres travailleurs,

 

I. — Lallemant et Rodriguez.

 

Je donnerai d'abord la lettre d'un saint et savant jésuite, récemment décédé et qui avait été, pendant de longues années, maître des novices ou père spirituel des jeunes religieux, dans la province de Lyon. Je puis le nommer sans inconvénient: c'est le R. P. Joseph Petit.

« Il arriva en France, au P. Lallemant et à ses disciples, ce qui était arrivé, un peu auparavant, au P. Balthazar Alvarez, en Espagne. Comme son école spirituelle avait en vue, non pas seulement de former les âmes à la méditation ordinaire et à la pratique des vertus chrétiennes ordinaires, mais encore de préparer et d'acheminer à la vie contemplative, les âmes qui peuvent y être appelées de Dieu, elle a été suspectée d'innovation plus ou moins dangereuse, par certains esprits bornés, timides ou ombrageux, soit dans le clergé séculier, soit dans le clergé régulier et même parmi les nôtres Et cependant, cette école spirituelle du P. Lallemant était fondée sur les bons principes de la théologie dogmatique et morale, et elle a formé, dans le monde et dans la vie religieuse, des âmes d'élite. Bien

 

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loin d'être blâmée par les supérieurs de la Compagnie, elle a été très appréciée par eux.

« Dans la nouvelle Compagnie, au siècle dernier, ayant à former de nouvelles recrues, on a jugé meilleur de s'en tenir d'abord strictement à la lettre des Exercices spirituels et à la doctrine, d'ailleurs excellente et toute pratique, de la Perfection chrétienne de Rodriguez, qui est plutôt faite pour les commençants.

« Quant au P. J-J. Surin..., les voies extraordinaires.., par lesquelles il a marché..., ont un peu mis en défiance contra lui certains esprits, hors de chez nous et même chez nous. Ce qui y a encore contribué, il faut le dire, c'est que son ouvrage, le Catéchisme spirituel, dénoncé à Rome, à l'époque des fameuses disputes du quiétisme, y a été mis à l'index (2o juillet 1695), pour une proposition qui, sinon pour le fond, d'ailleurs suffisamment expliqué par le contexte, du moins, pour la forme, prêtait flanc à la critique et à l'abus. Néanmoins, cet ouvrage, peut-être le meilleur du P. Surin, est excellent dans tout son ensemble ».

Il y aurait donc, parmi les spirituels de la Compagnie, deux courants, l'un décidément mystique, l'autre quelque peu ombrageux à l'endroit du mysticisme. Lallemant, Surin d'une part ; Rodriguez, Bourdaloue, de l'autre. Comme le rappelle le R. P. Petit, ces divergences ne sont pas particulières aux jésuites Français. Le conflit a commencé dès le XVIe siècle, en Espagne (cf. plus haut, p. 327) : cf. aussi l'article de M. Saudreau (Revue du Clergé, 1er août 1917).

Au reste, il ne semble pas avoir cessé depuis. Voici, par exemple, ce que nous lisons dans la Revue d'ascétique et de mystique (janvier i9'eo, p. 102), à propos du R. P. de Maumigny, mort en 1918. « Il s'arrêtait, avec une préférence marquée... à « l'incomparable sainte Thérèse ». Il était par contre, et mettait ses auditeurs en garde contre une partie de l'école française du XVIIe siècle, et notamment contre la tendance du P. Surin à montrer, dans les états mystiques, la récompense et la suite, pratiquement certaine, de l'ascèse pratiquée à un degré éminent ». — Que néanmoins dans l'ensemble de sa doctrine et, notamment sur le point particulier dont il. est ici question, le P. Surin se trouve en parfait accord avec sainte Thérèse, cela me paraît l'évidence même. Mais telle n'est plus ici la question.

Voici encore et toujours sur le texte de notre premier chapitre

 

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les observations qu'a bien voulu faire un autre spirituel de la Compagnie.

 

1° Il ne paraît pas exact que l'on puisse opposer la doctrine de Rodriguez à celle du P. Lallemant. La vérité est qu'ils se complètent. Le P. Rodriguez parle à des commençants, le P. Lallemant à des religieux plus avancés. Nous ne sommes donc pas en présence de deux écoles de spiritualité, mais de deux méthodes, destinées à des âmes qui sont supposées en deux stades différents d'avancement spirituel... Il y a lieu de modifier dans ce sens toute la théorie de l'auteur.

 

Si j'ai trop « opposé n ces deux « méthodes n, j'ai eu tort. II suffit de les distinguer. Mais le R. P. sait fort bien que beaucoup de ses confrères n'admettent pas que la Perfection de Rodriguez soit un manuel à l'usage des seuls commençants. Que de fois n'a-t-on pas répété que Rodriguez suffisait à tout?

 

2° Quand aux moyens à prendre pour « franchir le pas », ils peuvent se résumer dans ces paroles du P. Surin, citées par l'auteur : « Renoncer aux propres satisfactions, pour demeurer en la présence de Dieu et opérer en sa lumière le bien qui sera connu, sans rien lui refuser ». En résumé, renoncement et recueillement ; esprit de sacrifice et esprit de prière L'auteur développe très bien l'idée de renoncement; il ne s'attache pas assez à faire ressortir l'idée de recueillement habituel. Renoncement et recueillement sont également et conjointement nécessaires pour « franchir le pas ».

 

Cette remarque n'est pas seulement très juste, elle est encore très précieuse.

 

3° L'auteur devrait supprimer la citation de la page 4o, où il est question de la présence de Dieu. A vrai dire, le sens de cette citation revient à ceci : « Si l'amour affectif n'incline pas l'âme à mieux agir, à commettre moins de fautes, il n'est pas un véritable amour de Dieu ». Rodriguez ne dit point que l'amour, même simplement affectif, soit sans valeur propre, mais que s'il n'a pas au moins indirectement une influence sur les actes, il est illusoire et nuisible. Et ceci, Lallemant l'enseigne également, à la suite de saint Ignace. Donc il n'y a pas opposition.

 

Oui, sans doute, on peut donner à la phrase de Rodriguez un sens raisonnable. Mais ce qui m'intéresse dans cette phrase, c'est l'esprit même de l'auteur, c'est l'anti-mysticisme robuste que trahit tout le passage.

 

 

II. — Loudun et les possessions diaboliques au XVIIe siècle.

 

Sur le cas de Loudun et sur le chapitre que j'ai consacré à Jeanne des Anges, voici le jugement d'un prêtre dont l'autorité est grande en ces matières : « Vous avez raison, veut-il

 

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bien m'écrire, d'après les passages que vous citez, Jeanne des Anges n'a pas l'accent des saints ; elle n'a pas assez pratiqué l’ama nesciri. Ceci est vrai. Elle a fait cependant de grands progrès sous la conduite du P. Surin; vous le reconnaissez du reste; je crois ces progrès plus grands que vous ne les faites voir, mais ce ne fut pas l'éminente sainteté. Je vous concède volontiers que les exorcistes sont quelquefois portés à faire trop fond sur les dires des démons. Il faut être sur ce point extrêmement prudent, bien qu'on arrive souvent à contraindre les démons à dire la vérité, bien malgré eux... Vous avez lu plus d'ouvrages sur cette question que je n'en ai lus ; c'est un avantage... Mais, croyez-moi..., pour bien juger des cas de possession, rien ne vaut l'expérience, et manifestement l'expérience vous manque.. (C'est tout à fait vrai) (or) l'expérience que j'ai de ces faits me fait reconnaître dans la narration du P. Surin, la réalité certaine de la possession. Demandez à quiconque a une vraie et notable expérience des faits et gestes des démons possesseurs, il vous dira : il n'y a pas à douter de la possession de Loudun ». Un autre prêtre, également consulté, ne parle pas autrement: « Plus j'ai pratiqué ce ministère d'exorciste — depuis 17 ans j'ai été amené à examiner bien des cas, réels ou supposés — et plus j'ai reconnu dans le fait de Loudun, comme dans le cas du P. Surin, l'intervention indéniable des démons, leur mentalité, leurs façons de dire, leurs moeurs, en un mot leur psychologie. Ou bien l'habitude professionnelle ne signifie rien, ou bien tout prêtre qui aura pu pratiquer cette matière des exorcismes, sera, sans hésitation, de mon avis ».

Unicuique in arte sua credendum est. Je dois dire néanmoins que, bien qu'elles m'impressionnent très fort, ces graves affirmations n'arrivent pas à me convaincre tout-à-fait. Pour moi, qui d'ailleurs n'ai pas à me prononcer sur les possessions de Loudun, le doute reste permis. C'est qu'en effet, lorsqu'il s'agit du passé, d'un si lointain passé, l'expérience ne suffit pas à résoudre de pareils problèmes. Il y faut encore des documents sérieux, et ceux-ci nous manquent. Et puis, je me permettrai de demander au second de ces exorcistes si, d'aventure, l'idée qu'il s'est faite de la « psychologie n diabolique ne lui serait pas venue d'abord du P. Surin.

Quant à l'esprit dans lequel a été composé ce chapitre sur Jeanne des Anges, je donne ici quelques-unes des autorités qui l'ont formé.

Saint Vincent de Paul, à propos d'une jeune fille qu'on lus

 

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avait amenée à fin d'exorcisme : « Ma pensée fut d'abord, écrit-il, qu'il n'y avait que cette humeur mélancolique qui la travaillait. Le respect que je devais néanmoins à ceux qui étaient d'avis qu'il y avait quelque obsession maligne, fit que je soumis mon jugement... Je... dis que je pensais qu'il n'y avait point d'inconvénient que M. Charpentier lui fît quelques exorcismes secrets, doucement et sans provoquer l'esprit malin au dehors, plutôt par imprécation que par exécration ». Lettres, II,

pp. 199, 200.

Le P. Amelote dans la vie du P. de Condren : « Il prenait le malade dans sa plus grande liberté et s'il était agité pendant son entretien, il ne s'amusait pas à l'esprit malin; il se mettait en prières et faisait avec humilité quelques exorcismes sans aucun éclat... (Il enseignait) que le diable méprisé se retirait de lui-même et que s'il ne pouvait amuser les assistants et leur imprimer par ce moyen quelque malignité, il demeurait confus. Pour lui ôter cet avantage, il ne voulait point de témoins... Les chrétiens, disait-il, sont les juges des Anges avec Jésus-Christ, et il n'est pas séant à un juge de traiter en autre qualité avec un criminel. Toutes les paroles d'un exorciste doivent être des foudres lancées contre les malins esprits, il ne faut s'exprimer avec eux qu'à la façon de Dieu, qui leur fait sentir ses volontés par une nouvelle pointe de supplice...

« Que si parfois le diable parlait... soit en raillant, comme il fait d'ordinaire... pour insinuer dans les esprits son instinct malin de bouffonner parmi les choses les plus sérieuses... soit en disant des choses rares et sublimes pour exciter la curiosité..., il prévenait tous ces desseins en lui imposant silence.., et, en le tançant, il ne lui permettait pas de dire mot. »

En d'autres termes, il prenait exactement le contre-pied du P. Surin et des exorcistes de Loudun. Qui l'en blâmera?

« Nous devons, disait-il, regarder le diable comme un excommunié, avec lequel il ne faut jamais avoir de commerce... C'est... un péché de les écouter, et un désordre inexcusable de les consulter... De laisser discourir le prince du inonde en l'école du ciel, de dresser une chaire à celui qui n'a rien de propre que le mensonge, d'attendre l'appui de la foi d'un ennemi, qui veut cribler les fidèles comme le froment... c'est bien s'éloigner de la pratique inviolable de Jésus-Christ... La vérité doit être suspecte, qui vient de la source de toute erreur...

 

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« Après avoir fait quelques exorcismes, pendant lesquels, quoi que le diable dit, il ne lui répliquait jamais que ces mots : « Tais-toi », il se mettait en oraison...

« En ce même temps qu'il était en Sorbonne, jeune prêtre et jeune docteur..., il se trouva un... possédé, après lequel diverses personnes ayant travaillé, on s'avisa d'en commettre tout le soin à M. de Condren... Il obéit facilement... mais avec dessein de ne point exorciser lui-même... Il choisit un enfant de cinq à six ans, à qui il fit prononcer les exorcismes, sans s'amuser aux furies du démon... (et) ce fut une merveille inouïe de voir tout d'un coup la puissance de l'enfer vaincue par l'infirmité d'un enfant. » (La vie du Père Charles de Condren, Paris, 1643, I, pp. 267-286.) J'ai déjà donné ces textes clans le tome III, mais ils pèsent d'un tel poids dans la balance que je crois bon de les répéter.

 

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Ici, quelques autres détails que j'ai recueillis dans des livres peu communs. — La mère Gautron, prieure des bénédictines de Saumur, ne voulut « jamais permettre que les exorcismes se fissent dans l'église du monastère... Plusieurs rencontres ont fait connaître que cette sorte de maladie est quelquefois contagieuse... Quand il se trouve des imaginations trop fortes, ces spectacles les troublent et peuvent les tourner presque comme des possédées ».

(La vie de la Révérende Mère Madeleine Gautron... (par le P. Jean Passavant, oratorien), Saumur, 1689, curieux livre et excellent.

Peu avant, ou peu après les possessions de Loudun, des scènes analogues avaient eu lieu à Turin. Une dame, furieuse, dit-on, de la vocation de sa fille, « eut recours à la magie et conféra avec une personne qui avait commerce avec le démon, qui lui promit de jeter un sort sur le monastère de Sainte-Claire... Elle prit pour cela un jour auquel on faisait une cérémonie particulière chez elles, et, comme c'est l'usage en Italie qu'en de semblables occasions, les parents des religieuses leur envoient de beaux régales de sucreries et confitures, cette dame en envoya une... grande quantité... Le présent, en apparence, ne pouvait être plus beau, mais, dans le fait, il n'y eut jamais rien de plus abominable, car toutes ces pièces étaient farcies de maléfices et de démons. La distribution en fut faite dans le réfectoire, où presque toutes les religieuses

 

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étaient à table et, croyant de goûter des douceurs innocentes, elles mangèrent des morceaux envenimés du poison d'enfer... Au bout de quelques jours, le monastère se trouva infecté d'une fourmilière de démons, qui avaient pris possession des corps de la plus grande partie de ces saintes âmes ». La Vie de Monseigneur D. Juste Guérin, religieux barnabite..., évêque et prince de Genève, composée par le R. P. Dom Maurice Argrand, religieux du même ordre, Annecy, 1678, pp. 45-47.

Ce livre est aussi plein d'intérêt, Dom Juste Guérin ayant joué un rôle important dans l'histoire posthume de François de Sales. Saint homme et très attachant (1578-1645). Pendant qu'il travaillait à la béatification de François de Sales, toute une correspondance à ce sujet entre lui et sainte Chantal) il s'employait à installer des barnabites à Paris. Voici un joli billet de lui à Charles Auguste de Sales : « J'étais un vieux religieux, tout usé... dans le cloître, si formé dans mes habitudes, que, quand je me vis un collet et des manchettes, du vert et du rouge autour de moi, et que l'on m'appelait Monseigneur, il m'était avis que c'était un jeu ». (Ib., p. 21o). En 1644, ayant obtenu les bulles pour Charles Auguste, dont il voulait faire son coadjuteur, il lui écrit : « Monseigneur, très digne évêque d'Ehron et coadjuteur de Genève et vrai neveu de saint François de Sales. — Benedictus Deus et Pater Donnini nostri Jesu Christi, Pater misericordiæ et Deus totius consolationis, qui consolatur nos in omni tribulatione nostra. Amen. Les voilà, par la grâce de Dieu (les bulles). Hier, je dis le Te Deum, submissa voce, et aujourd'hui, je le dirai, alta voce, deux fois, une en l'église paroissiale de Rumilly, et une autre fois en l'église de la Visitation, et nous ferons bien sonner les cloches et lundi, s'il plaît à Dieu, je serai à Annecy, où je vous baiserai et embrasserai de tout mon coeur, comme aussi je suis et je serai, en vérité, toute ma vie, de tout mon coeur, Monseigneur, de votre Illustrissime Grandeur, très humble, très cordial, très fidèle, très affectueux, très obligé, perpétuel, invariable et très obéissant serviteur. Voilà comment j'écrivais à votre bienheureux Père. — Juste, évêque de Genève .»

Il avait succédé, sur le siège de Genève, au propre frère de François de Sales, et, si l'on peut dire, gardé la place pour le neveu du saint. On voit qu'il n'était pas le moins salésien des trois premiers successeurs de François de Sales. Son biographe donne de lui un très curieux projet de grand séminaire qui fut plus tard réalisé par Mgr d'Aranthon. Tout ceci n'a rien

 

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à voir avec les démons et n'en vaut que mieux. Mais revenons à notre sujet.

Sur les fameuses possessions de Louviers, j'ai trouvé d'intéressants détails dans la Vie de la Vénérable Mère Françoise de la Croix, institutrice des religieuses hospitalières de la charité de Notre-Dame, ordre de saint Augustin (par le P. Pin, génovéfain), Paris, 1745. Qu'on remarque la date. Comme plus haut, je note diverses indications à l'adresse des historiens.

La Mère Françoise de la Croix, née à Patay, en 1591, morte à Paris, en 1657, s'appelait Simone Gauguin. D'abord petite bergère, puis en relations avec Mme Mangot, « épouse du garde des sceaux », qui venait en villégiature à Passy.

« Ardente passion pour la vie religieuse et l'hospitalité ». En 1614, Mme Mangot la fait venir à Paris, comme «intendante » de sa maison. Mangot avait son hôtel dans la rue de la Verrerie. « C'était une maison d'honneur et de piété, fréquentée par plusieurs ecclésiastiques vertueux et par quelques personnes laïques, appliquées à la plus haute dévotion. Il y avait entre autres, une pieuse femme de la ville de Rouen, nommée Catherine le Bis, veuve de M . Jean Hannequin, procureur en la Chambre des Comptes de Rouen, qui demeurait dans la même rue et avait pour directeur de sa conscience, M. Pierre David ». Dans le même quartier, « demeurait pareillement le sieur Caron, bourgeois de Paris, qui avait deux filles, toutes deux portées à la piété, dont il sera parlé plus tard, sous le nom de Soeur Claude du Calvaire et Soeur Marie du Saint-Sacrement ... M. David..., jugeant la jeune Françoise trop détournée de ses exercices de dévotion par la grandeur du travail dont elle se trouvait chargée chez Mme Mangot, la fit entrer chez ladite dame Rennequin, chez qui il faisait lui-même sa demeure » Voici donc tout un petit groupe mystique, voisin du groupe Acarie. Françoise leur communique ses pieux projets et les gagne à son ambition. Mme Hennequin « voulut l'adopter pour sa fille et lui faire donation de tout son bien, pour en fonder une maison religieuse. Cette pieuse dame eut donc la bonté de se transporter à Patay », où Jean Gauguin lui donna sa fille, par acte du 11 juillet 1615.

Bientôt elles commencent un établissement à Louviers, Difficultés soulevées par des congrégations plus ou moins semblables. En 1622, établissement à Paris près des minimes de la Place Royale, puis, en 1623, au faubourg Saint-Germain, rue du Colombier. En 1628, retour à la Place Royale. Autres

 

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établissements à Béziers, Patay, Limours, Toulouse, Bourg-en-Bresse, etc., etc. A sa mort, la mère Françoise avait reçu plus de 15o religieuses. Son biographe a très joliment exposé l'objet précis que la fondatrice s'était proposé.

« Il se trouve des misérables, pour ainsi dire, d'état et de condition. L'Hôtel-Dieu a toujours été l'asile et le refuge de ces sortes de personnes... Mais, outre cette espèce d'indigents, il y a quantité de personnes, surtout du sexe, mal accommodées du côté de la fortune, des demoiselles nobles ou des filles de bons bourgeois, tombées dans un état au-dessous de la médiocrité..., qui ne laissent pas de vivre au dehors honorablement, sans qu'on sache leur situation, et qui, de ce qu'elles épargnent sur elles-mêmes, sont en état de suffire à la fâcheuse circonstance d'une maladie qui n'est qu'ordinaire, mais qui, lorsque l'infirmité est plus sérieuse, ou exige des remèdes insolites ou coûteux, se trouvent surchargées et dans l'impossibilité de fournir à tout, et ne pouvant cependant gagner sur elles d'avoir recours à l'Hôtel-Dieu, prennent le parti de périr dans leur indigence et sans secours, plutôt que de les aller chercher en ce lieu. L'on accordera volontiers qu'elles ont tort d'être si délicates et de ne pas avoir assez de soumission aux ordres de la Providence, mais il est de la charité chrétienne d'aller au-devant de leur faiblesse... et c'est précisément ce qu'on a en vue dans le nouvel hôpital ». Op. cit., pp. 55-57.

On se rappelle leur première tentative de Louviers. Les anciennes compagnes de la Mère Françoise, toujours sous la conduite de M. David, s'étaient établies dans un autre endroit de la ville. Monastère de saint Louis et de sainte Elizabeth. Or « il arriva, peu après (cette) fondation, des événements tristes et scandaleux..., soit que le sieur David ait eu le malheur, après avoir commencé avec zèle, de s'en départir dans la suite, — quoiqu'il y ait plus d'apparence qu'il a été calomnié après sa mort — soit plutôt que le désordre soit arrivé immédiatement après sa direction, pendant la supériorité de ses successeurs, — les sieurs Mathurin Picard, curé du Mesnil-Jourdain et son vicaire, Thomas Boulle — la nouvelle communauté de Louviers, en tout ou en partie, dégénéra absolument des devoirs les plus communs de filles chrétiennes et religieuses...

« M. l'évêque d'Evreux, François de Péricard... en fut averti... Il s'agissait de crimes de magie, sortilèges, etc... Le prélat fit faire divers exorcismes, il procéda à plusieurs

 

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informations et rendit, en 1643, sa sentence par laquelle il ordonna que le corps de Mathurin Picard... serait... porté dans un lieu profane et la Soeur Madeleine Bavent... renfermée... dans les cachots... de l'officialité. » Appel ayant été fait par les héritiers dudit Picard, le Parlement de Rouen confirma et aggrava la sentence de l'évêque, ordonnant « que le cadavre de ce prêtre qui avait été déterré et Thomas Boulle, son complice, seraient traînés sur la claie, pour être le dit vicaire, brûlé vif... st le cadavre de Picard, jeté dans le même bûcher... ; le jugement de la Soeur Bavent différé ».

Or, continue le biographe, « Madeleine Bavent et d'autres prétendues possédées de ce monastère, dans leurs réponses aux exorcismes, avaient inventé... (mille) calomnies contre la V. Mère Françoise », ainsi « impliquée, d'une manière très humiliante dans la plus triste et la plus odieuse affaire qui soit arrivée depuis longtemps dans l'Eglise ». La mère n'avait connu ni Madeleine Bavent, ni les deux prêtres, mais les démons l'ayant accusée, force lui fut de comparaître devant les juges, pour crime de sorcellerie. Huées de la foule, etc., etc. Le procès dura trois ans. Sur quoi, notre biographe : « Tout ce que l'on a fait dire au diable et à ses suppots, quoique par la voie des exorcismes, ne peut être d'aucune considération... Il serait extrêmement dangereux de vouloir ajouter foi à toutes ses paroles (du diable) même sous prétexte qu'elles sont extorquées de lui au nom et par l'autorité de l'Eglise », op. cit., pp. 137, 145. Le R. P. Boulay (Vie du V. Jean Eudes, Paris, 19o5, t. I, appendice, pp. 86, 87), dit que les religieuses de Louviers étaient « de très saintes filles ». Il doit le savoir, mais je crois aussi qu'elles étaient plus ou moins montées contre la Mère Françoise, qui avait quitté Louviers pour faire soit à Paris, soit ailleurs, des fondations que l'on savait prospères.

 

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