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INSTRUCTION DU PRÊTRE OU TRAITÉ DES PRINCIPAUX MYSTÈRES DE NOTRE RELIGION.

 

AVANT-PROPOS. Au révérend prêtre, frère Bernard, son serviteur ancien et nouveau, désir de marcher dans la vie nouvelle.

PREMIÈRE PARTIE. Que le Fils de Dieu s'est donné à nous en mourant pour nous.

CHAPITRE I. De la chute de l'homme qui a perdu la dignité de son premier état.

CHAPITRE II. Temps de la déviation.

CHAPITRE III. Temps du rappel.

CHAPITRE IV. temps de la réconciliation.

CHAPITRE V. Temps du pélerinage.

CHAPITRE VI. Le temps de la réconciliation est examiné plus au long, et toute l'œuvre de la rédemption des hommes est sommairement exposée.

SECONDE PARTIE. Que Jésus, Fils de Dieu, se donne à nous dans l'Eucharistie.

CHAPITRE VII. De l'ineffable et perpétuelle clarté du Verbe incarné.

CHAPITRE VIII. De la dignité des prêtres.

CHAPITRE IX. La dignité des prêtres est au dessus de celle des anges.

CHAPITRE X. De la méditation du prêtre, ou de sa préparation pour célébrer dignement un si grand mystère.

CHAPITRE XI. Du rite de la purification légale sort une leçon de pureté.

CHAPITRE XII. De la triple réception du corps et du sang du Seigneur.

TROISIÈME PARTIE. Que Jésus-Christ se donne à nous en récompense dans le ciel.

CHAPITRE XIII.

CHAPITRE XIV. Des peines de l'enfer.

INSTRUCTION DU PRÊTRE OU TRAITÉ DES PRINCIPAUX MYSTÈRES DE NOTRE RELIGION.

 

Ce traité fait d'abord édité par Horstius ; il est pieux, mais n'atteint pas le genre de saint Bernard, dont les manuscrits portent néanmoins le nom. Dans la copie de Cîteaux, que nous a adressée le R. P. Jacques de Lannoy, il est intitulé Diamant du Crucifix.

 

AVANT-PROPOS. Au révérend prêtre, frère Bernard, son serviteur ancien et nouveau, désir de marcher dans la vie nouvelle.

 

Je connais parfaitement de quel désir ardent, de quels vifs entraînements votre coeur brûle dans votre poitrine, et enflamme, dans vos méditations, jusqu'à la moëlle de vos os, de ses feux sacrés; et, marqué de cette charité, vous m'avez commandé quand j'étais avec vous, vous m'avez écrit lorsque j'en étais séparé, et vous m'avez fait dire encore par un messager fidèle, de vous recueillir quelques-unes des étincelles qui jaillissent de la fournaise enflammée du Verbe incarné. Mais qui suis-je, pour oser placer ma bouche dans le ciel ? Il est écrit : «La bête qui touchera la montagne sera lapidée,            (Exod.  XIX. 13), » et encore : « Ne cherchez point les choses qui sont au dessus de vous ; (Eccli. III, 22) qui voudra scruter la majesté, sera accablé par la gloire (Prov. XXV. 27.) » Je suis tiré en deux sens opposés ; ce que vous exigez dépasse mes forces, je redoute d'un      autre côté de refuser ce que vous demandez. Je sais qu'on a dit : « Si nous voulons faire le bien, le secours de Lieu nous le fera achever ; »           et la charité donne les forces que refuse la maladresse. Recevez donc ces quelques phrases cueillies çà et là dans les Saines-Ecritures, et si vous y trouvez quelque parfum, quelque douceur, si le palais de votre coeur si pieux y sent quelque suavité, ne me l'attribuez pas, rapportez-en la gloire à ces nobles ouvriers, à la fabrique desquels ont été empruntées ces senteurs. Si je ne m'abuse, voici quelle était votre intention : vous voulez qu'on vous explique, par des autorités assurées et des exemples convenables, comment Jésus-Christ, étant sur l'autel, voilé et couvert sous l'apparence du pain, demeure néanmoins dans la splendeur de la clarté inexprimable et sans bornes. Vous devez savoir que la connaissance de ce mystère n'est pas le partage du voyageur sur la terre, elle est réservée à celui            qui voit sans     ombre dans la patrie; elle n'est pas donnée à l'exilé dans la vallée, elle attend le citoyen de la céleste cité ; elle n'est pas pour celui qui combat, elle est pour celui lui triomphe ; non à ceux qui courent, mais à ceux. qui sont parvenus au terme; elle ne précède pas pour donner le mérite, elle vient pour assurer la récompense. Qui est plus grand ou comparable à celui qui, après avoir été ravi et élevé au dessus du troisième ciel, après avoir contemplé les secrets célestes, qu'il n'est pas permis à l'homme de redire, s'écrie : « nous voyons à présent par reflet et en énigme, mais alors nous verrons face à face (I. Cor. XII. 12), » et encore : « Maintenant je connais en partie, alors je connaîtrai comme je suis connu ? » Si donc l'oeil de la conscience de ce vase d'élection est couvert de brouillards, qui osera penser qu'il voit ? Néanmoins tâchons de saisir avec lui par reflet et énigme ce qu'il nous sera possible d'apercevoir; si encore nous ne pouvons contempler à visage découvert la gloire du Seigneur, ni figer nos regards sur le globe du soleil, désirons, du moins, en recevoir quelque lumière en plaçant entre cet astre et nous, quelque nuée qui en tempéré         les feux. Et après ces considérations sur notre dessein, avec le secours de la grâce de Dieu, qui nous prévient, exécutons ce que nous pourrons. Voulant être court, nous résumons en trois chapitres seulement tout ce que dirons, indiquant trois dons que la sagesse de Dieu a décidé de toute éternité, de nous faire, ou plutôt le seul don qu'elle voulait nous faire en trois oeuvres et pour trois œuvres et pour trois usages. 1° Le Fils de Dieu s'est donné à nous en mourant pour nous. 2° Il se donne à nous dans l'Eucharistie. 3° Il se donne à nous       dans la vie éternelle

 

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PREMIÈRE PARTIE. Que le Fils de Dieu s'est donné à nous en mourant pour nous.

CHAPITRE I. De la chute de l'homme qui a perdu la dignité de son premier état.

 

1. « Tout bien excellent et tout don parfait est d'en-haut, il descend du Père des lumières, en qui il n'y a pas de changement, ni l'ombre d’une variation (Jac. I, 17). » Véritablement le don est très-bon. Car, comme Boèce le dit, le souverain ouvrier est parfait, et toute envie est écartée de lui. Vois, ô homme, ce qu'il t'a donné, bien plus, ce qu'il t'a donné encore et ce qu'il a surajouté. Il t'a créé quand tu n'existais pas, il t'a recréé quand tu étais perdu; il t'a créé pour te rendre participant de sa béatitude ; il t'a recréé pour qu'après ta chute, tu ne restasses pas exilé de la patrie, et loin de la félicité éternelle ; il t'a créé à son image et ressemblance ; établissant son image en   et donnant les biens naturels, et sa ressemblance en te conférant les biens gratuits, afin de mettre son excellence dans ton esprit, et de te faire dominer, par la raison, sur tous les animaux qui en sont dépourvus. «Tous, ils sont courbés vers la terre ; le Seigneur a donné à l'homme un visage élevé, lui ordonnant de contempler le ciel et de diriger ses regards vers le firmament, pour que, regardant toujours en haut, tu eusses ton Créateur dans ta pensée, et tu te rappelasses incessamment ton origine. Dieu t'a lait, comme il vient d'être dit, à son image et ressemblance: à son image, pour que tu possédasses la mémoire, l'intelligence, le discernement et les autres dons naturels; à sa ressemblance, afin que tu fusses décoré de l'innocence de la justice et des autres dons surnaturels ; à son image pour connaître la vérité, à sa ressemblance pour aimer la vertu. Ou bien, dans un autre sens, tous ces biens réunis sont faits à l'image de Dieu, et tu as reçu la ressemblance qui t'a rapproché de l'essence de la divinité, quand tu as été fait immortel et simple. Toute créature a été faite pour toi; le ciel, pour être ta patrie, et que tu trouvasses tes délices à le contempler ; la terre, pour t'offrir ses fruits si agréables et si beaux. Il a créé le soleil, la lune et les autres astres pour t'éclairer; il t'a donné le pouvoir sur les oiseaux du ciel, sur les bêtes des campagnes et sur les poissons de la mer, afin que tu exerces à ton gré ton empire sur eux. Voilà le bien excellent et le don parfait descendu d'en haut. Qu'a-t-il dû faire de plus, qu'il ne l'aie pas fait ?

2. Après avoir reçu de tels dons, tu as prévariqué, tu es tombé dans une position très-mauvaise, tu es tombé de la vie dans la mort, de l'immortalité dans la corruption, de la liberté dans la servitude, de la gloire dans le châtiment, de l'innocence dans le péché, de 1a patrie dans l'exil, de la joie dans le deuil, de la béatitude,       dans la misère, du repos, dans le chagrin ; et toi, qui étais le concitoyen des anges, tu est devenu la bête de somme des démons, et quand tu pouvais, à visage découvert, jouir sans relâche de la vue du visage si désirable de la clarté divine, que les anges brûlent de contempler, tu as été contraint de voir des choses viles et honteuses, et, selon l'expression du prophète, tu embrasses l'ordure toi qui devrais être nourri dans le safran et la pourpre. Chassé du séjour du bonheur, tu es expulsé du paradis de plaisir et relégué dans la vallée des pleurs; tu es devenu ce voyageur malheureux, voyageur dévoyé qui, en descendant de Jérusalem à Jéricho, est tombé entre les mains des voleurs, sous le caprice des malins esprits, qui, après l'avoir blessé dans ses biens naturels, l'ont dépouillé des dons gratuits et sont partis après l'avoir laissé à moitié mort, ou plutôt livré à la double mort du corps et de l'âme, C'est là le temps de tes écarts. Car les   savants distinguent quatre époques dans l'existence du genre humain, selon ses quatre états : le temps de la déviation, du rappel, de la, réconciliation et du pèlerinage.

 

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CHAPITRE II. Temps de la déviation.

 

3 Le temps de la déviation a couru de la chute des premiers parents jusqu'à Abraham qui, en signe de sa foi, reçut le commandement de la circoncision, et qui entendit le premier la promesse de la grâce que lui fit le Seigneur en ces termes : « En ta race seront bénies toutes les nations (Gen. XXII, 18).» Sur quoi l'Apôtre: « Les promesses ont été adressées à Abraham et à sa race. Le Seigneur ne dit pas : en tes rejetons, comme s'il s'agissait de plusieurs, mais comme d'un seul, en            ton rejeton, qui est le Christ (Gal. III, 16). » Et saint Luc le prédicateur,  et l'évangéliste de la même grâce, dit de l'incarnation du Verbe « Le serment qu'il a fait à Abraham, notre père, de se donner à nous (Luc. I, 73). » On appelle cette époque temps de la déviation, parce que ceux qui vivaient alors s'écartaient presque tous du chemin de la vérité; ils n'invoquaient pas le Seigneur (Psal. LII, 3), la crainte de Dieu n'était point devant leurs yeux ; il faut en excepter un très-petit nombre, Enoch, par exemple, qui fut enlevé pour que la malice ne changeât pas son intelligence (Sep. IV, 14), et Noë, qui fut sauvé avec huit personnes dans l'arche, des flots du déluge.

 

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CHAPITRE III. Temps du rappel.

 

4. Le temps du rappel s'étendit d'Abraham jusqu'à l'arrivée du Rédempteur : à cette époque la foi en la Trinité fut en vigueur. Elle fleurit dans les patriarches , purifia les rois, et donna, dans les prophètes, ses fruits mûrs, parce que l'Orient nous visita des hauteurs des cieux. Et on l'appela avec raison le temps du « rappel », parce que Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, copçut dès-lors sur le genre humain des pensées de paix et non d'affliction (Jerem. XXIX, 11); il s'attacha à rappeler les brebis qui s'étaient perdues, il envoya les patriarches, il donna la loi, il fit éclater les signes et les prodiges; il prodigua les bienfait pour venir à son aide: enfin, à cause de l'excessive charité qu'il nous porte, il fit descendre son fils unique revêtu d'une chair semblable à la nôtre, excepté le péché, pour nous soulager tous : c'était vraiment le temps de la miséricorde, l'année de la bonté.

 

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CHAPITRE IV. temps de la réconciliation.

 

5. Dès-lors commença le temps de la réconciliation, qui subsista jusqu'à ce que fût opéré le mystère de notre rédemption; il immola cette hostie salutaire qui nous réconcilia avec Dieu le Père, et dont il est écrit avec vérité: « Voilà le prêtre qui fut grand ; en sa vie il plut à Dieu, et fut trouvé juste, et, au temps du courroux, il fut la réconciliation : on n'a pas trouvé son semblable (Eccli. XLIV, 17). » C'est de lui que l'Apôtre dit: « Nous remplissons l'office d'ambassadeurs pour Jésus-Christ ;nous vous en conjurons, réconciliez-vous avec Dieu (II Cor. V, 20).« Aussi, cette période, à cause de l'effet qu'elle produit, a pris le nom de temps de la réconciliation.

 

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CHAPITRE V. Temps du pélerinage.

 

6. Le temps du pèlerinage va de l'arrivée du Saint-Esprit jusqu'à la consommation des siècles ; c'est à partir de ce jour que l'Église commence à connaître son pèlerinage et à soupirer vers la patrie. Aussi le vase d’élection s’écrie en gémissant : « Tant que nous sommes en ce monde, nous voyageons loin du Seigneur (II Cor. V, 6). » Et David : « Hélas! mon exil s'est prolongé (Psal. CXIX, 5). » Il se console néanmoins en disant : « Vos justices faisaient l'objet de mes chants, au lieu de mon pèlerinage (Psal. CVIII, 54). » Ces exemples font voir pourquoi ce temps est appelé le temps du pèlerinage.

 

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CHAPITRE VI. Le temps de la réconciliation est examiné plus au long, et toute l'œuvre de la rédemption des hommes est sommairement exposée.

 

7. Après crue nous avons distingué quatre        époques et indiqué les causes qui leur font les titres qu'elles portent, considère, ô homme, le temps de ta rédemption, regarde et examine comment tu as été racheté. « Vous avez été rachetés bien cher, » dit l'Apôtre, « glorifiez et portez Dieu en votre corps (I Cor. VI, 20). » Non-seulement bien cher, mais excessivement cher. Tu avais été vendu au péché, bien peu, et un prix bien vil, pour un coup de dent donné à une pomme: tu as été acheté et racheté un prix inestimable, la mort du Fils de Dieu. Quoi de plus précieux? quoi de plus inestimable? celui par qui tout a été fait, et sans qui rien n'a été fait (Joan. I, 3), le Fils unique du Père souverain, consubstantiel et coéternel à son Père, son pareil en majesté, son égal en gloire, ayant avec lui la même science de puissance et de sagesse, un être si grand, qui avait la forme de Dieu, s'anéantit lui-même, et, prenant la forme d'un esclave, du sein de son Père descendit dans la vallée de nos larmes; il se contracte dans le sein d'une vierge, et celui qui, dès le principe était le Dieu, devient un Verbe abrégé. Et voyez comme il devient petit et, pour ainsi dire, raccourci. Il se renferme dans le sein d'une vierge: là, entouré d'enveloppes sanglantes, il y supporte l'ennui d'une captivité de neuf mois; mis au monde ensuite, il vagit comme les enfants ; comme c'est l'usage des misérables, il est entouré de liens grossiers, et lié par des bandelettes, couché dans une crèche, sous le souffle des animaux sans raison, et placé, à cause de la pauvreté de sa mère, dans une étable puante. Où trouver dans les livres, dans les traditions et dans les exemples, une autre enfant des hommes livré à une telle misère à sa naissance ? Celui qui nourrit tous les autres s'alimente de lait, il est sali dans des langes, afin que tu ne croupisses pas dans le péché. Il est circoncis dans la chair, afin que tu le sois dans l'âme. Dans le Jourdain, il s'humilie sous la main de Jean pour être baptisé, non pour effacer quelques taches en lui, lui qui est venu au monde sans la moindre souillure, qui n'a jamais commis le péché et dans la bouche de qui la ruse ne s'est jamais rencontrée; mais pour sanctifier les eaux, pour leur conférer, par le contact de sa chair très-pure, la force régénérative pour enlever tes crimes.

8. A peine baptisé, pour te donner l'exemple d'une vie sainte et religieuse, il entre au désert ; il jeûne quarante jours et quarante nuits, ne prenant absolument aucune nourriture, opération qui est entièrement au-dessus de là faiblesse humaine, car, si chaque jour, elle ne prend soin de refaire les défaillances de l'estomac, elle est exposée à une mort certaine. Dieu donc, éprouvant la faim par un effet de sa puissance, en vertu des besoins de la nature qu'il avait prise, souffrit d'être tenté par le démon, il ne triompha pas avec moins de sagesse que de patience des piéges que cet ennemi lui tendait, au sujet de l'appétit désordonné de la nourriture, et le repoussa avec confusion. En quoi il t'accorda trois bienfaits, ô homme : un exemple d'humilité, un modèle de patience, et une règle de précaution. Humilie-toi si tu es tenté, parce que le serviteur n'est pas plus grand que le maître. Le Seigneur a été tenté, il faut que le serviteur le soit, parce que la vie de l'homme sur la terre est une tentation (Job. VII, 1). Combien sont multiples et subtiles les embûches du démon; le Seigneur l'indique à Pierre en ces termes: « Satan vous a demandés pour vous cribler comme du froment (Luc. XXII, 31). » Si tu es tenté, souffre-le avec patience. Car le Seigneur aurait pu d'un mot précipiter son tentateur dans le plus profond des abîmes, il le supporta patiemment et triompha de lui par la raison. Sois prudent si tu es tenté, dans la crainte que, se transfigurant en ange de lumière, Satan ne puisse te tromper par l'apparence du bien, ainsi qu'il le fit à l'égard d'Ève, à qui il dit. « Si vous mangez de ce fruit, vous serez comme des Dieux, sachant le bien et le mal. (Gen. III, 5). » Résiste avec humilité, avec prudence, avec patience. «Le Seigneur est fidèle, dit l'Écriture, il ne souffrira pas que vous soyez tenté au-dessus de vos forces: mais il vous fera tirer du profit de la tentation, afin que vous puissiez résister (I Cor. X, 13). » Qui vaincra, je le placerai comme une colonne dans mon temple (Apoc. III, 12). Et encore il est dit: « Qui aura triomphé, je lui donnerai à manger de l'arbre de vie qui est dans le paradis de mon Dieu. (Apoc. II, 7). » Douce promesse et heureuse récompense pour qui courra bien, glorieuse couronne pour qui vaincra.

9. C'est donc pour toi, ô homme, qu'il a été tenté; ce n'est pas pour lui, mais pour toi qu'il vainc. Pour toi, il a eu faim, pour toi, il a eu soif et a supporté la lassitude ; pour toi, il a été rassasié d'insultes et d'opprobres, et pour toi, il a souffert tous les tourments qu'il a fallu, et qu'il a été convenable qu'il souffrit. Aucun de tes défauts n'a été, écarté de lui, le péché excepté. Pour toi, il a porté d'une manière multiple le salut au milieu de la terre, ressuscitant les morts, éclairant les aveugles, rendant l'ouïe aux sourds, la marche aux boiteux, la santé aux lépreux, et en opérant une foule innombrable d'autres prodiges, il courut par les bourgs et les villes, les villages et les places, prêchant de parole et d'exemple, indiquant par des signes et des prodiges le chemin de la vie. Pour te donner encore davantage des exemples d'humilité en sa personne, six jours avant sa passion, il voulut entrer à Jérusalem, et être acclamé par la foule, monté sur un animal vil et abject, afin que chacune de ses actions fût une leçon pour toi, et que sa vie entière te servit de doctrine. Il fut trahi par un disciple perfide, et perdu et vendu, comme un vil esclave, trente deniers, afin que tu fusses délivré de la servitude du péché. Assis à la cène avec ses bienheureux apôtres, la veille de sa mort, il donna sa chair à manger et son sang à boire, et t'a laissé le même mystère qui s'opère en souvenir de son amour; se levant ensuite de table, entouré d'un linge, il versa de l'eau dans un bassin, il se mit, lui, le roi des anges, aux pieds de ses humbles serviteurs, et ne dédaigna pas de toucher de ses mains très-pures, de laver et d'essuyer les souillures de la place publique qui s'étaient attachées à leurs pieds. Il t'a laissé le même exemple, te disant : « Je vous ai lavé les pieds, moi votre Seigneur et votre maître, vous devez vous les laver les uns aux autres (Joan. XIII, 14). Pourquoi t'enorgueillir,  terre et cendre, ver et pourriture ? Membre corrompu, pourquoi t'élever au dessus du chef redoutable aux puissances célestes ?

10. Ensuite, s'étant mis en prières, le Seigneur, dans l'angoisse de son âme, se couvrit d'une sueur de sang. Saisi et lié en cet endroit, il fut conduit devant le juge, et lorsque beaucoup de témoins s'élevaient et lançaient contre lui un grand nombre d'accusations mensongères, comme un agneau innocent conduit à la boucherie, il se tut, « sa bouche ne s'ouvrit pas; il était semblable à un homme qui n'entend pas, et qui n'a rien à répliquer (Mal. XXXVII, 14). » Là, ils souillèrent la face du tendre Jésus, ils le souffletaient et les serviteurs lui donnaient des coups à l'envi. Attaché ensuite à une colonne, il est flagellé; sous le coup des noeuds, sa chair se gonfle d'abord, et devient livide, et son sang coule ensuite goutte à goutte de ses plaies, et ruisselle à terre. Sa tête est ensanglantée de tous côtés, par des épines; en signe de dérision on lui place une verge dans les mains, il est revêtu d'un manteau de pourpre, et on se moque de lui, comme d'un insensé. J'abrége. Ici, ô homme, sois saisi de tremblement, sois glacé de frayeur, pâlis, frappe-toi la poitrine, verse toute ton âme en pleurs, compatis à de telles souffrances. Il est mené à la mort, pour que tu sois arraché à la puissance du trépas. Ces cruels bourreaux conduisent cet agneau au supplice et le chargent de porter jusqu'au lieu de sa passion sa croix sur ses propres épaules; il ne se récrie pas, il ne refuse pas, il obéit.

11. Figure-toi ici, ô homme, de quel grand prix tu as été racheté; ce n'est pas l'or ou l'argent corruptibles qui ont opéré ta rédemption. Si ton créateur était mort d'une mort simple, cela ne suffirait pas; vois quelle espèce de mort il a soufferte, et remarque ce que tu dois à celui qui a daigné la subir. Voilà comment le juste périt. Il est étendu sur la croix, ses membres sont déployés, son dos couvert de sang, récemment versé par ses plaies qui le meurtrissent encore, est brisé par l'arbre rude de la croix; ses mains et ses pieds sont percés, les clous sont enfoncés avec des marteaux, et plus ils avancent dans la chair, plus, par leur grosseur qui augmente, ils accroissent la plaie et redoublent la douleur ; pour étancher sa soif, on lui offre du fiel mêlé de vinaigre; les ministres du démon branlent la tête, ils insultent à ses souffrances, lorsqu'il est cloué à l'instrument de son supplice : « S’il est le Fils de Dieu, disent-ils, « qu'il descende présentement de la croix, et nous croirons en lui (Matt. XXVIII, 42). » Comme s'ils disaient : Il ne ressuscitera pas (Psal. XI, 9), écrasé qu'il est sous le poids de tant de hontes et de souffrances.

12. Ensuite, ô très-doux rédempteur, vous livrez à la mort votre âme très-suave, pour donner la vie à la mienne, qui est si misérable ; non contents de toutes leurs cruautés, les bourreaux ouvrent de plus votre côté avec le fer d'une lance, et ils font couler avec de l'eau votre sang qui nous rachète. O âme, que fais-tu ? Qui donnera à ta tête une source de larmes, et des pleurs à tes yeux, pour que tu puisses plaindre et pleurer assez la mort de ton peuple? Que ce bien-aimé soit pour toi un bouquet de myrrhe, et non-seulement un bouquet, mais un poids immense d'amertumes. Compatis à ses souffrances, afin que,tu mérites d'être racheté. Sois comme une colombe dans les trous de la pierre, et dans les ouvertures des murs en ruine. Vole autour des mains, vole autour des pieds, vole dans le côté. Ne laisse aucune partie sans l'examiner, verse sur chaque membre l'amertume de ta compassion. O homme racheté, voilà le prix de ta délivrance, voilà quelle victime est immolée pour laver ta faute, pour expier ta prévarication.

13. Mais pour quelle nécessité a-t-il souffert ces tourments, pour quel besoin a-t-il tant de fois versé son sang ? On lit qu'il a été couvert de sang à cinq reprises; j'ai cru utile de les indiquer dans ces courtes paroles

 

Cinq fois et de cinq manières, ô Christ, vous êtes ensanglanté : à la circoncision, à la sueur de sang, à la flagellation, au couronnement, aux cinq plaies des mains, des pieds et du côté.

 

Voilà les étonnantes souffrances que subit, pour la rédemption des hommes, celui-là seul qui put les racheter puissamment par son seul pouvoir souverain. Comprends, ô homme, qu'il s'agit de ton besoin et non du sien. Le premier père, en tombant, commit un crime énorme qui ne put être expié sans l'oblation d'une victime. Un pur homme ne peut offrir une victime pure, parce que la contagion du péché avait infecté le genre humain; un Dieu, un ange ne pût pas être immolé, parce que la nature de l'un et la grâce de l'autre les rendaient impassibles. Une créature sans raison ne peut suffire à une couvre si grande ; il fallut donc qu'un homme-Dieu devint hostie; Dieu, pour avoir la, puissance de délivrer ; homme, afin de pouvoir mourir ; Dieu, pour avoir la miséricorde; homme à cause de la faiblesse. Il a donc été offert, parce qu'en lui est la commisération, et qu'en son coeur la rédemption coule avec abondance (Psal. CXXIX, 7). Il a été offert, parce qu'il l'a voulu de la sorte; il a été offert, parce que l'homme en eut ainsi besoin (Isa. LIII, 7).

14. O homme, que rendras-tu au Seigneur pour tous les biens qu'il t'a faits ? Il ne demande que l'amour, l'amour lui suffit. Pourquoi n'aimes-tu pas celui qui t'aime ? Chérissons-le parce qu'il nous a aimés le premier. Veux-tu connaître le mode de son affection et en savoir les effets? « Dieu a ainsi aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique (Joan. III. 16). Il n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous tous (Rom. VIII 32). » Écoute le Fils lui-même. « Personne n'a de charité plus grande que de donner sa vie pour ses amis (Joan. XV. 13). » Chéris donc, ô homme, celui qui te chérit; aime-le nonseulement en parole et de langue, mais en vérité et par couvres. « Aime-le de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de toute ton intelligence (Matth. XXII. 37). » Dis : « Je vous aimerai, Seigneur, ma force, mon soutien, mon refuge et mon libérateur (Psal. XVII. 1). » Véritablement libérateur, parce que vous avez délivré le pauvre des mains du fort, et le pauvre qui n'avait pas       de secours ; (Psal. XXX. 12); vous avez arraché mon âme à la perdition. Voilà le bien excellent dont nous avons promis de parler au début de ce livre, bien dont Isaïe disait : « Un entant nous est né et un Fils nous a été donné (Isa. IX. 6). » Et ailleurs : « Comment Dieu ne nous a-t-il pas donné toutes choses avec lui (Rom. VIII. 32) ? S'il nous a donné celui qui est tout dans tous, sans nul doute, il vous a tout donné avec lui. Si donc il nous a été donné, servons-nous de ce bien donné, comme s'il était notre, n'abandonnons pas aux étrangers notre honneur, et nos années, au cruel. Puissent ces courts détails sur le premier chapitre n'être pas inutiles.

 

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SECONDE PARTIE. Que Jésus, Fils de Dieu, se donne à nous dans l'Eucharistie.

CHAPITRE VII. De l'ineffable et perpétuelle clarté du Verbe incarné.

 

15. Celui qui nous a été donné d'abord comme prix de notre rançon, ne cesse point, chaque jour, de se donner en viatique; dans le premier état, passible et exposé aux souffrances, dans le second, impassible et couronné de gloire et d'honneur ; alors, homme mortel, maintenant, homme vainqueur de la mort; d'abord placé un peu au dessous des anges, ensuite élevé au dessus de tous les esprits bienheureux: « D'autant meilleur qu'eux, dit l'Apôtre, qu'il a reçu un nom bien différent et bien supérieur. Auquel de ces anges le Père a-t-il jamais dit: tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui ? » Et encore: « Je serai Père, et il sera mon Fils. Et derechef, lorsqu'il introduit son premier-né dans l'univers, il dit : Que tous les anges de Dieu l'adorent (Hebr. I. 4). » En ce passage, ô prêtre, chéri du Seigneur, paraît se résumer surtout ce que vous demandez; ce que vous désirez voir s'éclairer au feu de cette clarté qu'eut le Verbe incarné après la glorification de l'humanité qu'il avait prise. J'ai à coeur de satisfaire vos veaux, j'en ai la volonté, mais je ne trouve point en moi le moyen, si celui-là ne vient à mon aide, qui donne à tous avec abondance et ne fait pas de reproches (Jac. I. 5.). Ce qu'il voudra bien m'accorder, il ne m'en coûtera pas de vous l'écrire, et ce sera chose utile pour vous.

16. Et d'abord, remarquez ce   qui est écrit : « Dieu habite une lumière inaccessible, ( I. Tim. VI. 16), » et encore: « Notre Dieu est un feu consumant (Deut. IV. 24.). » Ces deux paroles se rapportent à l'essence divine, en laquelle le Père            est un avec le Fils et le Saint-Esprit: parce qu'en cette Trinité il n'y a rien de premier ou de dernier, rien de plus grand ou de moindre, mais les trois personnes sont coéternelles et parfaitement égales entr'elles. D'où vient que le Fils a dit : « Mon Père et moi, sommes une môme chose (Joan. X. 30). Si donc ils sont un, ils habitent la même lumière inaccessible; ils sont le même feu consumant, la même clarté, la même puissance, la même sagesse, la même majesté, la même éternité. Ainsi le Fils est donc du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu. Il est la splendeur de sa gloire. C'est ce que dit l'Apôtre : « Etant la splendeur de sa gloire et la figure de sa substance (Heb. 1. 3). » assurément il est celles du Père. Le Fils brille donc comme le Père, on plutôt le Fils est la même splendeur que le Père. Ces témoignages, concernant la clarté du Fils, vous suffisent-il? Peut-être dites-vous que vous désirez davantage vous délecter en la clarté dont il étincelle comme Homme-Dieu. Même à ce point de vue, avec le secours de sa grâce les témoignages ne manqueront pas.

17. Je veux vous avertir, avant tout, de ne pas croire qu'en prenant la nature humaine, la clarté du Verbe ait été obscurcie. Ecoutez ce qui est écrit: Dieu prit ce qui est humain sans abandonner ce qui est divin; il a pris ce qu'il n'était pas, tout en restant ce qu'il était. L'ange dit à Marie: «Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de ses ombres (Luc. I. 35). » Le sens de cette parole est celle-ci : le Saint-Esprit opèrera en vous l'incarnation du Verbe, en séparant de votre chair une parcelle qui sera animée et réunie; à l’essence divine en l'unité de personne. Mais quelle est la cause de l'obombration, pour ainsi parler, de la vertu du Très-Haut ? Voici la principale: Si la chair de la Vierge n'avait été couverte de quelque ombre par une opération latente, elle n'aurait pu supporter, sans être anéantie, la splendeur d'une si haute majesté. De là vient que le Seigneur dit à Moïse: « Nul homme ne me verra sur la terre sans mourir (Exod. XXXIII. 20). » Comme s'il disait: je porte tant de clartés en ma nature   divine, que l'homme, vivant dans une chair mortelle, ne pourra jamais me voir sans être anéanti. Aussi, lorsque Marie disait avec instance au Seigneur . « Montrez-vous à moi ; » il lui fut répondu : « Tiens toi à la fente d'un rocher, et quand j'aurai passé tu me verras par derrière ; quant à mon visage, tu ne pourras pas le voir. (Ibid.) » En proférant ces paroles, par sa face, il désignait la divinité, et par le reste, l'humanité, que Moïse ne vit cependant pas de l'oeil du corps, mais qu'il laissa voir aux hommes venus ensuite au monde. Elle est connue comme par un exemple, lorsque la chair glorieuse qui est produite sur l'autel et distribuée en viatique aux fidèles, est éclairée du feu de l'ardeur divine. De même qu'une pourpre très-éclatante imbibe une laine très-éclatante et très-blanche, et la contraint de se changer en sa propre couleur ; de même que l'âme anime, active et vivifie tout le corps; de même que, le feu pénétrant le fer, le rend brûlant, lui donne sa chaleur et son éclat, le fait étinceler et brûler contre sa nature ; ainsi, Dieu déifie l'homme qu'il s'unit, et après l'avoir exalté au dessus de toute créature, il le clarifie avec lui, par la toute-puissance de sa pureté et par le privilège de sa divinité. Le Fils rend témoignage de lui en ces termes: « Je suis la lumière venue en ce            monde, et les hommes ont plus aimé les ténèbres que la lumière (Joan. III. 19).» Et encore : « Je suis la lumière du monde (Joan. VIII. 12). Saint Jean affirme expressément la même vérité en ces termes: « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde (Joan. I. 9). Priant avant sa Passion, le Fils s'adressait aussi à son Père : « Clarifiez-moi, mon Père, en vous, de la clarté que j'ai eue avant que le monde fût fait (Joan. XVII. 5). » Et le Père répond : Je l'ai glorifié et je le glorifierai (Joan. XII. 28). Quoi de plus clair ? quoi de plus manifeste. Quoi de plus évident?

18. D'après la lecture de l'Evangile, concluez la clarté dont brille à présent l'Homme-Dieu glorifié. Aux approches du temps où il allait passer de ce monde à son Père, il prit Pierre, Jean et Jacques, gravit la montagne du Thabor, et fut transfiguré devant eux ; son visage devint étincelant comme le soleil, et ses habits, blancs comme la neige, comme la couleur ne les peut blanchir sur la terre. Moïse et Élie apparurent aussi ; et, ne pouvant supporter cet éclat, les disciples, craignant beaucoup, et saisis de consternation, tombèrent sur la terre comme anéantis. ( Luc. IX. 28. ) Que si dans un corps aussi sujet à la mort, et dont les membres n'étaient pas encore arrachés à la corruption, il daigna se montrer aux yeux des hommes dans des lumières si étincelantes, au milieu de splendeurs si radieuses, quelle clarté pensons-nous que doit avoir le Fils dans cette forme humaine qu'il a prise, maintenant qu'il est glorifié, qu'il est élevé au dessus des cieux et porte un nom qui est au dessus de tout nom, en sorte que lorsqu'on le prononce, tout genou fléchit, dans les cieux, sur la terre et dans les enfers ( Phil. II. 10 ) ? Arrivé au jour de sa force, dans les splendeurs des saints, où le père, produisant tous les trésors de son allégresse et de sa joie, s'écrie : « Je t'ai engendré avant l'aurore (Psal. CIX. 3 ). » Il brille véritablement au jour de sa puissance, au jour de son éternité. Aucune nuit ne vient interrompre cette journée, aucune obscurité ne l'altère, nul brouillard ne la couvre. Elle est entourée d'un abîme de lumière, à cause de l'océan infini de clarté répandu autour d'elle. Le Christ y brille comme un soleil qui frappe des boucliers d'or, et les montagnes resplendissent de cet éclat. Les saints y reçoivent de lui leurs lumières, d'ou vient qu'un prophète a dit : « Du haut des montagnes éternelles, vous projetez de merveilleuses lueurs (Psal. LXXV. V, 5). » Et encore il est écrit: Autour de vous, Seigneur, est la lumière; elle ne défaillira jamais; là, trouvèrent leur repos les âmes saintes;» et derechef : «Cette lumière est sainte, vraie et admirable, elle donne sa lueur à ceux qui ont persévéré dans la lutte sanglante de l'agonie : ces âmes heureuses reçoivent de Jésus-Christ une splendeur éternelle; heureuses, elles y trouvent une félicité qui ne cesse pas. »

19. Voilà combien vrais, combien harmonieux, sont les témoignages qui concernent cette bienheureuse et ineffable clarté, en laquelle le      Christ réside, ou plutôt qui est le Christ lui-même, clarté qui ne peut être diminuée ni augmentée, parce qu'elle est immense et éternelle, parce qu'elle surpasse tout sentiment, toute pensée, toute appréciation. Un homme vient, au coeur élevé, et Dieu sera exalté en sa clarté d'une façon incompréhensible. Cette clarté demeure toujours la même, elle ne. reçoit aucune augmentation, elle ne subit aucune diminution. Elle ne décrut pas quand la nature humaine fut prise, elle ne s'accrut pas en Dieu par la glorification de l'homme. C'est ce qu'indique le Prophète par ces paroles :         « Pour vous, vous êtes toujours le même, et vos années ne s'arrêteront jamais (Psal. CI. 27). » Voyant cette lumière, le prophète Habacuc, dit aussi ; « Sa splendeur sera comme la lumière; il y a des cornes dans ses mains, c'est là qu'est cachée sa force; la mort s'enfuira devant sa face (Hab. III. 4. ). » Il marquait ainsi clairement que, même lorsque ses mains étaient attachées à la croix, bien que le soleil eût voilé ses rayons pour ne point voir mourir le Christ sur la croix, la lumière de la divinité n'en éclatait pas moins dans la personne du Seigneur. Aussi il commença par dire : « Sa splendeur sera comme celle du soleil. » Pour toi, ô Juif, tu disais avec dérision : «Nous l'avons vu sans éclat et sans beauté (Isa. LIII. 2 ). » Tu l'as vu d'un oeil troublé, et, ce qui est pire, d'un oeil aveuglé, parce qu'alors l'aveuglement tomba sur Israël. Mais Habacuc avait les yeux clairvoyants : et le peuple des nations qui marchait dans les ténèbres, vit une grande lumière, et une grande lueur se leva sur eux, quand ils étaient assis dans la région de l'ombre de la mort.

20. Il est donc certain, par le témoignage d'Habacuc, que les souffrances de l'humanité ne diminuèrent pas l'éclat de la divinité, et que le Seigneur, en mourant vainqueur, triompha de la mort, et que son trépas surmonta votre propre trépas. « C'est là qu'a été cachée sa force.» Un faible corps, épuisé, desséché et sans force, est suspendu à la croix; sa tète penchée est à peine unie à son cou fléchissant, son visage est livide, ses yeux, à sa mort, pleurent et sont à moitié fermés, ses mains sont étendues et attachées au bois par des clous. « C'est là que sa force a été cachée, » elle a été cachée pour les Juifs, cachée aussi pour les disciples ; cachée pour les Juifs qui disaient: Faisons-le disparaître de la terre des vivants, condamnons-le à une mort très-honteuse ( Sap. II. 20); n cachée pour les disciples, qui disaient «Nous espérions qu'il rachèterait Israël (Luc. XXXIV. 31 ). » Sa splendeur sera comme celle de la lumière : il a des cornes dans les mains. » Il se dessèche sur la croix, il brille dans l'air; il est suspendu au gibet, il jette de vives lueurs dans ces hauteurs. O saint prophète Habacuc, combien a brillé cette vive lumière qui avait frappé vos yeux bien des siècles avant de se montrer à la terre! Les clous de la croix sont dans ses mains, mais ses mains aussi sont dans les cornes de la croix. « C'est là qu'a été cachée sa force, » et non dans les enfers. Là, il a brisé les gonds de fer et les portes d'airain, là, il montre sa force là, plus fort, il enchaîne le fort armé et enlève ses vases après avoir gardé auparavant sa maison en paix. C'est là qu'on crie : « Quel est ce, roi de gloire? (Psalm. XXIII. 8). » C'est là qu'on entend : « Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans le combat, le Seigneur des vertus est le roi de gloire. La mort s'enfuira devant lui. » O mort, je serai ta mort, a enfer je serai ta blessure (Ose. XIII. 14.) O mort, où est ta victoire, où est ton aiguillon ? La mort a été absorbée dans sa victoire; le Christ sort vainqueur des enfers, accompagné d'un noble cortège. « Le diable sort de devant ses pieds. » C'est maintenant qu'a lieu le jugement du monde: c'est à présent que le prince de ce monde sera mis à la porte. Sa splendeur sera comme celle de la lumière. Eclairez ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort (Luc. I. 79). La clarté du Verbe incarné demeure donc dans l'homme glorifié elle dure en lui quand il est assis à la droite du Père. Elle ne décroît pas avec le temps, le temps ne la diminue point, aucun événement ne l'altère. Elle brille autant sur l'autel que dans les élévations des cieux elle éclate aussi bien dans les mains du prêtre que dans le sein du Père.

 

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CHAPITRE VIII. De la dignité des prêtres.

 

21. Glorifiez-vous toujours, mais dans le Seigneur prêtre du Très-Haut : considérez votre dignité, considérez votre sublime position avec les yeux de votre esprit, faites attention à votre prérogative, voyez votre vocation. Assurément le sort vous a donné un héritage bien brillant, si vous ne négligez pas d'en avoir soin. (Psalm, XV. 6 ). Examinez combien Dieu vous a élevé, combien il vous a placé au dessus de toutes les créatures. Que votre prière soit pure, parce que votre voix pénètre dans les cieux, lorsque vous assistez, selon les règles voulues, au saint autel, lorsque vous avez l'intention de célébrer le très-saint mystère du sacrifice céleste. Quand vous avez proféré votre parole, à vos accents pleins de vie, à votre demande salutaire, le Père souverain, au gré duquel tout subsiste, que les anges louent sans relâche, en présence de qui les astres du matin prennent leurs ébats, que les Dominations adorent, que les Puissances redoutent, qui regarde la terre et la fait « frissonner ( Psalm. CIII. 32 ), » qui opère seul de grandes merveilles. (Psalm. CXXXV. 4 ). Ce grand Dieu, dis-je, si immense, dépose son fils très-aimé, et en charge vos mains: il le laisse tomber des hauteurs des cieux et le place entre vos doigts. C'est là que votre holocauste devient gras, plus que celui où l'on immole des milliers d'agneaux et de béliers.

22. L'oblation d'Abel fut très-agréable, mais non autant que celle-ci le sacrifice d'Abraham fut bien agréé, mais non au même degré; l'offrande de Melchisédech fut accueillie, mais moins favorablement que celle-ci. Enfin, comme parle le Prophète: «Vous n'avez voulu ni sacrifice ni oblation, vous n'avez demandé ni holocauste ni hostie pour le péché, alors j'ai dit : voici que je viens (Psalm. XXXIX. 7) : C'est ce que dit celui qui, après avoir trouvé la rédemption éternelle, entra une fois dans le saint des saints, non par la vertu des boucs ou des veaux, mais par son propre sang (Hebr. IX, 12). Tout arrivait en figure aux anciens, Ici, la vérité,            là, la figure; ici, la lumière, là les ombres; ici, la clarté, là,les nuages; d'un côté, l'agneau prescrit parla loi, d'un autre, l'Agneau innocent qui enlève les péchés du monde. C'est le véritable Fils de Dieu que, prêtre, vous immolez, que vous touchez de vos mains, que vous recevez dans votre bouche, que vous introduisez dans votre corps; mais cette majesté n'entre pas seule en vous. Le Fils vient à vous, mais il n'y vient pas sans le Père. « Celui qui m'a envoyé,» dit-il lui-même, « est avec moi et il ne m'a pas laissé seul (Joan. VIII, 16). » Le Fils vient à vous, mais il n'y vient pas sans le Saint-Esprit. Que dit, en effet, saint Jean « Celui sur lequel vous verrez descendre le Saint-Esprit (Joan. I, 33). » Celui-là est le Christ. Cet esprit descend sur les autres, mais il n'y demeure pas toujours. Il vient sur le Christ pour y séjourner. Avec lui se trouve aussi l'armée des esprits du ciel. «Mille milliers le servaient, » dit le Prophète, « et dix fois cent mille l'assistaient (Dan. VII, 10). » Car toujours les anges, bien qu'ils soient des esprits gouverneurs, envoyés dans les oeuvres du ministère pour ceux qui reçoivent l'héritage du salut, voient cependant le visage du Père, toujours présents devant sa face qu'ils désirent contempler : ils jouissent, ils n'éprouvent aucun dégoût, leur soif de bonheur augmente sans cesse. De quelle grande lumière vous croyez-vous entouré, ô prêtre saint, en présence d'une si haute majesté, dans une venue et une réunion si auguste de la Trinité et de toute la milice céleste ? Quelle lumière pensez-vous qu'apporte toute cette cour d'en haut ? Elle est si grande que vous n'en pourriez soutenir l'éclat, si la vertu du Très-Haut ne couvrait votre faiblesse d'une ombre pour la supporter.

 

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CHAPITRE IX. La dignité des prêtres est au dessus de celle des anges.

 

23. Considérez donc, ainsi que je l'ai dit, ayez toujours dans la mémoire la grâce singulière que Dieu vous a faite, grâce qu'il n'a pas accordée aux anges ni aux autres hommes. Car, en vos mains, le pain est transsubstantié au corps du Fils unique de Dieu; sous votre bénédiction, le vin est changé au sang sacré de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Les Séraphins, plus rapprochés de la sainte Trinité que tous les autres esprits par le lieu et l'amour, brûlent de vives ardeurs. Aussi ce mot séraphin veut dire ardent ou embrasé. Pour désigner chaque chose dans son genre, on emploie le mot qui marque sa principale et plus marquante fonction. Ils n'ont pas néanmoins ce privilège de consacrer, dans une créature qui soit mise sous leur main, le corps ou le sang du Rédempteur. Les Chérubins, qui ont la plénitude de la science, comme l'atteste leur nom, parce que plus familièrement que les autres, ils connaissent les mystères célestes, s'étonnent de ce que la science et la puissance du prêtre soient si admirables et de ce qu'ils n'en approchent pas. Les Trônes, dont la dignité est si élevée que le Seigneur siège sur eux et par lesquels il profère ses jugements, n'ont pas la prééminence qui distingue les prêtres. Les Dominations, bien qu'elles aient reçu du Seigneur le domaine sur les autres; les Principautés,    bien qu'elles aient les autres pour sujets qu'elles régissent; les Puissances qui ont la sublimité du pouvoir, les Vertus des cieux qui répriment par leur vertu les puissances de l'air, et les empêchent d'exercer leur malice contre le genre humain ; les Archanges qui doivent annoncer les mystères élevés de la volonté divine aux esprits inférieurs, et les envoyer d'office vers les hommes; les Anges, bien qu'ils voient toujours la face du Père qui est aux cieux; tous ces ordres des esprits bienheureux, dis-je, bien qu'ils jouissent d'une béatitude si parfaite, qu'il ne leur manque rien en fait de souverain bonheur, vénèrent néanmoins lagloire du prêtre, ils admirent sa dignité, ils reconnaissent son privilège et honorent sa puissance.

24. O famille ecclésiastique, sacerdoce royal (I Petr. II. 9), nation sainte, peuple d'acquisition, annoncez les grandeurs de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière et à son ineffable mystère. Vous êtes la lumière du monde, vous êtes le sel de la terre (Matth. v, 13). Aux lévites, on dit : purifiez-vous, vous qui portez les vases du Seigneur (Isa. LII, 11). » A vous, il faut dire : Purifiez-vous, vous qui êtes les vases du Seigneur, glorifiez et portez Dieu dans votre corps (I Cor. VI, 20) ! Dieu vous a choisis pour être son héritage. C'est en vous que s'ensevelit ce corps glorieux et glorifié, qui autrefois fut mis au tombeau à Jérusalem, sans vie, et frappé de la mort. Joseph, ce saint personnage, ne voulut le placer que dans un sépulcre nouveau, dans lequel personne encore n'avait été mis, et il eut le soin de l'envelopper dans un suaire propre (Joan. XIX, 41). Malheur à vous, si vous ne le mettez pas dans un sépulcre nouveau ou du moins renouvelé, c'est-à-dire dans un corps entièrement pur de souillures, ou, si vous avez péché, dans un corps purifié par la pénitence et la satisfaction. Malheur à vous, si vous ne le pliez pas dans un suaire blanc, c'est-à-dire dans une conscience entièrement dégagée et pure de toute tache. Qu'en votre corps il n'y ait pas de convention entre Jésus-Christ et Bélial, point de pacte entre Dieu et les idoles, point de société entre la lumière et les ténèbres (Cor. VI, 11). Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel (Rom. VI, 12), et ainsi vous consacrerez un sépulcre vénérable à Jésus-Christ, un temple au Saint-Esprit.« Le temple de Dieu est saint, » dit l'Apôtre, «et c'est vous qui êtes ce temple. (I Cor. III, 17) » lit encore: « Ne savez-vous pas que nos corps sont le temple du Saint-Esprit, et le Saint-Esprit habite en nous ( Cor. VI. 19) ? » Si cela s'applique     à quiconque a la charité, combien plus cela doit-il se dire du prêtre qui plaît à Dieu ?

25. Examinez et considérez aussi, prêtre pieux, avec quelle excellence, avec quelle vigilance, les saints anges gardaient le sépulcre, après que le corps du Seigneur en eut été enlevé, après qu'il fut rendu à la vie et glorifié : avec quel éclat et quelle beauté, dans leurs visages et leurs habits, ils apparurent aux saintes femmes qui visitaient le tombeau, et cherchaient le corps du Seigneur. Vous devez savoir, à n'en pas douter, que si vous traitez, comme il en convient, le même corps du Seigneur déjà grandement glorifié, et régnant dans les cieux et brillant à la droite du Père ; autour de vous, les anges se réuniront en grand nombre, ils garderont votre âme, gouverneront votre corps; vous protégeront dans toutes vos démarches, et vous diront, ainsi qu'à vos semblables : vous serez appelés les saints du Seigneur, les ministres de notre Dieu; veillez donc à ne toucher ce sacrifice qu'avec des mains innocentes et un corps pur; faute de cette précaution de votre part, le Seigneur vous dira : ne me touchez pas, parce que votre toucher est une souillure (Joan. XX. 17).

 

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CHAPITRE X. De la méditation du prêtre, ou de sa préparation pour célébrer dignement un si grand mystère.

 

26. Méditez, prêtre chéri du Seigneur, et considérez toujours, que Jean-Baptiste, le précurseur du Seigneur, l'ami de l'Époux, le paranymphe de l'Epouse, prophète, plus que prophète, sanctifié dans le sein de sa mère, ce grand homme, ce personnage d'un mérite si éminent, d'une sainteté si singulière, tremble et n'ose toucher la tête adorable de Dieu, mais il s'écrie avec crainte : « Sauveur, sanctifiez-moi (Matt. III, 14). » Remarquez que Pierre, désigné pour tenir les clefs du royaume des cieux, établi pasteur de brebis par la triple confession de son amour, mis à la tête du collège apostolique, en danger de périr dans un naufrage, se trouvant près du Seigneur, redouta de s'en approcher et voulut, dans sa frayeur, s'en éloigner, disant : « Retirez-vous de moi, Seigneur, par ce que je suis un homme pécheur (Luc. V, 8). » Saint Jean, le disciple choisi et préféré, qui, à la cène, reposa sur la poitrine du Seigneur vierge ; à qui Jésus-Christ, sur la croix, confia sa mère vierge ; à qui, lorsqu'il se trouvait encore dans la chair mortelle, furent révélés les secrets célestes, se glorifie, en ces termes, d'avoir entendu, vu et touché extérieurement le corps du Seigneur: «Ce qui a été dès le principe, ce que nous avons entendu et vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie (I Joan. I, 1). » Si donc, ces princes glorieux de la terre, ces grands de la cour céleste, redoutaient à un tel point de toucher par dehors le corps du Seigneur, qui n'était pas encore transféré dans la gloire des cieux, avec quel respect, avec quelle crainte et tremblement et quelle pureté de corps et d'âme, faut-il que le prêtre le produise, le touche, le prenne et le reçoive dans sa propre poitrine, maintenant qu'il est glorieux, et établi au dessus de tout dans la gloire du Père ?

27. C'est pourquoi, prêtre, qui que vous soyez, si vous vous disposez à offrir votre présent à l'autel, si, étant sur le point de célébrer ce mystère vénérable et ineffable, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, ce grand frère qui est par nature Fils de Dieu, et qui nous a donné le pouvoir de devenir enfants du Seigneur, et ses propres frères par la grâce (Joan. I, 12), lui qui a daigné nous donner ce titre, disant par son Prophète : « J'annoncerai votre nom à mes frères (Psal. XXI, 23), » et encore après sa résurrection disant lui-même : « Allez, dites à mes frères, etc. (Mati. XXVIII, 10). » Si, dis-je, ce frère a quelque chose contre vous, si vous avez offensé cette majesté par pensée, par parole, ou par action; si vous avez souillé de quelque tache l'éclat de votre innocence, si votre conscience est bien malade ou moins bien guérie, laissez-là votre oblation, retardez la célébration du mystère, et allez d'abord vous réconcilier avec votre frère, par une fervente contrition, par une sincère confession, par une rude expiation corporelle et une juste satisfaction. Chaque nuit, arrosez votre lit de vos larmes, et purifiez votre conscience de chaque péché en particulier. Montez sur le tribunal de votre coeur,     prenez-y la place du juge, condamnez-vous vous même et comparaissez comme coupable. Que votre mémoire se présente pour accusatrice, que l'action soit témoin, que le consentement et la délectation aggravent la faute. Que tout vous accuse, que rien ne vous excuse, que la crainte soit le bourreau et qu'elle fasse souffrir le coupable. Que le sang du coeur, c'est-à-dire les larmes, coule, et ainsi, par votre jugement, vous éviterez le supplice du jugement divin, selon cette parole de l'Apôtre: « Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés par le Seigneur (I Cor. XI, 31) ; cela fait, vous viendrez offrir votre présent au Seigneur, et il lui sera plus agréable que l'immolation d'un veau qui pousse déjà des cornes et des sabots (Psal. LXXVIII, 31).

 

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CHAPITRE XI. Du rite de la purification légale sort une leçon de pureté.

 

28. D'après le rite fixé pour le prêtre qui devait entrer dans le saint des saints, faites-vous comme un bassin des miroirs des femmes qui veillent à la porte des tabernacles, afin que si, en vous lavant, vous découvrez une tache sur votre corps, vous puissiez la nettoyer. Par ce vase, il vous faut entendre la Sainte Écriture; par ces femmes, qui sont à l'entrée du tabernacle, les saintes âmes veillant à l'arrivée du royaume céleste. Leurs miroirs sont les exemples des saints, ou bien les témoignages des Écritures ; c'est là que les âmes des justes se considèrent comme dans un miroir, et corrigent toutes les difformités qu'elles surprennent en elles. Lavez-vous donc sans relâche aux saintes méditations des lettres saintes, délectez-vous à la lumière divine qu'elles projettent, considérez-y toutes choses comme dans un miroir brillant ; si vous trouvez en vous quelque chose de dépravé, corrigez-le, gardez ce qui est droit, arrangez ce qui est difforme, soignez ce qui est bien, maintenez ce qui est saint, fortifiez ce qui est faible. Lisez, sans vous lasser jamais, les préceptes du Seigneur, aimez-le d'un amour insatiable, accomplissez le sérieusement, et après vous être instruit suffisamment, connaissez ce que vous y devez éviter, et ce que vous devez y suivre.

29. Ainsi, vous avez un commencement de leçon qui vous apprend à éviter le mal et à faire le bien : si vous le faites, le législateur vous accordera sa bénédiction, et, sous sa conduite, vous marcherez de vertu en vertu (Psal. LXXXIII, 8); il sera votre protecteur et votre refuge, il vous sauvera et vous dira : « Voici que je suis avec vous tous les jours de votre vie jusques à la consommation des siècles. (Matt. XXVIII, 20). » Il sera véritablement avec vous, car il se donnera lui-même en viatique, jusqu'à ce qu'il vous rassasie pleinement dans la patrie. Éprouvez-vous donc de la manière que nous venons d'indiquer, et ainsi vous mangez le pain de la Sainte-Eucharistie, et vous en buvez le calice.

 

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CHAPITRE XII. De la triple réception du corps et du sang du Seigneur.

 

30 Un prêtre sage ne doit pas ignorer qu'il y a trois manières de recevoir ce pain sacré et de boire ce calice vénérable, c'est-à-dire le corps et le sang vivifiant du Seigneur. L'une est la réception sacramentelle et spirituelle, celle-là est sainte et sanctifiante, heureuse et béatifiante, vitale et vivifiante. L'autre est seulement spirituelle, néanmoins elle produit la grâce, augmente les vertus, et accroît les mérites. La troisième, seulement sacramentelle; elle est blâmable et attire la condamnation; Dieu l'abhorre et elle sépare de lui et ne procure aucune espèce de bonheur. Tout prêtre religieux, convenablement paré de la robe nuptiale, c'est-à-dire de la charité, s'approchant de l'autel du Seigneur, sans avoir aucune faute mortelle à se reprocher, et célébrant ainsi qu'il le faut cet adorable mystère, prend sacramentellement et spirituellement la Sainte-Eucharistie. De la même manière et avec le même mérite, la prend chaque fidèle qui reçoit ce sacrement de la main du prêtre. L'insigne prérogative qui élève le prêtre au dessus de tous les autres, c'est que chaque jour, si un péché ou une infirmité ne l'en empêche, il a le pouvoir de consacrer et de recevoir l'Eucharistie , pour les autres, il leur est permis, à certaines époques seulement, de communier de la main du prêtre. Le fidèle qui est au nombre des enfants de l'Église, et persévère dans la charité, la reçoit spirituellement seulement; parce que, bien que de bouche il ne touche pas ce sacrement, néanmoins, par sa foi et son union avec l'Église, il se procure la rémission des péchés et l'infusion de la grâce spirituelle. Celui qui a l'audace de communier en état de péché mortel le reçoit sacramentellement seulement; mais qui a ce malheur est le compagnon de Judas, et il valait mieux pour lui n'être point né, s'il ne se repent, et ne satisfait dignement à la colère de Dieu.

31. C'est de la communion première, qui est sacramentelle et spirituelle, que le Seigneur dit ces paroles « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui (Joan. VI, 54). » Et encore « Qui me mange, vivra pour moi (Ibid. 58). » De la seconde, qui est spirituelle seulement, le même Seigneur dit: « La chair ne sert de rien, c'est l'esprit qui vivifie (Ibid. 64). » Comme s'il disait : Si vous entendez une réception seulement charnelle sans la grâce, cette manducation ne vous sert de rien, même elle vous est nuisible : la communion spirituelle, sans la communion réelle, vous donne la vie. De la troisième, sacramentelle seulement, l'Apôtre dit: « Qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement, ne discernant pas le corps du Seigneur (I Cor. XI, 29). » C'est-à-dire, qui ne distingue pas le corps du Seigneur des autres aliments. Voilà la différence salutaire à établir entre le corps du Seigneur et les autres nourritures : quand nous les prenons, nous nous les incorporons ; quand nous recevons le corps du Seigneur, si nous faisons cette action comme il convient, nous sommes incorporés à Dieu; bien plus, nous passons tout entiers à Dieu, parce que celui qui s'attache à lui devient avec lui un seul et même esprit (I Cor. VI, 47). Heureux voyageur qui est fortifié par un tel viatique, qui lui fait traverser sûrement le désert, et arriver heureusement à la patrie.

32. C'est donc aux prêtres, honorant leur ministère par un digne accomplissement de cette charge, qu'est due la première réception de cette viande sacrée, et c'est par eux que la distribution doit en être faite aux autres fidèles. Ce sont eux qui ont les clefs de ce sacrement, qui sont les véritables médiateurs entre Dieu et l'homme, la voix et l'organe de la sainte Église, qui offrent à Dieu les supplications du peuple, et en rapportent les miséricordes. O ami fidèle dans ses promesses ! ô cœur sincère à les accomplir! O bienfaiteur magnifique ! vous l'avez dit, Seigneur Jésus: « Voici que je vis avec vous jusqu'à la consommation des siècles (Matth. XVIII, 20), » vous l'avez dit avec grande vérité. L'Écriture le dit: « Le Verbe est proche, il est dans votre bouche, et dans votre coeur (Deuter. XXX, 14). » Le Verbe, qui dans le principe était en Dieu, daigne, à la fin des siècles, être avec l'homme : il est dans la bouche, il est dans le coeur. Quoi de plus intime ? quoi de plus rapproché ? Il est dans votre bouche : que toujours donc sa louange retentisse dans votre bouche. Il est dans votre cœur : chantez-lui donc dans la tendance droite de votre coeur, et n'oubliez jamais ses bontés sur vous. Quelles bontés? Il a pitié de toutes vos infirmités, il  guérit toutes vos souffrances ; il arrache votre existence des mains de la mort, il vous couronne dans sa miséricorde et ses tendresses (Psalm. CII, 3) ; il remplit tous vos désirs pour le bien, en se donnant lui-même à vous en viatique: votre jeunesse se renouvellera, comme celle de l'aigle à la résurrection des justes, lorsque derechef il se donnera en récompense. En parlant de cette récompense dans la dernière partie, je mettrai en écrit ce qu'il daignera m'inspirer.

 

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TROISIÈME PARTIE. Que Jésus-Christ se donne à nous en récompense dans le ciel.

 

CHAPITRE XIII.

 

33. Voici une sentence d'Aristote : toute chose sensible placée hors du sens n'est pas certaine, c'est une réalité divine que celle « que l'oeil n'a pas vue, que l'oreille n'a pas entendue, que le cœur de l'homme n'a pas goûtée, préparée par le Seigneur pour ceux qui l'aiment (I Cor. II, 9). Et encore : « L'oeil n'a pas vu, Seigneur, si ce n'est vous, ce que vous avez destiné à ceux qui vous aiment (Isa. LXIV, 4). » Et saint Jean: « Nul n'a jamais vu Dieu (Joan. I, 18). » Quoi donc? Si on assigne pour salaire de la vie des choses invisibles à l'œil, inouïes à l'oreille, insondables au coeur, si jamais personne n'a vu Dieu qui est la lumière et la récompense des justes, qui osera parler de choses entièrement inconnues? Ce que je sais, c'est que plus ces choses sont inconnues, plus elles sont à désirer, et que tout ce que l'on peut souhaiter n'entre nullement en comparaison avec elles. Mais parce que, selon l'Apôtre, nous marchons encore selon la foi (II Cor. V, 7) et vous dans la vision, car les réalités invisibles de Dieu, depuis la création du monde, sont comprises par ce qui a été fait (Rom. I, 20) ; en empruntant des comparaisons aux choses qui sont soumises aux sens, efforcez-vous, quelque faiblement que ce soit, de dire quelque chose du bien ineffable promis aux fidèles et aux bienheureux : ne tirant rien de votre coeur, mais puisant dans les saintes Écritures tous les témoignages qu'il vous sera possible.

34. Nul sage ne doute qu'après cette vie, les âmes des justes vont dans la main de Dieu (Sap. III, 1) ; que les âmes des méchants tombent dans les supplices, conformément à cette parole : « Ceux qui auront fait le bien iront à la vie éternelle, ceux qui auront fait le mal, au feu éternel (Symb. S. Athan.) . Les élus ont une double cause de béatitude: celle d'avoir échappé au châtiment, et celle d'être parvenus à la gloire. Il faut dire quelque chose des souffrances des réprouvés, afin que, par le contraste, le bonheur des élus paraisse plus considérable : l'excellence d'une chose ne parait jamais davantage que lorsque on montre combien son contraire est mauvais. La laideur du vice fait mieux ressortir la beauté de la vertu, dit saint Isidore. O homme, pense tous les tourments du monde, compare-les à l'enfer, et ils seront chose légère. Le feu du purgatoire, qui n'est pas celui de l'enfer, ne brûlant qu'un temps restreint, dépasse tous les supplices du monde. Aussi saint Augustin s'écrie à propos du psaume : « Seigneur, ne m'attaquez pas dans votre colère, et ne me gourmandez pas dans votre courroux (Psalm. VI, 1) : » C'est-à-dire, que je ne sois pas du nombre de ceux à qui vous direz au jugement : « Allez, maudits, au feu éternel (Matth. XXV, 45). Ne  me corrigez pas dans votre colère, » c'est-à-dire que je n'aie pas besoin du feu qui purifie, parce qu'il est plus redoutable que tous les maux de cette vie, parce que beaucoup de criminels expient leurs crimes par des souffrances très-variées et plusieurs ont été conduits devant Dieu par des tourments atroces et recherchés.

 

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CHAPITRE XIV. Des peines de l'enfer.

 

35. Parmi les supplices sans nombre que renferme l'enfer, il en est neuf principaux, ainsi qu'on peut le démontrer par les auteurs; les voici exprimés :

 

Le marteau, la puanteur, les vers, le froid,

La vue des démons, les ténèbres, la honte, les liens de feu.

 

Il y aura un feu inextinguible, un froid incomparable, des vers immortels, une puanteur insupportable, des marteaux frappant à coups redoublés, des ténèbres épaisses et palpables: là nul ordre, mais une horreur perpétuelle, les crimes de chacun sont découverts aux yeux de tous, on y aperçoit les démons qui attisent sans cesse le feu, la chose la plus horrible et la plus terrible qui se puisse imaginer; des chaînes de feu qui entourent tous les membres; l'ardeur dont il y brûle est si grande, que même tons les fleuves réunis ne pourraient pas l'éteindre. Aussi, on lit en saint Matthieu: «Là, seront les pleurs et les grincements des dents (Matth. VIII, 12), parce que la fumée du feu fait pleurer, et le froid fait grincer des dents. Si on jetait dans ces abîmes une montagne de feu, elle se changerait en glace. Les malheureux, enchaînés à ces tourments, passent tantôt du chaud au froid, tantôt du froid vif à une chaleur ardente, cherchant un remède à des impressions opposées dans des qualités contraires qui n'en sont pas moins des supplices. Aussi le bienheureux Job a dit : « Ils passeront du froid de la neige à une chaleur excessive (Job. XXIV, 19). »

36. En ce lieu se trouvent des vers immortels, des serpents et des dragons, à la vue et aux sifflements horribles : ils vivent dans les flammes, comme les poissons dans l'eau ; ils affligent les malheureux, attaquant et rongeant surtout les membres qui ont le plus servi au péché; les parties secrètes dans les luxurieux, le palais et le gosier chez les gourmands, et ainsi de suite pour les autres membres. De là vient cette parole de la Sagesse : « Chacun sera tourmenté par ce qu'il emploie à pécher (Sap. XI. 17).» Et cette autre d'Isaïe: « Leur ver ne mourra pas, et leur feu ne s'éteindra pas (Isa. LXVI. 24). » Ce feu exhalera une odeur si insupportable, qu'elle fera souffrir autant que sa chaleur. Aussi le même Isaïe a dit : « Au lieu d'une odeur agréable ils sentiront la puanteur (Isa. III. 24.) » Et le Psalmiste « Le feu, le souffre, l'esprit des tempêtes seront la part de leur héritage (Psal. CXLVIII. 8). » On appelle esprit des tempêtes, cette exhalaison de fumée et de puanteur qui s'exhalent du feu avec une violence semblable à celle de la tempête. A chaque instant, ils sont frappés de coups par les démons, qui les contraignent de confesser leurs crimes ceux, qui, sur la terre, les excitaient au mal, sont ceux-là mêmes qui dans les enfers les en punissent. Aussi Salomon s'est écrié : « Les tourments sont préparés à ceux qui s'en moquent (Prov. XIX. 29). » Car les démons éclatent de rire en voyant ces misérables; ils disent : « C'est bien, c'est bien, nos yeux l'ont vu; » ces insensés n'ont pas voulu partager le sort des neuf choeurs des anges.

 

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