NATIVITÉ-NICOLAS
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SUR LA NATIVITÉ DE NOTRE-SEIGNEUR.

SERMON I. CE DISCOURS EST DE NICOLAS DE CLAIRVAUX.

POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. SERMON II. CE DISCOURS EST DU MEME NICOLAS.

POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. SERMON III. CE DISCOURS EST DU MÊME NICOLAS.

SERMON DU MÊME AUTEUR, POUR LA FÊTE DE SAINT ETIENNE, PREMIER MARTYR.  Étienne plein de grâce et de force (Act. VI. 8).

 

SERMON I. CE DISCOURS EST DE NICOLAS DE CLAIRVAUX.

 

1. Le langage ne peut exprimer les pensées qu'a conçues mon esprit. Le saisissement s'est emparé de moi à la vue des choses merveilleuses qui se passent ; et quand j'examine tout, tout se brouille. Qui pourra considérer le jour de son arrivée ? Aussi la langue se glace, la mémoire perd le souvenir, et le coeur, le sentiment : tout a le caractère d'une nouveauté inaccoutumée, tout est entraîné par l'enfantement de la Vierge et lui obéit. Des miracles éclatent à la fois sur la terre et dans les cieux, parce que toutes les créatures conspirent à rendre hommage à leur Dieu naissant. La voûte convexe des cieux s'illumine d'une étoile plus luisante, et ces sphères enflammées sont inondées d'une lumière plus vive. Des rayons plus étincelants se    répandent dans les quatre parties du monde, et un feu nouveau fait pâlir les astres si nombreux du firmament. L'univers s'étonne en voyant les cieux produire une splendeur nouvelle, et leur harmonie régulière et constante s'altérer pour enfanter des prodiges et des signes. Les Chaldéens voient dans les cieux ce que Balaam a écrit: « Une étoile sortira de Jacob, et un homme s'élèvera d'Israël et toute la terre sera sa possession (Num. XXIV. 17.) » Une étoile naît au ciel et Dieu sur la terre,       et son empire s'étend d'une mer à l'autre. Les rois de Tharsis se préparent pour venir visiter, en portant des présents nouveaux, une mère et un fils tout-à-fait nouveaux, et contempler une nouveauté jusqu'alors inconnue. Une fontaine d'huile jaillit de la terre ; le temple de Rome, qu'on appelait éternel, achevé merveilleusement aux dépens de la ville et du monde, s'écroule. Car les Romains ayant décrété d'élever, en mémoire de l'antiquité de leur puissance illustrée par tant de miracles, un      temple d'un genre particulier, ils demandèrent à leurs dieux nombreux ou plutôt à leurs démons combien pourrait durer cet édifice remarquable, construit avec tant de peine; ils reçurent cette réponse : jusqu'à ce que la Vierge enfante. Prenant cet oracle dans le sens de l'impossibilité d'une destruction, ils donnèrent le nom de « temple éternel » à cette construction grandiose, mais la nuit où la fleur virginale sortit du sein très-pur de Marie, cet ouvrage si étonnant et si éminent s'écroula, et fut tellement mis à morceaux, que les ruines en laissèrent apercevoir à peine quelque vestige.

2. O Bethléem, cité du Dieu souverain, en toi et dans tes environs ont éclaté aujourd'hui des merveilles. Dieu est porté aux mamelles d'une vierge, il est placé dans une crèche, il est lié dans un berceau, il est entouré de langes ; ses bandelettes relâchées, il tend ses heureuses mains et ses bras sacrés, il les tend à la Vierge, il sourit à sa mère, et jette sur Marie ses regards caressants. La reine des cieux est saisie à la vue de tant de prodiges ; elle repasse en son coeur la salutation de l'Archange, la conception d'un Dieu, la nativité de ce divin enfant, et elle s'étonne, en voyant qu'il soit venu de la sorte vers nous, lorsqu'il pouvait venir dans des circonstances bien différentes. Joseph est présent, mais il se tient à l'écart de l'enfant et de la mère, et dans le transport de son âme, il s'étonne, et ne peut assez admirer d'avoir été admis à connaître ce mystère d'une si grande bonté. L'armée céleste s'y trouve, on entend des voix glorieuses qui font retentir « Gloria in excelsis Deo, » gloire à Dieu dans les hauteurs des cieux. Les Bergers accourent et y trouvent l'enfant et la jeune mère ; l'étoile ouvre la marche, les roi, arrivent, ils adorent le Fils, honorent la mère, offrent des présents, et s'inclinent devant cette majesté. Hérode est torturé; Jérusalem se trouble; on a recours à la feinte : le rusé est joué, tous les artifices sont détruits, les Mages sen retournent chez eux par une autre voie ; la paix, cette paix inconnue depuis des siècles, règne enfin, tout l'univers est recensé, un ruisseau d'huile sort de la terre, et une liqueur sanctifiée bout en sortant d'une veine abondante. Qu'est-ce que tout ceci, sinon que la véritable paix s'est montrée sur la terre, sinon qu'on met en écrit les élus appelés à être les citoyens du royaume céleste ; sinon que la fontaine de la miséricorde sort du sein d'une Vierge.

3. « Votre nom est une huile répandue (Cant. I, 2). » Le Saint-Esprit. auteur vivant de l'Écriture elle-même, a placé dans ce petit passage la douceur de son huile divine. Mais la veille de cette nuit vous a tellement fatigués, que vous pouvez à peine écarter le sommeil de vos yeux. Réveillez-vous un peu cependant, secouez l'engourdissement qui vous gagne; il va venir, celui dont la nature fait le sujet de ce discours. Il éclairera nos yeux pour nous empêcher de nous endormir. Toute l'explication de cette parole sera tirée de l'arche de celui dont les pensées sont les pensées de Dieu. Je veux dire le seigneur Abbé de Clairvaux, dont la religion et la sagesse, l'éloquence, la sainteté et la réputation sont si connues dans tout le monde latin. Je respire volontiers tout ce que porte ce grand saint. L'esprit de bonté qui a laissé couler de sa source la plus intime le fleuve du Cantique des cantiques, en trois mots nous a donné à chercher le nom de l'Époux, pourquoi on le compare à l'huile, et comment il se répand : parce qu'il passe le nom sous silence, il ne dit rien de la manière de recueillir et n'a rien touchant son effusion.

4. Examinons d'abord ce qui se rapporte au nom. Dans les pages des saintes Écritures, on trouve répandus bien des noms de l'Époux, il les ramène tous à deux groupes. Vous n'en rencontrerez aucun qui ne marque la puissance de la majesté, ou la grâce de la bonté. L'enfant du Seigneur, dont je fais mention plus fréquemment, introduit dans les appartements du roi, entendit de la bouche de la Divinité, comme deux paroles plus élevées : « La puissance est de Dieu, » s'écrie-t-il, « et à vous, Seigneur, est la miséricorde (Psal. LXI, 13). » Rendant témoignage à cette parole du Prophète, le Seigneur lui-même, dit : « Vous m'appelez Maître et Seigneur (Joan. XIII, 13). » Seigneur, » est un mot qui indique la majesté; « Maître, » la bonté. Si c'est une chose pieuse de donner la nourriture au corps, c'est bien plus de bonté que de donner à l'âme l'aliment qu'il lui faut. C'est là la propre fonction des maîtres, qui retiennent sous la règle les esprits qu'ils morigènent Voyons quels sont ceux de ces noms, qui se répandent, si le nom de puissance coule dans le nom de grâce, ou celui de bonté dans le nom de majesté ; non, la miséricorde n'est point renfermée dans la justice, parce que les « miséricordes de Dieu, sont au dessus de toutes les oeuvres (Psal. CXLIX, 9). » Il est donc certain que la puissance a coulé sous forme de plus grande bonté, aujourd'hui que les cieux se sont fondus devant la face du Seigneur, et que l'ancien des jours sort du sein d'une vierge. Nul ne peut se dérober à cette chaleur, parce que l'effusion plus abondante de l'huile descend de la  tête sur sa barbe, parce qu'elle a aussi gagné plus glorieusement jusqu'aux franges du vêtement. Le sentiment qu'éprouve le coeur miséricordieux est si grand, qu'on l'appelle non-seulement effusion, mais encore anéantissement. « Il s'est anéanti lui-même, u s'écrie l'Apôtre, « prenant aujourd'hui « la forme d'un esclave (Philip. II, 7), » et il est sorti du sein virginal de sa mère, accompagné du cortège infini de ses bontés.

5. Les conseils profonds de Dieu ne trouvèrent pas de manière plus douce pour nous racheter, parce que tout ce qui exista de bonté dans le trésor de la bonté divine, fut entassé dans le sein de la Vierge. Je ne me contiens pas de joie, de ce qu'une majesté si relevée, prenant ma nature, m'élève à une hauteur si prodigieuse et me renferme, misérable que je suis, dans les richesses de la gloire, non pour un instant, mais à jamais ; mon Seigneur devient mon Père,     et l'affection qu'inspire le Père triomphe du respect que réclame le Maître. Seigneur Jésus-Christ, c'est avec plaisir que j'entends dire que voua régnez dans le ciel; avec plus de plaisir, que vous naissez sur la terre, avec plus de plaisir encore que vous souffrez la croix, les clous et la lance. Cette effusion de bonté enlève mon amour, le souvenir de tout ce que vous avez fait enflamme mon coeur pénétré de l'âpreté de cette potion vive et vivifiante qu'il reçoit en lui. Cette parole est vive et efficace, et plus incisive qu'un glaive à deux tranchants, elle atteint jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit, et va jusqu'à scruter les nerfs et la moëlle des os (Heb. IV, 12). Un des personnages qui fut ou le maître ou l'un des maîtres du choeur des prophètes, en distribuant les noms en six divisions, annonça d'avance, d'une façon merveilleuse mais subtile, cette même effusion : « Son nom, » dit-il, « sera admirable, le conseiller Dieu, le fort, le Père du siècle à venir, le prince de la paix (Isa. IX, 6). » Mon Seigneur était admirable lorsque assis au milieu des choeurs des anges, et leur entendant chanter sa gloire, ravissant ces merveilleuses créatures, opérant des prodiges dans le ciel, sur la terre, dans la mer, et dans tous les abîmes. Et moi,- plongé dans la boue et la misère, malheureux et misérable, j'avais perdu tout espoir de me tirer de ces ordures. Il était dans la gloire, et moi, dans le malheur, il était admirable et moi misérable. Ce nom saint et terrible, fermé et complet, comment pouvais-je le comprendre, lorsque le regard de l'ange, loin de le pénétrer, peut à peine le fixer ?

6. Mais voyez-en l'effusion. Celui qui était admirable pour les phalanges célestes, incline les cieux et devient le conseiller des hommes. Le nom de majesté s'écoule dans le nom de bonté, et celui qui est admirable dans les cieux, vient instruire la terre; il cache la pourpre sous les dehors de la misère. Il s'incline vers la boue dans laquelle j'étais plongé; il n'y est pas englouti, et, si j'ose tenir ce langage, j'étais au fond de la fosse pleine de limon, il a tendu la droite à l'ouvrage de ses mains ; il l'a tiré: des eaux, il l'a lavé, lui a donné un vêtement, l'a reporté et le confirme après l'avoir remis à sa place. Il tend la main droite lorsqu'il naît, il le sort lorsqu'il parle, il le lave lorsqu'il meurt, il le revêt quand il ressuscite, il le reporte lorsqu'il monte au ciel, il le confirme lorsqu'il lui envoie du ciel le Saint-Esprit. Voilà un bon « conseiller » qui scelle par sa mort le conseil qu'il a donné de vive voix. Car, dit l'Évangéliste, « il enseignait comme ayant autorité (Marc. I. 22), » et non, comme leurs scribes et leurs Pharisiens. « Dieu, Fort, » sont des noms de puissance mais le titre de « Dieu » se fond dans celui de Père du siècle à venir « Fort » en celui de prince de la paix. Je vais rapidement, parce que je m'adresse à des auditeurs fatigués et connaissant la loi. Qu'as-tu à voir, Lucifer murmurateur, dans une si grande effusion? Toutes les voies du Seigneur sont fermées pour toi, et ici ton oeil malin s'est couvert de ténèbres. Mais mon Seigneur fut « admirable » dans sa nativité, il fut « conseiller » dans sa prédication, « Dieu » par l'éclat de ses miracles, « fort dans sa passion, « père » du siècle futur dans sa résurrection, « prince de la paix » dans la béatitude éternelle. Que ces mots nouveaux ne vous effraient point, ils n'expriment rien de nouveau. Ainsi autrefois furent changés et confondus le nom d'Abram en celui d'Abraham (Gen. XVIII. 5), celui de Saraï en Sara, sans indiquer les autres transformations que vous vous rappelez avoir rencontrées dans l'ancienne loi.

7. Mais, jusque dans l'origine du monde, en un lieu caché des Saintes-Écritures, je me rappelle avoir trouvé une effusion du nom de Dieu. Le Seigneur parle à Moïse de la délivrance d'Israël, et après un long entretien, ce prophète lui demande curieusement son nom. Le Seigneur lui dit : « Je suis celui qui suis, voilà mon nom pour toujours. Tu diras aux enfants d'Israël: celui qui est m'a envoyé vers vous (Exod. III. 13). Que Moïse effrayé par la puissance d'un nom insondable, comme s'il disait, il dépasse mon intelligence; je ne le puis comprendre que s'il est répandu, entende de la majesté : « je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. » Le voilà répandu. Le Dieu des anges s'appelle le Dieu des hommes. Courons donc, mes frères, à l'odeur de ses parfums, courons à cette huile exprimée du bel olivier des campagnes, olivier que ne dépare aucune tache, que n'aigrit aucune amertume. Cette huile réjouit le visage de l'homme, elle guérit les blessures, enlève la douleur et rend la suavité. N'est-ce pas que notre Samaritain a versé l'huile et le vin dans les plaies que le voleur cruel nous a faites, pour en adoucir et en calmer la douleur? Il y mit beaucoup d'huile et peu de vin, beaucoup de miséricorde et peu de justice. Ce, procédé convenait à sa miséricorde, et il était très-expédient pour notre misère. « N'entrez point en jugement avec votre serviteur, dit le juste, parce qu’en votre présence, nul vivant ne sera justifié (Psal. CXLII. 2), mais plutôt couronnez-moi dans votre miséricorde et dans vos bontés. Le Seigneur, venant aujourd'hui, nous a porté cinq vases d'huile et deux seulement de vin. Car l'esprit de sagesse, d'intelligence, de conseil, de science, de piété, exprime la douceur de la miséricorde, il exalte la bonté et fait respirer la santé. La force et la crainte sont le vin, c'est de ce vin que fut enivré ce puissant, quand il descendit aux enfers dans l'esprit de force, non pour subir la crainte, mais pour l'inspirer.

8. Voyons maintenant pourquoi on compare ce nom à l'huile. L'huile (si vous n'avez rien de meilleur à en dire) éclaire, elle nourrit, et elle sert pour les onctions. Ainsi fait le nom de Jésus-Christ, d'où vient qu'il justifie de tout point sa comparaison. Voyez si d'éclatants flambeaux n'ont pas porté ce nom comme sur le trépied de leur éloquence, si les splendeurs de Dieu n'ont pas brillé sur la terre; si, à cet éclat, le monde n'a pas été ému et agité. (Psal. LXXVII. 19). «Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche, » dit le prince des apôtres aux boiteux (Act. III. 6). Ne fut-ce pas un éclair qui sortit de la bouche de Pierre, lorsque fut prononcé ce nom qu'avait proféré d'abord la bouche du Seigneur? « Et aussitôt, dit le texte sacré, ses fondements et ses bases furent consolidés. » Ce mot de Jésus, comme l'a expliqué le noble langage d'Origène, est doux et glorieux, digne de toute adoration et de tout culte; il ne convenait pas qu'auparavant, il fut porté par les hommes, il fallait qu'il fût réservé à une nature plus excellente que les autres. Car les prophètes ou l'ignorèrent ou bien le passèrent entièrement sous silence et le privilège de le prononcer fut réservé à l'archange Gabriel, qui, le premier, de sa bouche sacrée, le révéla à la sainte Vierge. Ravi en esprit, Isaïe ne s'accorde-t-il pas dans ses paroles, syllabes par syllabes, avec celles de l'archange, jusqu'à ce qu'il arrive à ce saint nom, qui devait être nouvellement proféré par la suite. Il alimente véritablement, et il n'est pas de nourriture plus semblable dans le pâturage où le Seigneur nous a placés. Quelle autre nourriture engraisse également l'esprit ? Le nom de Jésus, est du miel dans la bouche, une musique pour l'oreille, un tressaillement pour le cœur. Toute nourriture, si elle n'est assaisonnée de ce sel, est fade. Toute écriture qui n'est pas imbibée de l'huile d'une si grande dévotion, est insipide. Jadis, Cicéron m'était doux, Virgile me charmait, et les syrènes ravissantes jusqu'à la mort, avaient enchanté mon esprit. La loi, les prophètes, l'Évangile, les esprits et tout l'éclat des sentences de mon Seigneur et de ses serviteurs me paraissaient rien ou presque rien. Maintenant, je ne sais ce que me murmure de plus doux le fils de Jessé, qui, par l'harmonie de ses oracles, rend muets et sans éloquence tous ces auteurs que j'aimais. « Il oint et adoucit; » dans la tribulation, rien ne refait comme ce nom sacré. Il est permis d'en faire l'épreuve. « Invoque-moi, dit-il, dans la tribulation, je te délivrerai, et tu m'honoreras (Psal. XLIX. 15). Voilà ce nom, voilà cette huile, voilà cette huile répandue. Je vous le dis en vérité, ce van d'huile ne manquera point, il ne se diminuera point, jusqu'à ce que le Seigneur répande avec plus d'abondance la pluie volontaire qui est réservée à son héritage, jusqu'à ce qu'il fasse un ciel nouveau et une terre nouvelle: parce que sa miséricorde vient de l'éternité et elle s'étend jusque dans l'éternité, sur ceux qui le craignent. Mais levons-nous, et préparons-nous, pour la joie de la messe solennelle; ne ménageons ni nos coeurs, ni nos voix, pour honorer l'enfant qui nous est né, qui est Dieu béni dans les siècles. Amen.

 

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POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. SERMON II. CE DISCOURS EST DU MEME NICOLAS.

 

1. Mes frères, réjouissez-vous dans le Seigneur, nous avons à parler de ce jour du Seigneur, qui réclame de vos coeurs la plus haute expression de la joie, jour qui est consacré à celui dont le nom fait incliner humblement vos têtes, jour aux heures sacrées duquel vous assistez avec respect, et dont vous célébrez constamment le souvenir. C'est ce jour, qui, dans l'immensité de sa douceur, fait ressentir à vos coeurs, de bien suaves tendresses. L'esprit qui l'inspire est , plus doux que le miel, car le Seigneur, dont le caractère est la tendresse, y accourt avec toute sa bonté. Après avoir fait toutes ses oeuvres extrêmement bonnes, Dieu, en ce jour, en a fait de meilleures; il s'y est consacré un lit d'or pour son repos, pour s'y délasser du tumulte occasionné par les anges, et par les hommes. C'est là ce que la nature admire, ce que l'ange révère, ce que l'homme redoute, ce que le ciel regarde avec stupeur, ce qui fait frissonner la terre, ce que l'enfer a en horreur. Admirablement liquéfiée en son sein, la majesté du Très-Haut, a rempli la terre comme de graisse et d'embonpoint, elle en a pénétré le ciel, et arrosé les enfers. Le Très-Haut et l'Infini s'y est anéanti lui-même, mettant en votre sein, une mesure bonne, pressée et débordante. Notre Sauveur est oint par des mains divines de l'huile de la joie, il est consacré comme un autel, et digne du pontificat qu'il exerce. De cet autel, montant sur la croix, inondé de son propre sang comme d'une huile d'une autre espèce, non plus consacré, mais consacrant à son tour, il répandit, avec une effusion plus abondante, la sainteté sur toute la terre. Que le chagrin cesse donc, que la tristesse s'enfuie, que la douleur disparaisse, que l'ennui s'éloigne, et qu'il nous soit permis de goûter du repos, et de voir, en ce loisir sacré, avec Moïse, ce grand spectacle ; comment un Dieu est conçu dans le sein de Marie ; comment le démon est trompé, comment l'homme recouvre ce qu'il avait perdu, et reçoit ce qui ne lui était pas dû. L'affection m'entraîne, mais les paroles me manquent. De riches pensées sont trahies par de pauvres expressions. Mon intérieur, plein de ferveur, produit comme des bouillons élevés, mais la froideur de ma langue en refroidit les élancements. Qu'est-ce que ceci, ô très-heureuse vierge ? Faudra-t-il que je m'endorme sans redire mes sentiments, et que je sois muet lorsque toute créature parle?

2. Cependant je ne me tairai pas, je ne prendrai point de repos, jusqu'à ce que votre visage se montre comme un astre éclatant et que les pensées que j'ai conçues de vous, s'enflamment sinon comme une lampe, du moins comme une étincelle. Un spectacle qui m'émeut, je l'avoue, c'est de voir que sous la providence de Dieu, les créatures raisonnables pèchent, et que durant plusieurs milliers d'années, les corps célestes et terrestres paraissent exister en vain; les uns à moitié, les autres entièrement renversés. Cette grande cité subsiste privée de ses nombreux habitants, et la foule considérable est repoussée de ses palais étincelants. Les globes de feu s'obscurcissent, je veux parler du soleil, de la lune et des étoiles, qui sont privés de leur grand éclat. La terre est maudite, lorsque la race des hommes est condamnée (Gen. III, 17). Et, d'après l'Apôtre, toute créature gémit et souffre les douleurs de l'enfantement (Rom. VIII, 19). Le Seigneur tout-puissant se tait, et sa puissance, qui ordonne tout, dissimule une confusion si extrême. Enfin Marie vient au monde, et arrivant à l'âge nubile, elle prend une beauté qui ravit Dieu lui-même et attire sur elle, les yeux de la divinité. Voici ce que dit fun de ceux qui avait mieux sondé les secrets de Dieu : « Écoutez, ma fille, et voyez, prêtez l'oreille, et oubliez votre peuple et la maison de votre Père, et le roi désirera votre beauté, parce qu'il est le Seigneur votre Dieu (Psal. XLIV, 11). De la tige tortueuse du genre humain et de la lignée des patriarches, germe donc la tige de Jessé, et, s'élevant droit et haut, elle ignore tout rejeton noueux, toute ténèbre et tout défaut. Cet ami, enflammé de tendresse, voit et brûle, il chante à la louange de la bien-aimée, l'épithalame où l'Époux se montre transporté d'un amour très-sincère, et ne peut plus dissimuler les sentiments qu'il éprouve. Le conseil céleste est aussitôt convoqué, et, selon le Prophète, Dieu délibère avec les anges, du rétablissement de leurs cadres, du rachat des hommes, et du renouvellement des éléments. Transportés de joie, et stupéfiés d'une pensée si admirable, ils demandent comment s'opèrera cette rédemption, et soudain du trésor de la divinité, est tiré le nom de Marie, et il est décidé que par elle, en elle, avec elle et d'elle, tout ce grand oeuvre s'accomplira, en sorte que, comme rien n'a été fait saris le Verbe, rien aussi ne soit refait sans elle. On donne une lettre à Gabriel, lettre qui renferme la salutation à la Vierge, l'incarnation du Rédempteur, la plénitude de la grâce, la grandeur de la gloire, et l'abondance extraordinaire de la joie, qui accompagneront ce mystère adorable. Envoyé donc, de la part du Seigneur, l'ange Gabriel, avant même d'arriver en face de la Vierge, trouve Dieu descendu dans ses entrailles virginales, et le Dieu de majesté, renfermé dans les espaces étroits de son sein. O sein plus étendu que les cieux, plus vaste que la terre, plus considérable que tous les éléments réunis ! Il renferme celui qui contient tout; le Dieu de gloire s'y repose. De plus, l'Archange ne dit point : « Salut Marie, » qui serez remplie, mais « qui êtes pleine de grâces; » non le Seigneur viendra, mais bien le « Seigneur est avec vous, » parce que le Saint-Esprit se l'était entièrement ravie et l'avait comblée des ornements célestes. Elle était déjà sanctifiée et consacrée dans le jardin de délices, d'où devait jaillir la fontaine pour arroser la surface de toute la terre.

3. Jusqu'à présent flous avons semé les paroles, et, en des termes volants, nous avons mis en avant diverses pensées : insistons sur cette considération, et tâchons d'en tirer de dignes impressions. « Un fleuve, dit l'Écriture, sort du jardin de volupté pour arroser toute la face de la terre, et de là il se divise en quatre branches (Gen. II, 6). » Ce fleuve est mon Seigneur Jésus-Christ, il sort de deux lieux de volupté, du sein de son Père et du sein de sa Mère. Aussi le Prophète s'écrie : « Notre Dieu est un fleuve de gloire, et jaillit sur une terre sèche et altérée. » Mais il sort de l'un et de l'autre, avec des différences inexprimables ; car si sa naissance temporelle est glorieuse, plus glorieuse est son origine éternelle. Me rendant à vos exhortations, je veux vous exprimer mes sentiments, au sujet de chacune de ces générations, non que j'aie la présomption de vous exposer en quelque chose ce mystère, il dépasse les forces de tous les esprits, et à plus forte raison celle du mien, ce serait une extrême folie, surtout, pour un homme peu habile, de vouloir dire des choses inexprimables. Je n'ai point oublié ce qu'a dit Salomon « Qui mange trop de miel vomira. De même, qui sonde la majesté sera écrasé par la gloire (Prov. XXXV, 27). » De chacune de ces générations, le Prophète a dit aussi, je le crois : « Qui racontera sa génération (lsa. LIII, 8) ? » Celle qui est du Père est ineffable, inaccessible, nulle créature ne peut s'en approcher. C'est en ce jour, je le pense, que l'Apôtre a dit de Dieu : « Seul il habite une lumière inaccessible (I Tim. VI, 16), » puisque les natures les plus pures sont frappées d'un si grand éclat, qu'elles ne peuvent regarder un abîme d'où jaillissent de si vives clartés. Le Fils le déclare aussi : « Nul n'a connu le Fils que le Père, nul n'a connu le Père que le Fils, et celui â qui le Fils a voulu le révéler (Matth. XI, 27). » Et encore, non tel qu'il est en lui-même, mais dans la mesure dont peut le comprendre celui, à qui une si grande bonté veut bien le découvrir. Aussi cette âme sublime, qui avait été ravie jusqu'au troisième ciel dans les richesses de la gloire du Seigneur, s'écrie : « Je ne crois pas l'avoir saisi (Phil. III, 12). »

4. La définition la plus vraie que l'on en puisse donner, c'est que nulle intelligence ne comprend ce mystère de la génération du Père qui produit, et du Fils qui tient l'existence du Père. Quant à la génération qui vient de Marie, je crois aussi qu'elle est insondable pour toute créature humaine, et je mets en doute que même une nature plus excellente la puisse saisir. Qui comprendra,, en effet, l'union de la chair et du Verbe, comment Dieu et l'homme se trouvent en une seule personne, chaque nature, gardant, saines et sans altération, ses propriétés particulières? Chacun a, sur ce point, sa manière de voir; pour moi, suivant le sentiment des anciens qui ont laissé à cet égard des écrits sains et inattaqués, je crois qu'elle surpasse toute intelligence. Revenant à la génération qui est du Père, nous pensons que, le Père est le lieu de volupté, quoique en Dieu il n'y ait pas de lieu; mais les réalités des choses ne se peuvent exprimer, que par les expressions vulgairement en usage. Qu'en ce lieu se trouve toute volupté, celui-là le comprendra facilement qui lira dans l'Apôtre : « De lui, par lui et en lui sont toutes choses (Rom. XI, 36) ; » et qui entendra dire à l'un des douce princes : «Tout lien excellent et tout don parfait est d'en haut, descendant du Père des lumières (Jac. I, 17). » Le Fils lui-même s'exprime ainsi : « C'est la vie éternelle, de vous connaître, vous qui êtes le seul vrai Dieu (Joan. XVII, 3). » Donc la connaissance du Père est la vie éternelle. Et où est la vie éternelle, là est l'éternelle volupté. Le fleuve sort donc du lieu de volupté, parce que du sein du Père, est engendré le Dieu de Dieu, la lumière de lumière, le Seigneur de Seigneur. Il sort par voie « d'identité: » parce qu'il est le même que le Père. Le même, dis je, selon la substance, non selon la personne. Il sort par voie « d'égalité: » parce qu'il reçoit la toute puissance de son Père, puisque, ainsi qu'il le témoigne lui-même, il peut tout ce que peut le Père: « Tout ce que fait le Père, le Fils le l'ait aussi ; le Fils ne peut rien faire que ce qu'il voit faire au Père (Joan. V, 19). » Il en sort de toute  « éternité : » car bien qu'il soit engendré, il n'est point cependant postérieur à celui qui l'a engendré, mais tous les deux ont une seule et même ancienneté, si pourtant cette expression nouvelle ne nous cause pas d'horreur. Encore qu'elle signifie en quelque manière ce que l'on dit vulgairement, elle est néanmoins bien au dessous de la majesté du sentiment que l'on veut rendre. Il sort par voie de « similitude, » parce qu'il est semblable à son Père, son image, la splendeur de sa! gloire et la figure de sa substance. Il est sorti avec « personnalité distincte, » comme une personne vient d'une antre; je ne parle pas d'une chose différente, mais d'une personne. « Mon Père et moi, dit Notre Seigneur, nous sommes un (Joan. X, 30) : » Un par rapport à la nature, et non une personne; une même chose indique l'unité de substance; un marque la propriété des personnes. Ainsi donc et d'une manière bien plus excellente, le Fils sortant du Père, inonde de gloire les phalanges angéliques, parce que, selon Salomon, le Verbe ale Dieu est nue fontaine de sagesse dans les hauteurs (Eccli. I, 5). Le jeune berger qui jouait de la harpe, avait bu copieusement à cette source, lorsqu'il s'écriait : « En vous est la fontaine de la vie, et en votre lumière nous verrons la lumière (Psal. XXXV). »          « En vous, dit-il, est la fontaine de la vie, » parce que vous n'êtes pas seulement la vie, mais votre Fils est aussi la source de la vie. Et pour exprimer clairement son sentiment, il ajoutait : « En votre lumière nous verrons la lumière, » c'est-à-dire pour arroser toute la face de la terre. Quelle est cette terre placée au sommet des cieux, qu'arrose et que fertilise ce fleuve glorieux? C'est le royaume des cieux, c'est la terre des vivants. Aussi le même prophète s'écrie : Je crois voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants (Psal. XXVI, 13). Et encore : Je plairai au Seigneur dans la région des vivants (Psal. CXIV, 9). Les flots de cette inondation échappent à toute description. Car les anges sont enivrés de la richesse de la maison de Dieu, et ils boivent au torrent de ses délices.

5. Ici je ne sais que dire : car un grand saisissement arrête le sentiment qui s'élève dans l'âme. Où sont ces tournures oratoires que, dans le secret de leur rhétorique, trouvèrent tous les philosophes réunis? Où sont ces géants célèbres dans le siècle, qui, dès le principe, furent de si haute stature, habiles dans la guerre et exercés dans les combats de la parole ? Est-ce que ce géant, grand entre tous (je veux dire Platon), fut écarté de l'intelligence d'une si pure vérité, lui qui, arrivant, sans l'atteindre pourtant, à la divinité, dit : « J'ai trouvé un principe qui opère tout, j'en ai trouvé un autre par lequel tout est fait; quant au troisième, je n'ai pu le rencontrer. Il n'est pas étonnant qu'il ne connût pas le Saint-Esprit qu'il n'avait pas reçu, cet esprit qui est le maître des saintes pensées et qui révéla à saint Paul ce que l'oeil n'a point vu, comme s'en glorifie le même Apôtre : « C'est Dieu, s'écrie-t-il, qui nous l'a révélé (I Cor. II, 10). » Par quel moyen, ô grand Apôtre? « Par le Saint-Esprit: » non par notre esprit qui a séduit les philosophes, et qui a fait qu'ils ont séduit les autres. Entendons ce que dit à ce sujet notre philosophe, qui eut l'intelligence plus grande que les vieillards et que ceux qui l'instruisaient (Ps. CXVIII, 100) : « Il arrose les montagnes, dit-il, en descendant de ses hauteurs (Psal. CIII, 13). » C'est-à-dire des anges élevés, qui contemplent d'un regard infatigable, non par énigme ou reflet, mais face à face, la substance même de Dieu.

6. Il est dit ensuite; « Delà il se divise en quatre branches (Gen. II, 10). » En quelles quatre branches ? Disons-le en peu de mots, parce qu'il nous reste beaucoup de chemin à parcourir. En « admiration. » Car, de la fragilité de la nature humaine, admise à boire au torrent de la volupté, celte créature plus digne est toute saisie de la gloire du créateur et de l'éclat de cette gloire. En « pureté: » Car ce n'est plus dans un vase d'argile, mais sans aucun voile, que l'on puise dans la joie les eaux aux sources du Sauveur. En « satiété, » parce que, bien qu'ils désirent jeter les yeux sur lui, ce désir néanmoins n'implique pas de nécessité, ou bien la nécessité ne cause pas de misère, mais, par un effet plus admirable, ils désirent toujours pour être toujours rassasiés et ils sont toujours rassasiés pour désirer sans relâche. En « sécurité, » pour qu'assurés de leur bonheur stable, ils soient plongés dans des joies éternelles, attendant la bienheureuse espérance et l'arrivée de la gloire du grand Dieu, alors qu'il n'y aura qu'un bercail et qu'un pasteur, et que la Jérusalem d'en haut sera conformée en une seule et même chose. Mais ce fleuve coule par le moyen des anges. Tout cela, la foi le saisit, la raison l'ignore, l'intelligence humaine ne le comprend pas. Ce sont là peut-être les quatre choses que l'Apôtre, vase d'élection, aperçut dans cette heureuse quaternité dont parle son épître aux Hébreux : « Vous ne vous êtes point approchés, dit-il, de la montagne fumante, mais bien de la montagne de Sion, de la Jérusalem cité du Dieu vivant, de la société nombreuse des anges, de l'Église des premiers-nés, écrite dans le ciel (Hebr. XII, 18). »

7. Attachons-nous maintenant à voir comment ce même Verbe sort du sein de la Vierge . Parce que cette sortie est plus douce et plus agréable pour la misère humaine, elle émeut le coeur de ceux qui la contemplent, elle fait baigner leurs yeux de larmes, et fait couler des eaux suaves dans la blessure des coeurs aimants. Par ce lieu de voluptés j'entends le sein de Marie, dans lequel le Seigneur entassa délices sur délices, délices desquelles le Saint-Esprit, au Cantique des cantiques, s'écrie dans un langage plein d'admiration : «Quelle est celle-ci qui monte du désert inondée de délices (Cant. VIII, 5? » Est-ce que le Très-Haut. prend donc plaisir dans les anges, en lesquels il a trouvé la dépravation (Job. IV, 18)? Le prend-il dans les constellations où dans la scintillation des étoiles, dont les unes se changent en sang, les autres tombent du ciel, les autres se couvrent de ténèbres (Apoc. VI, 13) ? Le prend-il dans l'air, ou dans le feu, on dans le vent? Le Seigneur ne se trouve nullement dans le feu, nullement dans le trouble, nullement dans l’ esprit, si ce personnage dont il est parlé dans l'Écriture fat véritablement enlevé au ciel dans un char et par des coursiers de feu (Reg. II, 11). Dieu trouve-t-il son bonheur dans les eaux, au sein desquelles fait son séjour le Léviathan tortueux et en furie, ou dans la terre qui, frappée de la malédiction lancée contre Adam, germe des ronces et des épines (Gen. III, 18)? De lieu de volupté, il n'en existe pas d'autres que le sein de la Vierge. Jésus en sort avec son « humanité, » parce que, revêtu du cilice de notre mortalité, il apparut visiblement aux yeux des hommes. Formant de la Vierge une verge, du livre de sa génération une ligne, il y attacha la Divinité comme un hameçon, et la revêtit d'une chair virginale, afin qu'attiré par la chair, le grand dragon fût blessé par le fer de la puissance divine qui s'y était caché, il en sort en « nouveauté; » jamais homme, en effet, ne naquit comme naît celui-ci. Car le premier homme est d'abord formé de la terre, ensuite la femme est tirée de son côté (Gen. II, 22). Ensuite Adam et Eve donnent naissance à Caïn, à la manière ordinaire (Gen. IV, 1). Seul, Jésus naît d'une vierge seule, et la divinité, revêtue d'un corps humain, scelle par cet enfantement singulier et nouveau le sein de cette vierge. Où est à présent le bavardage abondant rirais stérile de la subtilité d'Aristote. Si elle a enfanté, elle a connu l'homme. Bon gré, mal gré, la privation se change en habitude, celui qui met un terme à tout n'est pas astreint aux règles de la dialectique, la nature obéit à son empire, et la coutume cesse de se faire sentir. Il en sort avec à éclat. » Car, à sa naissance, la sphère sereine des cieux se remplit de lumières étincelantes, et une étoile plus brillante que les autres envahit de ses feux l'étendue du firmament. Les rois marchent aux clartés que fait briller son berceau, car voici que les rois se sont réunis, et il sont venus en un seul lieu. En voyant un Homme-Dieu qui naît, irae vierge qui enfante, ils sont étonnés, ils admirent, ils sont émus, la stupeur les saisit à la lueur de tant de prodiges. Il sort dans la « pauvreté, » car, couché dans de très-viles langes, déjà il montrait dans ses membres très-saints la réalisation de la loi du martyre. Il en sort «en secret» parce que ce démon, cet esprit si habile à trouver les ruses, est exclu du profond mystère d'une si grande bonté. De là vient que, fatigué des signes divers qui se succèdent en sa vie, tantôt il le tente, tantôt en le tentant, il l'appelle le Fils du Très-Haut; tantôt il dresse la croix, tantôt il la renverse, faisant dire par une femme, car la femme est son organe ordinaire : « Qu'il n'y ait rien entre toi et ce juste (Matth. XXVII, 19). »

8. On lit encore à la suite: « Pour arroser la face de toute la terre, » c'est-à-dire pour expier la misère que nous avait laissée sur la terre, comme un héritage, le premier homme pécheur. Je souhaite que l'Apôtre me distribue ce fleuve en quatre branches, comme il l'a déjà fait précédemment, parce que j'adopte avec plus de confiance son exposition. « Il est devenu pour nous, sagesse, justice, sanctification et rédemption (I Cor. X, 30). Venant vers nous qui étions dans la prison, d'abord par l'éclat de sa sagesse, il a chassé les ténèbres de notre ignorance universelle ; ensuite, par la justice qui vient de la foi, il a rompu les liens de nos péchés, nous sanctifiant dans son corps, nous rachetant dans sa passion : « C'est le Seigneur qui délivre ceux qui sont enchaînés, qui illumine les aveugles (Psal. CXLV, 7); » il sanctifie son tabernacle, et le rachète des mains de l'ennemi. Ce fleuve sacré se divise en patience, parce qu'il supporte les pécheurs ; en miséricorde, parce qu'il les protège; en largesse, parce qu'il exalte ceux qui font des progrès ; en force, parce qu'il conserve et maintient ceux qui sont arrivés au terme. C'est de ce second quaternaire que je vous ai entretenus tout cet Avent, en faisant des considérations mystiques sur le cours et les significations morales des noms de ces fleuves. Ai-je réussi à en parler dignement ? vous le savez. Mais, pour éviter de vous ennuyer, nous ne pouvons tout résumer dans ce discours.

9. J'ai donc quatre chapitres plus doux que les autres, qui peut-être souriront davantage à votre coeur. Car votre Seigneur élevé sur la croix répandit son sang à flots des quatre parties de son corps. Les épines qui piquèrent sa tête penchée sur son cou blanc comme la neige, les clous de ses mains et de ses pieds et la lance qui ouvrit son côté tirent jaillir son sang précieux : en le voyant couler, le juge se change en père, celui qui était courroucé devient doux, la miséricorde remplace la vengeance, et la prison, la couronne. Jésus-Christ est donc une fontaine cachée dans les cieux, une fontaine ouverte sur la terre; au ciel, il sort du sein du Père, sur la terre; il sort du sein de la vierge. Là-haut vivant, il arrose la terre des vivants ; ici-bas mourant, il féconde la terre des mourants. Là-haut, il se divise en une admirable, et ici-bas, en une douce quaternité. Doux est le Seigneur, douce notre Dame: le Seigneur est ma miséricorde; notre Dame, la porte de la miséricorde. Que la Mère nous mène au Fils, que le Fils nous conduise au Père, l'Épouse à l'Époux qui est béni dans les siècles. Amen.

 

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POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. SERMON III. CE DISCOURS EST DU MÊME NICOLAS.

 

1. Nous voici enfin arrivés de la haute mer dans le port, de la promesse à sa réalisation, du travail au repos, du désespoir à l'espérance, du chemin à la patrie. La plume de l'écrivain à la main rapide nous l'avait marqué souvent dans ses lettres: « Attends, attends encore (Isa. XXVIII, 10). » Nous pouvons lui répondre ce qui vient à la suite: « Encore un peu, encore un peu. » On avait vu courir au-devant du Sauveur des hommes riches en promesses, mais très-pauvres en effets. L'un disait « Agis en homme, que ton coeur prenne courage, et attends le Seigneur (Psal. XXVI, 14). » L'autre : « S'il retarde, attends-le parce qu'il viendra certainement (Habac. II, 3). » D'un commun accord, ils étaient sortis du sanctuaire de Dieu, rie portant avec eux qu'un grand nombre de promesses. Aussi notre chanteur s'était déjà endormi dans son ennui, et par de secrets reproches, il rejetait d'une voix pleine de larmes toute la faute sur le Seigneur lui-même « C'est vous, disait-il, qui avez repoussé et différé d'exaucer nos voeux, vous avez retardé l'arrivée de votre Christ (Psal. LXXXVIII, 32). » Du ton plaintif il passa à l'impérieux, sous l'influence de l'impatience, qui est la mère de l'audace et du courage : « O vous qui êtes assis sur les chérubins, montrez-vous (Psal. LXXIX, 2). » Pourquoi, assis depuis tant de temps sur un trône de domination, entouré des anges, ne regardez-vous pas les enfants des hommes qu'a souillés et engloutis l'iniquité commise par Adam et permise par votre Providence ? « Rappelez-vous quelle est ma substance (Psalm. LXXXVIII, 48), » faite à la ressemblance de votre propre substance ; car bien « que tout homme vivant soit vanité (Psalm. XXXVIII, 7) ; » cependant tant qu'il passe, en portant votre image, il ne peut être vanité. « Avez-vous ainsi vainement établi les enfants des hommes, dont vous dites que vos délices sont de vous trouver avec eux (Prov. VIII, 31), » pour que le malin esprit trompeur les changeât et les détournât, lui qui n'a pu tromper qu'en vertu de votre permission? « Inclinez vos cieux et descendez (Psal. CXLIII, 5). et abaissez vos yeux miséricordieux sur de misérables pécheurs; ne nous oubliez pas pour toujours. Ainsi, parlait-il, mais livré au gémissement et au chagrin, il abandonnait un langage si osé, et s'écriait : « J'ai dit, j'observerai mes voies, afin de ne point pécher par ma langue (Psal. XXXVIII, 1). »

2. Mais cette âme noble, dont les paroles ornées avaient tant de profondeur, enflammée par des transports affectueux, disait : « A cause de Sion je ne me tairai point, et à cause de Jérusalem je ne goûterai pas de repos, » et le reste (Isa. LXII, 1). « Plût à Dieu que vous ouvrissiez les cieux et que vous descendissiez (Isa. LXIV, 1) » et autres cris que la crainte de lasser par trop de longueur m'empêche de reproduire ici. Fatigué par l'éloignement d'un bienfait qui se faisait trop attendre, excédé par sa grande douleur, Isaïe gémit avec impatience et s'écrie : « Voici que toutes les nations sont devant lui comme si elles n'étaient pas, il les regarde comme néant et chose vaine (Isa. XL, 17) » Jérémie faisant éclater les accents de sa louange pleine de reconnaissance, laisse échapper ces paroles : « Voici que le Seigneur fera une chose nouvelle sur la terre; une femme entourera l'homme (Jerem. XXXI, 22.) Mais, plongé dans des souffrances soudaines, les larmes qu'il verse lui servent d'instruction, et il ressent les lamentations de Jésus-Christ plutôt qu'il ne se tait sur son avènement. A Daniel, il est dit: « La vision est différée pour d'autres jours, et dans des temps éloignés (Dan. VIII. 26). » Ezéchiel est entouré de ténèbres si épaisses qu'on ne sait d'où il vient ni où il va (Ez. XII). En un mot, tout le choeur des prophètes, ennuyé du long délai qui retarde un si grand bienfait, varie ses expressions, leur donnant l'accent tantôt de la prière, tantôt de la plainte, et mêlant l'impatience à la supplication. Nous avons suffisamment entendu leurs paroles et il y aurait fatigue à les redire. Moïse déjà s'est enfui, car sa langue était trop embarrassée. Les lèvres d'Isaïe sont immondes. Jérémie ne sait point parler, parce qu'il est enfant. Ezéchiel mange un pain souillé. Osée épouse une femme adultère et prostituée. Daniel, après sa vision, est gravement malade.

3. Tous les prophètes sont muets et sans langue ; nous ne pouvons nous réjouir et tressaillir de joie que si le Sauveur lui-même nous embrasse d'un baiser de sa bouche. Vous êtes écoutés et exaucés : voici la bonté et l'humanité de Dieu, notre salut, qui ne supporte pas de faire languir davantage l'amour de ceux qui soupirent après lui. Qu'entendez-vous dire, en effet? Sanctifiez-vous pour le jour suivant, fils d'Israël, et soyez prêts, parce que demain le Seigneur descendra (Jos. VII. 13). Le reste de ce jour et la moitié à peine de la nuit qui le suivra, nous séparent de son visage glorieux, de l'enfant Dieu, de l'enfantement unique. Courez à pas précipités, fournissez votre carrière, afin qu'il nous soit permis de voir le Fils de Dieu vagissant dans le berceau, et préparez toutes sortes d'hommages pour honorer la naissance du Sauveur. Je crois que c'est vous qui êtes les enfants d'Israël, purifiés de toute souillure de la chair et de l'esprit, et préparés à recevoir les saints mystères de la journée prochaine avec une dévotion pleine d'empressement et un empressement rempli de dévotion. Qu'avez-vous fait autre chose durant ces jours sacrés, consacrés à l'Avent? J'ai vu des vieillards, oubliant leur âge avancé, passer les veilles sacrées avec la ferveur des jeunes gens, et des jeunes gens, faisant disparaître entièrement leur jeunesse, se tenir devant la majesté divine avec la gravité des vieillards. Nos stalles étaient remplies de chantres, et leurs voix retentissaient dans les hauteurs avec un concert parfait ; vous auriez dit, qu'excités par une heureuse jalousie, ils rivalisaient pour célébrer les louanges du Seigneur, dans les transports de l'allégresse. Les instruments harmonieux résonnaient sous la main, les psaumes étaient sur les lèvres, et la dévotion dans les coeurs : la joie du visage annonçait le ravissement de l'âme, aussi bien que la position du corps et l'attachement à bien faire. J'ai remarqué les .prêtres surveiller d'un oeil vigilant les premières lueurs du jour, se revêtir des habits sacrés, et s'approcher de l'autel du Seigneur, pour y sacrifier le corps et le sang du Rédempteur. J'ai vu la foule de ceux qui assistaient à ces saints mystères avec une ferveur docile, tantôt fléchir les genoux, tantôt baiser les mains, et obéir promptement au signal de ceux qui dirigeaient leurs évolutions diverses. J'ai aperçu aussi des enfants, ne sachant distinguer entre la main droite et la main gauche, se disputer les instruments de musique, les reporter vers leurs lits, dérober le sommeil à leurs yeux, et chercher dans le lieu de leur repos celui qu'aimait déjà leur âme tendre : efforts qui, pour être contre l'habitude, n'en étaient pas moins selon leur dévotion. A ce spectacle, je l'avoue, je pensais en moi-même « Ce sont là les camps du Seigneur, ici ce n'est autre chose que la maison de Dieu et la porte du ciel (Gen. XXXII). » Bon gré, mal gré, votre piété m'entraînait et, en vous voyant si empressés, je ne pouvais rester en repos. Je vous suivais, mais de loin, mais en sortant du chemin, ou bien y boitant, triste et pleurant; parce que je ne pouvais égaler votre marche rapide. Ce compagnon seul le sait, avec qui je ne fais qu'un dans le Seigneur, j'ai rempli de mes plaintes ses oreilles, de ce que vous étiez avec l'Epoux dans le midi, et moi avec l'Epouse dans le frais du soir.

4. Eh bien, mes frères, si quelques gouttes du fleuve de cette mortalité tombent encore sur vos affections, effacez-les et couvrez-les du linge blanc de la confession, et chaussez-vous pour la préparation de l'Evangile de la paix, afin d'être du nombre de ceux dont un saint dit : « Ils passeront à pied dans le fleuve. » Où iront-ils par là ? « Là nous nous réjouirons en le Seigneur (Psal. XXV. 6). » Le prophète Isaïe a longuement parlé dans les leçons de l'office de nuit de ce fleuve, ou plutôt de ces fleuves. « Le Seigneur, dit-il, frappera le fleuve de l'Egypte en ses sept branches; de sorte qu'on les franchira les pieds chaussés (Isa. XI. 15). » Je veux vous entretenir un peu de ce fleuve et de ses rives, et vous dire comment il est frappé et ce que veut dire qu'on le passe les pieds chaussés. L'Egypte est la figure de ce monde, les interprètes des Saintes- Ecritures nous l'affirment; le monde est, en effet, plongé dans la malice, il est rempli de ténèbres et de confusion. Le fleuve, c'est le cours des générations humaines, qui, sortant du premier homme, comme un torrent rapide, s'est répandu sur toute l'étendue du monde partagé en sept cours, il couvre de ses eaux profondes les plaines et les vallées, s'efforçant de couvrir pareillement le sommet des montagnes. Et l'une des plus élevées s'écrie : « Les torrents de l’iniquité m'ont remuée et les eaux ont pénétré jusqu'à mon âme (Psalm. XVII. 4. »

5. Les mauvaises pensées sont les premières branches de ce fleuve. C'est là un cours d'eau qui déborde et qu'aucune digue ne retient. Les eaux l'alimentent en abondance, en passant par les ouvertures des sens corporels, qui, en tombant des cataractes du monde, lui prodiguent des torrents de pluie mortelle. Au regard de l'esprit de l'homme, se présente ce qu'il a vu et entendu, ce qu'il a senti et goûté, ce qu'il a palpé et touché. Et souvent, ce que nous avons vu d'un oeil simple, l'esprit variant et rusé le retourne, et le présente comme sujet de scandale et de chute. Il feint des ressemblances, il peint des tableaux, il distribue les couleurs et, dans la couche de l'âme, il roule toutes sortes de pensées, pour tâcher d'attirer le consentement et de corrompre l'affection. Il donne des idées horribles de la divinité, il en fournit de terribles touchant la foi, d'extraordinaires relativement à l'établissement de cette foi : il fait, entrer, dans l'esprit des impressions empoisonnées, que le pécheur accablé a horreur de rejeter, en confession, Il vient dans l'oratoire, il occupe le dortoir, il est aussi dans le, réfectoire, il, rôde dans le cloître, il visita les offices, il ne néglige aucun moyen de nuire, partout il établit ses piéges habiles. Et même dans le choeur, au milieu de la prière et du chant des heures sacrées, il distrait l'esprit en mille pensées diverses, altérant la pureté de l'intelligence par le souvenir du passé. Au choeur, il provoque en plusieurs manières les sensations de la volupté; tendant des piéges à votre âme attentive, il vous attaque avec,des armes plus fortes. Fasse le ciel qu'il ne vous terrasse pas; il vous touche, plaise à Dieu qu'il ne vous blesse pas. Au réfectoire, il excite le palais pour voir les plats qui sont apportés, et en excitant une grande avidité il décharge le ventre déjà rempli et fait plus faire d'efforts en ce sens que pour le garnir. Au cloître, il arrache les livres des mains, il empêche de retenir dans la mémoire les textes de l'Écriture, et fait communiquer par des signes et par des plaisanteries tantôt avec celui-ci, tantôt avec celui-là. Il vous fait courir dans les offices si nombreux, se joint à vous dans votre promenade incessante, jusqu'à ce qu'il brise ou fasse ouvrir la porte qui imposait le silence. Que dirai-je encore ? Ennemi de la vertu, il chasse du choeur la dévotion, du lit, la chasteté, du réfectoire la retenue, du cloître la lecture, des offices le silence. Il ne se contente pas de pénétrer durant votre veille jusqu'au vif du coeur par ses pointes subtiles, durant votre sommeil il se tourne et se retourne avec une astuce singulière. Il vaut mieux abandonner ces détails à votre conscience, que de chercher à les raconter. Ces esprits nous suivent à l'autel du Dieu des vertus, et, voltigeant devant les yeux de notre âme, ils s'efforcent de troubler notre mémoire et de, nous empêcher, de. contempler notre Dieu, naissant, ou, suspendu à la croix. Le grand patriarche chassait avec peine ces oiseaux de son sacrifice qui sommes-nous pour oser nous permettre de les écarter? Vous voyez combien ce torrent est fangeux et plein d'un impur limon; jamais il n'est desséché,  où il n’est à peine. Je ne pense point que celui qui ferma le ciel par sa prière, ait fermé l'esprit aux pensées : il est plus facile de fermer le ciel que l'esprit.

6. Les mauvaises paroles sont la seconde branche. « Nul homme ne peut dompter la langue, » dit saint Jacques (Jac. III. 8.) C'est un membre inquiet, un membre plein de venin : il est. prompt à parler, plus prompt encore à mal parler. Et il faut remarquer qu'un niai en produit un autre : la mauvaise pensée ouvre la porte à la mauvaise parole. Il y a aussi une parole qui est fausse : il est dit : « Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge (Psal. V. 7. ). »       Il en est une qui est vaine, dont il est écrit : « Ils ont adressé de vaines paroles à leur prochain (Psal. XI. 3). » Une qui est impudique, au sujet de laquelle, l'Apôtre s'exprime ainsi : « Que les expressions honteuses ne sortent pas de votre bouche (Eph. IV. 29. » Une d'excuse, « N'inclinez pas mon coeur, » s'écrie à ce propos le Psalmiste, « à employer des paroles de malice pour exaucer mes péchés (Psalm. CXI. 4. ) » Une de ruse, le Prophète en fait mention en ces termes : « que le Seigneur perde toutes les langues trompeuses et la langue aux expressions pompeuses (Psalm. XI. 4). » Une autre oiseuse ; voici ce qu'en a dit le Seigneur lui-même «Au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole oiseuse qu'ils auront proférée (Matth. XII. 36). » Et les autres espèces de gestes analogues que nous ne pouvons décrire dans une exposition si rapide.

7. La troisième comprend les actions mauvaises. Après la pensée, après la parole, on en vient à l'acte, c'est alors que nous faisons servir nos membres au péché comme des instruments, et nous souillons nos corps d'ignominie. Quoi de plus honteux, en effet, que de salir, par des ardeurs voluptueuses, ses membres consacrés parle sang de Jésus-Christ, et ensevelis dans le Baptême, sans faire attention à la présence de Dieu qui menace de nous châtier et nous promet une récompense glorieuse? Au ciel ne plaise qu'un seul d'entre nous soit roulé aux pieds de cette idole, et reçoive le Fils de la Vierge dans le temple de Vénus, place l'arche du Seigneur à côté de Dagon, et que, nourri dans la pourpre, il en vienne à embrasser l'ordure : Qu'y a-t-il de commun entre Pierre et le magicien ? Entre le Christ et l'Antechrist ? Entre la vierge et la volupté ? Entre la pureté et la corruption ? A Dieu ne plaise qu'un seul de vous vive dans les passions des désirs mauvais, comme vivent les païens, qui ne connaissent pas le Seigneur, vous qui consacrez le corps de Jésus-Christ, ou servez, comme ministre, un sacrifice qui le consacre. Troupe d'élite, suivez votre chef, afin d'être assis à ses côtés lorsqu'il siégera sur le trône de sa majesté. De quel front, de quels yeux vous verrait-il, vivrait-il avec vous, celui qui parmi vous se livrerait à de si abominables obscénités ? Dans quelles pensées, avec quelle conscience s'approcherait-il du saints des saints, pour y immoler la source de toute sainteté, celui dont la réputation serait méprisable. Que si (et je tiens un langage conforme à l'humanité à cause de l'infirmité de votre chair) quelqu'un d'entre vous renferme dans sa conscience quelque misère de ce genre, qu'il la déplie par la confession et la pénitence, et moi je lui promets le pardon de la part du miséricordieux qui nous arrive. Confessé et pénitent, la lumière du monde se lève en lui, et lui fait recevoir en son coeur la splendeur de la clarté véritable qui chasse les ténèbres trompeuses. Dieu refusera-t-il miséricorde aux malheureux en cette nuit où naît le Seigneur plein de compassion et de tendresse? Voici un Dieu-Homme, une vierge-mère, le Verbe uni à la chair, la lumière qui éclaire, celui qui est bon et la bonté, la miséricorde et la vérité, la virginité féconde, la fécondité virginale, l'éternelle nouveauté, l'éternité nouvelle, l'humilité divine, la divinité humaine, la sublimité abaissée, et, en tous ces prodiges, c'est la miséricorde qui éclate et se pratique. Enlevez donc l'arrogance de vos yeux, le bavardage de votre langue, la cruauté de vos mains, la volupté de vos reins, vos pieds du chemin qui n'est pas droit, venez et faites-lui des ,reproches, si eh tette nuit il,ne parce pas les cieux, s'il ne descend pas jusqu'à vous et ne précipite point au fond de la mer tous vos pêchés. Quel est néanmoins celui qui n'ait été plongé et replongé dans les ondes terribles de cette troisième branche du fleuve ?

8. La quatrième branche, c'est la défense des péchés. de vous le dis en vérité, rien n'excite le courroux du Seigneur, comme de défendre l'iniquité. Nous luttons comme à forces égales avec lui, lorsque nous protégeons ce qu'il hait, et quand ce qui lui déplait nous plait. Il y a une grande différence entre le pécheur qui est orgueilleux, et celui qui est humble : Dieu méprise le premier, et regarde le second, car ses yeux s'abaissent sur celui qui est humble, et considère de loin les hauteurs qui s'élèvent. Quand pourra-t-il être guéri, celui qui méprise le médecin, qui foule aux pieds les remèdes et détruit sa faible nature, en prenant des choses qui lui sont tout-à-fait contraires ? Vous appelez bien, le mal; doux, l'amer; lumière, les ténèbres, et vous faites rejaillir des injures sûr votre Créateur : ce qu'il a loué, vous le blâmez, ce qu'il réprouve, vous l'exaltez. il ne faut pas taire, par une grossière dissimulation, que j'ai vu plusieurs d'entre vous, livrés à une impatience excessive; au premier mot de reproche, non-seulement vous vous excusez, mais encore vous vous défendez, et si la vigueur de la discipline n'y vient porter remède, vous en venez au tumulte, et aux altercations. C'est là une grande impiété envers Dieu et un grand péché, que l'homme simple et droit, que l'enfant du Seigneur s'attache à éviter avec une circonspection souveraine. Le Prophète apporte à ce surjet une très-belle comparaison qu'il a tirée du trésor du Saint-Esprit. « Le hérisson, dit-il, y a sa tanière (Isa. XXXIV. 15) ». Cet animal, est tellement couvert, que les piquants et les épines le revêtent de toutes parts. Quand il se croit libre et seul, il montre la tête, sort les pieds avec, et trahit sa vie par sa marche. Vienne quelqu'un, de suite il replie en lui-même sa tête et ses pattes : de sorte que si vous le voulez saisir avant de l'avoir vu, votre sang coulera. De même, le chef et les pas du pécheur, son intention avec son action, est vue par un pasteur vigilant, et ce qui est le vice de presque tous ceux qui pèchent, quand tous les voient, il croit que personne n'y prend garde. Si vous voulez retrancher le mal et reprendre, en les corrigeant, les directions de l'intention avec l'exécution extérieure, de suite l'éloquence de Cicéron se reproduit : on excuse, on défend ce que vous reprochez, et c'est vous que l'on accuse et que l'on attaque. On vous demande en quel temps et en quel lieu s'est passée cette action, et un dialecticien nouveau, à la langue déliée, entre en lice. Il appelle des parents, il cherche des défenseurs, il se juge immolé, il se retire, il aime mieux mourir que de subir de pareils procédés; il nie ce que vous avez vu et relance contre vous des reproches d'ignorance s'ils sont fondés. Ainsi vous sentez l'épine, et la faute vous échappe : vous excitez la haine, vous ne corrigez pas, et croyant tenir  votre frère tout entier, vous le perdez totalement. Voyez-vous avec quelle abondance cette branche coule en tout homme, et surtout en notre ordre ?

9. La cinquième, c'est de se réjouir dans les péchés. O joie détestable, qui fera place à la tristesse d'une douleur éternelle, que de tressaillir de satisfaction dans le péché, comme dans la vertu! Les brigands et les scélérats, arrivés au comble de leurs désirs, n'est-il pas vrai qu'ils ne se contiennent pas de joie, au point qu'ils osent même rendre grâce à la divinité ? Après avoir fait le mal, ils sont contents, et trouvent leurs jouissances dans de choses très-mauvaises (Prov. II. 14). « Des charbons tomberont sur eux et ils seront jetés dans le feu (Psalm. CXXXIX. 11). » La conscience saisit, mieux que la parole n'exprime, les détours onduleux que trace cette branche autour des malheureux humains.

10. La sixième, est de porter les autres au mal. Cet enseignement tombe de la chaire de pestilence ; celui qui apprend la science à l'homme, le déteste et le réprouve. O qu'il a reçu son âme en vain , celui qui poursuit les âmes des autres pour les tuer, qui tire après lui les péchés comme une robe traînante, qui mêle le sang au sang, qui ne se contente pas de périr pour les siècles des siècles, et qui vient encore entraîner les autres dans la mort éternelle. Vous savez que les germes de beaucoup de vices sont jetés dans l'âge le plus tendre, et ensuite, quand l'homme a grandi, on peut à peine, loin de les extirper, les mitiger un peu. Maîtres malheureux, qui ont mis en terre de telles plantes, ils seront arrachés de ce verger céleste, planté par le Père céleste. Qui se vantera de n'avoir point été entouré des eaux de cette branche de fleuve ?

11. La septième, c'est de persévérer dans tous ces péchés. Alors le pécheur est absorbé et englouti, l'abîme a fermé sur lui ses ouvertures. Ne levant pas les yeux au ciel, ne se souvenant plus des justes jugements de Dieu, il est mort et enseveli dans le sépulcre de sa conscience. Plus de confession pour ce défunt, pas plus que pour celui qui n'existe pas : arrivé au fond de tous les maux, il méprise (Prov. XVIII. 2). A cette extrémité des fleuves de l'Égypte, la multitude des miséricordes du Seigneur est dérobée à ses regards.

12. O fleuve mauvais, ô rivages redoutables, ô cours d'eau qui faites périr les âmes! Cette nuit, le Seigneur les a traversés les pieds chaussés, lorsque dans le sein d'une vierge, il a pris une chair pure, et à l'abri de toutes les taches, dont nous venons de parler : c'est cette chaussure qu'il étendit sur l'Idumée (Psal. LIX. 10), et dont le grand saint Jean ne put délier les cordons (Luc. III. 16). Dieu envoya son Fils du haut du ciel, et il prit ma nature dans le sein de la vierge et ainsi il m'a saisi et m'a arraché aux eaux profondes. Nous frapperons nos ennemis, si nous réfléchissons sur notre péché, si nous éloignons notre langue de la ruse, si nous évitons le mal et faisons le bien, si nous confessons contre nous notre injustice au Seigneur, si toujours notre douleur est devant nos yeux, si nous apprenons aux impies les voies de Dieu, et si toujours ses louanges retentissent dans notre bouche. Et, pour emprunter à un certain métier quelques détails qui nous servent à assujettir nos moeurs, ayons des chaussures épaisses et bien cousues qui puissent ne point prendre l'eau. Rendons notre chair solide et pénétrée de la crainte du Seigneur, à l'abri de la volupté, durcie par la tribulation, au point qu'elle soit apte à conserver le vin nouveau, comme il est dit « Je suis devenue comme une outre au milieu de la gelée (Psal. CXVIII. 83). » Mais quittons dans la paix, vos coeurs et vos corps préparés pour recevoir le Fils de la Vierge, et tous embrassons de nos bras innocents celui qui est la lumière commune, chargée d'éclairer toutes les nations, Jésus-Christ qui est béni dans les siècles. Amen.

 

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SERMON DU MÊME AUTEUR, POUR LA FÊTE DE SAINT ETIENNE, PREMIER MARTYR.  Étienne plein de grâce et de force (Act. VI. 8).

 

1. Nous avons encore dans les mains   le Fils de la Vierge et nous honorons l'enfance d'un Dieu vagissant, en lui essuyant respectueusement les lèvres. La Vierge nous conduit à une crèche véritable, et la plus belle d'entre les filles des hommes, nous amène au plus beau des enfants des hommes et celle qui est bénie entre toutes les femmes, à celui qui est béni entre tous les humains. Elle nous murmure doucement à l'oreille, si toutefois une race turbulente veut écouter et se taire, que les voiles des prophètes sont tombés et que le dessein de Dieu s'est réalisé. Voyez le miracle que produit la mère du Seigneur, c'est la créature qui crée et le Créateur qui est créé. L'étoile scintille, le Mage adore, les pôles, la terre bondissent, le monde tressaille, les anges sont glorieux, les pasteurs acclament, une vierge enfante, un Dieu naît, et les anges du ciel lancent avec plus d'éclat une lumière ravie aux ténèbres. Nous vivons au milieu de tous ces biens; heureux l'homme qui s'en rassasiera Selon ses désirs. Je sais que cette parole est douce pour nous : « Au commencement était le Verbe (Joan. I. 1). » Plus douce est celle-ci : « le Verbe s'est fait chair. » Enfin le comble de la douceur, c'est le Verbe suspendu à la croix. Quel insensé aurait la présomption d'écarter nos regards ou de les arracher d'un enfantement si prodigieux, si ne l'ordonne pas celui qui a dit : « détourne les yeux de moi, parce qu'ils m'ont fait envoler. (Cant. VI. 4). Et voici, tandis qu'il nous donne le baiser de sa bouche, tandis que, par tant de miracles, il nous saisit et nous rend comme stupéfiés, voici « que plein de grâce et de force, Étienne opère de grandes merveilles au milieu du peuple. » Est-il juste d'abandonner le roi et de jeter les yeux sur ses soldats ? Nullement, à moins que le roi ne le veuille. Le roi, le fils du roi se lève lui-même, interrompant la fureur de ceux qui lapident son serviteur; il assiste, non sans une vive douleur de coeur, à la lutte de son athlète qui triomphe. Il voit écraser, sous une grêle de pierres, le premier et le chef de la légion empourprée, et des fontaine de sang s'ouvrir dans le corps du premier martyr. Il voit que tout ce déchaînement retombe sur lui, et que les reproches de ceux qui insultent le ministre s'élèvent jusqu'au maître. Seigneur, où est votre miséricorde et votre piété, si vous ne compatissez pas à ses souffrances : où est votre justice et votre équité, si vous ne le vengez pas de cette populace qui le lapide ? Courons au spectacle auquel vient assister celui qui s'élance comme un géant pour fournir sa carrière, et voyons avec quelle âme le porte-étendard des martyrs descend dans l'arène pour y combattre. Et pour mieux faire ressortir l'éclat de sa lueur incomparable, rappelons-nous la description donnée par les Actes des apôtres, où, sous des paroles historiques et symboliques, se trouvent racontées et la conversion et la passion de ce guerrier belliqueux.

2. « Étienne, y est-il dit, plein de grâces et de force, faisait des prodiges et de grands miracles dans le peuple. » Ces paroles cachent un grand mystère, et ne faut il pas priser médiocrement cette assertion claire d'un passage qui parait fort simple. S'adressant à la Vierge, l'ange lui adresse, dans un salut nouveau, des paroles sorties des trésors de la sagesse céleste dont l'unique auteur est l'esprit de Dieu. Nul doute qu'elles ne dépassent en hauteur toutes les autres paroles, exprimées qu'elles sont par les meilleurs soins de cet esprit divin : quand on les proféra, il s'agissait de nommer ce sacrement ; comparable du Verbe et de la nature humaine, de la divinité et de la chair. « Salut, » s'écrie celui qui est la force du Seigneur, « pleine de grâce (Luc.  I. 28). » Et de saint Étienne que dit-on? « Étienne, plein de grâce et de force. » Saint Luc ne parle-t-il pas de l'un et de l'autre en termes presque identiques? Bien qu'on exprime en la Vierge une manière bien plus excellente, néanmoins d'une manière secondaire, ce même bien est loué dans le martyr. Étienne possède donc la grâce d'une manière plus haute que le reste des martyrs. On dit qu'il est plein, c'est-à-dire comblé de grâces, termes qu'un chercheur habile trouvera rarement dans les Ecritures canoniques. La force de la grâce est ajoutée à l'esprit de liberté répandu en lui. Un esprit plein de feu fait éclater l'expression qui affirme la vérité; à aucun prix, il ne souffre que la rigueur de la justice soit abandonnée ou abaissée. Munie de la grâce comme d'une cuirasse, et faisant résonner son courage comme une lance « il opérait des prodiges et de grandes merveilles au milieu du peuple ». Celui-là peut opérer des vertus de ce, genre, en qui la grâce et la force ont établi leur véritable demeure. Ainsi parle Étienne aux homicides, aux adultères de la loi, aux bourreaux qui ont crucifié le Fils de Dieu le Père, à la nation qui pécha en Égypte, au peuple chargé d'iniquité dans le désert, à cette race perverse dans la terre promise, à ces enfants de perdition lors de la mort du Sauveur. « Têtes dures, coeurs et oreilles incirconcis, toujours vous avez résisté au Saint-Esprit.

3. « Quelques-uns s'élevaient de la synagogue, » assurément de la synagogue de Satan, dont les membres se réunissent ou pour condamner, ou pour faire mourir. Ils forment un seul mur d'iniquité, l'écaille se joint à l'écaille (Job. XLI. 7). Comme des serpents, ils sifflent entr'eux, ils s'entendirent contre le Seigneur et contre son Christ. Qu'elle le veuille ou non, l'impiété le cède à la piété, l'erreur, à la vérité, la folie, à la sagesse, la présomption et la vanité de l'esprit humain, au Saint-Esprit. « Ils ne pouvaient résister à la sagesse et à l'Esprit qui parlait. » On ne dit point, ils ne voulaient pas (ce qui est la pratique des hommes raisonnables et parfaits) mais, « ils ne pouvaient », ce qui enlève à l'esprit mauvais de pouvoir agir, sans changer ses dispositions perverses. « Il les réprimandait en toute confiance. » Il agit en sécurité, il ne balance pas, son âme intrépide ne chancelle en aucune façon, il préfère la justice à la vie, la foi, à son sang, la mort, au silence qui étoufferait le droit. Ils se précipitent et l'entraînent, ils le mènent au conseil et se réjouissent de l'avoir pris dans leurs filets. Mais « c'est en vain qu'on tend un lacet devant les yeux de ceux qui ont des ailes (Prov. I. 17). Alors sa voix est plus libre ; les témoignages,tirés de leurs livres sacrés rendant plus incisif en sa bouche le langage de la vérité, l'esprit de Dieu s'empare entièrement de son témoin, et fait retentir ses propres accents, sur ses lèvres devenues plus sonores. Un des aspects de l'Écriture lui apparaît, et il ramène à une sage brièveté les longs développements de l'Ancien-Testament. Il rappelle les promesses et les bienfaits du Seigneur, les murmures et les méfaits du peuple, les biens qu'on lui a accordés, le mal qu'il a rendu; il leur reproche à la fin le sang divin qu'ils ont répandu, et les appelle d'une voix élevée rebelles, têtes dures, incirconcis de coeur et d'oreilles, homicides et traîtres. Il ne redoute pas ces assemblées réunies pour le sang, et, sous la main de ceux qui      veulent lui arracher la vie, il monte avec plus de liberté encore jusqu'au sommet de la vérité. « Leurs coeurs s'enflamment d'un violent courroux, et ils grincent des dents contre lui, » ils conçoivent de        la douleur, et ils sont sur le point d'enfanter l'iniquité. Il est étonnant que la nouveauté d'un miracle inaccoutumé, que le visage tout illuminé du premier martyr ne retienne pas ces insensés. « Ils voyaient sa face comme celle d'un ange qui se tenait au milieu d'eux. » Qu'est-ce, ô malheureux? Le glorieux lévite est tout brillant de la lumière de la face de Dieu, il est éblouissant d'un éclat étincelant, vos yeux sont offusqués, et cependant la grandeur de votre colère obscurcit la majesté de ce spectacle? Qu'ils répondent après avoir parcouru leurs livres sacrés, où trouveront-ils un homme qui ait porté sur la terre l'extérieur d'un ange: et comme ils ne trouveront dans les deux testaments que rarement, ou même point du tout, un tel prodige, qu'ils soient saisis de respect pour la gloire de ce triomphe. Voici la suite.

4. « Comme il était rempli du Saint-Esprit, regardant le ciel, il vit la gloire de Dieu, etc. » Chose merveilleuse à dire, et qui dépasse toute créature ! Il fixe le ciel, déjà il voit non le ciel, mais les cieux ouverts, il voit la gloire du Seigneur, « et Jésus se tenant à la droite des vertus de Dieu.» Je suis ému de ce regard, qui, partant d'un coeur pur, fait violence au ciel, pénètre et atteint même jusque dans le sein même de la divinité. Les cieux s'ouvrent, la gloire de Dieu se montre, Jésus est vu se tenant, non-seulement à la droite de Dieu, « mais à la droite de la puissance de Dieu. Cette intention était le résultat du mépris du monde et de soi même, de la pureté du coeur, de l'amour de Dieu et du prochain, de la défense de la vérité, et du            désir de jouir de Jésus-Christ. Il faudrait retourner tout cela, et l'appliquer an fleuve ordinaire de la vie morale, s'il ne fallait célébrer l'excellence de notre martyr. Heureux yeux, regard pénétrant, vision glorieuse. Prêtez une attention particulière à l'agencement des mots. « Etienne est rempli du Saint-Esprit, » et ainsi « il fixe le ciel, » parce qu'il est inspiré dans cet Esprit ; ayant foulé aux pieds les biens terrestres, il soupire après ceux des cieux qui sont éternels. Ensuite, les cieux s'ouvrent, nulle clôture, nul obstacle ne peuvent empêcher de voler ou de pénétrer l'âme qui est attachée affectueusement au principe souverain de tout. Les cieux s'ouvrent donc, et je pense que ce sont tous les cieux ; aussitôt qu'ils sont ouverts, a lieu la vision de la gloire de Dieu, et le Seigneur se montre à la droite de la puissance de Dieu, afin de ne pas paraître moindre que son Père. Il est debout avec celui qui est debout, il combat avec celui qui combat, parce qu'il est lapidé en celui qui est lapidé.

5. Je me demande, avec un grand étonnement, si cette première fleur des martyrs vit ce tableau des yeux du corps, ou des yeux de l'âme seulement. Ce fut un grand miracle, s'il se plongea unique ment par le regard de l'âme dans ces secrets éclatants, si les yeux purs de son coeur furent témoins d'un spectacle si majestueux. Que s'il vit ces merveilles par les yeux du corps, il est certain que, par le caractère spécial de cette grâce, il prit les devants, dans son vol, sur tout le genre humain, et, qu'emporté sur les ailes corporelles de la foi et des vertus, il saisit, bien qu'il ne les comprit pas, les réalités incorporelles. Je n'ose rien trancher, je ne veux point hasarder un sentiment, parce que je ne me rappelle pas avoir rencontré à ce sujet, de résolution définitive. Je suis pourtant avec plus de sûreté l'Apôtre ou plutôt l'Esprit de Dieu dans l'Apôtre qui, avec une grande liberté de langage, se rapporte plutôt à un doute plein de tranquillité, qu'à une définition périlleuse : « Soit dans le corps, » dit-il, « soit hors du corps, je ne le sais, Dieu le sait (II Cor. XII, 2). » Aussitôt les Juifs poussent des cris horribles, ils se bouchent les oreilles, et les ferment à la vérité. « Ils se précipitent unanimement sur lui, » devenus amis, afin de le livrer à la mort ; « et le chassant de la ville, ils se mirent à le lapider. » Le martyr est jeté hors de la ville du sang, qu'habita d'abord la justice, et que ses homicides occupent aujourd'hui ; » cité dont un saint a dit : « J'y ai vu l'iniquité et la contradiction (Psal. LIV, 10). » Ville, « qu'entoure jour et nuit l'injustice et au sein de laquelle se trouvent le travail et l'injustice. » C'est cette cité, qu'en terme de mépris, on appelle forteresse munie contre les apôtres, et le maître des apôtres, des gonds puissants de l'infidélité. Hors des portes de cette ville, a souffert le Seigneur ; hors de son enceinte, est lapidé son serviteur qui sort vers lui, loin du camp, portant à son image le déshonneur et le mépris. Les vêtements du martyr sont déposés aux pieds du persécuteur qui, par le contact avec ces habits sacrés, et par la vertu des peines de la victime, devait se convertir un jour.

6. « Et ils lapidaient, » poursuit le texte sacré, « Étienne qui invoquait et disait : Seigneur Jésus, recevez mon esprit. » Ils courent aux pierres, et Étienne a recours à la prière. Les pierres frappent la pierre, mais une pierre plus tendre, d'où sort l'huile de la charité, et qui fait retentir un son de piété. « Seigneur Jésus, » dit-il, « ne leur imputez point le péché. » Il prie le Seigneur de recevoir son esprit, son esprit qui est l'esprit saint, celui-là même que l'Apôtre a ordonné à l'homme de conserver en lui, « sans difficulté, pour le jour du Seigneur (Thren. V, 23). » O quelle grande tendresse, quelle vive affection, quelle exquise perfection de la plus ardente charité ! C'est avec raison que cette première victime retient pour lui la fleur de ce martyre, qui reproduit plus admirablement la ressemblance de Jésus-Christ mourant sur la croix. En effet, couronné d'épines sur la croix, percé d'une lance, attaché au bois, il cache son unique douleur et oublie sa mort prochaine. Pour donner un exemple nouveau, il ouvre l'étendue de sa charité, et dilate plus grandement les limites de la loi donnée aux anciens, et devient non-seulement l'ami de ses amis, mais encore, qu'ils le veuillent ou non, l'ami de ses ennemis. « Mon Père » s'écrie-t-il, « pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » La prière d'un saint mourant ne peut être inefficace, aussi les nombreux ennemis vinrent accroître le nombre de ses amis.

7. Voyez combien saint Étienne, s'il n'égale pas le Rédempteur, le suit néanmoins en droite ligne. Les pierres volent et tombent en pluie, lancées par les bras vigoureux de ses ennemis, et viennent l'accabler de blessures; mais notre porte-couronne souffre patiemment, pour être transféré de la couronne qu'indique son nom, à celle qui lui sera donnée en réalité dans le ciel. Vous ne connaissez pas l'affection de la chair, et il ignore l'heure de la mort. Et voyez ce qu'il résout de faire. « Les genoux en terre, il s'écrie d'une voix forte : Seigneur, ne leur imputez point ce péché. » Sa voix est forte, parce que sa charité est grande. « Les genoux sont fléchis, » parce que dans une simplicité humble et vraie, priant pour lui, il est debout, et fléchit les genoux pour ceux qui le lapident. Qui a jamais vu un tel spectacle, qui a jamais ouï raconter un dévouement si généreux ? Il souffre plus du péché que commettent ses ennemis, que de ses propres blessures ; de leur iniquité que de sa mort. « Et cela dit, il s'endormit dans le Seigneur. Heureux sommeil dans le repos, repos avec le bonheur, bonheur, avec la satiété, satiété, avec sécurité, la sécurité, avec l'éternité. « Il s'endormit, dit l'Écriture, « dans le Seigneur, » absorbé dans l'abîme de la gloire, et se reposant entre les bras de son Dieu. Le Seigneur Jésus était assis à la droite de Dieu, chef des martyrs pour le premier martyr. Vous vous souvenez de ce que la langue de l'Église, (je veux dire saint Augustin), a dit en parlant de ce grand saint, dont il assure qu'après sa mort, il a ressuscité sept morts. O vous qui êtes décorés de la dignité lévitique, chantez en l'honneur de ce saint un cantique nouveau, et faites retentir en ce grand jour de fête vos cantiques de réjouissance. Tandis que vous chanterez, il priera peut-être le Seigneur votre juge, de ne vous point imputer quelque manquement comme un péché, lui qui est Dieu béni dans tous les siècles. Amen.

 

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