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SERMON POUR L'ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE. Sur l'évangile de saint Luc : Jésus entra dans un certain bourg, etc. (Luc. 10.38).
Ce sermon était compté jusqu'à présent comme le cinquième de ceux que saint Bernard a prononcés sur ce mystère; nous avons cru devoir le rejeter à cette place, par la raison que, dans les manuscrits, il n'est pas compris au nombre des discours dont saint Bernard est le véritable auteur; l'édition de Lyon de 1514, qui l'attribue à ce saint docteur, le rejette parmi les apocryphes. Il imite presque le troisième sermon de saint Bernard sur la Dédicace.
1. Ce que Notre Seigneur et Sauveur daigna opérer durant sa vie mortelle, une fois et en un lieu, il le réalise chaque jour aujourd'hui encore par tout l'univers dune manière invisible dans le cur des élus. Voici que nous venons d'entendre lire dans l'Évangile ; « qu'il entra dans un château et qu'une femme nommée Marthe l'accueillit (Luc. X. 38) » et le reste. Quel est ce château, sinon le cur humain? Avant que le Seigneur y vienne, il est entouré du fossé de la cupidité, enfermé par le mur de l'obstination, et dans son enceinte intérieure, se dresse la tour de Babylone. En toute forteresse, trois choses sont surtout nécessaires : les vivres qui soutiennent, les munitions qui protègent, les armes qui résistent aux ennemis. Pareillement, les habitants du château dont nous parlons se nourrissent de la volupté corporelle et de la vanité du corps. Ils ont pour se protéger la dureté de leur propre coeur, sûreté que les flèches puissantes de la parole de Dieu ne forcent que difficilement et rarement. Ils sont hérissés d'armes, c'est-à-dire des arguments de la sagesse charnelle, avec lesquels ils résistent à leurs adversaires. Aussi est-il écrit : « Les enfants de ce siècle sont plus prudents en leur génération que les enfants de lumière (Luc. XVI. 8). 2. Quand Jésus-Christ le visite et y pénètre, ce château est renversé, et à sa place il s'en élève un autre spirituel et nouveau, et ainsi s'accomplit cette parole de l'Ecriture : «Une nouvelle créature dans le Christ, les vieilles choses ont passé : et voici que tout a été fait à neuf (II Cor. V. 17).» La cupidité étant enlevée, s'ouvre la bouche grandement béante d'un vif désir, en sorte que l'âme, à l'arrivée du Sauveur, soupire beaucoup plus ardemment après les choses du ciel, qu'elle n'avait soupiré après celles de la terre. On place pour mur la « continence, pour avant-mur la patience. Cet édifice s'élève du fondement de la foi, et il croit par l'amour du prochain jusqu'à l'amour de Dieu, » qui est sur l'entablement supérieur et dans les contreforts de cette muraille : cest-à-dire que la vertu de continence est parfaite, lorsque, vivant d'accord avec nos proches dans l'unité de la foi, nous nous retenons de commettre le péché, uniquement en vue de l'amour de Dieu et non par la crainte des supplices ou le désir des louanges humaines ; ou bien la charité de Dieu, celle par laquelle le Seigneur nous aime, paraît être au dessus du mur pour signifier qu'elle combat pour protéger ce qui s'y trouve renfermé, et que la continence ne peut être défendue contre les assauts aussi fréquents que violents du tentateur, que par le secours de la grâce. C'est pourquoi on place la patience comme avant-mur, afin que le démon ne trouve point d'accès facile pour attaquer la continence. Ceux donc qui, protégés par la patience, vivent dans la continence, disent en toute raison avec l'Apôtre : « qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? Est-ce la tribulation, l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, le péril et la gloire? (Rom. VIII. 35). » Voyez comment est solide le mur de ceux qui sont la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les vertus, ni le présent, ni l'avenir, ni la force, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne peut les détacher de la charité de Dieu qui est dans le Christ Jésus. 3. Mais frappons actuellement aux portes de cette demeure, qui sont les portes de la justice : qu'elles s'ouvrent pour nous, et contemplons à l'intérieur les grandes uvres du Seigneur, celles qui sont plus excellentes parmi toutes celles qu'il a voulues. Sous la main de ce divin ouvrier, s'élève en ce lieu, comme sur la montagne de Sion, cette tour évangélique par laquelle, de la vallée des larmes, les saints montent au ciel par l'humilité du cur. Ils y montent, dis-je, non par leur vertu, mais par le secours de la grâce de Dieu, comme s'exprime le Saint-Esprit par le Prophète David : « Heureux l'homme qui trouve son aide en vous, qui a disposé des ascensions dans son cur (Psalm. LXXXIII. 6). » Vous cherchez en quel endroit ? «Dans la vallée des larmes, » c'est-à-dire dans l'humilité de la vie présente. Et il rappelle la même grâce en ajoutant : « car le législateur donnera sa bénédiction. » Et il ajoute aussitôt le point où arrive ce mouvement d'ascension c'est-à-dire le fruit que la grâce fait produire à ceux qui s'élèvent de la sorte : «ils iront, dit-il, de vertus en vertus; le Dieu des dieux sera vu dans Sion (Ibid). » Voilà la récompense, telle est la fin et le résultat de notre travail, la vision de Dieu. Qui ne mettrait un produit si considérable incomparablement au dessus de toutes les choses visibles et invisibles? quel est l'homme dont la poitrine, même gelée, ne senflammerait à un tel désir? C'est là, en effet, cette grâce que le bienheureux évangéliste saint Jean nous recommande par ces expressions : « et de sa plénitude, nous avons tous reçu, et grâce sur grâce (Joan. 1. 16). 4. Ces paroles nous indiquent que nous avons reçu du ciel une triple grâce ; l'une, par laquelle nous sommes convertis, lautre, par laquelle nous sommes aidés en nos tentations, la troisième qui nous récompense quand nous avons subi l'épreuve. La première nous initie en nous appelant; la seconde nous fait aller en avant, parce qu'elle nous justifie ; la troisième nous consomme, parce qu'elle nous glorifie. La première est bon plaisir : la seconde, mérite: la troisième, récompense. De la première il a été dit : « C'est à sa plénitude que tous nous avons puisé. Aux deux autres s'appliquent les autres paroles : « et grâce pour grâce, » c'est-à-dire les dons de la gloire éternelle accordé aux mérites acquis, durant cette vie de lutte. Que la première soit donc dans le mur de la continence à laquelle nous sommes appelés ; que la seconde soit dans les degrés de la tour que nous montons; la troisième dans le faîte auquel nous arrivons. Lorsqu'elles arrivent à ce point, c'est-à-dire au comble, les âmes fidèles deviennent le séjour et la demeure de Dieu; c'est d'elles qu'il est écrit : « Là sont montées les tribus, les tribus du Seigneur, cest le témoignage d'Israël, pour célébrer le nom du Seigneur, parce que les juges s'y sont assis sur leurs sièges (Psal. CXXI, 4). » Lorsqu'elles étaient encore au mur de la continence, et se trouvaient sur le champ de bataille, elles pouvaient être attaquées, et en ce premier temps, Dieu était connu dans la Judée, comme un guerrier vaillant. Mais lorsqu'elles s'arrêtent à cette position stable, où elles contemplent le Seigneur, son nom est grand en Israël, sa place est mise dans la paix et son séjour se fixe dans Sion. C'est là qu'il brise les puissances des arts, le bouclier et le glaive de la guerre, parce quaucun mouvement charnel n'oppose de résistance, la chair est entièrement soumise à l'esprit. C'est cette situation que le Prophète désirait vivement tenir, lorsqu'il s'écriait : « Si je donne le sommeil à mes yeux, si je permets à mes paupières de dormir, si j'accorde le repos à ma tête, jusqu'à ce que je trouve un lieu pour le Seigneur (Psal. CXXXI, 2). » Voulant s'y envoler, il s'écriait : « Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe, et je prendrai mon essor, et je me reposerai (Psal. LIV, 7). » 5. Que si nous demandons à ceux qui résident dans ce château, quelle nourriture ils ont pour les soutenir, quelles munitions pour les protéger, quelles armes pour faire résistance, nous pouvons répondre avec raison : de même que les aliments des hommes charnels furent les oeuvres de la chair, de même ceux-ci trouvent dans les fruits de l'esprit des vivres grandement préférables. Leur nourriture, en effet, c'est d'accomplir la volonté du père tout-puissant. Elle se trouve dans la parole de Dieu, dont s'alimentent tous les saints, soit hommes, soit anges. Aussi est-il écrit : « L'homme ne vit pas seulement de pain, mais toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Deut. VIII, et Matth. IV, 4). Leur défense se compose comme il a été dit, du mur de la « continence » et de l'avant-mur de la « patience »; contre les ennemis, ils ont les « armes » que l'Apôtre décrit : « La cuirasse de la justice, le bouclier de la foi, le casque du salut, et le glaive de l'esprit, qui est la parole de Dieu (Eph. VI, 11). » J'ai dit que le même Verbe est nourriture ; et, glaive que nul ne s'en émeuve, comme si c'était chose impossible ou absurde. A la vérité dans les objets matériels, l'un est ceci, l'autre est cela ; ici, on cherche nue chose, là on en veut une autre. Mais lorsqu'il s'agit des biens spirituels, il n'y a plus ceci ou cela; ici on rie cherche point un objet, là un autre, mais tout se trouve en Ilion et Dieu est dans tout. Car, selon la nature des êtres, qu'y a-t-il de si opposé que le pain et la pierre? Et néanmoins, si vous rapportez ces réalités à des idées élevées, pour y trouver une expression mystique, elles auront la même signification. Car le même Christ a été appelé et pain et pierre, c'est-à-dire le pain vivant ( Joan. VI, 25) et pierre réprouvée par les architectes (Act. IV, 11). Symboliquement, il est l'un et l'autre, réellement, ni l'un ni l'autre. 6. Mais revenons à notre sujet. A son entrée dans ce château, Jésus est accueilli par deus soeurs Marthe et Marie, c'est-à-dire l'oeuvre et l'intelligence. Faut-il dire qu'elles le reçoivent, ou qu'elles sont reçues elles-mêmes ? Que ce soit l'un ou l'autre, elles trouvent leur profit d'un côté comme de l'autre; seul, Jésus ne gagne rien. En venant vers elles, il leur apporte deux biens qui conviennent à chacun : « La force et la sagesse. » La force pour l'opération, et la sagesse pour l'intelligence. De là vient que l'Apôtre le proclame force et sagesse de Dieu (Cor. I, 24). Mais que veut dire que Marthe va le recevoir, s'agite et sert, et que Marie, assise à ses pieds, suspend son coeur à ses lèvres, sinon que l'action a lieu d'abord, et que la contemplation vient ensuite ? Quiconque veut parvenir à comprendre doit d'abord s'exercer soigneusement en se livrant aux bonnes oeuvres, ainsi qu'il est écrit : « Mon Fils, vous qui désirez la sagesse, conservez la justice et Dieu vous l'accordera. (Eccl. I, 33). » Et ailleurs : « J'ai compris par vos commandements (Psal. CXVIII, 104), et : purifiant leurs coeurs par la foi (Act. XV, 9). » Par quelle foi? Par celle qui opère au moyen de la délectation. En se livrant à l'action, Marthe fournit le type de la personne qui agit bien ; assise, se taisant, ne répondant point aux questions qu'on lui adresse, Marie exprime le modèle de l'âme contemplative ; elle s'applique de toutes les forces de son esprit à la parole de Dieu, et méprisant tout le reste, elle puise à sa source la grâce qu'elle aime uniquement de la connaissance divine : elle devient sourde à la voix de sa sur, tandis qu'intérieurement elle est ravie, et considère les joies excessives qui se trouvent en son Seigneur. Sans nul doute, telle est l'âme qui s'écrie dans le Cantique : « Je dors, mais mon cur veille (Cant. V, 2). » 7. Marthe accueille le Seigneur de deux façons,et lui prépare un double repas, parce qu'elle l'avait chassé de deux manières. Dans luvre, en effet, il se rencontre deux choses qui nous enlèvent Dieu, les crimes et les hontes. Les hontes que nous commettons contre nous, les crimes dont nous nous rendons coupables envers le prochain. Pareillement, deux choses nous ramènent le Seigneur : la continence et la bienveillance, afin qu'ainsi, les contraires se guérissent par leurs contraires. De là vient quil est écrit : « Comme vous avez montré vos membres pour servir à l'impureté et à l'impiété pour l'iniquité, de même faites-les servir à la justice pour la sainteté (Rom. VI, 19). » Tandis donc, que Marthe s'occupe à préparer ce repas s'empressant beaucoup en ce qui la concernait, elle veut aussi que Marie, c'est-à-dire l'intelligence et toutes ses puissances extérieures, s'adonnent à l'action et s'attachent à achever l'uvre qu'elle a entreprise. Aussi se plaint-elle de ce que sa sur ne lui vient pas en aide; ce n'est pourtant point à Marie, mais au Seigneur, que sa plainte se dirige : « Seigneur, vous n'avez point souci de voir que ma sur me laisse seule agir ? Dites-lui donc de m'aider. » En quoi il faut remarquer une certaine déférence et un hommage d'honneur rendu au Seigneur, parce qu'en sa présence Marthe n'osa pas appeler Marie ; bien plus, elle se plaignit à lui, et l'implora, lui qui avait le pouvoir de commander à sa sur tout ce qui était nécessaire. Ne soyons donc point surpris si nous voyons un homme travaillant et s'adonnant avec ardeur à l'uvre, murmurer contre son frère qui se livre au repos, parce que nous trouvons que Marthe a tenu, à l'endroit de Marie, une conduite pareille. Mais que Marie ait murmuré contre Marthe, de ce qu'elle voulait qu'elle se mêlât à sa vie active, c'est ce quon ne trouve nulle part. Elle ne pourrait pas d'une manière satisfaisante et vaquer aux occupations extérieures, et s'adonner aux désirs intérieurs de la sagesse. Car il est écrit au sujet de cette même sagesse : « Celui qui est moins livré à l'action, la recevra en son cur (Eccl. XXXVIII, 15). » C'est pourquoi Marie est assise, elle reste immobile, elle ne veut point interrompre le repos de son silence, afin de ne point être privée de l'agréable douceur de la contemplation ; surtout, lorsqu'au fond du cur, elle entend le Seigneur lui-même, lui dire « Livrez-vous au loisir et voyez que je suis Dieu (Psal. XLV, 11). » 8. Ici il faut considérer que trois choses empêchent la contemplation. L'il de notre âme, c'est l'intelligence. De même que l'il de chair voit la lumière corporelle et les autres objets matériels, de même l'intelligence aperçoit d'une manière quelconque qui est la lumière infinie et les biens invisibles qui se trouvent en lui. Mais l'il du dehors et celui du dedans diffèrent en ceci, quau premier s'applique la lumière extérieurement, afin que le phénomène de la vision s'accomplisse et que dans l'autre, est répandue la lumière versée intérieurement par le créateur, afin de lui apprendre à discerner les objets. Trois choses empêchent l'un et l'autre il de voir. D'abord donc notre raison s'occupe des choses extérieures et visibles, afin de s'élever par ces considérations plus facilement vers celles qui sont intellectuelles. Il peut assurément se faire que lil soit sain et ouvert, mais que la lumière lui faisant défaut, il ne voie rien. Au contraire, il arrive parfois que la lumière lui est présente, mais qu'obscurcie par le sang ou quelque épaisse humeur qui s'y jette, il ne peut absolument rien apercevoir. Il peut aussi arriver souvent que ni lumière ni force ne lui manquent, mais qu'il soit offensé par quelque brin de poussière qui lui ôte la possibilité de regarder. Il y a donc trois choses qui empêchent l'il, les ténèbres, une humeur épaisse et grosse, une poussière tombée. Ce sont là aussi les trois choses qui gênent l'il intérieur, mais on les désigne sous des qualifications différentes. En effet, ce que d'une part on appelle ténèbres, est nommé d'une autre, péché. Et ces péchés coulent dans la mémoire comme dans une sorte (le lieu impur, et c'est là l'humeur épaisse et gluante. Ce que plus haut on indique par le mot de poussière, c'est ici par celui de soin des affections terrestres. Voilà donc les trois choses qui troublent l'il de l'intelligence et l'empêchent de jouir de la contemplation de la lumière véritable. les ténèbres des péchés, le souvenir qui les tient, et la sollicitude des occupations terrestres. Le Prophète se plaignait des atteintes de la poussière, de ces plaies, lorsqu'il disait : « Ma force m'a abandonné, et la lumière de mes yeux n'est plus avec moi (Psal. XXXVII, 11).» En effet, lorsque nous sommes abandonnés de la lumière de la justice, nous n'avons plus devant nous que les ténèbres de nos offenses. Il se sentait incommodé de la seconde, lorsqu'il s'écriait : « Je me suis tourné dans mon chagrin, tandis que l'épine pénètre mon coeur ( Psal. XXXI, 4). » Cette épine est la pensée des fautes commises. Il se plaint dêtre livré à la troisième, lorsqu'il prononce cette parole : « Je mangeais la cendre comme du pain (Psal. CI, 10):» la cendre de l'action au lieu du pain de la contemplation. Quiconque donc veut appliquer l'oeil de son âme à la considération des choses de Dieu, doit nécessairement s'attacher à le purifier au préalable de ce triple empêchement. Qui s'y appliquera, doit savoir que contre ce triple mal, il y a un triple remède. Le premier se trouve dans la «confession, » le second dans la «prière, » le troisième dans le « repos. » Cest par ce troisième obstacle, c'est-à-dire, par la sollicitude relative à l'action, que Marie pourrait être détournée de son application à la contemplation. Aussi, tandis que Marthe sert et dépose tout, elle est assise et demeure en repos. 9. Marthe se plaint, Marie se tait; écoutons ce que le Seigneur répond pour sa défense . « Marthe, Marthe, tu es inquiète et tu tempresses pour beaucoup de, soins. » Tu es troublée au sujet de beaucoup de choses, en travaillant à avoir pour toi la continence, et en cherchant à pourvoir à la nécessité où se trouve le prochain. Car, afin de posséder la chasteté, tu es appliquée aux veilles, aux jeûnes, et à la mortification du corps: afin d'être utile au prochain, tu travailles pour avoir de quoi subvenir aux nécessités qu'il éprouve. Or, tu t'agites au sujet de toutes ces préoccupations mais une seule chose est nécessaire. Si, en effet, tu n'as point ton travail dans l'unité, assurément il ne serait point agréable à Dieu qui est un. Car il est écrit: « il n'en est point qui fasse le bien, il n'y en a pas un seul (Psalm. XV, 2). » De là vient qu'à la piscine «l'eau était remuée et un seul guéri (Joan. V, 4). » De là aussi que sur dix lépreux guéris, « un sen retourna sur ses pas, glorifiant Dieu à grands cris (Luc. XVII, 15). » Et le Seigneur, après avoir blâmé les autres, fait l'éloge de celui-là en ces termes: « Les dix n'ont-ils pas été tous guéris? et les neuf autres où sont ils? Il ne s'en est trouvé aucun qui revînt, et donnât gloire à Dieu, que cet étranger. » Saint Paul dit aussi: «tous courent, mais un seul atteint le but (I Cor. IV, 24). » Par ces exemples ou autres semblables, les Écritures nous apprennent manifestement, combien l'unité est agréable à Dieu, vérité qui brille surtout en ce passage où le Seigneur dit : « Or, une seule chose est nécessaire. » 10. Mais il faut savoir, que autre est l'unité des saints que nous avons déjà louée d'après la doctrine des Écritures, et autre, l'unité des crimes que les mêmes Écritures nous font connaître en la réprouvant. C'est d'elle qu'il est écrit : « les rois de la terre se sont levés et les princes se sont réunis en un complot contre le Seigneur et contre son Christ (Psalm. II, 2). » C'est d'elle que parle ainsi l'Évangéliste : « Les Pharisiens se retirant tinrent conseil afin de prendre Jésus par ses paroles (Matth. XXII, 15). » Et encore : « les Prêtres et les Pharisiens réunirent le conseil (Joan. XI, 17). » Pourquoi cela ? « Pour faire périr Jésus, » comme l'atteste saint Jean. Combien est puissante cette unité des réprouvés, le Seigneur lui-même nous l'enseigne, lorsque parlant au bienheureux Job du corps du démon, il dit: « Son corps est comme une pièce fondue et formé d'écailles qui se pressent. L'une est unie à l'autre, et un souffle même n'y peut trouver passage. Elles sont liées et elles ne se sépareront jamais (Job. XLI, 6). » Cette unité ou plutôt cette perversité, se trouve parmi quelques frères vivant dans la tiédeur et dans la négligence! Que si vous voulez leur persuader quelque chose d'honnête ou quelque excellente pratique de la bonne conduite, ils sont plus prêts à résister avec plus de perte et de difficultés, qu'à acquiescer sans fatigue à ce qui est évidemment bon et droit. Cette unité est perverse et exécrable. 11. Après l'avoir bannie de nos curs et de notre conversation, continuons de nous occuper de celle qui est bonne, et le partage unique de ceux qui sont bons. Cette unité est double. Il y en a une qui justifie, lautre qui glorifie. L'une est le mérite, l'autre la récompense. De l'une il est écrit : « La multitude des croyants n'avait qu'un cur et quune âme (Act. IV. 32). » De l'autre : « qui s'attache au Seigneur devient avec lui un seul et même esprit. (I. Cor. VI. 17). » Et comme elle est davantage à espérer dans le temps à venir (car c'est un bien de l'avertir plutôt que du temps actuel), n'en parlons point pour le moment, attendons la de la bonté du Seigneur et n'en faisons pas le sujet de nos discours. Quant à celle qui justifie, prenons-la pour nous aider en nos bonnes oeuvres, car elle nous est souverainement nécessaire, même pour la vie présente. Elle est cette ravissante suavité que le Psalmiste célèbre avec une sainte douceur : « Voilà combien il est boit et combien agréable pour. des frères d'habiter ensemble (Psalm. CXXXII. 1). » Après avoir décrit la beauté de cette unité, le Prophète n'omet point d'en marquer l'utilité . « Parce que dans elle, dit-il, le Seigneur a placé par ses ordres la bénédiction et la vie : » c'est-à-dire la bénédiction pour cette vie, et la vie éternelle pour les temps qui viendront après. C'est là cette unité que l'Apôtre nous a appris à observer avec une attention souveraine, par ces expressions. « Attachés à conserver l'unité de l'esprit dans le lien de la paix (Eph. IV. 3). » 12. Ceux qui veulent garder cette unité ont deux manières d'y réussir. Chaque homme parfait doit l'observer par rapport à soi et par rapport au prochain. Par rapport à soi, au moyen de l'intégrité ; par rapport au prochain, au moyen de la conformité. Par cette raison que la créature douée d'intelligence doit imiter son principe. Que si notre Dieu est un, selon l'expression de Moïse: « Ecoute, Israël, ton Dieu est un (Deuter. VI. 4),» s'il est un et le même et parfait en lui-même, ne manquant de rien, et si néanmoins il a pour nous de la bonté et de la bienveillance , nous devons, nous aussi, être un pour nous par la perfection de la justice, et un avec notre prochain parle lien Je la dilection. L'Apôtre Jean, traitant de la charité, nous recommande cette imitation, lorsqu'il élit : « Comme Dieu est, ainsi sommes-nous en ce monde (l. Joan. IV. 17). » Mais trois choses empêchent d'ordinaire cette unité que chacun doit avoir envers lui-même, ainsi que nous l'avons dit: «L'excès, la pusillanimité, la légèreté. » Ils donnent dans l'excès ceux qui croient pouvoir ce qu'ils ne peuvent point, et qui croient avoir ce qu'ils n'ont pas reçu. Leur tye se trouve dans saint Pierre, lorsqu'il disait, lors de la passion du Seigneur : «Seigneur, je suis prêt à aller avec vous en prison et jusqu'à la mort (Luc. XXI. 33). » Les pusillanimes ont un sentiment diamétralement opposé. Pierre en fut aussi une image, lorsqu'il s'écriait : retirez-vous de moi, car je suis un pécheur (Ibid. v. 8). » Les hommes inconstants et légers sont ceux qui sont emportés à tout vent de doctrine : ce qui peu auparavant leur plaisait, leur déplaît à présent: et ce qu'ils choisissent aujourd'hui, peu après ils le rejettent, Mais de quoi sert d'avoir énuméré ces vices, si nous n'apprenons aussi les remèdes au moyen desquels chacun peut les guérir en lui-même ? Poursuivons ces ennemis de l'unité et ne revenons que lorsqu'ils auront été détruits. A « l'excès» il faut opposer la considération de sa propre faiblesse. C'est cette vue surtout qui renverse l'odieuse présomption. Contre la pusillanimité il faut avoir confiance en la puissance divine, afin que vous puissiez achever avec le secours du Seigneur, ce que vos forces ne peuvent réaliser, et dire avec l'Apôtre : « Je puis tout en celui qui me fortifie (Phil. III. 13),» le Seigneur Jésus Christ. Contre la « légèreté » il faut recourir aux vieillards et les consulter, pour n'être pas entraîné par des doctrines étrangères et variées, et accomplir ce que prescrit la loi de Dieu : interrogez votre père, et il vous instruira : recourez à vos anciens et ils vous répondront. 13. Nous avons parlé de cette unité que chacun a par rapport à lui-même : parlons aussi de celle qu'il a par rapport à son prochain. Elle s'obtient par deux moyens; quand nous tendons par l'affection vers un autre, et quand, réciproquement, nous recevons en nous l'amitié qu'il nous rend. Elle est empêchée par deux obstacles, par la dureté et le soupçon. La dureté ne nous permet pas d'entrer dans le cur d'autrui, et la défiance ne nous laisse pas, croire que les autres nous aiment. De là il résulte que, lorsque endurcis nous n'aimons pas notre frère, ou lorsque, soupçonneux, nous ne croyons point qu'il nous aime, l'unité que nous devons avoir avec nos frères est empêchée. Une double charité apporte à cette double maladie le remède nécessaire : la charité qui ne cherche pas ses intérêts et celle qui croit tout. Que celui qui est dur ait la charité qui ne cherche point ce qui est à elle, et qu'il aime les autres : que celui qui est défiant ait la charité qui croit tout, et qu'il croie sans doute que les autres ont de l'affection pour lui.
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