SAINT-SACREMENT
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SERMON SUR L'EXCELLENCE DU TRÈS-SAINT-SACREMENT ET SUR LA DIGNITÉ DES PRÊTRES. L'homme a mangé le pain des anges. (Psal. LXXVII 25).

 

Ce discours n'est pas de saint Bernard, mais d'un personnage qui n'est point prêtre, ainsi qu'on l'infère des numéros 3, 5 et 16.

 

1. Appliquez-vous à pénétrer, vénérables ministres du Seigneur, le passage que nous venons de réciter, passage peu étendu, mais que nous trouverons majestueusement rempli de doctrine spirituelle. C'est à vous encore plus qu'aux autres fidèles qu'il incombe d'entendre la vérité que nous venons traiter devant vous : vous devez non-seulement l'entendre, mais encore la graver plus fidèlement dans vos cœurs et, comme des animaux purs et saints, la ruminer davantage. Le bienheureux David, le plus remarquable d'entre les prophètes, ce personnage si chéri du Dieu vivant, ravi en esprit en la présence de celui qui est assis sur le trône éternel, avait bu dans le réservoir des saints mystères les grands bienfaits que, par votre ministère, le Seigneur devait répandre miséricordieusement sur le monde naufragé; et, saint interprète du conseil des cieux, il chanta avec reconnaissance : « l'homme a mangé le pain des anges (Psal. LXXVI. 27). » Aussi, afin de bien exprimer la certitude d'un sacrement si fructueux, il employa avec une énergique clarté le passé pour le futur : « l'homme, » dit-il « a mangé le pain des anges. » O étonnante bonté de Dieu! Le Verbe se revêtit de chair, Dieu, de cendre, le potier, de boue, la vie, de mortalité, afin que des animaux mangeassent le pain des anges. Les hommes, en effet, étaient des animaux. « Car l'homme étant dans un état d'honneur n'a point compris sa dignité : il a été comparé aux chevaux sans raison et il leur est devenu semblable. (Psal. XLVIII. 13). » Ce n'est pas chose indigne, il y a même quelque joie à rappeler en quelle position élevée, l'homme avait été établi dès l'origine. Il importe conséquemment, extrêmement de connaître combien il chuta gravement en ne considérant point ce qu'il était par lui-même ou par la munificence du Seigneur. En effet, notre premier père fut établi habitant du paradis, maître de la terre, désigné pour être un jour le citoyen de la Jérusalem céleste, constitué domestique du Seigneur : et fut enrichi de l'amour et de la connaissance de ce maître adorable, appelé à partager le sort des anges, frère et cohéritier des vertus célestes : il n'éprouvait aucun besoin, ne ressentait aucun chagrin : tout ce que la nécessité réclamait, tout, même ce que souhaitait une sage volonté, il l'avait sous la main, car il n'avait rien à redouter dans l’âme, et rien dans le corps qui le fit rougir. Voilà l'honneur, telle était la dignité de l'homme de prospérer et de s'épanouir dans les biens qu'il avait d'abord reçus. Et c'était là le don de Dieu.

2. Mais en cette position honorable, il ne comprit pas ce qu'il était de son propre fonds, c'est-à-dire limon, poussière, feuille aride, paille desséchée, vase fragile d'argile, peau de cadavre. Mais enivra de ce comble de gloire, il s'enfla et perdit complètement la raison. Et à l'instant, il éprouva en lui, ce que si longtemps après, un homme des enfants de la captivité, remarqua avec sagesse, et proféra avec vérité, en ces termes : « Qui croit être quelque chose, comme il n'est rien, il se séduit lui-même (Gal. VI, 3). » Malheur à cet infortuné, parce qu'alors, il ne se trouva personne pour lui dire : « Pourquoi t'enorgueillis-tu, terre et cendre (Eccles. X, 9). » Par un changement subit, l'homme se trouva donc étendu dans une étable, à cause de son infirmité. Quel est cet cette étable ? C'est le inonde. Et à la ressemblance des animaux, il avait besoin de foin. C'est pourquoi la nourriture céleste se changea en l'aliment des bêtes, l'homme était devenu comme l'une d'elles. Le pain des anges se fit foin. L'unique du Père devient le Fils de l'homme, « car le Verbe se fit chair (Joan. I, 14 » Et au dire du Prophète : « Toute chair est de l'herbe desséchée (Isa. XL, 6). Les anges marquent le Verbe né de Dieu, les hommes se nourrissent du Verbe devenu foin. Les esprits bienheureux vivent de leur pain, et ils sont heureux. Les hommes sur la terre mangent leur foin, et ils sont saints. Car, ramassée dans la prairie du sein de la Vierge, cette herbe est devenue la nourriture des animaux. Afin de devenir foin, le Verbe s'est caché en Marie, le soleil dans un astre, et l'ouvrier dans son œuvre.

3. Ce don d'une excellence si généreuse, nous le devons en premier lieu, à la Très-Sainte Incarnation du Verbe du Père ; et vous, secondairement, chaque jour, vous nous l'administrez en vertu du pouvoir qui vous a été conféré. O qu'éclatante, ô que vénérable est votre puissance ! Assurément, après celle de Dieu, il n'y en a point qui lui soit comparable. Peut-être voulez-vous savoir, peut-être avez-vous plaisir d'entendre expliquer plus clairement en quoi consiste cette autorité à côté de laquelle rien ne peut être mis au ciel, ou sur la terre ? A quoi je me hâte de répondre : c'est de pouvoir conférer le corps et le sang du Seigneur. A la vue d'une puissance semblable, en présence d'un spectacle si extraordinaire, en voyant le privilège si insigne de votre dignité, le ciel est saisi de stupeur, la terre s'étonne, l'homme est agité d'émotion, et les anges si élevés, éprouvent un grand sentiment de respect. Mais d'où nous vient, très-doux Jésus, que, vermisseaux rampants sur la surface de la terre, que, cendre et poussière, nous méritions de vous tenir dans nos mains, de vous avoir sous les yeux, vous qui, dans l'intégrité de tout votre être, vous trouvez assis à la droite du Père? Et de plus, dans le même instant, du lever du soleil à son couchant, du nord au midi, vous êtes à la portée de tous les hommes, un dans plusieurs, le même en des lieux divers. D'où vient, dis-je, un tel prodige? Sans nul doute, un bienfait pareil, ne nous est pas dû, il n'est pas provoqué par nos mérites, il procède de votre volonté et du bon plaisir de votre tendresse. « Car, ô Dieu, dans votre douceur, vous avez préparé un aliment pour le pauvre (Psal. LXVII, 11). » Ce pauvre, c'est le genre humain, à qui le ciel a accordé ce bien par excellence. Voilà vraiment l'indulgence d'en-haut, voilà le comble de la grâce, la gloire suréminente du prêtre, tenir son Dieu dans ses mains,            et le distribuer aux autres. O nouvelle et divine puissance ! Par elle est préparé chaque jour aux mortels le pain des anges et le pain de vie.

4. Ce pain est appelé par excellence,   « Eucharistie, » c'est-à-dire bonne grâce. En ce sacrement, en effet, on reçoit non-seulement toute grâce, niais encore celui qui précède toute grâce. Car Jésus-Christ a été fait une fois hostie de salut, pour affranchir le monde, et réconciliation générale ; il a donné à tous las sacrements, tant à ceux qui étaient avant lui qu'à ceux qui furent après, la vertu et la force de sanctifier, par une victime si infinie, tous ceux qui devaient être délivrés par son moyen. D'où vient qu'il est question dans l'Écriture, où on peut le lire, « de l'Agneau qui a été immolé depuis le commencement du siècle (Apoc. XIII, 8), » c'est-à-dire, pour la délivrance de ceux qui existèrent, dès le commencement ; en sorte, que par cette expression, «dès le commencement, » on détermine non l'époque de l'immolation, mais le temps où le salut se fit sentir, et opéra la vie dans les âmes. En effet, la mort du Sauveur nous fit éprouver son influence, avant d'être réalisée. Vous avez été donc immolé, dès l'origine du monde, ô très-doux Jésus, vous avez fait ainsi un très-noble présent de noces, dot en laquelle votre colombe trouvait un très-doux souvenir de son bien-aimé. Avant de mourir, le Christ, en effet, prescrivit la forme de ce sacrement, il lui assura l'efficacité, c'est-à-dire qu'il ordonna de le réaliser. La prescription de la forme se trouve dans le pain et le vin. Remarquez l'ordre. Tandis que le repas se prenait encore, le Sauveur se leva de table, il lava les pieds à tous ses disciples. Revenu ensuite à table, il règle le sacrifice de son corps et de son sang, mettant à part le pain, à part le vin. Au sujet du pain, il s'exprima en ces termes : « Prenez et mangez, ceci est mon corps (Matth. XXVI, 26). » Il dit aussi du vin : « Buvez-en tous. Car c'est mon sang oui sera répandu, » fut-il dit, parce qu'il coulera de côté et d'autre, et avec utilité. Les piqûres des épines, l'ouverture des mains et des pieds pratiquée par les clous, le coup donné au côté par la lance du soldat, le firent couler au-dehors comme un torrent; et par ce sang plus précieux et plus cher que le baume, toutes nos souillures ont été purifiées. En cette cène, le Christ était celui qui faisait le présent, et le présent lui-même; la nourriture et celui qui la distribuait, le repas et celui qui le donnait, le sacrificateur et l’oblation

5. Vous avez vu la forme du sacrement : voyez maintenant l'efficacité et la communion du corps et du sang de Jésus-Christ. Jésus-Christ nous est uni et nous lui sommes unis par une union inexprimable, comme il le dit lui-même: « Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui (Joan. VI. 57). » C'est dans les bons et dans ceux qui prennent dignement cette nourriture qu'il faut croire que sont produits ces effets ; ils ne se réalisent point dans le méchants et dans les pervers. Au même banquet, à la table du Seigneur, Pierre et Judas reçurent le même pain consacré - Pierre polir la vie, Judas pour la mort: le bon disciple, comme bienfait, le mauvais apôtre, en témoignage contre lui: l'un pour son salut, l'autre pour la mort. Tout cela se reproduit jusqu'à ce jour, en l'Eglise, dans le sacrement de l'autel : les bons l'y reçoivent pour leur bien, mais les chiens et les immondes l'y prennent pour leur condamnation. Les chiens sont ceux qui s'en approchent sans respect : aussi ils s'en retirent en emportant leur condamnation. Ceux, en effet, qui vivent selon la chair et qui enchaînés dans les liens des vices, courant après les sensations qu'elle procure, reçoivent le venin avec le traître Juda, ils tombent dans le lacet qui leur donnera la mort spirituelle, encourant , une très-rigoureuse proscription, soit à cause de leurs nombreux péchés, soit à raison du mépris du sacrement, qu'ils reçoivent réellement, quant à son essence, et nullement quant à ses effets. Est-ce qu'il ne discerne pas entre les terres, celui qui distingue des différences entre les étoiles? Il examinera certainement l'argent, celui qui a éprouvé et réprouvé l'or lui-même. Voici que vous venez d'entendre le fruit et l'utilité que retirent les bons, vous avez ouï aussi et vous vous êtes sentis effrayés, je le pense, à la vue de la mort que trouvent les méchants: écoutez encore et soyez saisis d'admiration. Ce que le Christ a fait de ses mains à la table pascale, la célébration, à l'autel, d’un sacrement si redoutable, a été confiée non aux anges, non aux esprits supérieurs, mais aux hommes et encore non à tous les hommes, mais seulement à votre ordre.

6. Après avoir exposé la forme et dit l'efficacité de ce mystère, il reste à montrer par quelles paroles Jésus-Christ en a ordonné la célébration. « Faites ceci, » dit-il, « en mémoire de moi (Luc. XXII. 19). O expressions trop affectueuses ! O paroles pénétrantes et qui arrivent jusques à l'âme ! « Faites ceci, » dit-il, « en mémoire de moi. » Le Prophète dit aussi : « Ils repasseront en leur esprit le souvenir de l'abondance de cette suavité (Psal. CXLIV. 7). »  O souvenir souverainement pieux et mémoire véritablement délicieuse, annoncer la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il arrive ! La mort de Jésus-Christ est une oeuvre sans exemple, un acte d'humilité sans mesure, un don sans prix assignable, et une grâce accordée sans qu'aucun mérite la provoquât. Il a voulu la subir pour nous celui qui, sur sa croix, a porté nos péchés sur le bois, c'est-à-dire le châtiment de nos fautes, et dont les plaies nous ont guéris. Que fais-tu, ô homme indigne ? Que fais-tu, ô créature ingrate ? Adore avec plus de dévotion, honore par de plus fréquents hommages, dans le sacrement de l'autel, le salut du monde qui a souffert pour toi, la vie morte pour ton amour, la force rendue faible à cause de toi. Si tu es membre du Christ, compatis à la tête. Si tu es le frère du Christ, meurs avec lui. Plains-toi, lamente-toi avec gémissement et larmes sur la mort précieuse du Fils unique de Dieu le Père. Autrement, si tu ne souffres pas, si tu ne t'affliges pas, si tu n'éprouves point de sentiments de compassion, tu es dans le délire, tu dégénères, tu sens la bête cruelle, tu es paralysé, tu renies la qualité d'homme. Du reste, afin de t'émouvoir davantage, afin que tu brûles de feux plus vifs dans l'amour de ton Rédempteur, Jésus Christ a voulu que l'on honorât constamment par le mystère, le sacrifice qui était offert une fois pour notre rançon : et qu'ainsi cette victime perpétuelle vécût dans la mémoire de l'homme et fût toujours présente par la grâce. Car, bien que le péché repullule en plusieurs, néanmoins, l'infection générale de la faute originelle a été si entièrement enlevée, Léviathan, le serpent venimeux, a été si bien transpercé par la lance brillante de la mort de Jésus-Christ (Isa. XXVII. 1), qu'il n'est plus nécessaire que Jésus-Christ soit crucifié de nouveau pour l'expiation des péchés qui se         commettent tous les jours ; bien plus, que son cœur est pour tous un remède suffisant, si on en fait mémoire par la foi et par l'imitation de la mort passée du Sauveur.

7. O Christ Jésus, le souvenir de votre trépas est comme l'œuvre du parfumeur, « comme. l'encens qui s'exhale dans les jours de l'été (Eccle. L. 8), » comme une plaine remplie d'herbes aromatiques que le soleil brûle de ses feux, « comme les roses épanouies à l'époque du printemps et comme les lis qui se trouvent sur le passage des eaux. « Réjouissez-vous, ô Epouse, livrez-vous à d'incomparables transports de joie : dans la lutte de cet exil présent, vous avez pour conducteur et pour chef votre époux. Vous avez le gage, vous tenez les arrhes de l'union bienheureuse qui vous attachera à lui dans la patrie. Epouse glorieuse et aimable, dans le sacrement vous possédez l'époux que vous posséderez au ciel sans voile. Ici et là se trouve la vérité, ici voilée, là-haut manifestée. Ici-bas, sans nul doute, l'Église, en son ordre possède son Epoux, mais non dans la majesté de son pur éclat, ni dans l'inébranlable assurance de l'éternité. Ici-bas, comme un doux prélude et comme d'agréables fiançailles: là-haut le repas nuptial et l'heureuse union conjugale: lorsque de la foi nous passerons à la claire  vue, de la table à la table, du sabbat au sabbat, de la chaleur du pain à la chaleur plus grande de l’éternel banquet. De là vient que l'Epouse soupire et qu'avec Moïse elle dit : « Montrez-vous vous-même à moi (Exod. XXXIII. 13). » Et ce n'est point sans raison. Car Jésus, qui est doux lorsqu'il parle, est doux dans son visage, doux en son nom, doux dans ses œuvres, se montrera plus doux encore quand sa divinité se fera voir. Il est vraiment doux dans sa voix, celui de la bouche de qui sortent le lait et le miel. «La grâce, » en effet, « a été répandue sur ses lèvres (Psalm. XLIV. 3). » Vraiment doux en son visage car il « est le plus beau, » non-seulement des enfants des hommes, mais des choeurs si innombrables des anges. Vraiment doux en son nom. Le nom de Jésus est, en effet, agréable et suave, nom consacré de toute éternité, annoncé par l’ange, prophétisé par l'oracle de Salomon qui s'écrie: «Votre nom est une huile répandue (Cant. I. 2). » Il n'y a point d'autre nom en lequel il faille obtenir le salut. Jésus est le salut, c'est lui qui délivrera son peuple de ses péchés (Matth. I. 21). » Doux en ses oeuvres, dans les miracles qu’il a opérés, dans la conversion des pécheurs, dans le sacrement de sa mort précieuse qui est agréable à l'infirmité humaine. C'est en ce mystère, en effet, que la charité a plus éclaté, que la piété a brillé davantage, que la grâce a jeté de plus étincelantes lueurs.

8. Le divin Sauveur sera encore plus doux dans la vision qui sera . faite de la divinité, lorsque, assis sur un trône élevé au dessus de tous les trônes, il se manifestera lui-même. Alors notre désir sera rassasié. Soupirant après ce spectacle, le Prophète disait: « Mon cœur vous a dit: mon visage vous a recherché, Seigneur, je chercherai votre face (Psalm. XXVI, 8). Car qu’y a-t-il pour moi au ciel, et sur la terre, que désiré-je, si ce n’est vous (Psalm. LXXII, 25) ? » Et ailleurs : « Vous me remplirez de joie avec votre visage (Psalm. XV. 11). Aussi dit-on que la vue du visage est mieux que l'image fréquemment répétée dans le miroir. On ne prend point avec une joie entière ment égale l'écorce du sacrement et la moëlle du froment, la foi et la vue réelle, le souvenir et la présence, l'éternité et le temps, le miroir et le visage, l’image de Dieu et la forme de serviteur. ici nous marchons par la foi et pas encore selon la claire vision. En attendant qu'elle nous soit accordée, nous devons nous réjouir et trouver nos délices dans le sacrement de l'autel ; quand il se réalise, le ministre fidèle se trouve lui-même au milieu du Père et du Fils et du Saint-Esprit, entouré qu'il est aussi des ordres des esprits célestes. Ce sacrement, le plus noble de tous, ce mystère d'une gloire suréminente demande et réclame puissamment le concours joyeux de personnes si illustres. Tout ce que l'on peut dire ou imaginer du degré éminent auquel le prêtre s'élève à cette heure reste de beaucoup en deçà de la vérité. En cette action sacrée, l'esprit, du bon prêtre, élevé au dessus de lui-même, trouve ses délices ; il s'efforce, il se hâte, il monte, il croît par ses désirs ; et plus il monte dans les hauteurs, plus il devient subtil, en sorte que laissant s’évaporer tout nuage de concupiscence terrestre, tout      spirituel, il dépouille l'homme dans l'homme et se glorifie dans le secret de la face de Dieu qui le cache. Ce n'est pas que l'on écarte de la vue du propitiatoire dans le saint des saints, l'âme pieuse qui fait brûler l'encens de sa prière ou qui offre le sacrifice de sa dévotion : mais c'est qu'ils sont rares ceux que la pureté conduit à     l'entrée d'un abîme si profond, ceux que la perfection ravit et élève jusqu'au sommet d'une telle sainteté.

9. Le ministre saint voit donc et sent spirituellement que Dieu, Père de tous les êtres par la création, est plus spécialement son Père par la bonté, parce qu'il est par la grâce le Père de tous les orphelins, c'est-à-dire de ceux qui ont perdu un mauvais père, je veux dire le monde et une mère très-mauvaise c'est-à-dire la concupiscence charnelle. Bienheureux l'homme qui ose dire, qui peut dire. « Mon père et ma mère m'ont abandonné, mais le Seigneur m'a accueilli. » Il voit et il sent pareillement que le Fils de Dieu est son frère très-aimant, qui est devenu petit enfant pour nous, oui vraiment le frère des petits, c'est-à-dire de ceux qui sont humbles, « j'annoncerai, dit-il, votre nom à mes frères, au milieu de leur assemblée je célébrerai vos louanges (Psalm. XXI. 23). » Il voit et sent que le Saint-Esprit procédant du Père et du Fils, est dans l'intérieur de son âme, qu'il est son soutien et son défenseur, car il est le consolateur, de ceux qui sont vraiment pénitents, l'avocat de ceux qui espèrent en lui. Il voit et sent les esprits angéliques applaudissant à ses progrès, et soupirant avec ardeur après la joie de le voir écrit au rang de leurs concitoyens. Cette Église est la réunion, de ceux qui sont marqués dans les cieux. Par la parenté naturelle, par une affinité originelle, par sa conduite et ses vœux, à cette Eglise est unie celle qui soupire encore après le Seigneur après avoir suspendu ses lyres aux rivages de Babylone. Le ministre qui est en cet état est reçu avec une joie pleine de reconnaissance; en toute suavité, avec une très-agréable jouissance, est agneau d'un an, qui mangé n'est pas consumé. Car il est le pain de vie, qui est descendu du ciel.

10. Pouvez-vous estimer quel est ce saint des saints, ce sacrement des sacrements, cet amour des amours, cette douceur qui surpasse toutes les douceurs ? Là se trouvent les véritables fêtes pascales, là les jours et les repas pleins de vie des justes, là les délices spirituelles des saintes âmes. Là, en un lieu si fertile, on boit des torrents de lait, des fleuves de miel, des liqueurs d'un baume céleste. Là, l’Epouse s'unissant à son Époux devient une seule chair avec lui, l'âme pieuse, un même esprit avec le Christ. L’expérience de ces opérations, ou autres semblables, est esprit et vie : l'homme animal ne les sent point, il ne s'en approche même pas. Les amis de l'Epoux, c'est-à-dire les bons évêques, les bons abbés, et les autres hommes religieux et timorés, ont goûté et pleinement éprouvé ce que nous disons. Aussi ils montent plus fréquemment à la table de l'autel, blanchissant en tout temps leurs vêtements, c'est-à-dire leurs corps, du mieux qu'il leur est possible, parce qu'ils doivent toucher de la main et de la bouche leur Dieu, et l'entendre converser avec eux. C'est en cette action, en effet, qu'a lieu le colloque familier de Dieu avec Moïse, c'est-à-dire avec le ministre bon et fidèle.

11. Du reste, cette conversation ne retentit pas, elle pénètre: elle n'a pas lieu en paroles, elle consiste en effets: elle ne frappe pas les oreilles, elle provoque les affections: elle  ne s'adresse pas à toute la foule, mais aux individus elle ne résonne pas au dehors on ne l'entend point sur la place publique. Un colloque secret cherche un. ami à l'écart sans nul doute il cause l'allégresse et la joie à l'âme, si c'est la sobre oreille du cœur qui le reçoit : « Ecoute, Israël, dit le Seigneur, et tais-toi. » Dans la hardiesse d'une pieuse familiarité, l'ami et serviteur fidèle lui répond, disant avec Samuël non avec un transport bruyant, mais avec une plainte suave : « parlez, Seigneur, car votre serviteur écoute (I Reg. III, 10). » Et avec le Prophète : « j'écouterai ce que dira, le Seigneur Dieu (Psal. LXXXIV, 9). » Certainement Jésus-Christ par le alors à son ministre : pense constamment, lui dit-il, grave fidèlement en ton esprit, embrasse avec suavité, ce que tu vois, ce que tu opères, ce que tu tiens. Embrasse-le, dis-je, avec l'affection d'un pieux souvenir et l'effet d'une sainte imitation,  sachant qu'il faut que tu prépares de tels résultats. La disposition qui ornemente et garnit cette table, n'est pas de l'homme, mais bien de la foi: elle n'est pas un forfait, mais plutôt un mystère, pas un aliment temporel mais une nourriture éternelle. Auteur du don qu'il porte, je suis l'auteur de la vérité. vérité. « L'autel » devant lequel vous vous trouvez, représente la crois que j'ai soufferte pour vous, et le « calice, » le sépulcre dans lequel je me suis reposé après ma mort: la « patène; » la pierre qui fut mise au dessus: «le corporal, » le suaire ; ce qui est au-dessous du « corporal les linges dans lesquels j'ai été enveloppé. « L'hostie » que vous voyez, n'est plus du pain, c'est ma chair qui a été suspendue sur la crois pour donner la vie au monde. Ce changement est l'effet d'une bénédiction, il ne vient pas de l’origine naturelle de cette substance. C'est miracle, ce n'est point l'usage qui produit cet effet: c'est bonté, ce n'est pas nécessité logique. C'est miséricorde, ce n'est point misère. Ce  n'est point chose commune, mais unique; divine, non humaine ; sacrement de bonté et non perte pour la divinité. Qu'ici périsse l’aliment physique, c'est ici la nourriture de Pâme et non celle du ventre. Elle n'a pas été donnée pour soutenir cette       vie, vapeur qui paraît un instant, mais pour procurer la vie éternelle. C'est le pain des anges, inaccessible à la corruption, qui ne va pas dans les exutoires du corps, mais qui monte vers les régions supérieures. Elle ramène l'homme au lieu d'où il a tiré son origine. «Ma chair est véritablement une nourriture (Joan. VI, 56). » Il en est de même de ce liquide que vous voyez; ce n'est plus du vin c'est mon sang que j'ai répandu pour, qu'il fût votre rançon,vous le réservant sur l'autel pour breuvage, pour soutien dans votre exil, pour votre conducteur dans votre sortie d'Égyptos, pour viatique dans le ciel. Grappe de raisin formée de chair, j'ai été porté pour  vous au pressoir de la croix, de là s'est échappé le vin nouveau de la rédemption. Or « mon gang est vraiment un breuvage »

12. On dit, mes frères, des choses admirables de ce sacrement. La foi est ici nécessaire, la science rationnelle est inutile. La science s'obtient par la raison et l'intelligence : la foi est établie seulement par l'autorité. Saint Augustin dit en écrivant contre Félicien : Que la foi croie ce dogme, que l'intelligence ne le scrute, pas, dans la crainte que si elle ne le découvre pas, elle ne le regarde comme inadmissible ou que si elle le démontre, elle ne le tienne pas pour merveilleux. Voilà, mes frères, les vérités qui exigent nécessairement la foi, et qui n'admettent pas entièrement et exclusivement l'usage de la raison. Elles demandent une âme qui les croie simplement, elles repoussent un argumentateur impie. Aussi faut-il croire purement ce qu'on ne peut sonder utilement. C'est là le torrent qu'Élisée ne put franchir. Ne cherchez donc point comment ce mystère se réalise : ne mettez point en doute s'il s'opère. N'approchez pas d'une manière irrévérencieuse, de crainte qu'il ne vous donne la mort. C'est Dieu, et bien que le pain renferme des mystères, il est néanmoins changé en chair. C'est un Homme-Dieu, qui affirme que la pain est véritablement changé en sa chair (I Cor. XI, 23). C'est le vase d’élection qui menace du jugement celui qui ne discerne pas une chair si sainte. Ayez, ô chrétiens, les mêmes sentiments touchant le vin, honorez la même divinité sous les apparences du vin. C'est le créateur du vin, qui élève ce liquide à être le sang du Christ. c'est le Docteur des nations, qui affirme que celui qui boit indignement le sang du Christ boit la mort.

13. Et il faut savoir que Peau mêlée au vin désigne l'union des membres avec leur chef. Car les grandes eaux sont les peuples nombreux (Apoc. XVII, 15). Et les trois portions qui sont faites sur l'autel du corps du Christ, ont une signification mystique. L'Église universelle est, en effet, le corps du Christ, c'est-à-dire, la tète unie aux membres: et en ce corps, se trouvent comme trois parties qui le constituent en entier. L'une est la tête elle-même. Effectivement la tête est le chef, et aussi une partie du corps. C’est pourquoi cette tète est une portion du corps. Cette tête, dis-je, qui est déjà ressuscitée immortelle et impassible, pour ne plus souffrir, pour ne plus mourir. L'autre partie du corps se trouve dans ces membres qui, avec leur chef se reposent, quant à l'âme, comme en une sorte de sabbat, possédant sous le rapport de l'âme, un vêtement d'immortalité dans le ciel. C'est d'eux qu'il est dit: « les âmes des saints se réjouissent dans les cieux. » Ces deux parties se trouvent donc ensemble : le chef, c'est-à-dire le Christ, et l'autre portion de son corps, c'est-à-dire les bons défunts dont les corps reposent dans les tombeaux, et les âmes se trouvent avec Jésus-Christ. C'est pourquoi à l'autel, deux parties de l’hostie sont réservées hors du calice, comme hors de la passion: parce que les bienheureux ne sentent désormais aucune douleur, les souffrances premières ayant dis paru. La troisième portion que nous mettons dans le sang, signifie cette partie de l’Église. qui boit le calice du Seigneur, c'est-à-dire imite sa passion. C'est à elle qu'il a été dit en la personne des apôtres: « Ayez la paix en moi, vous aurez des angoisses dans le monde (Joan. XVI, 33). »

14. L'odeur, l'apparence, le poids restent pour l'accomplissement liturgique du mystère, et pour aider le goût, afin d'enlever entièrement la répugnance et de produire le mérite. En effet, pour que la faiblesse humaine n'éprouvât point de l’horreur en mangeant de la chair' et en buvant du sang, le Christ a voulu que ces deux principes fussent voilés sous les apparences du pain et du vin, éléments qui tiennent en quelque manière la première place parmi toutes les substances qui, servent à la nourriture de l’homme. Car, à la lettre, plus que les autres aliments, le pain confirme et le vin réjouit le cœur de l'homme. Et ainsi, le Sauveur nous a donné son corps et son sang à prendre, de telle sorte que d'un côté le sens fût favorisé et que de l'autre la foi fût établie. Le sens, en effet, est favorisé d'une façon, lorsqu'il perçoit des choses qu'il a coutume de voir : la foi est établie d'une autre, lorsque l'œil du corps, apercevant une chose au dehors, l'œil du cœur en sent et vénère une autre à l'intérieur. Un côté se montre, un autre se cache. Car le « Seigneur a placé sa retraite dans les ténèbres (Psal., XVII, 12.) » De même que l'apparence apparaît en ce mystère où la réalité ou bien la substance n'est pas admise par l'esprit ; ainsi la réalité est crue véritablement et substantiellement présente, bien qu'on n'en voie point l’extérieur. Ce qu’on aperçoit, c’est la substance du pain et du vin : et on n'y admet pas la présence de la substance du pain et du vin. On y croit réellement présente la substance du corps,et du sang du Christ, et pourtant on n’en aperçoit nullement l'apparence. On nous y présente donc l'apparence du pain et du vin pour nous enseigner qu’en la réception du corps et du sang du Seigneur se trouve la pleine et parfaite réfection de l'âme, la pleine satiété de l'âme par le boire et le manger. Car le pain et le vin sont les principales substances, que l’homme mange et qu'il boit.

15. Bien qu'il n’y ait qu'un seul sacrement, nous trouvons dans l'Eucharistie trois choses distinctes, c'est-à-dire l'apparence visible, la vérité du corps et la vertu de la grâce spirituelle. Autre chose est l’apparence visible qui est aperçue par le regard : autre chose la vérité du corps que, sous l'apparence visible, l'âme croit invisiblement présent : autre chose aussi la grâce spirituelle qui, avec le corps et le sang, est visiblement et spirituellement reçue par ceux-là seuls qui communient avec les dispositions requises. Car vous devez remarquer trois choses dans le sacrement de l'autel : l'apparence du pain, la vérité de la chair, la vertu de la grâce spirituelle. Le sens extérieur s'étend jusqu'à l'apparence du pain : la foi intérieure pénètre jusqu'à la vérité de la chair : la charité, supérieure à tout, atteint jusqu'à la vertu de la grâce spirituelle. Un très-petit animal rouge parfois l'espèce du pain. le chrétien très-pieux reçoit la vérité qui s'y cache : le prédestiné seul reçoit la vertu de la grâce spirituelle. Donc ce que nous voyons, c'est l'apparence du pain et du vin. Ce que nous croyons caché sous ces espèces, c'est le véritable corps, et le véritable sang de Jésus-Christ, qui fut suspendu à la croix qui coula de son côté. Conséquemment, la manducation sacramentelle, par rapport à l'apparence visible et eu égard à la vérité du corps de Jésus-Christ, convient pareillement aux bons et aux méchants. Mais il existe une autre manducation, comme nous l'avons déjà dit, qui n'est le partage que des bons, manducation qui, par la grâce de Dieu et par la foi, opérant au moyen de la dilection, produit le mérite de la vie pieuse et les affections saintes de l'âme dans les cœurs de ceux qui administrent ou reçoivent l'Eucharistie, par l'effet d'une union spirituelle et plus relevée qui s'établit entre le chef et les membres. De là vient cette expression du canon : « qu'il devienne pour nous le corps et le sang de votre Fils. » , Devienne pour nous, est-il dit. Sans le moindre doute, toutes les fois que ce mystère solennel est célébré avec les rites voulus, le corps du Seigneur est toujours produit sur l'autel : mais il ne l'est pas toujours pour ceux par le ministère desquels il est produit, aussi il est dit dans le même endroit : « Afin que nous tous qui, participant à cet autel, aurons reçu le sacrement de votre Fils, nous soyons remplis de toute grâce et bénédiction céleste.» Tous ceux, en effet, qui mangent le corps du Seigneur qu'ils reçoivent de l'autel, ne sont point remplis spirituellement de cette grâce et bénédiction céleste, d'où viennent encore ces paroles des collectes : «Afin que nous obtenions dans les joies éternelles ce que nous touchons dans le temps. » Encore : Afin que nous obtenions par un effet invisible et caché, les dons que nous avons reçus sous des mystères visibles pour en faire notre nourriture. » Nous pourrions citer beaucoup de paroles analogues.

16. Il faut donc vénérer avec l'action de grâces qu'il mérite, ce sacrement préparé de toute éternité: caché au démon, révélé aux prophètes, confié à votre sollicitude. O sacré et céleste ministère que le vôtre, ô désir louable, spectacle insigne, prodige éclatant! Dieu, qui est admirable en toutes choses, se montre assurément par rapport à vous plus admirable que lui-même, quand il opère par votre ministère des merveilles plus ravissantes encore. Qu'ajouter de plus ? Prêtres de Dieu, bénissez le Seigneur, vous efforçant de faire des œuvres dignes de lui, de crainte que ne tourne en ruine pour vous le remède qui a été institué pour soulager tous ceux qui le reçoivent dignement. Je vous donnerai à juste titre le nom de prêtres du Seigneur, si vous menez dans la maison de Dieu une vie sacerdotale. Votre dignité ne vous vient point de cette dénomination de prêtre. Non, ce n'est pas du mot, c'est de la vertu, de la conduite et non de la charge, du mérite et non de  la désignation ; de la sainteté et non du ministère. Aussi l'Écriture dit: nous cherchons des âmes sacerdotales, nous qui avons plusieurs prêtres. Plusieurs, dis-je, par le nombre, non parle mérite, pas la simulation extérieure, non par la foi réelle, par l'apparence, non par la vertu; par les relations des corps, non par les liens spirituels, par la liaison de la chair, non par l'unité de cœur. il en est, en effet, qui ont les mains lavées, dont les œuvres ne sont pas pures, qui, avec une conscience souillée, s'approchent du divin sacrifice, sans crainte comme sans respect ; ils mangent la chair de l'agneau qui règne au ciel, comme les viandes qui se vendent sur la place. publique. Ce ne sont point des prêtres qui assistent à l'autel, de sont des bouches qui sont à un marché. Lourd est le poids, énorme est le péril d’un tel honneur. C'est une place qui expose à tomber, qui fait encourir un jugement redoutable, si la dignité confiée par l’onction sainte n'est illustrée par les mérites, par la noblesse des mœurs, par l'exercice des vertus et la pratique assidue des bonnes œuvres. Creusez donc, ô mes très chers frères, fouillez ces murs domestiques, c’est-à-dire établissez vos cœurs au dessus de vos,  voies. Efforcez-vous autant que vous le pourrez, de racheter promptement les fautes que vous avez commises. Car le jour du Seigneur arrivera comme le voleur ( I Thess. V, 2). En effet, comme rien n'est plus assuré que la mort, de même rien n'est plus incertain que le moment où elle fondra sur nous. Occupez-vous de cette pensée, comme il en vaut la peine, et veillez à en faire l'objet de votre circonspection et de votre attention. La bonne odeur de votre conduite sera pour Dieu un sujet de gloire, pour les anges une cause de joie, pour vos sujets une patience de vie, et pour vous un titre à la couronne. En quoi daigne le Christ exaucer ses Christs, en leur ménageant le secours de sa grâce, lui qui vit et règne dans tous les siècles. Amen.

 

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