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DISCOURS SUR LE PSAUME CXIV.SERMON AU PEUPLE.LA DÉLIVRANCE.
Lespérance que le Seigneur nous exaucera attise notre amour pour lui; et cette espérance est fondée sur la foi, car tout ce quil fait pour nous allume le flambeau de notre croyance en sa bonté. Les jours dans lesquels nous invoquons le Seigneur, sont les jours du vieil homme, et de léloignement du Seigneur. Mais ayant rencontré cette affliction qui vient de la considération de nos misères spirituelles, et qui est un gage de salut, jai invoqué le Seigneur qui est miséricordieux, puisquil nous appelle au salut, et quil ne nous châtie que pour nous pardonner si nous nous redressons. Reposons-nous dans celui qui nous a délivrés de cette mort de limpie qui est un labeur sans fin, pour nous donner un repos accompagné de vigilance. Le Seigneur nous a donc délivrés de la mort des impies ou de la mort éternelle quand il nous a délivrés du péché; cest au péché que notre corps doit mourir pour que nous plaisions au Seigneur.
1. « Jai aimé le Seigneur, parce quil écoutera la voix de ma prière 1». Que tel soit le chant de toute âme éloignée du Seigneur, le chant de toute brebis qui sétait égarée, le chant de tout enfant qui était mort et qui est ressuscité, qui était perdu et qui est retrouvé 2; le chant de notre âme, ô frères et enfants bien-aimés. Instruisons-nous de nos devoirs avec une ferme constance et chantons avec les saints : « Jai aimé le Seigneur, parce quil écoutera la voix de ma prière ». La cause de notre amour pour Dieu est-elle bien, « parce quil exaucera la voix de ma prière ? » Ne laimons-nous pas plutôt parce quil nous a exaucés? ou laimons-nous afin quil nous exauce? Que signifie donc: « Jai aimé parce quil exaucera ? » Serait-ce parce que, dordinaire, lamour senflammant par lespérance, le Prophète nous dirait alors quil a aimé, parce quil a espéré que le Seigneur exaucerait la voix de sa prière? 2. Mais doù lui est venue cette espérance? Cest, nous répond-il, « parce quil a incliné son oreille vers moi, et que je lai invoqué pendant les jours de ma vie 3 ». Je lai donc aimé parce quil mexaucera, et il mexaucera parce quil a incliné son oreille vers moi. Mais, ô âme de lhomme, comment sais-tu que Dieu a incliné son oreille vers toi, si tu nas dit : Jai cru ? Voilà donc les trois vertus qui demeurent ici-bas, la foi, lespérance et la charité 4. Parce que tu as cru, tu as espéré, et parce que tu as espéré, tu as aimé; maintenant
1. Ps. CXXV, 1. 2. Luc, XV, 6, 24. 3. Ps. CXIV, 2. 4. I Cor. XIII, 13.
si je demande comment lâme a cru que Dieu inclinait son oreille pour lécouter, ne peut-elle point me répondre : « Cest lui qui nous a aimés le premier, au point de ne pas épargner son propre Fils, et de le livrer pour nous tous ? Comment pourront-ils linvoquer sils ne croient en lui? » dit le Docteur des nations, « et comment croire en lui, sils nen ont entendu parler? et comment en entendre parler, si on ne le leur prêche ? et comment y aura-t-il des prédicateurs si on ne les envoie 2 ? » Or, à la vue de tout ce que Dieu a fait pour moi, comment ne croirais-je pas quil a incliné son oreille vers moi ? Et il a tellement signalé son amour pour nous, que le Christ est mort pour les impies 3 . Cest donc parce quils mont apporté tant de grâces, ces hommes dont les pieds sont beaux, qui ont annoncé la paix, annoncé les biens 4, et prêché que tout homme qui aura invoqué le nom du Seigneur sera sauvé 5, cest pour cela que jai cru que Dieu inclinait son oreille vers moi, et que je lai invoqué en mes jours. 3. Et quels sont ces jours dont tu nous dis : « En mes jours jai invoqué le Seigneur? » Ces jours peut-être qui ont fermé la plénitude du temps, alors que Dieu a envoyé son Fils 6, lui qui avait déjà dit : « Je tai exaucé au temps marqué, je tai aidé au jour du salut 7? » Tu as entendu de la bouche dun prédicateur, dont les pieds étaient beaux : « Voici maintenant le temps favorable, voici les
1. Rom. VIII, 32. 2. Id. X, 14, 15. 3. Id. V, 8, 9. 4. Isa. LII, 7. 5. Joel, II, 32. 4. Gal. IV, 4. 5. Isa. XLIX, 8.
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jours du salut 1»; et alors tu as cru, et dans ces jours tu as invoqué, et tu as dit : « Seigneur, mon Dieu, délivrez mon âme 2». Cela est vrai, et pourtant je puis appeler plus justement mes jours, les jours de ma misère, les jours de ma mortalité, les jours qui me viennent dAdam, jours pleins de labeur et de fatigue, jours du vieil homme et de la corruption. Car je suis à terre, « et plongé dans la vase de labîme 3»; et dans un autre Psaume je me suis écrié : « Voilà que vous avez lait vieillir mes jours 4. Cest pendant ces jours que je vous ai invoqué ». Mes jours sont donc bien différents des jours de mon Dieu. Jappelle mes jours ceux que je me suis faits à moi-même, par cette audace qui ma porté à me séparer de lui. Et comme il règne partout, comme il est tout-puissant, tenant tout dans ses mains, jai mérité la prison, cest-à-dire que jai dû subir les ténèbres de lignorance et les entraves de la mortalité. « Je vous ai donc invoqué en mes jours », parce que cest moi qui crie dans un autre Psaume : « Délivrez mon âme de la prison 5», Et comme le Seigneur ma secouru au jour de ce même salut quil ma procuré, voilà que le gémissement des captifs a monté en sa présence 6. Cest en effet dans ces jours qui sont les miens que «les douleurs de la mort « mont environné, que les périls de lenfer mont saisi 7 »; et ils ne me trouveraient point si je nétais loin de vous. Ils me tiennent donc maintenant en leur pouvoir, et moi je ne les trouvais point, moi qui mettais ma joie dans les prospérités de ce monde, où les périls de lenfer sont plus trompeurs encore. 4. Mais quand, à mon tour, « jai rencontré la tribulation et la douleur, jai invoqué le nom de mon Dieu 8 ». Je ne connaissais point cette affliction, cette douleur très-utile, affliction dont vient nous décharger celui auquel il est dit: «Donnez-nous votre secours dans laffliction, car le salut qui vient de lhomme est trompeur 9 ». Pour moi, je croyais que ce vain salut de lhomme pourrait me procurer de la joie et de lallégresse; mais quand jai entendu cette parole du Seigneur : « Bienheureux ceux qui pleurent parce quils seront consolés 10 », je nai pas
1. II Cor. VI, 2. 2. Ps. CXLV, 5. 3. Id. LVIII, 3. 4. Id. XXXVIII, 6. 5. Id. CXLI, 8. 6. Id. LXXVIII, 11. 7. Id. CXIV, 3. 8. Id. 4. 9. Id. LIX, 13. 10. Matth. V, 5.
attendu pour pleurer, la perte de ces biens temporels qui me procuraient un funeste plaisir, mais jai considéré cette misère qui est en moi, et qui me fait trouver la joie dans ces biens que je crains de perdre, et que je ne puis néanmoins retenir; je lai considérée avec attention et avec courage, et jai vu que non-seulement jétais tourmenté par les revers de cette vie, mais que ses prospérités elles-mêmes étaient un lourd fardeau; et ainsi : « Jai trouvé la tribulation et la douleur » que je ne connaissais pas, « et jai invoqué le nom du Seigneur. O Dieu, délivrez mon âme 1. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort, sinon la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur 2? » Que le peuple de Dieu sécrie dès lors : « Jai rencontré la tribulation et la douleur, et jai invoqué le nom de mon Dieu ». Quelles nous entendent, ces nations qui sont en arrière, et qui ninvoquent point encore le nom du Seigneur; quelles nous entendent, quelles cherchent afin de rencontrer la douleur et la tribulation , et dinvoquer aussi le nom du Seigneur, et dêtre sauvées. Nous ne leur parlons point de la sorte, afin quelles cherchent une misère quelles nauraient point, ruais afin quelles trouvent cette misère quelles ont sans la connaître. Ce que nous leur souhaitons, ce nest point quelles manquent de ces biens terrestres qui leur sont nécessaires pendant cette vie mortelle; mais quelles pleurent de ce quayant perdu les biens du ciel qui les rassasiaient, elles aient mérité davoir besoin de ces biens de la terre qui ne procurent aucune jouissance durable, et qui nont dutilité quen cette vie temporelle. Telle est la misère quils doivent reconnaître et pleurer; et leurs larmes deviendront bienheureuses en celui qui na point voulu pour ces peuples un malheur éternel. 5. « Le Seigneur est plein de clémence et de justice, notre Dieu se plaît à faire miséricorde 3 ». Dieu donc est miséricordieux, il est juste, il pardonne : miséricordieux dabord, parce quil a incliné son oreille vers moi; et jignorerais que Dieu se fût approché de moi pour entendre mes paroles, si je navais été excité à linvoquer par ceux dont les pieds sont beaux. Qui donc a fait appel au Seigneur, sinon celui que le Seigneur a tout
1. Ps. CXIV, 4. 2. Rom. VII, 24, 25. 3. Ps. CXIV, 5.
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dabord appelé? Voilà donc tout dabord sa miséricorde. Il est juste, parce quil châtie, et il est encore miséricordieux, parce quil reçoit celui quil a châtié. « Car le Seigneur flagelle celui quil reçoit au nombre de ses enfants 1». Et ma douleur dans le châtiment doit être moins vive pour moi que la joie de mon adoption. Commuent « le Seigneur qui garde les petits enfants 2», ne châtierait-il pas ceux quil fera grandir pour être ses héritiers? Quel est lenfant que son père nassujettit pas à la discipline 3? « Je me suis humilié, et il ma sauvé». Cest donc à lhumilité que je dois mon salut. Que le médecin fasse une incision, ce nest point là un châtiment, mais une douleur salutaire. 6. « O mon âme, rentre donc dans ton repos, u puisque le Seigneur ta comblée de biens». Repose-toi, non à cause de tes mérites ou de tes propres forces; mais parce que le Seigneur ta comblée de ses biens; car, ajoute le Prophète, « il a délivré mon âme de la mort 4 ». Il est étonnant, mes frères bien-aimés, quaprès avoir invité son âme à goûter le repos, parce quelle est comblée des biens du Seigneur, le Prophète ajoute : « Parce quil a délivré mon âme de la mort ». Son âme serait-elle donc en repos, parce quelle est délivrée de la mort? Nest-ce pas plutôt dans la mort que lon croit trouver le repos? Quelle est enfin laction de celui dont la vie est un repos, et dont la mort est un labeur? Telle doit être laction de lâme, quelle tende à une paisible sécurité, et non à laccroissement dun labeur incessant. Elle est en effet délivrée de la mort par la grâce de celui qui la prise en pitié, et qui a dit : «Venez à moi, vous tous qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes; car mon joug est doux et mon fardeau léger 5». Laction de lâme qui cherche le repos doit dorme être douce et humble, puisquelle suit le Christ qui est sa voie; et toutefois, elle ne doit pas être lente et paresseuse, afin quelle puisse achever sa course, ainsi quil est écrit: « Achevez vos oeuvres avec douceur 6». Achevez vos oeuvres, est-il dit, afin que la douceur ne dégénère pas en négligence. Car il nen est pas alors comme
1. Hébr. XII, 6. 2. Ps. CXIV, 6. 3. Hébr. XII, 7 4. Ps. CXIV, 7, 8. 5. Matth. XI, 28-30 6. Eccli. III, 19.
en cette vie, où le repos du sommeil répare nos forces pour un nouveau travail; mais la bonne action nous conduit à un repos accompagné de vigilance. 7. Or, tout cela est loeuvre, est le bienfait de ce Dieu dont il est dit : « Puisque le Seigneur ma comblé de biens, puisquil a délivré mon âme de la mort, mes yeux des larmes, et mes pieds de la chute 1». Voilà ce que le Seigneur accomplit eu espérance dans celui qui ressent les liens de la chair, et celui-ci le chante avec joie. Car il est vrai de dire: « Je me suis humilié, et le Seigneur ma sauvé ». Mais elle est vraie aussi cette autre parole de lApôtre: « Que nous sommes sauvés par lespérance 2». Quant à cette mort dont nous sommes délivrés, il est juste de dire que cela sest accompli, si nous lentendons de la mort des incrédules, dont le Seigneur a dit: « Laissez les morts ensevelir leurs morts 3 »; et le Prophète dans un autre psaume: « Les morts ne vous loueront point, Seigneur, non plus que tous ceux qui descendent dans lenfer, mais nous qui vivons, nous bénissons le Seigneur 4 ». Telle est donc la mort dont tout fidèle a raison de croire que son âme est exempte par cela même quelle a passé de lincrédulité à la foi. De là cette parole du Sauveur: « Celui qui croit en moi passe de la mort à la vie 5». Le reste ne saccomplit que par lespérance dans ceux qui nont pas encore quitté cette vie. Maintenant, en effet, quand nous pensons à nos chutes si périlleuses, nos yeux ne cessent de verser des larmes; mais il éloignera les larmes de nos yeux, quand il préservera nos pieds de tout faux pas. Car nos pieds ne seront plus exposés à la chute, quand il ny aura plus rien de glissant dans notre faible chair. Maintenant, quoique notre voie soit ferme, puisque cest le Christ lui-même; néanmoins, parce que nous soumettons notre chair, quil nous est ordonné de dompter; dans ces mêmes oeuvres par lesquelles nous la châtions pour lassujettir, cest un bonheur de ne pas succomber; quant à ne pas glisser, qui en est capable? 8. Aussi, parce que nous sommes dans la chair, sans être néanmoins dans la chair, (nous sommes dans la chair à cause de ce lien qui nest pas encore brisé : « quil serait plus
1. Ps CXIV, 8. 2. Rom. VIII, 21. 3. Matth. VIII, 22. 4. Ps. CXIII, 17, 18. 5. Jean, V, 24.
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avantageux de rompre pour être avec le Christ 1 »; mais nous ne sommes pas dans la chair en ce sens que nous avons donné à Dieu les prémices de lesprit, si toutefois nous pouvons dire que « notre conversation est dans le ciel 2» et que nous sommes agréables à Dieu par la tête, tandis que nous sentons glisser nos pieds, qui paraissent lextrémité de notre âme), écoute comment il y a une espérance dans ce même psaume qui paraît chanter ce qui est accompli déjà : « Il a délivré, dit le Prophète, et mes yeux de leurs larmes, et mes pieds de toute chute»; et toutefois il najoute point : Je plais; mais bien : « Je plairai au Seigneur, dans la terre des vivants 3 »; montrant assez par là quil nest point encore agréable au Seigneur dans cette partie de lui-même, qui est la région des morts, cest-à-dire en sa chair mortelle. « Ceux qui sont dans la chair ne sauraient plaire à Dieu ». Cest pourquoi cette parole que lApôtre ajoute : « Quant à vous, vous nêtes point dans la chair », doit sentendre en ce sens, que « le corps est véritablement mort au péché, tandis que lesprit est vivant à cause de la justice »; or, cest par cet esprit quils plaisaient à Dieu, puisque cest par lui quils nétaient pas dans la chair. Qui pourrait plaire au Dieu vivant, tandis quil est dans un corps mort? Que dit lApôtre? « Si lesprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ dentre
1. Philipp. I, 23. 2. Id. III, 20. 3. Ps. CXIV, 9.
les morts habite en vous; celui qui a ressuscité le Christ dentre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels à cause de lesprit qui habite en vous 1 ». Cest alors que nous serons dans la terre des vivants, que nous plairons complètement au Seigneur, et que rien de nous-mêmes ne nous tiendra éloignés. « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur 2»; et plus nous en sommes éloignés, plus nous sommes éloignés aussi de la région des vivants. « Mais nous avons la confiance, et nous pensons quil est avantageux pour nous dêtre séparés de ce corps, afin de demeurer dans le Seigneur; cest pourquoi nous nous efforçons de lui être agréables, soit que nous soyons éloignés, soit que nous soyons en sa présence 3 ». Cest là notre ambition pendant cette vie, parce que nous attendons la délivrance de notre corps 4; mais quand la mort aura été absorbée dans la victoire, quand ce corps corruptible aura revêtu lincorruptibilité, quand ce corps mortel aura revêtu limmortalité 5, alors il ny aura ni pleurs, ni chute, et il ny aura aucune chute, parce quil ny aura aucune corruption. Dès lors nous ne chercherons plus à plaire à Dieu, mais nous lui plairons dune manière absolue, dans la région des vivants.
1. Rom. VIII, 8 -11. 2. II Cor, V, 6. 3. Id. 8, 9. 4. Rom. VIII, 23. 5. I Cor. XV, 53, 54.
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