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DISCOURS SUR LE PSAUME CXV.SERMON AU PEUPLE.CHANT DES MARTYRS.
Prêcher le Christ, cest conformer ses moeurs à la foi, autrement on aurait la vérité à la bouche, le mensonge dans le coeur; cest encourir la réprobation. Dautres croient sans prêcher, retiennent le talent sans le faire fructifier, et sont aussi réprouvés. Le fidèle serviteur croit et prêche; sa parole lui vaut de nombreuses persécutions sans que la vérité en souffre aucune atteinte. Dans son extase il a compris quil ne pouvait compter sur lui-même, parce que lhomme est menteur et que Dieu seul peut donner la vérité. Mais que rendra-t-il au Seigneur en échange de cette vérité? Ce qui vient de lui, le calice du salut, ou la force de souffrir. De lui-même il nest que lesclave, mais en servant de bonne volonté, il devient le fils de la Jérusalem libre, ou de lEglise. Alors il se glorifie en Dieu qui a brisé ses tiens ; il soffre lui-même au milieu de cette Jérusalem ou de lEglise répandue par toute la terre, comme le prouve le psaume suivant: Peuples, célébrez tous les louanges du Seigneur, qui demeure ferme dans ses promesses comme dans ses menaces.
1. Votre sainteté, mes frères, connaît sans doute ce mot de lApôtre: « La foi nest point lapanage de tous 1 » . Et vous nignorez pas que le nombre des infidèles est le plus grand ; aussi le Prophète sest-il écrié « Seigneur, qui a cru à notre parole 2? » Cest parmi ces incrédules que lon peut ranger ceux dont lApôtre a dit: « Tous cherchent leurs intérêts et non ceux du Christ 3 ». Et ailleurs il dit que ces hommes annoncent la parole de Dieu non par un vrai zèle, mais par occasion; non pas dune manière chaste 4, cest-à-dire quils nont ni intention pure, ni charité sincère. Autres, en effet, étaient leurs sentiments, que laissaient voir leurs moeurs, et autre leur prédication, qui leur attirait lestime des hommes par les saintes vérités quils prêchaient. Aussi lApôtre a-t-il encore dit de ces hommes qu « ils ne servent point le Dieu quils prêchent, mais leur ventre 5 ». Et toutefois, il leur permet de prêcher le Christ. Bien que leur foi, en effet, non plus que leurs actions, ne pût aboutir quà la mort, toutefois ils prêchaient des vérités qui eussent pu sauver ceux qui les eussent embrassées par la foi ; car ils ne prêchaient rien qui fût en dehors des règles de la foi. Autrement ils fussent tombés sous cet anathème de lApôtre « Si quelquun », nous dit-il, « vous annonce dautres vérités que celles que vous avez reçues, quil soit anathème 6 ». Or, ce nest pas prêcher le Christ, que prêcher la fausseté,
1. II Thess. III, 2. 2. Isa. LIII, 1, ; Rom. X, 16. 3. Philipp. II, 21. 4. Id. I, 27. 5. Rom. XVI, 18. 6. Gal. I, 9.
puisque le Christ est vérité 1. Et toutefois, lApôtre dit de ces derniers quils annoncent le Christ, bien quils ne le fassent point dune manière pure, cest-à-dire bien quils nagissent point avec un esprit simple et pur, et avec la foi sincère qui agit par la charité 2. Pleins des terrestres convoitises, ils annonçaient le royaume des cieux, et avaient ainsi la fausseté dans le coeur, la vérité sur la langue. Or, lApôtre, sachant bien que ceux qui avaient cru à lEvangile, sur la prédication de Judas, étaient sauvés, donne à ceux-ci cette liberté de prêcher : « Pourvu que le Christ soit annoncé, peu importe que ce soit par occasion ou par un vrai zèle 3 ». Ils nannoncent pas moins la vérité, bien que ce ne soit point dans la vérité, cest-à-dire avec une intention pure. Ils prêchent ce quils ne croient point, et cest pour cela quils sont réprouvés; bien quils soient utiles à ceux que le Seigneur daigne avertir ainsi: « Faites ce quils vous disent et non ce quils font, car ce quils disent, ils sont loin de le faire 4». Pourquoi, sinon parce quils ne croient point lutilité de ce quils prêchent ? Il en est dautres qui croient, sans prêcher ce quils croient, retenus par la tiédeur ou par la crainte. Et ce serviteur qui avait reçu un talent, ne sentendit pas moins appeler : Méchant et lâche serviteur 5, parce quil ne lavait point mis à profit. Dans un autre endroit de lEvangile, il est dit que beaucoup
1. Jean, XIV, 6. 2. Gal, V, 6. 3. Philipp. I, 18. 4. Matth. XXIII, 3. 4. Id. XXV, 26.
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de princes des Juifs crurent en Jésus, mais quils ne professaient point leur foi au dehors, de peur dêtre chassés de la synagogue : ils ne laissent pas dêtre désapprouvés et condamnés. Car lEvangéliste ajoute : « Ils préféraient la gloire des hommes à la gloire de Dieu 1». Si donc une juste réprobation flétrit et ceux qui ne croient pas à la vérité quils prêchent, et ceux qui ne prêchent pas la vérité quils croient, à qui donnerons-nous le nom de serviteur fidèle, sinon à celui à qui le Christ adresse ces paroles: « Courage, bon serviteur, parce que tu as été fidèle en peu de choses, je tétablirai sur beaucoup, entre dans la joie de ton Seigneur 2? » Un tel serviteur ne parle donc point avant de croire, et ne se tait point dès quil croit, de peur, ou quen faisant valoir pour les autres ce qui lui est confié, il nen garde rien pour lui, ou quil nen retire aucun profit, parce quil ne laura point fait valoir. Voici, en effet, ce qui est dit : « Celui qui possède, on lui donnera; mais à celui qui na pas, on ôtera même ce quil a 3 .» 2. Quil dise alors, ce bon serviteur qui chante Alleluia, cest-à-dire qui offre un sacrifice de louanges à ce même Dieu qui doit lui dire un jour : « Entre dans la joie de ton Seigneur » ; quil tressaille et quil chante : « Jai cru, et cest pourquoi jai parlé 4» .Cest-à-dire, jai cru dune manière parfaite. Refuser de prêcher ce que lon croit, ce nest point avoir une foi parfaite. Car une des obligations de la foi, cest de croire aussi cette parole « Celui qui me confessera devant tes hommes, « moi aussi je le confesserai devant les anges de Dieu 5». Ce fidèle serviteur nest pas ainsi appelé, en effet, parce quil a reçu de son maître, mais parce quil a dépensé et gagné. De même dans notre psaume, il nest pas dit : Jai cru et jai parlé; mais le Prophète confesse quil a parlé parce quil a cru. Car il a cru en même temps que parler lui donnait une récompense à espérer, et que se taire lui laissait craindre un châtiment. « Jai cru », dit-il, « et cest pourquoi jai parlé pour moi , jai subi des humiliations à lexcès ». Il a passé par des tribulations nombreuses à cause de la parole quil gardait fidèlement, quil annonçait fidèlement; il a subi des humiliations excessives, et
1. Jean, XII, 42, 43. 2. Matth. XXV, 23. 3. Id. XIII, 12 ; XXV, 29. 4. Ps. CV, 1 . 5. Matth. X, 32.
cest là ce quont redouté « ceux qui ont préféré la gloire des hommes à la gloire de Dieu ». Mais pourquoi cette expression : « Quant à moi ? » Il devrait dire tout simplement : jai cru , cest pourquoi jai parlé, et jai subi des humiliations à lexcès. Pourquoi ajouter « quant à moi », sinon pour nous montrer que lhomme peut bien subir des humiliations de la part de ceux qui contredisent la vérité, mais que cette vérité quil croit et quil prêche nen souffre aucune atteinte? De là vient que lApôtre disait en parlant de ses chaînes : « Mais la parole de Dieu nest point enchaînée 1 ». De même le Psalmiste, ou plutôt en sa personne les saints témoins de Dieu, cest-à-dire les martyrs: « Jai cru, et cest pourquoi jai parlé, quant à moi », non point la vérité que jai embrassée, non point la parole que jai portée ; mais, « moi jai été humilié à lexcès ». 3. « Jai dit dans mon extase: Tout homme est menteur 2 ». Le Prophète par extase entend cette frayeur qui sempare de la faiblesse humaine, sous la menace des persécutions, ou bien en face des tourments ou de la mort. Tel est le sens que nous donnons à cette expression, parce quon retrouve dans le psaume le cri des martyrs. Ce mot dextase, il est vrai, peut sentendre aussi de cet état de lâme hors delle-même, non plus sous limpression de la peur, mais par leffet dune révélation sur naturelle. « Pour moi, jai dit dans mon extase: Tout homme est menteur ». Dans son effroi il a considéré sa faiblesse, et a vu quil ne devait point compter sur lui-même. Car en ce qui regarde lhomme, il est menteur; mais la grâce de Dieu la rétabli dans la vérité, de peur que, cédant aux persécutions de ses ennemis, il ne tût ou même nabjurât la vérité quil avait embrassée; ainsi quil en fut de saint Pierre, qui comptait sur lui-même, et qui avait besoin dapprendre à ny point compter à lavenir. Et si nul ne doit mettre sa confiance dans un homme, il ne saurait compter sur lui-même, puisquil est homme. Dans la crainte qui la saisi, le prophète a donc vu avec raison que tout homme est menteur; car ceux que la peur naffole point de manière à céder aux persécutions par le mensonge, agissent non par leurs propres forces, mais par la grâce de Dieu. Il est donc bien vrai de dire que « tout homme est
1. II Tim. II, 9. 2. Ps. CXV, 11.
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menteur» ; mais que Dieu est véridique, lui qui a dit: « Je lai dit : vous êtes tous des dieux, tous, les enfants du Très-Haut ; et néanmoins, vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes 1». Dieu console ici les humbles, il les remplit non-seulement de cette foi qui leur fait croire la vérité, mais de cette confiance qui la tait prêcher, sils persévèrent dans la soumission au Seigneur, sils nimitent point lun des princes ou le diable qui ne sest point maintenu dans la vérité et qui est tombé. Car si tout homme est menteur, moins ils seront hommes, et moins ils seront menteurs ; et alors ils seront des dieux, les fils du Très-Haut. 4. Le peuple si dévoué des martyrs considère comment le Seigneur dans sa miséricorde nabandonne point linfirmité humaine, dont la vue a fait dire en tremblant: « Tout homme est menteur »; comment il daigne consoler les humbles, remplir de confiance ceux qui tremblaient, en sorte que leur coeur déjà presque mort reprend une vie naturelle, et quils ne mettent plus leur confiance en eux-mêmes, mais en celui qui ressuscite les morts 2, qui rend éloquentes les langues des enfants 3, qui nous dit : « Quand ils vous traduiront, ne vous mettez point en peine de ce que vous devez dire; ce quil vous faudra dire vous sera inspiré à lheure même; car ce nest point vous qui parlez, mais lEsprit de votre Père qui parle en vous 4 ». Voilà ce que considère celui qui avait dit : « Dans mon extase, je lai dit : tout homme est menteur »; et voyant que, par la grâce de Dieu, lui-même est devenu véridique : « Que rendrai-je au Seigneur, sécrie-t-il, pour tous les biens quil ma rendus 5? » Il ne dit point, pour tous les biens quil ma accordés, mais: « pour tout ce quil ma rendu». Quavait donc fait lhomme auparavant, pour que les dons de Dieu ne fussent point une simple faveur, mais une rétribution ? Quavait fait lhomme, sinon des fautes? Dieu a donc rendu le bien pour le mal; lui à qui les hommes rendent le mal pour le bien. Voilà en effet ce que lui ont rendu ceux qui ont dit : « Cest là lhéritier, venez et tuons-le 6. » 5. Mais linterlocuteur cherche ce quil doit rendre au Seigneur, et il ne trouve rien,
1. Ps. LXXXI, 6,7. 2. II Cor. I, 9. 3. Sag. X, 21. 4. Matth. X, 19, 20. 5. Ps. CXV, 12. 6. Matth. XXI, 38.
sinon les biens que le Seigneur lui a rendus. « Je prendrai », dit-il, « le calice du salut, et jinvoquerai le nom du Seigneur 1». O homme, que ton péché a fait menteur, que la grâce de Dieu a rendu véridique, et qui nes plus homme dès lors, qui ta donné ce calice du salut, que tu prendras pour invoquer le nom du Seigneur, et le remercier de tous les biens quil ta rendus? Qui, sinon celui qui a dit : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même 2? » Qui ta donné la force de souffrir comme lui, sinon celui qui a, le premier, souffert pour toi? De là vient que « la mort de ses saints est précieuse aux yeux du Seigneur 3 ». Il la achetée de ce même sang quil avait répandu pour le salut de ses serviteurs, afin que ces serviteurs nhésitassent point à répandre leur sang pour lui; ce qui néanmoins serait un avantage pour eux, et non pour le Seigneur. 6. Que lesclave acheté à un si grand prix reconnaisse donc sa condition desclave, et quil dise : « Je suis votre serviteur, ô mon Dieu, et le fils de votre servante 4». Il est donc tout à la fois esclave acheté, et fils de la servante. A-t-il été aussi acheté avec sa mère? Ou bien, parce quil est né dans la maison de son maître, et dès lors dépouillé à cause du péché de sa fuite, est-il esclave acheté, parce quil a été racheté? Il est en effet le fils de la servante, en ce sens que toute créature est soumise au Créateur, et doit au véritable maître un véritable service, qui lui vaut la liberté quand elle le fait pleinement; et voilà que lui vient du Seigneur la grâce de le servir de gré et non par nécessité. Le Prophète est donc fils de cette Jérusalem céleste, qui est notre mère den haut, notre mère à tous, et notre mère libre 5. Libre du péché, mais esclave quant à la justice; et cest à ses fils, pèlerins en cette vie, que lon dit: « Vous êtes appelés à la liberté 6». Puis le même Apôtre les réduit ensuite à lesclavage : « Assujettissez-vous les uns aux autres par la charité 7 ». Puis il leur dit encore: « Lorsque vous étiez esclaves du péché, vous vous affranchissiez de la justice; maintenant que vous êtes affranchis du péché et devenus esclaves de Dieu, le fruit que vous en tirez est votre sanctification, et la fin sera la vie éternelle 8 ». Quil dise donc à Dieu, cet
1. Isa. CXV, 13. 2. Matth. XX, 22. 3. Ps. CXV, 15. 4. Id. 16. 5. Gal. XV, 26. 6. Id. V, 13. 7. Ibid. 8. Rom. VI, 20, 22.
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esclave : Il en est beaucoup, Seigneur, qui se disent martyrs, beaucoup qui se disent serviteurs, parce quils en appellent à votre nom, sous le voile de telle hérésie, de telle erreur; mais comme ils sont en dehors de votre Eglise, ils ne sont point les fils de votre servante : « Pour moi, je suis votre serviteur et fils de votre servante ». 7. « Vous avez brisé mes liens, et je vous offrirai un sacrifice de louanges 1». Je nai trouvé en moi aucun mérite lorsque vous avez brisé mes liens ; aussi vous dois-je un sacrifice de louanges: bien que je me glorifie dêtre votre serviteur et le fils de votre servante, ce nest point en moi, mais bien en vous, Seigneur, mon Dieu, que je me glorifie, puisque vous avez rompu mes liens, afin quen revenant de mes erreurs, je vous fusse attaché. 8. « Jaccomplirai mes voeux au Seigneur 2». Quels voeux accompliras-tu? Quelles victimes as-tu promises? Quel encens? Quels holocaustes? Nas-tu pas en vue ce que tu disais tout à lheure: « Je prendrai le calice du salut, et jinvoquerai le nom du Seigneur, et je « vous offrirai un sacrifice de louanges ? » Et en effet, celui qui réfléchit à ce quil doit promettre au Seigneur, aux voeux quil doit lui rendre, quil se voue lui-même, et quil soffre à Dieu. Voilà ce que le Seigneur exige, et ce qui lui est dû. « Rendez à César ce qui est à
1. Ps. CXV, 17. 2. Id. 18.
César, et à Dieu ce qui est à Dieu 1 », disait le Seigneur en regardant une pièce de monnaie. On rend à César largent frappé à son effigie : que lon rende à Dieu son image. 9. Mais quiconque se souvient quil nest pas seulement serviteur de Dieu, quil est encore le fils de sa servante, comprend où il doit rendre ses voeux au Seigneur, en se conformant au Christ et en prenant le calice du salut. « A lentrée de la maison du Seigneur», dit le Prophète. Cette maison de Dieu est aussi la servante de Dieu, et quelle est la maison de Dieu, sinon son peuple? Aussi le Prophète a-t-il ajouté : « En présence de tout son peuple ». Déjà il nomme plus clairement sa mère. Quest-ce, en effet, que son peuple, sinon, comme il le dit ensuite : « Au milieu de vous, ô Jérusalem 3 ». Cest alors que loffrande est agréable au Seigneur, quand elle est faite en paix et avec un esprit de paix. Or, ceux qui ne sont point fils de cette servante, ont préféré la guerre à la paix. Mais, de peur quon ne simagine que cette entrée de la maison du Seigneur et tout ce peuple désignent le peuple juif, parce que le Prophète a terminé le psaume en disant : « Au milieu de vous, ô Jérusalem », nom qui fait lorgueil des Israélites selon la chair, écoutez le psaume suivant, composé de quatre versets.
1. Matth. XXII, 21. 2. Ps. CXV, 19.
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