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DISCOURS SUR LE PSAUME VI.LE JUGEMENT DE DIEU.
Lâme fidèle supplie le Seigneur de lui accorder le salut, de la maintenir dans la justice, comme sil devait être plus glorieux pour Dieu de faire éclater sa bonté que sa justice. Elle veut séloigner des pécheurs impénitents, sils ne se convertissent au Seigneur.
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID, POUR LES CHANTS DU HUITIÈME JOUR ( Ps VI, 1 )
1. Cette expression, « huitième jour », est obscure; mais le reste du titre est clair. Quelques-uns ont cru quelle signifiait le jour du jugement, ou ce temps de lavènement de Jésus-Christ qui descendra pour juger les vivants et les morts. Cet avènement, selon cette croyance, aura lieu après sept milliers dannées, à compter depuis Adam; ces sept milliers dannées sécouleraient comme sept jours, et le huitième serait celui de lavènement. Mais le Seigneur a dit : « Ce nest point à vous de connaître les temps que mon Père a disposés dans sa puissance (Act. I, 7 ) »; et encore : « Quant à ce jour et à cette heure, nul ne les sait, ni les Anges, ni les Vertus, ni le Fils lui-même; le Père seul les connaît (Matt. XXIV, 36 ) » : et enfin saint Paul a écrit, que ce jour du Seigneur nous surprendra comme le voleur (I Thess. V, 2 ) tout cela nous montre clairement quon ne doit point chercher à connaître ce jour par la supputation des années. Or, sil devait arriver après sept milliers dannées, tout homme pourrait le connaître au moyen dun calcul. Comment donc se fait-il que le Fils ne le connaît point? Parole qui signifie quil ne lapprendra point aux hommes, et non quil ne le sait point en lui-même. Cest ainsi quil est dit : «Le Seigneur vous tente afin de savoir (Deut. III, 3 ) », cest-à-dire, « afin de vous faire connaître », comme: « Levez-vous, Seigneur (Ps. III, 7 ) », signifie, aidez-nous à nous relever. Si donc le Fils ne connaît point le jour, non quil lignore, mais parce quil ne lenseigne point à ceux qui nont aucun avantage à le connaître; ny a-t-il pas une certaine présomption à compter les dates pour affirmer que le jour du Seigneur doit arriver après sept milliers dannées? 2. Pour nous, ignorons de bon coeur ce (140)
quil na pas plu à Dieu de nous révéler, et cherchons ce que veut dire cette expression du titre : « Pour le huitième jour ». Sans recourir à des calculs téméraires on peut entendre par huitième jour celui du jugement, car la tin de ce monde nous ouvrira la vie éternelle; et alors les âmes des justes ne seront plus assujetties aux temporelles vicissitudes ; et comme tous les temps roulent périodiquement de sept jours en sept jours, on appellerait huitième jour celui qui serait en dehors de cette révolution. Dans un autre sens qui nest pas sans justesse, on appellerait huitième jour, celui du jugement, parce quil doit arriver après deux genres de vie, dont lun tient à la chair, et lautre à lesprit. Depuis Mam jusquà Moïse, la vie humaine est une vie corporelle, une vie selon la chair, ce que saint Paul appelle vie de lhomme extérieur, du vieil homme (Ephés. IV, 22 ). A cette génération fut donné lAncien Testament, dont le culte était grossier, quoique religieux, et figurait le culte spirituel de lavenir. Pendant cette période où lon vivait selon la chair, « la mort a régné», dit lApôtre, « même sur ceux qui navaient point péché ». Et comme il la dit encore, «elle a régné parce quon imitait la prévarication dAdam (Rom. V, 14 ) ». Mais « jusquà Moïse », signifie tant quont duré les oeuvres de la loi, ces rites sacrés, observés dune manière charnelle, et qui néanmoins tinrent enchaînés ceux-là mêmes qui croyaient à un seul Dieu, pour leur donner la foi au mystère de lavenir. Mais depuis lavènement de Jésus-Christ, qui nous a fait passer de la circoncision de la chair, à la circoncision du coeur, nous sommes appelés à vivre selon lesprit, cest-à-dire selon lhomme intérieur, appelé homme nouveau (Coloss. III, 10 ) à cause de sa régénération baptismale, et de ses moeurs devenues plus spirituelles. Car il est évident que le nombre quatre appartient au corps à cause des éléments dont il est formé, et de ces quatre qualités, du chaud, du froid, du sec, de lhumide. Delà vient que Dieu le fait passer par les quatre saisons du printemps, de lété, de lautomne, de lhiver. Tout cela est connu; et il est démontré ailleurs, par des raisons plus subtiles, que le nombre quatre appartient au corps; mais évitons ces raisons assez obscures, dans un discours que nous voulons mettre à la portée des moins instruits. Le nombre trois appartient à lâme, comme nous lapprend le précepte daimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme, et de tout notre esprit (Deut. VI, 5 ; Matt. XXII, 37 ). De plus longs détails viendraient dans lexplication de lEvangile et non dun psaume; mais cela suffit, je crois, pour montrer que le nombre ternaire appartient à lâme. Donc, lorsque les nombres du corps, qui tiennent au vieil homme et à lAncien Testament, et les nombres de lesprit ou de lhomme régénéré et de la loi nouvelle, seront écoulés comme un nombre de sept jours ; puisque toute action en cette vie se rapporte au corps ou au nombre quatre, ou à lâme dont le nombre est ternaire; après cela viendra le huitième jour qui, rendant à chacun ce quil a mérité, appellera les justes, non plus à des uvres passagères, mais à la vie sans fin, et condamnera les impies aux supplices éternels. 3. Telle est la damnation que redoute lEglise, qui sécrie dans ce psaume : « Seigneur, ne maccusez pas dans votre colère (Ps. VI, 2 )». Saint Paul parle aussi de colère à propos du jugement: « Tu amasses pour toi, dit-il, un trésor de colère, pour le jour de la colère et du juste jugement de Dieu (Rom. II, 5 )». Cest dans ce jour que ne veut pas être accusé celui qui cherche à se guérir en cette vie. « Et ne me « reprenez point dans votre fureur ». Reprendre est plus doux, car il tend à lamendement; au lieu que, quand on est accusé, ou mis en jugement, on doit craindre pour issue une condamnation. Mais la fureur paraît être plus grande que la colère, et lon peut sétonner que reprendre, qui est plus doux, soit placé avec fureur, qui est lexpression la plus sévère. Pour moi, je crois que ces deux expressions nont quun même sens; car le mot grec tumos du premier verset a la même signification que orphe , qui est dans le second. Mais comme la version latine a voulu employer aussi deux expressions, elle en a cherché une qui se rapprochât le plus de colère, et a mis fureur. De là des variantes dans les versions; car, dans lune, cest la colère qui est avant la fureur, dans lautre, cest la fureur avant la colère; dautres, au lieu de fureur ont indignation, et même bile. Quoi quil en soit, ces deux termes expriment un mouvement de lâme qui veut punir, mouvement que nous ne pourrons attribuer à Dieu dans le même sens quà notre (141) âme, puisquil est dit «Pour vous, Dieu des vertus, vous nous jugez dans le calme (Sag. XII, 18 ) ». Mais ce qui est dans le calme, est opposé au trouble. Dieu donc dans ses jugements est inaccessible au trouble; mais on a appelé sa colère, cette émotion occasionnée par ses lois chez ses ministres. Or, lâme qui supplie dans ce psaume, redoute dêtre accusée dans cette colère, elle ne veut pas même cette réprimande qui la corrigerait ou linstruirait. Car il y a dans le grec paideustes , cest-à-dire enseignez. Au jour du jugement seront convaincus tous ceux qui ne sont pas fondés sur Jésus-Christ; mais ceux qui sur cette base auront bâti avec le bois, le foin et la paille, ils seront amendés ou purifiés, ils souffriront un dommage et néanmoins seront sauvés, mais comme par le feu ( I Cor. III, 11 ). Que peut-on demander à Dieu, quand on ne veut être ni accusé ni repris dans sa colère? Que demander, sinon dêtre guéri, puisque la guérison ne nous laisse à craindre ni la mort, ni la main du médecin qui emploie le feu ou le fer? 4. Le Psalmiste poursuit donc : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme, guérissez-moi, parce que mes os sont ébranlés (Ps. VI, 3 ) », et par ces os il entend la force de lâme ou le courage. Lâme donc, en parlant de ses os, se plaint de son courage qui est ébranlé; mais gardons-nous de croire quelle ait des os comme ceux du corps. Expliquant donc ce qui précède, le Prophète ajoute « Et mon âme est dans un trouble « profond », afin que lon napplique point au corps, ce quil appelait des os. « Et vous, Seigneur, jusques à quand (Id. 4 )? » Qui ne verrait ici une âme qui lutte avec ses infirmités, et que le médecin ne se presse pas de guérir, afin de lui faire sentir dans quel abîme de maux le péché la précipitée? On ne cherche guère à éviter ce qui se guérit facilement; mais une guérison difficile nous rend plus attentifs à conserver la santé quand nous lavons recouvrée. Loin de nous cette pensée quil y ait de la cruauté dans ce Dieu à qui lon dit: « Jusques à quand tarderez-vous à me guérir? » mais il veut dans sa bonté montrer à lâme quelle blessure elle sest faite. Car cette âme ne prie pas encore avec une telle ferveur que Dieu puisse lui dire: « Ta prière ne sera pas achevée que je répondrai: Me voici (Isa. LXV, 21 ) ». Dieu veut encore nous montrer quel sera le châtiment des impies qui refusent de retourner à lui, si la conversion nous est si difficile; dans ce sens il est dit ailleurs : « Si le juste à peine est sauvé, que deviendront le pécheur et limpie (I Piere, IV, 18 ) ? » 5. « Revenez à moi, Seigneur, et délivrez « mon âme (Ps. VI, 5 ) ». En revenant à Dieu, le pécheur le supplie de se tourner vers lui, comme il est écrit : « Revenez à moi, dit le Seigneur, et je reviendrai à vous (Zach. I, 3 ) » Mais cette expression : « Revenez, Seigneur », voudrait-elle dire : Aidez-moi dans mon retour, à cause des difficultés et du labeur que rencontre un retour à Dieu? Car notre conversion parfaite au Seigneur, le trouvera toujours prêt, ainsi que la dit le Prophète : « Nous le trouvons prêt comme la lumière du matin (Osée, VI, 3, suiv. les LXX )». Nous lavons perdu, en effet, non quil se soit retiré de nous, puisquil est présent partout, mais bien parce que nous lui avons tourné le dos. « Il était en ce monde», est-il dit, « et le monde a été fait par lui, et le monde ne la pas connu (Jean, I, 10 ) ». Si donc il était en ce monde sans que le monde le connût, cest que nos souillures ne supportent point sa présence. Mais pour nous convertir, ou pour effacer notre vie passée en taillant de nouveau notre âme à limage de Dieu, nous ressentons le douloureux labeur déchanger les terrestres voluptés contre le calme serein de la divine lumière. Et dans cette pénible tâche nous disons « Revenez à moi, Seigneur », cest-à-dire, aidez-moi, afin que se perfectionne en moi ce retour qui vous trouvera toujours prêt, et vous donnera en jouissance à ceux qui vous aiment. Aussi, après avoir dit : « Revenez à moi, Seigneur », le Prophète a-t-il ajouté : « Et délivrez mon âme », que retiennent encore les soucis du monde, et qui, dans son retour à vous, se sent déchirer par laiguillon des désirs. « Sauvez-moi», dit-il, « à cause de votre miséricorde (Ps. VI, 3 ) ». Il sent quil nest point guéri par ses propres mérites, puisquun pécheur, un violateur de la loi ne devait sattendre en justice quà la damnation. Sauvez-moi donc, dit-il, non point que je laie mérité, mais à cause de votre miséricorde. 6. « Car nul après la mort ne se souvient de vous (Id. 6 ) ». Il comprend que cest en cette vie quil faut nous convertir, car après la mort il ne reste plus à chacun quà recevoir (142) selon ses oeuvres. « Qui vous confessera dans les enfers (Ps. VI, 6 )? » Le riche dont parle Jésus-Christ, confessa Dieu dans les enfers, quand il se plaignit de ses tortures, en voyant Lazare au sein du repos; il confessa Dieu au point de vouloir avertir les siens de sabstenir du péché, en vue de ces tourments de lenfer, auxquels on ne croit point (Luc, XVI, 23-31 ). Ce fut en vain, il est vrai, mais enfin il confessa quil souffrait justement, puisquil désirait avertir ses frères de ne point encourir ces châtiments. Quest-ce à dire alors : « Qui confessera votre nom dans les enfers? » Entendrait-il par là ce profond abîme, où sera précipité limpie après le jugement, et dont les épaisses ténèbres ne laisseront échapper aucune lueur de Dieu pour le confesser? Toutefois ce riche, eu élevant les yeux, put apercevoir Lazare au sein du repos, nonobstant les ténébreuses profondeurs qui lenvironnaient lui-même; et la comparaison quil dut faire lui arracha laveu de ses fautes. Le Prophète pourrait donner aussi le nom de mort au péché que lon commet au mépris de la loi divine; et nous faire appeler mort ce qui nen est que laiguillon, parce quil aboutit à la mort; car laiguillon de la mort cest le péché (I Cor. XV, 56 ). Dans cette mort loubli de Dieu serait le mépris de ses lois et de ses préceptes; ainsi le Prophète appellerait enfer cet aveuglement de lesprit, qui saisit et enveloppe le pécheur, ou lâme qui meurt par le péché. «Comme ils nont pas fait usage », dit saint Paul, « de la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rom. I, 28 ) ». Cest de cette mort et de cet enfer que lâme demande à Dieu de la préserver, quand elle cherche à revenir à lui, et sent les difficultés du retour. 7. Aussi le Prophète continue en disant « Je me suis fatigué dans mon gémissement», et comme si cétait peu, il ajoute : « Chaque nuit je laverai ma couche de mes larmes (Ps. VI, 7 ) ». Il appelle ici couche tout ce quune âme faible et malade cherche pour son repos, comme la volupté charnelle et les plaisirs du monde. Cest laver de ses larmes ces mêmes plaisirs, que chercher à sen arracher. On voit que ses appétits charnels sont condamnables, et toutefois on est assez faible pour sy attacher par goût, pour sy reposer à laise; et notre âme ne peut sen relever quaprès sa guérison. Mais en disant : « Chaque nuit », le Prophète a voulu peindre sans doute lhomme dont lesprit est prompt et reçoit quelque lueur de vérité, mais dont la chair est assez faible pour mettre parfois son bonheur dans les plaisirs du siècle, en sorte quil subit dans ses affections une alternative de lumière et de ténèbres : cest le jour pour lui quand il dit : « Par lesprit, jobéis à la loi de Dieu », mais il décline vers la nuit à ces mots : « Et par la chair à la loi du péché (Rom. VII, 25 ) », jusquà ce quenfin toute nuit se dissipe, et que vienne ce jour unique dont il est dit: «Au matin je serai debout, et je verrai (Ps. VI, 7 ) ». Cest alors quil se tiendra debout; mais aujourdhui, il est étendu sur cette couche que chaque nuit il doit mouiller de ses larmes, et de larmes si abondantes, quil obtienne de la bonté de Dieu le remède infaillible. « Jarroserai mon lit de mes pleurs » , est une répétition; car « mes pleurs » montrent comment il a dit plus haut : « Je laverai » . « Son lit » a le même sens que « sa couche », et toutefois, « jarroserai » dit plus que « je laverai » : laver peut se borner à mouiller à la surface, tandis que larrosage pénètre dans lintérieur, ce qui marquerait des larmes jusquaux profondeurs de lâme. Le Prophète change les temps du verbe; il a dit au passé : « Je me suis fatigué dans mes gémissements » ; puis au futur: « Chaque nuit je laverai ma couche », puis encore: « Jarroserai mon lit de mes larmes », afin de nous montrer ce qui nous reste à faire quand nous nous sommes fatigués en vain à gémir; comme sil disait : Ce que jai fait ne ma servi de rien, voici désormais ce que je vais faire. 8. « Mon oeil sest troublé dans la colère (Id. 8 ) » : est-ce dans sa propre colère, ou cette colère de Dieu par laquelle il a demandé de nêtre ni accusé ni repris? Mais si la colère de Dieu signifie le jugement, comment lentendre dès cette vie? Ou cette colère commencerait dès cette vie, dans les douleurs et les maux des hommes, et surtout dans leur impuissance à comprendre la vérité, selon le mot de saint Paul cité plus haut: « Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rom. I, 28 ) ». Tel est en effet laveuglement de lesprit, que tout homme dans cet état se trouve privé de toute lumière intérieure de Dieu, mais pas absolument, tant que dure cette vie. Car il y a des ténèbres extérieures « qui sont réservées plus (143) spécialement au jour du jugement, et qui éloigneront complètement de Dieu quiconque aura négligé de se corriger ici-bas. Mais être complètement en dehors de Dieu, quest-ce autre chose que laveuglement complet? Car Dieu habite une lumière inaccessible (I Tim. VI, 16 ), et dans laquelle entreront ceux quil invitera, en disant: « Entrez dans la joie de votre Seigneur (Matt. XXV, 21, 22 ) ». Cette colère commence donc dès cette vie à peser sur tout pécheur. La crainte du dernier jugement arrache au Prophète des gémissements et des larmes; il craint darriver à cette colère dont le commencement lui est déjà si douloureux; aussi ne dit-il pas que « son oeil sest éteint », mais « quil a été troublé par cette colère ». Rien ne nous étonnerait encore sil disait que son oeil a été troublé par sa propre colère; cest peut-être en ce sens quil est dit: « Que le soleil ne se couche point sur votre colère (Ephés. IV, 26 ) » parce que lâme, dans ce trouble, ne pouvant voir Dieu, simagine que cette sagesse divine, ce soleil intérieur est en quelque sorte couché pour elle. 9. « Jai vieilli au milieu de tous mes ennemis (Ps. VI, 8 ) ». Il avait parlé de colère, si cest toutefois de sa propre colère; mais en considérant tous les autres vices, il trouve quil en est environné. Comme ces vices nous viennent de notre première vie et du vieil homme dont il faut nous dépouiller pour revêtir lhomme nouveau, le psalmiste dit fort bien : « Jai vieilli ». « Au milieu de tous mes ennemis » peut sentendre ou des vices, ou des hommes qui ne veu1ent point retourner à Dieu; car ces hommes, quoiquà leur insu, malgré leurs ménagements, bien quils vivent en paix avec nous, dans les mêmes villes, sous le même toit, à la même table, quils sentretiennent souvent et paisiblement avec nous; ces hommes , par leurs intentions contraires aux nôtres, sont ennemis de quiconque veut retourner à Dieu. Car si les uns aiment le monde et sy attachent, et que les autres désirent en être délivrés, qui ne voit que les premiers sont ennemis des seconds, quils entraînent, quand ils peuvent, dans les mêmes châtiments? Et cest une grande faveur de Dieu dentendre journellement leur conversation, et de ne point sécarter de la voie des commandements de Dieu. Souvent une âme qui sefforce daller à Dieu, se laisse ébranler et seffraie dans sa route, et la plupart du temps elle abandonne ses résolutions, parce quelle craint doffenser ceux qui vivent avec elle, et qui recherchent avidement les biens passagers et périssables. Tout coeur parfaitement sain sen sépare non de lieu, mais daffection; car lamour est à lâme ce quest pour les corps le lieu qui les contient. 10. Donc, après le labeur, le gémissement, et ces fréquentes effusions de larmes, comme on ne peut adresser en vain de si ferventes supplications à celui qui est la source de toutes les miséricordes, et dont il est dit, avec tant de vérité: « Le Seigneur est tout près des coeurs contrits (Ps. XXXIII, 19 ) » ; après ces difficultés donc, toute âme pieuse, ou même lEglise, si vous le voulez, témoigne quelle a été exaucée. Voyez donc ce quelle ajoute : « Retirez-vous de moi, vous tous, artisans diniquité, parce que le Seigneur a entendu la voix de mes larmes (Id. VI, 9 ) ». Ou le prophète annonce quau jour du jugement, les impies devront séloigner des bons et en seront séparés: ou il leur dit de se séparer à linstant; car sils font partie avec nous des mêmes grappes, néanmoins, jusque dans laire, les grains sont déjà dépouillés et séparés de cette paille qui les recouvre encore. Ils peuvent bien être entassés ensemble, mais le vent ne peut les enlever ensemble. 11. « Parce que le Seigneur a écouté la voix de mes larmes, le Seigneur a entendu mes supplications, le Seigneur a reçu ma prière (Id. 10 ) ». Cette répétition fréquente de la même pensée indique moins chez le psalmiste la nécessité de ce langage que le transport de sa joie. Quiconque est dans lallégresse ne se contente point de nous en dire une fois le motif. Tel est le fruit de ce gémissement douloureux qui lui fait mouiller sa couche de ses larmes, et arroser son lit : « Car on ne sème dans les larmes que pour moissonner dans la joie (Id. CXXV, 5 ) »; et: « Bienheureux ceux qui pleurent, parce quils seront consolés (Matt. V, 5 ) ! » 12. « Confusion et trouble pour tous mes ennemis (Ps. VI, 11 ) ». Naguère le Prophète disait: « Eloignez-vous tous de moi », ce qui peut avoir lieu en cette vie, comme nous lavons vu; mais quand il parle de « confusion et deffroi », je ne vois pas que cela se puisse entendre autrement que du jour qui mettra (144) en évidence la récompense des justes et le châtiment des pécheurs. Jusquà ce jour, en effet, limpie est loin de rougir et de cesser de nous insulter. Souvent même ses moqueries en viennent jusquà faire rougir de Jésus-Christ les hommes faibles dans la foi. De là cette menace: « Quiconque aura rougi de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père (Luc, IX, 26 ) ». Quiconque dès lors veut suivre les sublimes conseils de lEvangile, de partager son bien, de le donner aux pauvres, afin de demeurer juste pour léternité (Ps. CXI, 9 ) , de vendre ses possessions terrestres pour assister les indigents et suivre le Christ en disant : « Nous navons rien apporté en ce monde, nous nen pouvons rien emporter: contentons-nous davoir de quoi vivre et nous vêtir (I Tim. VI, 7 ) » ; celui-là tombe sous les railleries sacrilèges des impies; ceux qui repoussent le sens droit le traitent dinsensé. Souvent, pour éviter ce surnom de la part des incurables, il craint de faire, il remet au lendemain ce que prescrit le médecin le plus fidèle comme le plus puissant. Ceux-là donc ne peuvent rougir en cette vie; souhaitons au contraire quils saient pas la puissance de nous faire rougir, de nous détourner du chemin que nous avons pris, de ne point nous y causer dembarras ou de retard. Mais un temps viendra quils rougiront et répéteront ces paroles de 1Ecriture «Les voilà, ceux qui étaient lobjet de nos mépris et même de nos outrages. Insensés que nous étions, nous estimions leur vie une folie, et leur fin un opprobre : et les voilà comptés parmi les fils de Dieu, et leur partage est avec les saints! Nous avons donc erré hors de la vérité, et la lumière de la justice na pas lui à nos yeux, et le soleil ne sest pas levé pour nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de liniquité et de la perdition; nous avons marché par des chemins «difficiles, et nous avons ignoré la voie du Seigneur. A quoi bon noire orgueil, à quoi bon lostentation de nos richesses? Toutes ces choses ont passé comme lombre (Sag. V, 3-9) ». 13. Dans ces paroles : « Quils se convertissent pour leur confusion (Ps. VI, 11 ) », qui ne voit un juste châtiment qui tourne à leur confusion dans cette conversion quils ont refusé de faire pour leur salut? « Et cela bien vite», ajoute le Prophète :car ils ne compteront plus sur le jour du jugement, et comme ils diront: « La paix est à nous; une ruine soudaine les surprendra (I Thess. V, 3 ) ». Quel que soit le moment, ce que lon nattendait pas arrive toujours bien vite, et il ny a que lespérance de vivre encore qui nous fasse croire que cette vie est longue. Rien ne nous paraît plus rapide que ce qui en est déjà passé. Quand donc viendra le jour du jugement, alors les pécheurs sentiront combien est courte une vie qui passe; et ils ne pourront croire quil ait été long à venir, ce jour quils ne désiraient point, ou plutôt à larrivée duquel ils navaient point cru. On pourrait dire encore que lâme dont Dieu a exaucé les gémissements et les pleurs si fréquents et si durables, sentant quelle est délivrée du péché, et quelle a dompté tous les mouvements pervers des sensuelles affections, en leur disant : « Retirez-vous de moi, artisans diniquité, parce que le Seigneur a exaucé la voix de mes larmes (Ps. VI, 9 ) », se trouve arrivée à cet état de perfection, où elle peut prier pour ses ennemis. Cest dans ce sens peut-être quil est dit : « Que tous mes ennemis soient dans la confusion et dans le trouble », afin quils fassent pénitence de leurs fautes, ce qui est impossible sans trouble ni confusion. Rien nempêche dentendre les paroles suivantes : « Quils se convertissent pour leur confusion », dans le sens dun retour à Dieu et dune confusion de sêtre jadis glorifiés dans les ténèbres du péché, comme la dit lApôtre : « Quelle gloire avez-vous tirée de ce qui est maintenant pour vous un sujet de honte (Rom. VI, 21 )?» Cette autre expression, « et cela au plus vite », peut désigner la ferveur du désir ou se rapporter à la puissance du Christ qui, dans un temps si court, a converti à la foi de 1Evangile, ces nations qui défendaient leurs idoles en persécutant lEglise.
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