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DISCOURS SUR LE PSAUME VII
LE SILENCE DE JÉSUS-CHRIST.
Ce psaume est le chant de lâme arrivée à la perfection, et à qui la foi découvre les mystères de la passion inconnus aux Juifs et aux pécheurs actuels. Elle comprend la patience silencieuse de Jésus à légard de Judas; et pourquoi, lui qui était juste, a voulu souffrir.
PSAUME DE DAVID QUIL CHANTA AU SEIGNEUR, POUR LES PAROLES DE CHUSI, FILS DE GÉMINI.
1. Il est facile de connaître par lhistoire du second livre des Rois, ce qui donna occasion à cette prophétie. Elle nous apprend que Chusi ami du roi David, passa dans les rangs dAbsalon révolté contre son père, afin de reconnaître ses desseins, et de rapporter à David toutes les trames que ce fils ourdissait contre lui avec Achitopel, qui avait trahi lamitié du père, pour soutenir de tous les conseils quil pourrait donner, la révolte du fils. Mais dans ce psaume, il faut envisager lhistoire, moins en elle-même, que comme un voile jeté par le Prophète sur un grand mystère; levons donc ce voile (II Cor. III, 16 ) si nous avons passé au Christ. Cherchons dabord quel sens peuvent avoir les noms; car on na pas manqué dinterprètes pour les étudier, non plus à la lettre et dune manière charnelle, mais dans un sens figuré, et pour nous dire que Chusi signifie Silence, Gémini, la Droite, et Achitopel, la Ruine du frère; dénominations qui ramènent une seconde fois sous nos yeux ce traître Judas, figuré ainsi par Absalon dont le nom signifie Paix de son père. David, en effet, eut toujours des sentiments de paix pour ce fils au coeur plein dartifices et de rébellion, ainsi quil a été dit au psaume troisième (Enarrat. in Ps. III, n.1 ). De même que dans 1Evangile nous voyons Jésus-Christ donner le nom de fils à ses disciples (Matt. IX, 15 ), nous le voyons aussi les appeler ses frères. Après sa résurrection, le Seigneur dit en effet: « Allez, et annoncez à mes frères (Jean, XX, 17 )». Saint Paul appelle Jésus-Christ le premier-né de tant de frères (Rom. VIII, 29 ). On peut donc désigner la ruine du disciple qui le trahit, sous le nom de ruine du frère, selon le sens que nous avons donné au nom dAchitopel. Chusi, qui signifie Silence, désigne très-bien ce silence que Notre-Seigneur opposait aux perfidies de ses ennemis, ce profond mystère qui a frappé de cécité une partie dIsraël, alors quils persécutaient le Seigneur, jusquà ce que la multitude des nations entrât dans lEglise, et quensuite tout Israël fût sauvé. Aussi lApôtre, abordant ces secrètes profondeurs, ce redoutable silence, sécrie, comme frappé dhorreur à la vue de ces mystères : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! combien sont impénétrables ses jugements; et ses voies incompréhensibles! qui connaît les desseins de Dieu, et qui est entré dans ses conseils (Rom. XI, 33, 34 )? » LApôtre nous fait donc moins connaître ce profond silence, quil ne le recommande à notre admiration. Cest à la faveur de ce silence, que le Seigneur, dérobant le mystère sacré de sa passion, a fait entrer dans les vues de sa providence miséricordieuse, la ruine volontaire du frère, le crime détestable du traître, afin que la mort dun seul homme, que se proposait le perfide Judas, devînt, par la sagesse ineffable du Sauveur, le salut de tous les hommes. Ce psaume est donc le chant dune âme parfaite et déjà digne de connaître le secret de Dieu. Elle chante: « Pour les paroles de Chusi », paroles de ce silence quelle a mérité de connaître. Cest en effet un silence et un secret pour les infidèles et les persécuteurs du Christ; pour ceux au contraire à qui Jésus-Christ a. dit : « Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son maître; mais je vous appellerai mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que jai appris de mon Père (Jean, XV, 15 ) », pour (147) ces amis du Christ il ny a plus de silence, mais les paroles du silence, ou la raison de ce mystère du Christ que Dieu leur a donné de pénétrer et de connaître. Ce silence, ou Chusi, est appelé fils de Gémini ou de la droite. Car il ne fallait pas dérober aux saints ce quil a fait pour eux, et pourtant « notre gauche», est-il dit, «ne doit point savoir ce que fait notre droite (Matt. VI, 3 ) ». Lâme parfaite, qui a compris ce secret, chante alors cette prophétie: « Pour les paroles de Chusi », ou pour la découverte de ce mystère, que Dieu, qui est la droite, lui a fait connaître par une faveur spéciale: de là vient que ce silence est appelé fils de la droite, ou Chusi, fils de Gémini. 2. « Seigneur, mon Dieu, mon espoir est en vous, sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi (Ps. VII, 2 ) ». Toute guerre, toute hostilité contre les vices est surmontée, et lâme parfaite nayant plus à combattre que la jalousie du démon, sécrie : «Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi, de peur que comme un lion, il ne ravisse mon âme (Ibid. 3 ) ». Car saint Pierre nous dit que « le démon notre ennemi, rôde autour de nous, comme un lion rugissant, cherchant quelquun à dévorer (I Pierre, V, 8 ) ». Aussi le Prophète, après avoir dit au pluriel ! «Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent », reprend ensuite le singulier, en disant : « De peur quil ne ravisse mon âme, comme un lion », non pas: « Quils ne ravissent», car il nignore pas lennemi qui reste à vaincre, le redoutable adversaire de toute âme parfaite. Et que je ne trouve ni rédempteur, ni sauveur »; cest-à-dire, de peur quil ne ravisse mon âme, tandis que vous ne la rachetez et ne la sauvez point; puisquil nous ravit, si Dieu ne nous rachète et nous sauve. 3. Ce qui nous montre que ce langage est celui de lâme parfaite, qui na plus à redouter que les piéges si artificieux du démon, cest le verset suivant: « Seigneur mon Dieu, si jai fait cela (Ps VII, 4 )». Quest-ce à dire: e Cela? s Sil ne nomme aucun péché, les voudrait-il désigner tous? Si nous rejetons une telle interprétation, rattachons alors cette expression à ce qui suit; et comme si nous demandions au Prophète ce quil entend par « cela, istud », il nous répondra: « Si liniquité est dans mes mains ». Mais il nous montre quil entend parler de tout péché, puisquil dit: « Si jai rendu le mal pour le mal (Ps. VII, 5 ) », parole qui nest vraie que dans la bouche des parfaits. Le Seigneur nous dit en effet : « Soyez parfaits, comme votre Père du ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, qui donne la pluie aux justes et aux criminels (Matt. V, 45, 48 ) ». Celui-là donc est parfait qui ne rend pas le mal pour le mal. Lâme parfaite prie donc « pour les paroles de Chusi, fils de Gérnini », ou pour la connaissance de ce profond secret, de ce silence que garda Jésus-Christ pour nous sauver, dans sa bonté miséricordieuse, en souffrant avec tant de patience les perfidies de celui qui le trahissait. Comme si le Sauveur lui découvrait les raisons de ce silence et lui disait : « Pour toi, qui étais impie et pécheur, et pour laver dans mon sang tes iniquités, jai mis le plus grand silence, et une longanimité invincible à souffrir près de moi un traître; napprendras-tu pas, à mon exemple, à ne point rendre le mal pour le mal? » Cette âme, considérant et comprenant ce que le Sauveur a fait pour elle, et sanimant par son exemple à marcher vers la perfection, dit à Dieu : « Si jai rendu le mal pour le mal», si je nai point suivi dans mes actes vos saintes leçons, « que je tombe sans gloire sous les efforts de mes ennemis ». Il a raison de ne pas dire: « Si jai tiré vengeance du mal quils me faisaient », mais bien, «quils me rendaient», puisquon ne peut rendre que quand on a reçu quelque chose. Or, il y a plus de patience à épargner celui qui nous rend le mal pour les bienfaits quil a reçus de nous, que sil voulait nous nuire, sans nous être aucunement redevable. « Si donc jai tiré vengeance du mal quils me rendaient»; cest-à-dire, si je ne vous ai point imité dans ce silence, ou plutôt dans cette patience dont vous avez usé à mon égard, que je tombe sans gloire sous les efforts de mes ennemi ». Il y a une vaine jactance chez lhomme qui, tout homme quil est, veut se venger dun autre. Il cherche à vaincre un adversaire, et lui-même est à lintérieur vaincu par le démon; la joie quil ressent davoir été comme invincible, lui enlève tout mérite. Le Prophète sait donc bien ce qui rend la victoire plus glorieuse, et ce que nous rendra notre Père qui voit dans le secret (Id. VI, 6 ) . Pour ne pas tirer vengeance de ceux (147) qui lui rendent le mal, il cherche à vaincre sa colère, et non son ennemi : instruit quil est de ces paroles de lEcriture : « il y a plus de gloire à vaincre sa colère, quà prendre une ville (Prov. XVI, 32, suiv. les LXX.) ». Si donc «jai tiré vengeance de ceux qui me rendaient le mal, que je tombe sans gloire sous la main de mes ennemis (Ps. VII, 5 )». Il paraît en venir à limprécation, qui est le plus grave des serments pour tout homme qui sécrie : « Mort à moi si je suis coupable ». Mais autre est limprécation dans la bouche dun homme qui fait serment, et autre, dans le sens dun prophète, qui annonce les malheurs dont sera infailliblement frappé lhomme qui tire vengeance du mai quon lui rend, mais ne les appelle ni sur lui, ni sur dautres par ses imprécations. 4. « Que mon ennemi poursuive mon âme, et quil latteigne Id. 6 ) ». Il parle une seconde fois de son ennemi au singulier, et nous montre de plus en plus celui quil représentait but à lheure sous laspect dun lion; cet ennemi qui poursuit lâme et sen rend maître, sil parvient à la séduire. Les hommes peuvent sévir jusquà tuer le corps, mais cette mort extérieure ne leur assujettit point notre âme, au lieu que le diable possède les âmes quil atteint dans ses poursuites. « Quil foule ma vie sur la terre », cest-à-dire quil fasse de ma vie une boue qui lui serve de pâture. Car cet ennemi nest pas seulement appelé lion, mais encore serpent; et Dieu lui a dit : «Tu mangeras la terre», quand il disait à lhomme pécheur : « Tu es terre et tu re« tourneras dans la terre (Gen. III, 14, 19 ) ». « Quil traîne ma gloire dans la poussière » ; dans cette poussière que le vent soulève de la surface de la terre (Ps. I, 4 ) : car la vaine et puérile jactance de lorgueilleux, nest quune enflure et na rien de solide; cest un nuage de poussière chassé par le vent. Le Prophète veut avec raison une gloire plus solide qui ne se réduise pas en poussière, nous qui subsiste dans la conscience et devant Dieu, qui ne souffre point la jactance. « Que celui qui se glorifie», est-il dit, « ne le fasse que dans le Seigneur (I Cor. I, 31 ) ». Cette stabilité se réduit en poussière quand lhomme, dédaignant le secret de la conscience, où Dieu seul nous approuve, cherche les applaudissements des hommes. De là cette autre parole de lEcriture : « Dieu brisera les os de ceux qui veulent plaire aux hommes (Ps. LII, 6 ) ». Mais celui qui connaît pour lavoir appris ou éprouvé, dans quel ordre il fait surmonter nos vices, sait bien que celui de la vaine gloire est le seul, ou du moins le plus à craindre pour les parfaits. Cest le premier ou lâme soit tombée, cest le dernier quelle peut vaincre. « Car le commencement de tout péché, cest lorgueil », et « le commencement de lorgueil chez lhomme, cest de se séparer de Dieu (Eccli. X, 14, 15 ) 5. « Levez-vous, Seigneur, dans votre colère (Ps. VII, 7 )». Comment cet homme que nous disions parfait, vient-il exciter Dieu à la colère? et la perfection ne serait-elle pas plutôt en celui qui dit : « Seigneur, ne leur imputez point ce crime (Act. VII, 59 )?» Mais est-ce bien sur les hommes que tombe cette imprécation du Prophète, et ne serait-ce point contre le diable et contre ses anges qui ont en leur possession le pécheur et limpie ? Cest donc par un sentiment de pitié et non de colère, que lon demande au Dieu qui justifie limpie (Rom. IV, 5 ) darracher cette proie au démon. Car justifier limpie cest le taire passer de limpiété à la justice, et changer cet héritage du démon en temple de Dieu. Et comme cest châtier quelquun, que lui arracher une proie quil veut garder en son pouvoir, le Prophète appelle colère de Dieu, ce châtiment quil exerce contre le démon, eu lui arrachant ceux quil possède. « Levez-vous donc, Seigneur, dans votre colère ». « Levez-vous», montrez-vous, dit-il, expression figurée, mais ordinaire dans le langage humain, comme si Dieu dormait quand il nous dérobe ses desseins. « Signalez votre puissance dans les régions de mes ennemis».Le Prophète appelle région, ce qui est sous la puissance du démon, et il veut que Dieu y règne, cest-à-dire quil y soit honoré et glorifié plutôt que noire ennemi, par la justification de limpie, et ses chants de triomphe. « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, selon la « loi que vous avez portée (Ps. VII, 7 ) », cest-à-dire, montrez-vous humble, puisque vous recommandez lhumilité; accomplissez vous-même avant nous votre précepte, afin que votre exemple détruise lorgueil, et que nous ne soyons pas au pouvoir du démon qui souffla lorgueil contre vos préceptes, en disant: « Mangez, et vos yeux souvriront, et vous serez comme des dieux (Gen. III, 5 )». (148) 6. « Et lassemblée des peuples vous environnera (Ps. VII, 8 ) ». Cette assemblée des peuples peut sentendre des peuples qui ont cru, ou des peuples persécuteurs, car lhumilité de notre Sauveur a obtenu ce double effet: les persécuteurs lont environné parce quils méprisaient cette humilité, et cest deux quil est dit : « A quoi bon ces frémissements des nations, et ces vains complots chez les peuples (Id. II, 1 )? » Ceux qui ont cru en vertu de cette humilité, lont environné, et ont fait dire avec, beaucoup de vérité, « quune partie des Juifs sont tombés dans laveuglement, afin que la multitude des nations entrât dans lEglise (Rom. XI, 25 )». Et ailleurs: « Demande-moi, et je te «donnerai les nations en héritage, et jusquaux confins de la terre pour ta possession (Ps. II, 8 )». « Et en sa faveur, remontez en haut», cest-à-dire, en faveur de cette multitude; et nous savons que le Seigneur la fait par sa résurrection et son ascension. Ayant obtenu cette gloire, il a donné le Saint-Esprit qui ne pouvait descendre avant que Jésus fût glorifié, selon cette parole de lEvangile: « Le Saint-Esprit nétait point encore descendu, parce que Jésus nétait pas encore entré dans sa gloire (Rom. XI, 25 ) ». Donc après sêtre élevé au ciel en faveur de la multitude des peuples, il envoya lEsprit-Saint, dont les prédicateurs de lEvangile étaient remplis , quand, à leur tour, ils remplissaient déglises lunivers entier. 7. Ces paroles : « Levez-vous, Seigneur, dans votre colère, planez au-dessus des régions de mes ennemis (Ps. VII, 7 ) », peuvent encore sentendre ainsi : Levez-vous dans votre colère, et que mes ennemis ne vous comprennent point, alors « exaltare, soyez au-dessus», signifierait : Elevez-vous à une telle hauteur que vous soyez incompréhensible ; ce qui a rapport au silence de tout à lheure. Un autre psaume a dit à propos de cette élévation : « Il est monté au-dessus des Chérubins, et il a « pris son vol et sest dérobé dans les ténèbres (Id. XVII, 11, 12 ) ». Cette élévation vous cachait à ceux que leurs crimes empêchaient de vous connaître, et qui vous ont crucifié; et voilà que lassemblée des fidèles vous environnera. Cest à son humilité que le Seigneur doit dêtre élevé; cest-à-dire incompris. Tel serait le sens de: « Elevez-vous selon la loi que vous avez portée (Ps. VII, 7 ) », cest-à-dire, dans votre humiliation apparente soyez tellement élevé que mes ennemis ne vous comprennent point. Car les pécheurs sont les ennemis du juste, et les impies de lhomme pieux. « Et les peuples vous environneront en foule (Id. 8 )» ; car ce qui porte à vous crucifier ceux qui ne vous connaissent pas, fera que les nations croiront en vous, et ainsi les peuples vous adoreront en foule. Mais si tel est vraiment le sens du verset suivant, il faut plutôt nous attrister à cause de leffet que nous en ressentons dès ici-bas, que nous réjouir de lavoir compris. Il porte, eu effet: « Et à cause delle remontez en haut (Ibid. )»; cest-à-dire, à cause de ces hommes dont la foule encombre vos églises, remontez bien haut, ou cessez dêtre connu. Quest-ce à dire : « A cause de cette foule? » sinon, parce quelle doit, vous offenser, et ainsi justifier cette, parole : « Pensez-vous que le Fils de lhomme, revenant sur la terre, y trouvera de la foi (Luc, XVIII, 8 ) ? » Il est dit encore, à propos des faux prophètes ou des hérétiques : « A cause de leur iniquité, la charité se refroidira chez un grand nombre ( Matt. XXIV, 12 ) ». Or, quand au sein de lEglise, ou dans la société des peuples et des nations que le nom du Christ a si complètement envahis, le crime débordera avec cette fureur que nous lui voyons en grande partie déjà, nest-ce point alors que se fera sentir la disette de la parole, annoncée par un autre prophète (Amos, VIII, 11 )? Nest-ce point à cause de cette congrégation qui, à force de crimes, éloigné de ses yeux la lumière de la vérité, que Dieu remonte en haut, de manière que la vraie foi, pure de tout alliage dopinions perverses, ne se trouve plus nulle part, sinon dans le petit nombre dont il est dit : « bienheureux celui qui aura persévéré jusquà la fin, celui-là sera sauvé (Matt. X, 22 ) ? ». Cest donc à bon droit quil est dit: « Et à cause de cette assemblée, remontez en haut ». Retirez-vous dans vos secrètes profondeurs, justement à cause de cette assemblée des peuples qui portent votre nom, sans accomplir vos oeuvres. 8. Que lon adopte la première explication, ou cette dernière, ou toute autre de valeur égale, et mémé supérieure, le Prophète na pas moins raison de dire que «le Seigneur juge les peuplés (Ps. VII, 9 ) ». Si non entend par sélever en haut, quil est ressuscité pour monter (149) au ciel, on peut dire fort bien que « le Seigneur juge les peuples », puisquil en descendra pour juger les vivants et les morts. Sil remonte dans les hauteurs, parce que le péché fait perdre aux fidèles lintelligence de la vérité, comme il est dit à propos de son avènement : « Pensez-vous que le Fils de lhomme venant en ce monde y trouvera de la foi (Luc, XVIII, 8 )? » « Le Seigneur juge encore les peuples ». Mais quel Seigneur, sinon Jésus-Christ? « Car le Père ne juge personne ; il a donné au Fils le pouvoir de juger (Jean, V, 22 ) ». Voyez alors comme cette âme si parfaite en sa prière, sémeut peu du jour du jugement, et avec quelle sécurité de désir elle dit à Dieu dans sa ferveur: «Que votre règne arrive (Matt. VI, 10 », puis: « Jugez-moi, Seigneur, selon votre justice (Ps. VII, 9) ». Dans le psaume précédent, cétait un infirme qui priait, sollicitant le secours de Dieu bien plus quil ne faisait valoir ses propres mérites, car le Fils de Dieu est venu pour appeler à la pénitence tous les pécheurs (Luc, V ; 32 ). Aussi disait-il : « Sauvez-moi, Seigneur, à cause de votre miséricorde (Ps. VII, 5 ) », et non à cause de mes mérites. Maintenant que docile à lappel de Dieu, il a gardé les préceptes quil a reçus, il ose bien dire : « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice, et selon mon innocence den haut (Id. VII, 9). » La véritable innocence est de ne pas nuire, même à ses ennemis. Il peut donc demander à être jugé selon son innocence, celui qui a pu dire en toute vérité « Si jai tiré vengeance de celui qui me rendait le mal (Id. 5 ) ». Cette expression « den haut, super me », doit sappliquer à sa justice aussi bien quà son innocence, et alors il dirait : « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice et selon mon innocence, justice et innocence den haut »; expression qui nous montre que lâme na point en elle-même la justice et linnocence, et quelle les reçoit de la lumière dont il plaît à Dieu de nous éclairer. Aussi dit-elle dans un autre psaume: « Cest vous, Seigneur, qui faites briller mon flambeau (Ps. XVII, 29 ) ». Et il est dit de Jean: « Quil nétait point la lumière, mais quil rendait témoignage à la lumière (II Jean, I, 8 ) , quil était une torche enflammée et brillante (Id. V, 35 ) ».Cette lumière donc, à laquelle nos âmes silluminent comme des flambeaux, ne brille point dun éclat demprunt, mais dun éclat qui lui est propre et qui est la vérité. « Jugez-moi donc », est-il dit, « selon ma justice et selon mon innocence den haut », comme si la torche allumée et brillante disait : Jugez-moi selon cette splendeur den haut, cest-à-dire qui nest point moi-même, et dont je brille néanmoins, quand vous mavez allumée. 9. « Que la malice des pécheurs se consomme (Ps. VII, 10 ) ». Cette consommation est ici le comble, daprès cette parole de lApocalypse: « Que celui qui est juste le devienne plus encore, et que lhomme souillé se souille davantage (Apoc. XXII, 11 ) ». Liniquité paraît consommée dans ceux qui crucifièrent le Fils de Dieu, mais elle est plus grande chez ceux qui refusent de vivre saintement, qui haïssent les lois de la vérité, pour lesquelles a été crucifié ce même Fils de Dieu. Que la malice donc des pécheurs se consomme, dit le Prophète, quelle sélève jusquà son comble et quelle appelle ainsi votre juste jugement. Toutefois, non seulement il est dit Que lhomme souillé se souille encore; mais il est dit aussi: Que le juste devienne plus juste; cest pourquoi le Prophète poursuit en disant: « Et vous dirigerez le juste, ô Dieu qui sondez les curs et les reins (Ps. VII, 10 ) ». Mais comment le juste peut. il être dirigé, sinon dune manière occulte? puisque les mêmes actions que les hommes admiraient dans les premiers temps du christianisme, quand les puissances du siècle mettaient les saints sous le pressoir de la persécution, ces actions, aujourdhui que le nom chrétien est arrivé à lapogée de sa gloire, servent à développer lhypocrisie ou la dissimulation chez des hommes qui sont chrétiens de nom, pour plaire aux hommes plutôt quà Dieu? Dans cette confusion de pratiques hypocrites , comment le juste peut-il être dirigé, sinon par le Dieu qui sonde les reins et les coeurs, qui voit nos pensées, désignées ici sous lexpression de coeur, et nos plaisirs, que désignent les reins? Le Prophète a raison dattribuer à nos reins le plaisir que nous font éprouver les biens temporels; cest en effet la partie inférieure de lhomme, et comme le siège de cette voluptueuse et charnelle génération, qui perpétue la race humaine, et nous donne cette vie calamiteuse dont les joies sont mensongères. Donc, ce Dieu qui sonde les coeurs et voit quils sont (150) où est notre trésor (Matt. VI, 21 ), qui sonde les reins, et voit que loin de nous arrêter au sang et à la chair (Gal. I, 16 ), nous mettons nos délices dans le Seigneur, ce même Dieu dirige le juste dans cette conscience même, où il est présent, où loeil de lhomme ne pénètre point, mais seulement loeil de celui qui connaît lobjet de nos pensées et de nos plaisirs. Car le but de nos soucis est le plaisir, et nul dans ses soins et dans ses pensées ne se propose que dy parvenir. Dieu qui sonde les coeurs voit nos soucis, et il en voit le but ou le plaisir, lui qui sonde aussi nos reins; et quand il verra que nos soucis, loin de sarrêter à la convoitise de la chair, à la convoitise des yeux, ou à lambition mondaine, choses qui passent comme lombre (I Jean, II, 16, 17 ), sélèvent jusquaux joies éternelles que ne trouble aucune vicissitude, ce Dieu qui sonde les reins et les coeurs conduit le juste par la voie droite, Telle oeuvre que nous faisons, peut être connue des hommes, si elle consiste en paroles ou en actes extérieurs ; mais notre intention en la faisant, et le but qui nous pousse à la faire, ne sont connus que de Dieu qui sonde les reins et les coeurs. 10. « Jattends un juste secours du Seigneur, qui sauve les hommes au cur droit (Ps. VII, 11 ) ». La médecine a une double tâche, dabord de guérir la maladie, ensuite de conserver la santé. Cest dans le premier but quun malade disait dans le psaume précédent: « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible (Id. VI, 3 ) ». En vue du second but, nous trouvons dans le psaume qui nous occupe: « Si liniquité souille mes mains, que je tombe justement sous les efforts de mes ennemis (Id. VII, 4, 5) ». Dans le premier cas, le malade implore sa guérison, et dans le second, lhomme en santé demande à nêtre point malade. Lun sécrie donc: « Sauvez-moi dans votre miséricorde (Id. VII, 5 ) »; et lautre : « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice ». Le premier demande le remède qui le guérira, le second le préservatif contre la maladie. Aussi le premier dit-il : Sauvez-moi, Seigneur, dans votre miséricorde, et le second : Jattends un secours juste du Seigneur, qui sauve lhomme au cur droit. Dans lun comme dans lautre cas, cest la miséricorde qui nous sauve : dans le premier, en nous faisant passer de la maladie à la santé; dans le second, en nous maintenant en santé. Il y a dans le premier un secours de miséricorde, puisquil ny a nul mérite chez le pécheur qui désire seulement être justifié par la foi en celui qui justifie limpie (Rom. IV, 5 ) : dans le second, un secours de justice, car il est accordé à celui qui est déjà justifié. Que ce pécheur alors qui disait : Je suis infirme, dise maintenant : Sauvez-moi, Seigneur, dans votre miséricorde; et que le juste qui pouvait dire : Si jai tiré vengeance de ceux qui me rendaient le mal, dise maintenant : Jattends un juste jugement du Seigneur qui sauve lhomme au coeur droit. Car si Dieu nous donne le remède qui guérit notre maladie, combien plus nous donnera-t-il le moyen de conserver la santé? Car si Jésus-Christ est mort pour nous quand nous étions pécheurs, maintenant que nous sommes justifiés, nous serons, à plus forte raison, délivrés par lui de la colère du Seigneur (Id. V, 8, 9 ). 11. « Jattends un juste secours du Seigneur, « qui sauve lhomme au coeur droits. Le Dieu qui sonde les reins et les coeurs, donne aussi la droiture au juste; et par un juste secours il sauve ceux qui ont le coeur droit. Toutefois, il ne donne pas le salut à ceux qui ont la droiture dans le coeur et dans les reins, de la même manière quil sonde les reins et les coeurs. Dans le coeur, en effet, siègent les pensées: mauvaises, quand il est dépravé; bonnes, quand il est droit; mais aux reins appartiennent les plaisirs condamnables qui ont quelque chose de bas et de terrestre, tandis quun plaisir pur nest plus dans les reins, mais dans le coeur. Aussi ne peut-on pas dire: La droiture des reins, comme on dit : La droiture du coeur; car où est la pensée, là aussi est la jouissance : cette droiture ne peut avoir lieu que si nous pensons aux choses divines et éternelles. Aussi le Prophète sécriait-il: «Vous avez mis la joie dans mon coeurs, après avoir dit: « La lumière de votre face est empreinte sur nous (Ps. IV, 7 ) ». Ce nest point le coeur, en effet, mais bien les reins qui trouvent une certaine jouissance dans cette joie folle et délirante que nous causent de vaines imaginations, quand les fantômes des choses temporelles, que se forme notre esprit, le bercent dun espoir vain et passager; tous ces fantômes nous viennent den bas, ou des choses terrestres et charnelles. De là vient que Dieu, (151) sondant les coeurs et les reins, et voyant le coeur occupé de pensées droites, les reins sevrés de toute volupté, donne un juste secours à ce coeur droit qui sait allier à des pensées pures dirréprochables délices. Aussi, après avoir dit dans un autre psaume : « Jusque dans la nuit mes reins mont tourment », le Prophète parlait du secours divin, et sécriait : « Javais toujours le Seigneur présent devant moi, parce quil est à ma droite, et je ne serai point ébranlé (Ps. XV, 7, 8 ) », marquant ainsi que ses reins lui ont seulement suggéré, mais non causé la volupté, qui leût ébranlé, sil lavait ressentie. Il dit donc: « Le Seigneur est à ma droite, et je ne serai point ébranlé »; puis il ajoute: « Aussi mon coeur a-t-il tressailli de joie ( Id. 9) ». Les reins ont bien pu le tourmenter, mais non lui donner la joie. Ce nest donc point dans les reins quil a senti la joie, mais dans ce coeur qui lui a montré que Dieu le soutiendrait contre les suggestions de ses reins. 12. « Dieu est un juge équitable, il est fort et patient (Id. VII, 12 ) ». Quel est ce Dieu juge, sinon le Seigneur qui juge les peuples? Il est juste, car il rendra à chacun selon ses uvres (Matt. XVI, 27 ) ; il est fort, puisque nonobstant sa toute-puissance, il a enduré pour notre salut les persécutions des méchants; il est patient, puisquil na point livré ses bourreaux au supplice, aussitôt après sa résurrection, mais il a différé afin quils pussent détester cette impiété, et se sauver; il diffère encore aujourdhui, réservant le supplice éternel pour le dernier jugement, et chaque jour appelant les pécheurs au repentir. « Il nappelle point chaque jour sa colère ». Cette expression : « Appeler sa colère », est plus significative que se mettre en colère, et nous la trouvons dans la version grecque (Me orge epogon) ; elle nous montre que cette colère, qui le porte au châtiment, nest point en lui-même, mais dans les sentiments de ses ministres qui obéissent aux lois de la vérité: ce sont eux qui ordonnent aux ministres inférieurs, appelés anges de colère, de châtier le péché. Ceux-ci, à leur tour, éprouvent, en châtiant les hommes, la satisfaction, non de la justice, mais de la méchanceté. « Dieu donc nappelle point chaque jour sa colère » ; cest-à-dire, ne convoque point chaque jour les ministres de ses vengeances. Maintenant, sa patience nous invite au repentir; mais au dernier jour, quand les hommes, par leur dureté et limpénitence de leur coeur, se seront amassé un « trésor de colère pour le jour où se révélera la colère et le juste jugement de Dieu ( Rom. II, 5 ) », alors il brandira son glaive. 13. « Si vous ne retournez à lui »,dit le Prophète, « il brandira son glaive (Ps. VII, 13 ) ». On peut dire de Jésus-Christ, quil est le glaive de Dieu, glaive à deux tranchants, framée quil na point brandie à son premier avènement, mais quil a tenue cachée dans le fourreau de son humilité ; mais au second avènement, quand il viendra juger les vivants et les morts, les éclairs de cette framée brilleront de tout léclat de sa splendeur, pour illuminer les justes, et jeter les impies dans leffroi. Dautres versions, au lieu de : « Brandira son glaive », portent: « Fera briller sa framée »: expression qui sapplique fort bien, selon moi, à cette splendeur de Jésus-Christ, au dernier avènement ; car en parlant au nom de Jésus-Christ même, le psalmiste a dit ailleurs: « Seigneur, délivrez mon âme des mains de limpie, et votre glaive des ennemis de votre puissance ( Id. XVI, 13, 14 ) ». « Il a tendu son arc et la préparé ». Il ne faut point négliger ce changement de temps dans les verbes: il est dit au futur que Dieu brandira son épée»; et au passé, quil a tendu son arc », et le discours continue au passé. 14. « Il a mis en lui linstrument de la mort : il a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents (Id. VII, 14 ) ». Dans cet arc, je verrais volontiers les saintes Ecritures, où la force du Nouveau Testament, pareille à un nerf, a fait fléchir et a dompté la raideur de lAncien. Cet arc a lancé comme des flèches; les Apôtres ou les saints prédicateurs. Ces flèches que Dieu a fabriquées avec le charbon ardent, embrasent de lamour divin ceux, quelles ont frappés. De quelle autre flèche serait blessée lâme qui chante ainsi : « Conduisez-moi dans les lieux où se garde le vin, établissez-moi dans les parfums, environnez-moi de miel, parce que lamour ma blessée (Cant. II, 4, suiv. les LXX.)?» De quelle autre flèche peut être embrasé celui qui veut revenir à Dieu, qui quitte le chemin de lexil, qui implore du secours, contre les langues menteuses, et sentend dire: « Que vous donner? comment vous secourir (152) contre les langues menteuses? les flèches du vainqueur sont aiguës; ce sont des charbons ardents (Ps. CXIX, 3,4 ) ? » cest-à-dire, si vous en étiez atteint, vous brûleriez dun tel amour du royaume de Dieu, que vous dédaigneriez tous ceux. qui vous résisteraient , et qui tâcheraient de vous détourner de votre dessein : vous vous ririez de leurs persécutions et vous diriez: « Qui me séparera de lamour de Jésus-Christ? Laffliction, les angoisses, la faim, la nudité, les périls, la persécution ou le glaive? Jai la certitude », poursuit lApôtre, « que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni les vertus, ni ce quil y a de plus haut, ni ce quil y a de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de lamour de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rom. VIII, 35-39 ). » Cest ainsi quil a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents. Car la version grecque porte : « Ses flèches sont fabriquées au moyen de charbons ardents », quand, presque toujours, nous lisons dans la version latine. « Ses flèches sont ardentes » ; mais que les flèches brûlent , ou quelles allument le feu, ce qui leur serait impossible si elles nétaient brûlantes, le sens est le même. 15. Le Prophète ne parle pas seulement de flèches que le Seigneur a préparées pour son arc, mais encore dinstruments de mort et lon peut se demander, si des instruments de mort ne désigneraient point les hérétiques, car, eux aussi, sélancent du même arc du Seigneur, ou des saintes Ecritures, non pour enflammer les âmes, de la charité, mais pour les tuer de leurs poisons ce qui narrive quà celles qui lont mérité par leurs crimes : et cette décision est encore loeuvre de la divine Providence, non quelle porte les hommes au péché, mais parce quelle dispose des pécheurs dans lordre de sa sagesse. Le péché leur fait lire les Ecritures avec mauvaise intention, et le sens dépravé quils sont forcés dy donner, devient le châtiment du péché, et leur mort funeste devient comme un aiguillon, qui stimule les enfants de lEglise catholique, les tire de lassoupissement et leur fait comprendre les saintes Ecritures. « Il faut, en effet, quil y ait des hérésies », dit lApôtre,. « afin quon reconnaisse ceux dentre vous , dont la vertu est éprouvée (I Cor. XI, 19 ) »; cest-à-dire, afin quon les reconnaisse parmi les hommes, car ils sont connus de Dieu. Ces flèches, ces instruments-de mort, ne seraient-ils point préparés pour lextermination des infidèles, et Dieu ne les aurait-il pas faites brûlantes, ou avec des charbons ardents, afin dembraser les fidèles? Car elle nest point mensongère, cette parole de lApôtre.: « Aux uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, et aux autres une s odeur de mort pour la mort; et qui est propre à ce ministère (II Cor. II, 16 )? » Il nest donc pas étonnant que les mêmes Apôtres soient des instruments de mort pour ceux qui les ont persécutés, et des flèches de feu pour embraser les coeurs de ceux qui ont cru. 16. Après en avoir agi de la sorte, Dieu fera voir léquité de ce jugement, dont le Prophète nous parle de manière à nous faire comprendre que le supplice de chacun sera dans son péché, et le châtiment dans son injustice même; et à nous prémunir contre cette pensée quil y aurait dans ce calme profond de Dieu, dans sa lumière ineffable, un désir de punir les crimes : toutefois il les dispose avec tant de sagesse, que cette joie même que goûtait lhomme dans son péché, devient un instrument de vengeance pour le Seigneur qui châtie. Voilà, dit le Prophète, « quil a enfanté linjustice (Ps. VII, 15 )». Mais quavait-il conçu pour enfanter ainsi linjustice? « Il avait conçu le travail (Gen. III, 17 ) », ce travail dont il est écrit: « Tu mangeras ton pain dans le labeur »; et ailleurs : « Venez à moi, vous tous qui travaillez, et qui êtes chargés; mon joug est doux, et mon fardeau léger (Matt. XI, 28, 30 )». Car le labeur pénible ne finira point pour lhomme, tant quil naimera point ce quon ne pourra lui enlever malgré lui. En effet, tant que nous aimons ce qui peut nous échapper malgré notre volonté, nous subirons le travail et la peine: étroitement resserrés dans les difficultés de cette vie où chacun, pour posséder ces biens, sefforce tantôt den prévenir un autre, tantôt de les extorquer au possesseur, nous ne pouvons les acquérir que par dinjustes combinaisons. Il est donc bien, il est parfaitement dans lordre que lhomme enfante linjustice après avoir conçu le travail. Que peut-il enfanter, sinon ce quil a porté dans son sein, bien quil nenfante (153) pas ce quil a conçu? Car le sujet à la naissance nest plus celui de la conception : concevoir se dit dun germe, mais cest lêtre que ce germe a formé, qui arrive à la naissance. Le travail est donc le germe de liniquité; et concevoir le travail, cest concevoir le péché, ce premier péché qui nous sépare de Dieu (Eccli. X, 14 ). Il a donc porté linjustice, celui qui avait conçu le travail, et « il a mis au monde liniquité ». Et comme liniquité cest linjustice, il a fait éclore ce quil avait porté. Que dit-il ensuite? 17. « Il a ouvert une fosse, il la creusée (Ps. VII, 16 )». Ouvrir une fosse dans les affaires terrestres, aussi bien que dans la terre, cest préparer un piége où puisse tomber celui que veut tromper lhomme injuste. Le pécheur ouvre cette fosse, quand il ouvre son âme aux suggestions des terrestres convoitises; il la creuse, quand il y donne son adhésion et soccupe dourdir la fraude. Mais comment serait-il possible que liniquité blessât lhomme juste quelle attaque, avant davoir blessé le coeur injuste qui la commet? Un voleur, par exemple, reçoit de lavarice une blessure, quand il cherche à endommager le bien dautrui. Qui serait assez aveugle pour ne pas voir la distance qui sépare ces deux hommes, dont lun subit la perte de son argent, lautre de son innocence? « Ce dernier donc tombera dans la fosse quil aura creusée » ; comme le psalmiste la dit encore ailleurs : « Le Seigneur se fait connaître dans ses jugements, et le pécheur sest pris lui-même dans les oeuvres de ses mains (Id. IX, 17 ) ». 18. « Son travail pèsera sur lui, et son iniquité retombera sur sa tête (Jean, XVIII, 34 ) ». Cest lui qui na pas voulu fuir le péché; mais il sen est rendu volontairement lesclave, selon cette parole du Seigneur: « Tout pécheur devient lesclave du péché ». Son péché donc sera sur lui, puisque lui-même sest soumis au péché; dès lors quil na pu dire à Dieu, comme toute âme droite et innocente: « Cest vous qui êtes ma gloire et qui élevez ma tête (Ps. III, 4 ) », cest donc lui qui sera abaissé, de manière que liniquité le dominera et descendra sur lui : elle sera pour lui un poids très-lourd, et lempêchera de prendre son essor vers le repos des saints. Voilà ce qui arrive chez le pécheur, quand lâme est esclave, et que les passions dominent. 19. « Je confesserai le Seigneur selon sa justice (Ps. III, 18 ) ». Cette confession nest point laveu des pécheurs; car celui qui parle ainsi disait plus haut avec beaucoup de vérité: « Si vous trouvez liniquité dans mes mains (Id. VII, 18 ) ». Cest donc un témoignage rendu à la justice de Dieu; comme sil disait : Vraiment, Seigneur, vous êtes juste, et quand vous protégez les bons de manière à les éclairer par vous-même, et quand, par votre sagesse, le pécheur trouve son châtiment dans sa propre malice, et non dans votre volonté. Cette confession élève la gloire du Seigneur bien au-dessus des blasphèmes des impies, qui veulent des excuses pour leurs crimes, et refusent de les attribuer à leur faute, cest-à-dire quils ne veulent point que la culpabilité soit coupable. Ils accusent de leurs péchés, ou la fortune ou le destin, ou le démon auquel notre Créateur a voulu que nous pussions résister, ou même une nature qui ne viendrait point de Dieu ; ils ségarent en de misérables fluctuations, plutôt que de mériter de Dieu leur pardon par un aveu sincère. Car il ny a de pardon possible que pour celui qui dit : Jai péché. Or, celui qui comprend que Dieu, dans sa sagesse, rend à chacune des âmes ce quelle a mérité, sans déroger aucunement à la beauté de lunivers, loue Dieu dans toutes ses oeuvres; et ce témoignage ne vient pas des pécheurs, mais des justes. Ce nest point avouer des fautes que de dire au Seigneur : « Je vous confesse, Seigneur du ciel et de la terre, parce que vous avez dérobé ces mystères aux savants, pour les révéler aux petits (Matt. XI, 25 )». De même, nous lisons dans lEcclésiastique : « Confessez le Seigneur dans toutes sas oeuvres. Et voici ce que vous direz dans vos confessions : Tous les ouvrages du Seigneur proclament sa sagesse (Eccli. XXIX, 19, 20 )». Donc, cette confession dont parle ici David, consiste à comprendre, avec le secours de Dieu et une piété sincère, comment le Seigneur, qui récompense les justes, et qui châtie les méchants, par ce double effet de sa justice, maintient toute créature quil a faite et quil gouverne, dans une admirable beauté, que peu dhommes comprennent. Il sécrie donc : « Je confesserai le Seigneur selon sa justice », comme le ferait celui qui a compris que le Seigneur na point fait les ténèbres, quoiquil en dispose avec sagesse. Dieu dit en effet : « Que la (154) lumière soit faite, et la lumière fut (Gen. I, 3) » ; mais il ne dit pas : Que les ténèbres soient, et les ténèbres furent faites ; et toutefois il les a réglées, puisquil est dit « quil sépara la lumière des ténèbres, quil donna le nom de jour à la lumière, et celui de nuit aux ténèbres (Id. 4, 5 ) ». Il y a donc cette différence quil fit lun et le régla; et quil ne fit pas lautre, bien quil la réglât néanmoins. Que les ténèbres figurent le péché, cest ce que nous apprend ce mot dun Prophète : « Et vos ténèbres seront pour vous le soleil (Isa. LVIII, 10 ) » ; et cette parole de saint Jean : « Celui-là est dans les ténèbres qui a de la haine contre son frère (I Jean, II, 11 ). » ; et surtout celle-ci de saint Paul: « Dépouillons-nous des oeuvres ténébreuses, pour revêtir les armes de la lumière (Rom. XIII, 12 ) ». Ce nest pas quil y ait une nature ténébreuse; car toute nature existe nécessairement comme nature. Mais exister, cest le propre de la lumière, tandis que ne pas exister, est le propre des ténèbres. Donc, abandonner celui qui nous a créés pour nous incliner vers ce néant doù nous avons été tirés, cest nous couvrir des ténèbres du péché; ce nest point périr tout à fait, mais descendre au dernier rang. Aussi, quand le Prophète a dit : « Je confesserai devant le Seigneur » a-t-il soin dajouter, pour ne point nous laisser croire à un aveu de ses fautes: « Et je chanterai le nom du Seigneur Très-Haut (Ps. VII, 18 ) ». Or, chanter est le propre de la joie, tandis que le repentir de nos fautes accuse la douleur. 20. On pourrait appliquer ce psaume à la personne de lHomme-Dieu, en rapportant à notre nature infirme, quil avait daigné revêtir, tout ce qui est dit à notre confusion.
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