ECRITURE SAINTE III
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TRADUCTEUR

EXPLICATIONS DE DIVERS PASSAGES DE L'ÉCRITURE SAINTE.

PARTIE III.

À MINERVIUS ET A ALEXANDRE.

 

Comme notre frère Sisinnius, qui m'a remis votre lettre, est sur son départ, je ne puis vous dissimuler que je suis obligé de vous écrire celle-ci fort à la hâte. Ce n'est point par vanité que je parle de la sorte, et je vous prie d'en être bien persuadés; mais c'est que l'amitié (lue j'ai pour vous ne me permet pas de vous rien cacher et m'oblige à vous parler à coeur ouvert. Sisinnius m'a apporté des lettres de plusieurs personnes de votre province qui me proposent diverses questions. J'espérais due depuis son arrivée jusqu'à l'Épiphanie j'aurais assez de temps pour y répondre. J'y avais employé une partie des nuits; toutes mes réponses étaient faites; il ne me restait plus qu'à vous satisfaire sur les questions que vous me proposez, et que je réservais pour les dernières comme les plus difficiles : je me préparais à y répondre, lorsque tout à coup Sisinnius est venu me dire qu'il était sur le point de partir. Je l'ai prié de différer son voyage; mais il m'a dit que le Nil n'ayant point débordé, la l'amine régnait dans toute l'Égypte, que plusieurs personnes étaient dans l'indigence et, que les monastères étaient réduits à une extrême misère. Ainsi j'ai cru que ce serait offenser Dieu que de le retenir plus longtemps.

Je vous envoie donc, tels duels, les matériaux que j'avais préparés, et je vous laisse le soin de leur donner par votre éloquence la forme et les ornements qui leur manquent. Vous avez toute la sagesse et toute l'érudition nécessaires pour cela, puisque vous avez renoncé à l'éloquence du barreau pour embrasser celle de Jésus-Christ. Ainsi je ne serai pas comme ce philosophe dont parle la fable, qui eut tant de peine à persuader un homme rustique et grossier : vous comprendrez aisément tout ce que j'ai à vous dire, et vous le préviendrez même, comme celui dont un auteur profane a dit : « A peine avais-je ouvert la bouche qu'il en savait autant que moi. » Puis donc que le temps ne me permet pas de vous expliquer moi-même cette difficulté, je vous envoie ce qu'en ont dit ceux qui nous ont laissé des commentaires sur l'Ecriture sainte. J'en ai traduit la plus grande partie mot à mot, tant pour m'épargner la peine d'examiner à fond cette. question que pour vous faire connaître quel est le sentiment des anciens, et vous laisser la liberté d'en juger vous-mêmes, non point selon mes vues, mais selon vos propres lumières.

Vous me demander comment on doit entendre ce passage de l'épître de saint Paul aux Corinthiens (1) : « Nous dormirons tous , mais nous ne serons pas tous changés; » et s'il s'en faut tenir à cette leçon, ou à celle que portent quelques exemplaires : « Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés ; » car ces deux différentes levons se trouvent dans les exemplaires grecs. Théodore d'Héraclée, appelé autrefois Perinthe, explique ainsi ce passage dans ses commentaires sur les épîtres de saint Paul. « Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés. » « En effet, Enoch et Élie, affranchis des lois de la mort, n'ont quitté la terre que pour être élevés au ciel avec leurs corps. Ainsi les saints qui seront encore en vie à la fin des siècles et au jour du jugement ne mourront point ; mais exempts des dures lois de la mort, ils seront emportés dans les nuées avec les autres saints qui ressusciteront, pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l'air, et pour vivre éternellement avec lui. C'est pour cela que l'Apôtre dit : « Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés; » car ceux qui seront ressuscités et emportés tout vivants dans les nuées deviendront incorruptibles, et passeront de la condition des mortels à une glorieuse immortalité, je ne dis point en peu de temps, mais en un instant, en un moment,en un clin d'oeil,au son de la dernière trompette. » Cette résurrection se fera si promptement, que ceux qui seront en vie lorsque la consommation de toutes choses arrivera ne pourront prévenir les morts qui sortiront de leurs tombeaux. C'est ce que saint Paul explique très clairement lorsqu'il dit :

 

(1) C'est-à-dire « Nous mourrons tous.» La vulgate porte «Nous ressusciterons tous. »

 

« Car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés ; car il faut que ce corps corruptible soit revêtu d'incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l’immortalité,» afin qu'il puisse être ou livré à des supplices éternels, ou couronné dans le ciel d'une gloire immortelle. »

Diodore, évêque de Tarse, laissant le passage que nous examinons, explique en peu de mots celui-ci : « Et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés. » « Si les morts, » dit-il, « doivent ressusciter en un état incorruptible, et par conséquent passer à une condition plus heureuse, qu'était-il besoin de dire : « Et alors nous serons changés? » Saint Paul a-t-il voulu nous donner à entendre par là que cet état d'incorruptibilité sera commun à tous les hommes, et qu'il n'y aura que les justes qui seront changés, non-seulement par l'incorruptibilité et l'immortalité dont ils seront revêtus, mais encore par la gloire dont le Seigneur doit les couronner? »

Apollinaire est de même sentiment que Théodore, quoiqu'il s'explique en des termes différents; car il prétend (lue quelques -uns ne mourront point, mais que leurs corps étant changés et revêtus de gloire, ils passeront tout d'un coup de cette vie à l'autre pour demeurer éternellement avec Jésus-Christ. C'est l'heureuse situation où nous croyons qu'Enoch et Élie sont aujourd'hui.

Didyme prend une route toute différente et suit le sentiment d'Origène; car il explique ainsi ces paroles de l'Apôtre: « Voici un mystère que je m'en vais vous dire: Nous dormirons tous, mais nous ne serons pas tous changés. » « Si la question de la résurrection des morts, »dit cet auteur,« était sans difficulté et n'avait pas besoin d'explication, l'apôtre saint Paul. après en avoir parlé fort au long, n'aurait pas a jouté: « Voici un mystère que je m'en vais vous dire : nous dormirons, »c'est-à-dire nous mourrons« tous, mais nous ne serons pas tous changés, » il n'y aura que les saints qui auront part à cet heureux changement. Je sais qu'il y a quelques exemplaires qui portent : « Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés; » mais il faut examiner si ces paroles due nous lisons ensuite : « Les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés, » peuvent s'accorder avec celles-ci qui précèdent : « Et nous serons tous changés ; » car si tous seront changés, et si tous les hommes doivent avoir part à ce changement, il était inutile de dire que nous serons changés. Il faut donc lire : « Nous dormirons tous, mais nous ne serons pas tous changés. » En effet si tous meurent en Adam, et si ce sommeil dont parle l'Apôtre est une véritable mort, il faut conclure que nous dormirons, c'est-à-dire que nous mourrons tous. « Dormir, » selon la manière de parler de l'Écriture sainte, c'est être mort dans l'espérance de ressusciter un jour; car ceux qui dorment ne manquent point de se réveiller, à moins qu'une mort subite ne vienne les surprendre et les enlever d'entre les bras du sommeil. Lorsque tous les hommes auront subi les lois de la nature et de la mort, alors les justes seuls passeront à un état plus heureux et selon l'âme et selon le corps; de manière que tous les hommes ressusciteront en un état d'incorruptibilité, et qu'il n'y aura que les saints qui seront changés et revêtus d'une gloire immortelle. »

Quant à ce qui suit: «En un moment (ce que le texte grec exprime par le mot atome), en un coup d'oeil, » ou, «en un clin d'oeil » (car ces deux différentes leçons se trouvent dans les exemplaires grecs) , voici comme Didyme l'explique: « Les hommes étant tous ressuscités en un même instant, ils seront emportés clans les nuées pour aller au-devant du Seigneur; ce qui néanmoins ne doit s'entendre que de ceux qui seront morts; car lorsque l'Apôtre dit que tous les hommes ressusciteront en un instant, en un clin d'oeil, en un moment, il détruit l'opinion chimérique de ceux qui prétendent qu'il y aura deux résurrections, et que les uns ressusciteront les premiers et les autres les derniers. Le mot atome, qu'on lit dans les exemplaires grecs, marque un temps indivisible, un moment que l'on ne peut partager. Tels sont les atomes dont Epicure prétend que le monde est composé. Et ce « coup d'oeil, » ou ce « clin d'oeil » dont parle l'Apôtre et que les Grecs expriment par le mot ropé, marque un mouvement si prompt et si subit qu'à peine peut-on l'apercevoir; mais parce que la plupart des exemplaires grecs portent ripé au lieu de ropé, on doit dire selon cette leçon que, comme un tourbillon de vent enlève de terre et emporte avec rapidité au milieu de l'air une plume, une paille, une feuille d'arbre, de même les morts sortiront en un clin d'oeil de leurs tombeaux , et se présenteront devant le tribunal de celui qui doit les juger.

« Saint Paul ajoute : « Au son de la dernière trompette; car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés. Car il faut que ce corps corruptible soit revêtu d'incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l'immortalité. » Ce bruit de la trompette nous marque deux choses : ou le son terrible de la voix qui doit appeler les morts , selon ce que dit un prophète : « Faites retentir votre voix comme une trompette », ou l'évidence de la résurrection, selon ce que nous lisons dans l'Evangile : « Lorsque vous donnez l'aumône, ne faites point sonner la trompette devant vous, » c'est-à-dire Faites votre aumône en secret, de peur qu'on ne croie que vous faites servir à votre gloire et à votre réputation la misère et l’indigence du pauvre.

« Mais on demande pourquoi saint Paul dit que les morts ressusciteront « au son de la dernière trompette ; » car puisqu'il l'appelle « la dernière, » il suppose qu'il y en a déjà eu d'autres dont on a entendu le son. Saint Jean nous représente dans son Apocalypse sept anges avec des trompettes, et nous marque en même temps ce que faisait chacun d'eux, c'est-à-dire le premier, le second, le troisième, le quatrième, le cinquième et le sixième, en sonnant de la trompette. Mais lorsque le dernier, c'est-à-dire le septième, en sonnera, alors les morts ressusciteront avec des corps incorruptibles, qui auparavant avaient été sujets à la corruption. C'est pour cela que saint Paul, expliquant ce qui doit arriver après le son de la dernière trompette, dit: « Car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés. » Quand il dit : « nous serons changés, » il fait assez connaître qu'il n'aura pas le même sort que les morts. Pour bien comprendre ceci il faut, savoir que, selon quelques-uns, cet état incorruptible dans lequel les morts ressusciteront regarde les corps, et que ce changement dont parle l'Apôtre regarde les âmes, qui seront changées par un nouvel accroissement de gloire lorsqu'elles seront parvenues à l'état d'un homme parfait, à la mesure de l'âge et de la plénitude selon laquelle Jésus-Christ doit être formé en nous. D'autres au contraire prétendent que par les «morts » on doit entendre : les pécheurs, qui ressusciteront en un état incorruptible pour être livrés à des supplices éternels, et que par ceux qui «seront changés », on doit entendre les saints qui vont de vertus en vertus, et qui s'élèvent comme par degrés au comble de la gloire. Ainsi ce qu'ajoute l'apôtre saint Paul : « Car il faut que ce corps corruptible soit revêtu de l'incorruptibilité , » est une suite de ce qu'il avait dit auparavant : « Les morts ressusciteront en un état incorruptible; » de même que ces paroles «Et il faut que ce corps mortel soit revêtu d'immortalité, » ont rapport à celle-ci qui précèdent: « Et alors nous serons changés. » En effet il y aune grande différence entre « immortalité » et « incorruptibilité », de même qu'entre « mortel » et corruptible. » Tout ce qui est mortel est corruptible, mais tout ce qui est corruptible n'est pas mortel ; tous les corps inanimés sont sujets à la corruption: cependant ils ne sont pas sujets à la mort, parce qu'ils sont privés de la vie qui n'appartient qu'aux êtres animés. C'est pour cela que l'apôtre saint Paul, parlant de la résurrection future, a joint l'incorruptibilité à la corruption et l'immortalité à la mortalité. »

Acace, qui après Eusèbe de Pamphile fut fait évêque de Césarée, appelée auparavant la tour de Strabon, s'étant proposé cette difficulté dans le quatrième livre de son Recueil des différentes questions, la traite fort au long selon les deux différentes leçons que portent les exemplaires grecs. Après le commencement, que je passe, voici ce qu'il ajoute : « Expliquons d'abord ce passage de la manière qu'il se trouve dans la plupart des exemplaires. «Voici, » dit saint Paul, « un mystère que je m'en vais vous dire: nous dormirons tous, mais nous ne serons pas tous changés. » Cet apôtre, ayant dessein de traiter à fond de la résurrection, l'appelle « un mystère » afin de rendre ses auditeurs attentifs. Par ce sommeil dont il parle on doit entendre: la mort, qui est commune à tous les hommes. C'est pour cela qu'il dit : « Nous dormirons, »  c'est-à-dire: nous mourrons tous ; de même qu'il avait dit auparavant : « Comme tous meurent en Adam, tous aussi revivront en Jésus-Christ. » Puis donc que tous les hommes doivent mourir , «voici un mystère que je m'en vais vous dire : » c’est que « nous mourrons tous, mais nous ne serons pas tous changés; car la trompette sonnera ( c'est le septième ange dont parle l'Apocalypse qui en doit sonner) et les morts ressusciteront en un état incorruptible. « Que si les morts ressuscitent dans un état incorruptible, comment peut-on dire qu'à ne seront point changés, puisque cet état d'incorruptibilité est un changement ? C'est que par ce changement qui doit arriver à saint Paul et aux saints on doit entendre : la gloire dont ils seront revêtus; mais tous les hommes en général ressusciteront dans un état incorruptible, parce qu'en cet état les pécheurs seront d'autant plus malheureux que leur incorruptibilité rendra leurs peines éternelles, et qu'ils ne pourront les voir finir par la destruction d'un corps mortel et corruptible.

« L'apôtre saint Paul dans cette épître nous fait voir, sous des symboles mystérieux, que les morts ressuscités seront d'une condition différente, non point quant au corps mais quant à la gloire, parce que les uns ressusciteront pour être condamnés à des supplices éternels, et les autres pour être couronnés d'une gloire immortelle. » « Autre est la chair des oiseaux, » dit cet apôtre, « autre celle des poissons, autre celle des bêtes. Il en arrivera de même, » ajoute-t-il, « dans la résurrection des morts. » Aussi le sentiment le plus commun de l'Eglise est que tous les hommes mourront, mais que tous ne seront pas changés ni revêtus de gloire, selon de que dit le prophète Daniel : « Toute cette multitude de ceux qui dorment dans la poussière de la terre ressusciteront, les uns pour être couronnés d'une gloire immortelle, et les autres pour être couverts d'une éternelle confusion, » Car ceux qui ressusciteront pour être couverts d'une honte et d'une confusion éternelle ne ressusciteront pas pour être couronnés de cette gloire immortelle qui sera le partage de saint Paul et des autres saints. Nous croyons donc que ceux-là seulement seront changés qui ressusciteront pour la gloire, et que les morts, c'est-à-dire : les pécheurs et les infidèles, ne changeront point, mais ressusciteront en un état incorruptible pour être condamnés à des supplices éternels. »

« Expliquons maintenant ce passage selon l'autre leçon qui se trouve dans plusieurs exemplaires. «Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés. » Quelques auteurs concluent de là que plusieurs personnes seront encore en vie à la fin du monde, et que si tous les hommes « ne dorment point, » tous aussi ne mourront pas; d'où ils tirent cette conséquence, que si tous ne meurent point, tous aussi ne ressusciteront pas. C'est ce qu'ils prétendent prouver par ces Paroles de l'apôtre saint Paul dans sa première épître aux Thessaloniciens : « Nous qui vivons et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort; car aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l'archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers ; puis nous autres qui sommes vivants, et qui serons demeurés jusqu'alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l'air; et ainsi nous vivrons pour jamais avec le Seigneur. » Ces écrivains prétendent prouver par là que saint Paul et ceux qui écrivaient cette épître avec lui étaient persuadés qu'ils ne mourraient point, mais que la fin du monde les trouverait encore en vie. Si cela était vrai, saint Paul se serait trompé par une erreur bien grossière en se flattant de vivre jusqu'à la consommation des siècles ; espérance chimérique et dont l’expérience fait assez voir l'illusion.

« Cependant les fidèles de Thessalonique, qui ignoraient le mystère de la résurrection, donnaient dans ces sortes de visions; et incertains qu'ils étaient de leur destinée et pleins de ces chimères , ils disaient : « Puisque saint Paul doit vivre jusqu'à la fin du monde, il faut que le jour du jugement soit proche. » C'est pourquoi cet apôtre, dans la seconde lettre qu'il leur écrivit, tâche de les faire revenir de leurs préjugés. « Nous vous conjurons, mes frères, » leur dit-il, par l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ et par notre réunion avec lui, de ne vous laisser pas légèrement ébranler dans votre premier sentiment, et de ne vous pas troubler en croyant, sur la foi de quelque prophétie ou sur quelque discours ou quelque lettre que l'on supposerait venir de nous, que le jour du Seigneur soit près d'arriver. Que personne ne vous séduise en quelque manière que ce soit, car il ne viendra point que la révolte et l'apostasie ne soient arrivées auparavant, et qu'on n'ait vu paraître cet homme de péché qui doit périr misérablement ; cet ennemi de Dieu qui s'élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu ou qui est adoré, jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour Dieu. Ne vous souvient-il pas que je vous ai dit ces choses lorsque j'étais encore avec vous? » Saint Paul ne leur parle de la sorte que pour les détromper, et pour les empêcher d'expliquer dans un mauvais sens et contre son intention ces paroles de la première épître qu'il leur avait écrite : « Nous qui vivons, et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort; » car il n'y a pas d'apparence que cet apôtre se flattât de vivre éternellement dans un corps mortel, d'être affranchi des lois de la mort, et de passer tout à coup et sans mourir de cette vie au royaume du ciel, lui qui dans son épître à Timothée avait dit : « Car pour moi je suis sur le point d'être sacrifié, et le temps de ma mort s'approche; » ce qu'il répète dans son épître aux Romains: « Qui me délivrera, » dit-il, « de ce corps de mort? »et aux Corinthiens : « Pendant que nous habitons dans ce corps, nous sommes éloignés du Seigneur . et hors de notre patrie : or nous aimons mieux sortir de la maison de ce corps, pour aller habiter avec le Seigneur. » Cet apôtre ne pouvait parler de la sorte sans être persuadé qu'il devait mourir un jour. Il vaut donc mieux expliquer ce passage dans un sens spirituel, et entendre par ce sommeil dont parle saint Paul, non pas la mort naturelle qui sépare l'âme d'avec le corps, mais les péchés que l'on commet après avoir reçu la foi de Jésus-Christ, et ce sommeil fatal où l'on se plonge après le baptême, selon ce que dit le même apôtre dans son épître aux fidèles de Corinthe : «C'est pour cette raison qu'il y a parmi vous beaucoup de malades et de languissants, et que plusieurs dorment du sommeil de la mort; » et dans un autre endroit: « Ceux qui sont morts en Jésus-Christ ont donc péri sans ressource? » car quoiqu'ils soient morts, cependant ils ne périront point éternellement, parce qu'ils ne sont point coupables de péchés mortels mais seulement de quelques fautes légères. C'est ce qui faisait dire à un autre saint: « Eclairez mes yeux, Seigneur, afin que je ne m'endorme jamais dans la mort; » car il y a un sommeil où nous plonge le péché et qui conduit à la mort, et un assoupissement causé aussi parle péché mais qui n'a rien de funeste et de mortel. Ceux donc qui vivent de celui qui dit : « Je suis la vie » (car « notre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ,) et qui, toujours étroitement unis à lui, ne commettront aucun péché qui leur donne la mort, ceux-là seront du nombre des vivants, dont le Sauveur dit dans l'Evangile de saint Jean: « Celui qui croit en moi ne mourra point ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra point à jamais. » C'est à l'exemple de ce divin Sauveur, et en suivant ses maximes, que saint Paul dit à ses disciples : « Nous ne dormirons pas tous; » car celui qui s'appliquera avec tout le soin possible à la garde de son; coeur et qui, toujours attentif aux commandements de Jésus-Christ, se souviendra de ce qu'il dit à ses apôtres : Veillez, parce que vous ne savez pas à quelle heure le voleur doit venir ; » et de cette maxime du sage: « Ne laissez point aller vos yeux au sommeil et que vos paupières ne s'assoupissent point, afin que vous puissiez vous échapper du piège comme la chèvre et vous sauver des filets comme l'oiseau; » celui, dis-je, qui vivra de la sorte, ne dormira point du sommeil de la mort.

« Comme il y en a donc qui ne dorment point, qui veillent sans cesse, et qui sont toujours vivants en Jésus-Christ , il s'ensuit que « tous ne dormiront point, »  et qu'au contraire « tous seront changés; » non pas pour être couronnés de gloire, ce qui n'appartient qu'aux saints, mais pour passer de la corruption à un état incorruptible, dans lequel les uns jouiront d'un bonheur qui ne finira jamais et les autres seront condamnés à des peines éternelles. Que s'il se trouve quelqu'un qui par sa négligence à remplir ses devoirs tombe dans la langueur et dans l'assoupissement, on peut lui appliquer ce que dit le prophète : « Celui qui dort ne pourra-t-il donc pas ressusciter? » mais s'il ne dort point, et si par une attention continuelle sur lui-même il est toujours vivant en Jésus-Christ, alors il passera de cette vie à une plus heureuse, et sera emporté dans les nuées pour vivre toujours avec le Seigneur. Tel était Lazare dont le Sauveur dit: « Notre ami Lazare dort; » et c'est de ce sommeil qu'il voulait parler lorsqu'il disait à Marthe: « Celui qui croit en moi, quand il serait mort, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra point à jamais. » En effet si celui qui met toute son espérance en Jésus-Christ vient à tomber par faiblesse et à mourir dans le péché, il ne laissera pas de vivre, et sa foi sera pour lui la source et le principe d'une vie éternelle. Mais pour ce qui est de cette mort qui est commune à tous les hommes, les fidèles et les Infidèles y seront également sujets, et tous ressusciteront, les uns pour être couverts d'une confusion éternelle, et les autres _ pour être couronnés d'une gloire immortelle qu'ils auront méritée par leur foi. Ainsi Ion peut dire que celui qui croit en Jésus-Christ ne mourra point, et qu'il vivra éternellement quand bien même il serait mort, mais de cette mort corporelle dont personne n'a été exempt, si l'on en excepte Enoch et Elie.

Ceux-là donc « ne dormiront point,» c'est-à-dire: ne mourront point, qui par la grandeur et la vivacité de leur foi vivent toujours en Jésus Christ; mais ils imiteront la vie des apôtres, qui ire se sont jamais endormis du sommeil de la, mort, parce qu’ils ne se sont jamais écartés des voies de la justice, et qu'ils se sont uniquement attachés par la foi à celui qui est la résurrection et la vie. « L'âme qui aura péché, » dit un prophète, « mourra elle-même. » Comme donc l'âme qui pèche est morte dans le corps même qu'elle anime, et que, selon l’Ecclésiaste, elle meurt au rament même qu'elle pèche, de même une âme qui aura été fidèle à observer les commandements de Jésus-Christ, vivra éternellement, quoique séparée par la mort du corps qu'elle animait. Or il faut savoir que des deux différentes levons que nous avons expliquées, la meilleure et la plus conforme au sens de saint Paul est celle-ci : « Nous dormirons tous, mais nous ne serons pas tous changés, » parce que cet apôtre ajoute immédiatement après. «Les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés; » car si, selon l’autre leçon, «tous doivent être changés» comment saint Paul a-t-il pu dire dans la suite, pour marquer le privilège particulier des apôtres : « Nous serons tous changés? » Quand il dit « nous, » c'est des saints et des justes qu'il veut parler. »

Vous me demandez encore comment on doit entendre ces paroles de la première épître de saint Paul aux fidèles de Thessalonique : « Aussi nous vous déclarons, comme l'ayant appris du Seigneur, que nous qui vivons et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort; car aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l'archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers; puis nous autres, qui sommes vivants et qui serons restés jusqu'alors , nous serons emportés avec eux dans les nuées pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l'air, et ainsi nous vivrons pour jamais avec le Seigneur. » Quoique Acace ait expliqué ce passage assez au long, comme nous l'avons vu ci-dessus, je vais néanmoins vous rapporter ce que pensent les autres, je veux dire Théodore, Apollinaire et Diodore, qui sont sur cela d'un même sentiment. Voici comment Diodore s'en explique. « Lorsque saint Paul dit: « Nous qui vivons et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, » il ne prétend pas que le jour de la résurrection le trouvera en vie, lui et les autres; mais il dit « nous, » c'est-à-dire : les justes, du nombre desquels je suis; car ce sont eux et non pas les pécheurs qui seront emportés dans les nuées. Or par ceux qui sont en vie on ne doit pas entendre dans un sens spirituel : les saints qui ne sont pas morts par le péché, mais tous ceux que Jésus-Christ à son avènement trouvera en vie. Quant à ce qui suit: «Nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort, » cela doit s'entendre des morts et non pas des pécheurs, car ceux-ci ne seront point emportés avec les justes pour aller au-devant de Jésus-Christ. Mais à quoi m'arrête-je, et pourquoi chercher du mystère dans ces paroles de saint Paul: « Nous qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, » puisque Jésus-Christ lui-même s'en explique dans l'Évangile lorsqu'il dit : « Comme du temps de Noé les hommes épousaient des femmes et les femmes st mariaient, et que le déluge survenant tout à coup les fit tous périr, ainsi arrivera-t-il à l'avènement du Fils de l’homme ; » ce qui fait voir que plusieurs seront encore en vie à la fin de manade. L'Apôtre ajoute : « Aussitôt que le signal aura été donné par la voie de l'archange, ceux qui sont morts ressusciteront les premiers. » Cela s'accorde encore avec ce que Jésus-Christ dit dans l’Evangile : « L'Époux vint sur le minuit. » Or en venant de la sorte il en trouvera plusieurs en vie, puisque « de deux personnes qui seront dans le même lit, l'un sera pris et l'autre laissé, et que de deux femmes qui moudront ensemble, l'une sera prise et l'autre laissée; « d'où l'on doit conclure que la fin du monde arrivera sur le minuit et lorsque les hommes y penseront le moins. »

Origène, dans ses commentaires sur la première épître de saint Paul aux Thessalonieiens, après avoir traité plusieurs questions avec beaucoup de solidité et d'éloquence, s'explique en ces termes sur celles-ci dans le troisième livre, d'où il paraît qu'Acace a pris bien des choses. « Comment doit-on entendre ce que saint Paul, Sylvain et Timothée écrivent aux fidèles de Thessalonique? « Nous vous déclarons, comme l'ayant appris tau Seigneur, que nous qui vivons et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort. » Qui sont ceux qui parlent de la sorte et qui se flattent d'être encore en vie à ce dernier jour ? C'est saint Paul, «cet apôtre qui n'a point été envoyé de la part des hommes, ni élevé à l'apostolat par les hommes; » c'est Timothée, » son très-cher disciple dans la foi; » c'est Sylvain, qui leur est étroitement uni par les liens que forment l'amitié et la vertu. Tous ceux qui, comme saint Paul, sont remplis de la science des saints et mènent une vie pure et innocente, peuvent dire aussi bien que lui: « Nous qui vivons, » c'est-à-dire : nous dont à la vérité le corps est mort par le péché, mais dont l'esprit est vivant par la justice; nous qui avons fait mourir les membres de l'homme terrestre qui est en nous, en ce que la chair n'a plus de désirs contraires à ceux de l'esprit. Car si la chair forme encore des désirs elle est vivante, et les membres de l’homme terrestre qui est en nous ne sont pas encore morts; mais quand on a eu soin de les faire mourir ils n'ont plus de désirs contraires à ceux de l'esprit, et la cupidité s'éteint en eux avec la vie. Comme donc ceux à qui ont passé de la vie présente à une vie plus heureuse vivent d'une manière plus parfaite, dégagés qu'ils sont des liens du corps et affranchis du joug de cupidité , de même ceux qui portent toujours en leurs corps la mort de Jésus ne vivent point selon la chair mais selon. l'esprit, parce qu'ils vivent en celui qui est la vie et que Jésus-Christ vit en eux, lui qui est la. vertu et la sagesse de Dieu, et dont il est écrit : « La parole de Dieu est vivante et efficace. » En effet ceux-là sont véritablement vivants qui; délivrés de toutes les faiblesses humaines, ont pour principe de leur vie et de leurs actions la justice et la vertu de Dieu et cette sagesse qui est cachée en Dieu; car Jésus-Christ nous a été donné par Dieu pour être non-seulement notre justice, mais. notre sagesse et tout ce qui s'appelle vertu.

« Si les auteurs de cette épître ne se distinguaient que dans ce seul endroit de ceux qui dorment et qui sont morts en Jésus,Christ, il serait inutile de s'y arrêter et de faire fond sur un seul passage ; mais saint Paul, écrivant aux Corinthiens, s’explique encore dans le même sens et dans le même esprit. « Nous ne dormirons pas tous, » dit cet apôtre,« mais nous serons tous changés en un moment, en un clin d'œil, au son de la dernière trompette; car la trompette sonnera et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés. »  Comparez ce passage de l'épître aux Thessaloniciens : «Aussitôt que le signal aura été donné par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du. ciel,» avec celui de l'épître aux Corinthiens : « Car la trompette sonnera, etc. » Comparez aussi ces paroles de la même épître aux Thessaloniciens : « Et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers, » avec celles-ci de l'épître aux fidèles de Corinthe : « Et les morts ressusciteront en un état incorruptible. » Comparez enfin ce que saint Paul dit dans celle-ci : « Et alors nous serons changés, » avec ce qu'il ajoute dans celle-là : « Puis nous autres qui sommes vivants et qui serons restés jusqu’alors ; » et vous verrez qu'on peut expliquer ces passages de cette manière: Nous qui sommes vivants et qui serons réservés jusqu'alors, nous qui serons changés et qui ne sommes point du nombre de ceux qu'on appelle « morts,» mais qui sommes vivants; nous attendons non point dans la mort, mais. dans la vie, la présence et l'avènement du Seigneur, parce que nous sommes de la race d'Israël et de ce petit nombre d'élus dont le Seigneur a dit autrefois: « Je me suis réservé sept mille hommes qui n'ont point fléchi le genou devant Baal. » Jésus-Christ, dans l’évangile selon saint Jean, nous décrit deux sortes de vivants et de morts. « Celui qui croit en moi, , dit-il, « quand il sera mort vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra point à jamais. » Si l'on prend le mot « vivants » dans le sens que nous avons déjà marqué, on doit croire aussi que ceux qui dorment et qui sont morts en Jésus-Christ sont ceux qui, voulant vivre selon ses maximes, sont néanmoins morts par le péché. Or si l'on appelle « vivants » ceux qui sont du petit nombre de ceux que Dieu a choisis selon sa grâce, on doit dire aussi que ceux qui n'ont pas la même foi et qui ne sont point de la noble race d'Israël « dorment, » c'est-à-dire: sont morts en Jésus-Christ.

« Quelques auteurs expliquent ainsi ce passage : On appelle « vivants » ceux qui ne sont jamais morts par le péché; mais, pour ceux qui ont péché et qui sont morts dans leur péché, s'ils viennent à expier par la pénitence les crimes de leur vie passée, on les appelle « morts» parce qu'ils ont péché, mais « morts en Jésus-Christ » parce qu’ils se sont convertis à Dieu de tout leur cœur. Mais pour ceux qui sont vivants, qui demeurent fermes dans la confession de la foi, qui n'ont point encore, reçu la récompense qu'on leur a promise, et qui estiment assez leur prochain pour croire qu'ils ne seront couronnés qu'avec les autres justes, ceux-là jouissent d’un bonheur qui consiste dans le témoignage de leur propre conscience, et dans l'avantage qu’ils ont de vivre et d’être réservés pour l’avènement du Sauveur. Mais, parce que Dieu est miséricordieux et qu'il veut sauver aussi ceux qui sont endormis et morts en Jésus-Christ, il ne permettra pas que ceux qui sont encore en vie les préviennent et soient emportés seuls dans les nuées; mais, selon la parabole de l'Evangile, il donnera une même récompense et à ceux qu'il a envoyés à sa vigne dès le matin et à ceux qui n'ont commencé à travailler qu'à la onzième heure. Et on ne doit pas s'imaginer qu'il y ait de l'injustice à récompenser également ceux qui n'ont pas également travaillé; car il y a une grande différence entre ceux qui ont été guéris des blessures qu'ils avaient reçues et ceux qui n'ont jamais été assujettis à l’erreur et à la mort, et dont il me semble que le prophète-roi a voulu parler lorsqu'il a dit :

« Qui est Monime qui pourra vivre sans voir la mort et qui retirera son âme de la puissance de l'enfer. » Lorsque ce prophète dit: « Qui est l’homme qui pourra, » il ne veut pas dire, comme quelques-uns se l'imaginent, que personne ne pourra vivre sans voir la mort; mais c'est comme s'il disait : « Qui pensez-vous qui pourra vivre sans voir la mort? selon ce qu'il dit lui-même dans un autre endroit : « Seigneur, qui demeurera dans votre tabernacle?» et ce que dit un autre prophète: « Qui est assez sage pour comprendre ces merveilles? » et l’apôtre saint Paul: «Qui est-ce qui a connu les desseins de Dieu? » Il n'y aura donc qu'un petit nombre de fidèles qui seront réservés pour voir l’avènement du Seigneur dans son humanité, non point telle qu'elle paraissait aux yeux des hommes, dépouillée de toute sa grandeur, mais glorieuse, triomphante et revêtue de toute sa majesté.

« Examinons maintenant en quel sens l'Apôtre appelle » endormis et morts en Jésus-Christ. ceux que les vivants ne pourront prévenir. Celui-là s'endormira et languira dans un assoupissement criminel qui n'observera point cette maxime du sage: « Ne laissez point aller vos yeux au sommeil et que vos paupières ne s'assoupissent point, afin que vous puissiez vous échapper du piège comme la chèvre et vous sauver des filets, comme l'oiseau.» Il passera même de ce sommeil léthargique, à celui de la mort. Car comme celui qui est éveillé se remue et se donne du mouvement, celui au contraire qui dort est immobile et son assoupissement est une image de la mort. Or, que du sommeil l’on passe à la mort, saint Paul nous le fait voir dans son épître aux Corinthiens lorsqu'il dit : «Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, et il est devenu les prémices de ceux qui dorment, parce que la mort est venue par un homme; » , et un peu après: « Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés en un moment, en un clin d'œil, au son de la dernière trompette; car la trompette sonnera et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés. » Puis donc que le sommeil est une véritable mort et que l'Apôtre nous dit : « Levez- vous, vous qui dormez; sortez d'entre les morts et Jésus-Christ vous éclairera,» nous devons, comme le prophète

roi, jurer au Seigneur, et faire du fond du coeur ce vœu au Dieu de Jacob : « Je ne monterai point sur le lit qui est préparé pour me coucher; je ne permettrai point à mes yeux de se fermer, ni à mes paupières de s'appesantir, jusqu'à ce que je trouve » dans mon « âme une place pour le Seigneur et un tabernacle pour le Dieu de Jacob, » où il puisse prendre son repos et demeurer éternellement.

« Saint Paul ajoute: «Aussitôt que le signal aura été donné, le Seigneur lui-même descendra du ciel, etc. » Il descendra et sera envoyé par son père, non point avec une puissance différente de la sienne, mais avec le caractère et l'autorité de juge; il descendra vers les hommes, lui qui est le Verbe, la vérité, la justice et la sagesse de Dieu; et quoique ceux vers qui il daignera descendre soient morts, cependant ils ne seront point étrangers à son égard, parce qu'ils seront ci morts en Jésus-Christ.» Quant à ceux qui existeront encore, ils auront un privilège tout particulier, celui d'être choisis dans la masse. Cependant et les uns et les autres seront « emportés » tout à la fois « dans les nuées, pour aller au-devant du Seigneur.» Ils n'attendront pas qu'il soit descendu sur la terre, mais ils iront au-devant de lui, afin de jouir au milieu de l'air de sa compagnie et de sa présence. Jusqu'à quel excès Jésus-Christ ne porte-t-il pas sa bonté et sa miséricorde envers les hommes! il ne s'est pas contenté de se revêtir d'une chair humaine pour les sauver, il va encore les chercher jusque dans leurs tombeaux pour les ressusciter. Aussi nous avait-il donné dans sa mort même des signes de vie par l'eau et le sang qui sortirent de son côté. Jugeons des merveilles de son second avènement par les mystères du premier. Saint Jean, son précurseur, comme nous le lisons dans l'Evangile, disait . ci Je suis la voix de celui qui crie dans le désert, etc. » Et que criait-elle dans le désert cette voix? « Préparez les voies du Seigneur, rendez droits et unis ses sentiers. » Et quelle devait être la récompense de ceux qui auraient soin de préparer ses voies? « Toute vallée sera remplie ; toute montagne et toute colline sera abaissée; les chemins tortus deviendront droits et les raboteux unis, et tout homme verra le Sauveur envoyé de Dieu,» parce que « le Verbe a été fait chair et qu’il a habité parmi nous. » Mais au jour du jugement ce ne sera point la voix d'un prophète qu’on entendra dans le désert, ce sera la voix d'un archange qui préparera la voie du Seigneur lorsqu'il viendra, non point revêtu des faiblesses et des infirmités de la chair, mais environné de la gloire et de la majesté qu'il possède avec son père comme fils de Dieu. Dans le premier avènement tous les peuples allaient en foule dans le désert pour entendre le précurseur d’un Dieu fait homme, et pour voir ce « roseau agité du vent,» dont on a fait des chalumeaux et des flûtes pour ces enfants qui, selon l'Evangile, se disaient les uns aux autres : « Nous avons joué de la flûte devant vous, et vous n'avez point dansé; » mais dans le second, lorsque le Seigneur descendra du ciel, il sera précédé d'un archange qui sonnera de la trompette pour appeler tous les fidèles, ou au combat, ou aux fonctions du sacerdoce, d'après ce que nous lisons dans le livre des Nombres, que les prêtres sonnaient de la trompette tandis qu'on offrait des holocaustes et des hosties pacifiques. Que si la voix de l'ange et de l'archange qui sonneront de la trompette doit être si forte, combien plus éclatant sera le son de «la trompette de Dieu» qui préparera les voies, premièrement de ceux qui seront endormis et morts en Jésus-Christ, et ensuite de ceux qui seront restés en vie et qui attendront l'avènement du fils de Dieu! Peut-être n’aura-t-on besoin que d'une trompette ordinaire pour réveiller ceux qui seront endormis et morts en Jésus-Christ; mais quant à ceux qui seront en vie et réservés pour jouir de la présence du Seigneur, il faudra employer la voix terrible de l'archange et le son éclatant de la trompette de Dieu.

« Voyons maintenant comment on doit entendre ce qui suit: « Nous serons emportés avec eux dans les nuées. » Il me semble que saint Paul ne s'est servi du mot « emporter » que pour nous donner à entendre qu'il devait passer tout à coup à une vie plus heureuse, et, que son changement devait être si prompt et si subit qu'il n'aurait pas même le temps d'y faire réflexion. Il Se sert de la même expression dans un autre endroit en disant: Je connais un homme en Jésus-Christ qui fut ravi, il y a quatorze ans (si ce fut avec son corps ou sans son corps, je n'en sais rien; Dieu le sait), qui fuit ravi, dis-je, jusqu'au troisième ciel; et je sais que cet homme (si ce fut avec son corps ou sans son corps, je n'en sais rien; Dieu le sait), que cet homme, dis-je, fut ravi dans le Paradis, et qu'il y entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme de rappeler. » Les uns se sont avancés et perfectionnés peu à peu jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés au comble de la perfection; les autres, comme nous le lisons dans l'Ecriture, ont été transportés au ciel; mais, pour saint Paul, ce vaisseau d'élection, il a été ravi jusqu'au troisième ciel, et c'est pour cela qu'il y a entendu des paroles ineffables.

« Il faut aussi examiner comment ceux qui seront emportés dans les nuées » iront au-devant du Seigneur. L'Ecriture sainte nous représente les prophètes comme des nuées. C'est à ce. nuées mystérieuses que Dieu a commandé de ne point pleuvoir sur Israël depuis que ce peuple a achevé de combler la mesure de ses pères, et desquelles il est écrit: « La loi et les prophètes ont duré jusqu'à Jean-Baptiste. » Mais comme Dieu a donné à son Eglise quelques-uns pour être apôtres et quelques autres pour être prophètes, on doit entendre par ces nuées, non-seulement les prophètes, mais aussi les apôtres. Celui donc qui est emporté « pour aller au-devant de Jésus-Christ» monte sur les nuées mystérieuses de la loi et de l’Evangile, c'est-à-dire sur les prophètes et sur les apôtres; et, prenant les ailes de la colombe, il s'élève en haut, soutenu par la doctrine de ces grands hommes, et il va « à la rencontre du Seigneur, » non point sur la terre, mais « au milieu de l'air, » c'est-à-dire dans l'intelligence des saintes Ecritures. Or quand une fois il se sera élevé au-dessus de toutes les choses de la terre et qu'il aura rencontré le Seigneur, soit endormi et mort en Jésus-Christ, soit encore vivant et réservé pour jouir de sa présence, il vivra toujours avec le Seigneur et possédera éternellement celui qui est le Verbe, la vérité, la justice et la sagesse de Dieu. »

J'ai dicté ceci fort à la hâte pour vous faire voir quel est le sentiment des plus savants interprètes sur ce passage de l'Apôtre, selon les différentes leçons qu'on trouve dans les exemplaires. Je me suis contenté de vous marquer les raisons qu'ils apportent polir prouver leur opinion; car comme je ne tiens aucun rang dans le monde, et que je n'y suis guère connu que par les calomnies de mes envieux qui nuisent sans cesse à ma réputation, il s'en faut bien que mon autorité soit d'un aussi grand poids que celle de ces hommes illustres qui nous ont précédés. Au reste, c'est par la doctrine qu'ils enseignent qu'on doit juger leurs ouvrages, et non pas, comme faisaient les disciples de Pythagore, par l'estime dont nous nous sommes laissés prévenir en leur faveur. Que si quelqu'un de leurs partisans me demande pourquoi je lis les traités de ceux dont je n'approuve pas la doctrine, je lui répondrai avec l'apôtre saint Paul: « Eprouvez tout, et approuvez ce qui est bon; » et avec le Sauveur (1) «Soyez habiles banquiers, » afin de rejeter les pièces fausses qui ne porteront ni l'image du prince ni la marque de la monnaie publique, et de mettre en réserve dans le fond de votre coeur celles qui seront marquées du sceau de Jésus-Christ. En effet, si je veux apprendre la dialectique, ou la philosophie, ou l'Ecriture sainte, je ne dois pas consulter des gens simples et ignorants qui, parmi les autres grâces dont Dieu les a comblés, n'ont pas reçu le don de la science ( « car chacun abonde en son sens, et dans une grande maison il y a des vases de plusieurs sortes ») ; mais je dois consulter ceux qui ont étudié sous d'habiles maîtres, et qui méditent jour et nuit la loi du Seigneur. J'ai dit autrefois, et je le répète encore aujourd'hui, qu'Origène et Eusèbe de Césarée sont d'une érudition très profonde, mais qu'ils ont. erré dans les dogmes de la foi. C'est ce qu'on ne peut pas dire de Théodore, d'Acace et d'Apollinaire (2). Cependant ils nous ont tous laissé des monuments célèbres de leurs travaux dans les commentaires qu'ils ont faits sur l'Ecriture sainte. On va chercher l'or jusque dans les entrailles de la terre, l'on tire du fond des rivières un gravier brillant et précieux, et fou estime plus le sable du Pactole que ses eaux. Pourquoi mes ennemis se déchaînent-ils contre moi avec tant de fureur ? pourquoi déchirent-ils si cruellement la réputation d'un homme qui ne leur dit mot? Entêtés qu'ils sont d'une vaine érudition dont ils se piquent, tout leur plaisir est de critiquer les ouvrages des autres, et de défendre l'erreur aux dépens même de leur foi.

 

(1) Ce passage, que les pères grecs citent fort souvent, ne se trouve plus aujourd'hui dans aucun de nos exemplaires ni grecs ni latins.

(2) saint Jérôme ne veut pas dire par là que ces trois écrivains n'ont point erré, mais il prétend qu'ils n'étaient pas si savants qu'Origène et Eusèbe de Césarée.

 

Pour moi, le parti que j’ai pris est de lire les ouvrages des anciens, de juger de tout, de profiter de ce que j'y trouve de bon, et de ne m'écarter jamais de la foi de l’Eglise catholique.

Comme je me disposais à répondre aux autres difficultés que vous m'avez proposées, et à vous dire ce que j'en pense on ce que les autres en ont pensé, notre cher frère Sisinnius est venu me demander les lettres que j'avais à vous envoyer, et à ceux de voire province qui me font la grâce de m'aimer : je ne vous en dirai donc pas davantage, et je me réserve , si Dieu me donne des jours, à vous expliquer le reste dans un autre ouvrage, afin de faire peu à peu ce que vous souhaitez de moi, et de ne me pas charger d'un fardeau trop pesant pour mon âgé. Avant de finir je vous dirai que eu paroles de la version latine: « Nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés, » ne se trouvent point dans les exemplaires grecs, qui tous portent: « Nous dormirons tous, mais nous ne serons pas tous changés ; » ou bien: « Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés. » Je viens de vous dire dans quel sens on doit expliquer ces deux différentes leçons.

 

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