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SERMONS SUR LA CONSOLATION DE LA MORT
AVERTISSEMENT.
Ces deux opuscules ne nous ont été conservés que dans une traduction latine. Le premier porte en tète : « Sermon de saint Jean sur la consolation de la mort. » Le second réuni au premier n'a point de titre et se termine seulement par ces mots : « Fin du discours de la Résurrection. » Il est probable que le saint Jean désigné par le titre du premier de ces deux discours n'est autre que saint Jean Chrysostome, dont on croit d'ailleurs reconnaître l'éloquence à travers le voile de la traduction latine. II n'est pas impossible néanmoins que ces deux ouvrages soient de simples centons dont les éléments auraient été puisés dans les écrits du saint évêque. Le commencement du second discours établit sa connexion avec le premier ; et le mot Libellas que porte le texte à cet endroit, permet de supposer que ni l'un ni l'antre n'a peut-être été prononcé. Au point de vue littéraire, on remarquera la vive prosopopée qui se trouve au paragraphe 7 du second sermon.
PREMIER SERMON.
ANALYSE.
1. De la bonne et de la mauvaise tristesse.
2. Loi générale de la mort.
3. La mort peut être un bienfait.
4. Le deuil aboli par la loi nouvelle.
5. De la résurrection.
6. Qu'il faut répondre avec joie à l'appel de Dieu.
7. L'attente de la résurrection, fond du Christianisme.
1. Faites silence, mes frères, si vous ne voulez laisser perdre des paroles utiles et qui vous seront bien nécessaires en ce moment. Le besoin de la médecine ne se fait jamais mieux sentir, que lorsqu'une grave maladie se déclare : s'il y a lieu d'appliquer avec soin le collyre, c'est lorsque l'oeil est en souffrance. Vous qui êtes exempts de pareilles infirmités, écoutez-moi donc sans murmurer..: car l'homme en santé, lui-même, ne peut rien perdre à (512) connaître les médicaments salutaires: et vous dont le mal a gagné l'âme et obscurci la clairvoyance, n'en soyez que plus attentifs à ouvrir les yeux afin que le collyre de la parole de salut vous soit. appliqué, non-seulement pour votre consolation, mais encore pour votre guérison. Si la personne qui a mal aux yeux refuse de les ouvrir pour y recevoir le collyre versé par le médecin, le remède se répand au dehors de la pupille, et l'oeil demeure endolori : de même, si l'affligé, dans l'excès de sa tristesse, ferme son âme aux avertissements qui pourraient le sauver, il souffre encore davantage, et éprouvera peut-être la vérité de ces paroles de l'Ecriture : que la tristesse du monde opère la mort. (II Cor. VII, 10.) Le bienheureux apôtre Paul, ce docteur des fidèles, ce médecin de salut, a dit qu'il y a deux tristesses : l'une bonne, l'autre mauvaise ; l'une utile, l'autre funeste; l'une qui sauve, l'autre qui perd. Et pour que personne ne révoque en doigte ce que je dis, je vais citer ses propres paroles. Il dit : « La tristesse qui est selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable; mais la tristesse du siècle produit la mort. » (Ibid.) Voilà la mauvaise tristesse. 2. Voyons donc, mes frères, si la tristesse présente, si celle qui dévore maintenant les coeurs et s'exprime dans le langage, est utile ou funeste, capable d'aider ou de nuire. Voilà un corps inanimé ; sur une table est étendu un homme qui n'est plus un homme, des membres privés de vie ; on crie, il ne répond pas; on l'appelle, il n'entend pas ; son visage est pâle, défiguré, d'une transparence qui laisse voir la mort : à ce spectacle vient se joindre l'idée du silence éternel qu'il va désormais garder, du plaisir qu'on a goûté dans son commerce, des services qu'il aurait pu nous rendre; le sang parle, les plus tendres paroles arrivent à notre coeur, avec le regret d'une longue familiarité. Voilà sans doute de quoi tirer des larmes, exciter des gémissements, et plonger l'âme entière dans une tristesse profonde. A cette douleur si forte, si bien armée, la première chose à opposer, c'est que tout ce qui naît ici-bas est condamné à mourir. Telle est la loi de Dieu, telle est l'immuable sentence qu'après sa faute le premier père du genre humain s'entendit signifier, quand Dieu lui dit : « Tu es terre, et tu iras en terre. » Qu'y a-t-il donc d'étonnant à ce qu'un homme, né pour ce destin, ait satisfait à la loi, à la sentence divine? Faut-il s'indigner de ce qu'un fils de mortels ait répondu à l'appel, à l'irrésistible appel de la nature qui est la sienne? Ce qui est si ancien n'a rien d'étrange, ce qui est quotidien n'a rien d'inouï, ce qui est commun à tous n'est particulier à personne. Si nous savons que nos ancêtres et nos bisaïeux sont partis par ce même chemin de la mort, si les patriarches même, si les prophètes, à commencer par Adam ont dû mourir pour s'en aller de ce monde , retirons notre âme de cet abîme de tristesse : ce mortel n'a fait que payer sa dette. Et qu'y a-t-il de triste dans l'acquittement d'une dette ? Cette dette, on ne saurait s'en décharger à prix d'argent : cette dette, ni la vertu n'en dispense, ni la sagesse, ni la puissance ; et les rois mêmes sont contraints dé la payer. Ah ! je vous exciterais à redoubler de tristesse, si, pouvant empêcher ou retarder cet événement au prix de quelque sacrifice, votre négligence ou votre parcimonie l'eût laissé s'accomplir. Mais, puisque tout provient d'un éternel et immuable décret de la Divinité, c'est à tort que nous nous plaignons, à tort que nous recherchons en nous-mêmes les raisons de cette mort, quand il est écrit : « Au Seigneur Dieu appartiennent les dénouements de la mort. » (Ps. LXVII, 21.) Pénétrons-nous de cette condition imposée généralement à la vie : et les yeux de notre âme, grâce à ce premier remède, commenceront à éprouver quelque soulagement. 3. Mais; dites-vous que la mort est un malheur commun à tous, je le sais bien : je n'ignore pas que celui que j'ai perdu n'a fait que payer sa dette : mais je songe à l'attrait de son commerce, aux liens qui nous unissaient, à notre intimité : de là mes regrets. Si pour cette raison vous vous abandonnez à la tristesse, vous êtes le jouet de l'erreur et non le sujet de la raison. Vous devez savoir que Dieu qui vous avait donné ce bonheur, peut vous en donner un autre qui le surpasse; que celui qui vous a infligé cette perte, saura bien, dans une autre occasion, la réparer. Pour ce qui est de l'intérêt, si vous songez au vôtre, vous devez considérer aussi celui du défunt : peut-être est-ce un bonheur pour lui, suivant ce qui est écrit « Il a été enlevé, pour que la malice ne changeât point son intelligence. Son âme était agréable à Dieu, et pour cette raison il s'est hâté de le retirer du milieu de l'iniquité. » (Sag. IV, 11, 14.) Que dire de l'intimité que (513) le temps efface quelquefois, au point que la mémoire n'en garde aucune trace? Ce que le temps peut faire, à plus forte raison la sagesse et la réflexion doivent-elles lopérer. Songeons surtout à cette sentence divine exprimée par la bouche de l'Apôtre: « La tristesse du siècle produit la mort. » Plaisir, intérêt présent, commerce intime, toutes ces choses sont du monde, toutes ces joies sont du siècle et passent avec lui : se décourager, se contrister pour cela, n'est-ce pas vraiment une maladie mortelle? Je ne puis que vous le répéter encore, vous le répéter sans cesse : « La tristesse du siècle produit la mort. » Pourquoi produit-elle la mort? Parce qu'une tristesse excessive nous conduit ou au doute ou au blasphème.. 4. Mais, dira-t-on, nous interdis-tu de pleurer les morts? Quand on a pleuré les patriarches, et Moïse, ce ministre de Dieu, et tant de prophètes ; quand Job, le juste par excellence, a déchiré ses vêtements après avoir perdu ses fils; ce n'est pas moi qui défends de pleurer les morts, c'est l'Apôtre des Gentils, lequel parle ainsi : « Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, au sujet de ceux qui dorment, que vous ne devez pas vous affliger comme ceux qui n'ont pas d'espérance. » (I Thessalon. IV, 12.) Ce texte si clair ne saurait être obscurci par les exemples de ceux qui avant la loi ou à l'ombre de la loi, ont pleuré leurs morts. Ils avaient raison de pleurer, parce que le Christ n'était pas encore venu du ciel sécher par sa résurrection cette source de larmes. Ils avaient raison de pleurer, parce que la sentence de mort portait encore ses effets. lis avaient raison de gémir: car la résurrection n'était pas encore prêchée. Les saints espéraient la venue du Seigneur: mais en attendant, ils pleuraient leurs morts, parce qu'ils n'avaient pas encore vu celui qu'ils espéraient. Siméon, un de ces saints de l'ancien temps, d'abord inquiet à la pensée de mourir, n'eut pas plutôt reçu entre ses bras Jésus Notre-Seigneur, encore enfant selon la chair, qu'il se félicita,de sa mort prochaine, en disant: « Maintenant vous laissez, Seigneur, votre serviteur s'en aller en paix parce que mes yeux ont vu le Sauveur qui vient de vous. » (Luc, II, 29-30.) O bienheureux Siméon ! Il avait vu l'objet de son espérance, et désormais il considérait la mort comme une paix, un repos. Mais vous direz : Ne lit-on pas dans l'Evangile que la fille du chef de la synagogue fut pleurée, que les soeurs de Lazare te pleurèrent. C'est que ces affligés restaient attachés à la doctrine de l'ancienne loi, attendu qu'ils n'avaient pas encore vu le Christ ressusciter d'entre les morts. Que dis-je ? Le Seigneur lui-même pleura Lazare enseveli, non certes, pour donner l'exemple de pleurer les morts, mais pour montrer par ses larmes qu'il s'était revêtu d'un corps véritable; ou encore, dans son humanité, il pleurait sur les Juifs qu'un pareil signe même ne devait pas faire croire en lui. En effet, ce n'est pas la mort de Lazare qui pouvait causer ses larmes, puisque Jésus lui-même l'avait déclaré endormi, et avait promis de le ressusciter, ce qui fut fait. 5. Les anciens gardèrent donc leurs usages et leur faiblesse jusqu'à la venue du Christ: Mais du jour où le Verbe fut fait chair et habita parmi nous, du jour où le dernier Adam abrogea la sentence portée contre le premier, du jour où le Seigneur anéantit notre mort par sa mort et ressuscita des enfers le troisième jour, la mort cessa d'être un objet d'effroi pour Ils fidèles . on ne craint plus le .déclin du jour, parce que le soleil levant paraît au ciel. Ecoutez plutôt la voix du Seigneur qui ne saurait mentir . «Je suis la résurrection et la vie: celui qui croit en moi, quand même il serait mort, vivra , et quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais.» (Jean, XI, 25,26.) Elle n'a rien d'ambigu, mes très-chers frères, cette parole divine: Quiconque croit au Christ et garde ses commandements, vivra, même après sa mort. S'emparant à son tour de cette parole, et s'y attachant de toute la force de sa foi, l'apôtre sain!. Paul enseignait ce qui suit; «Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, au sujet de ceux qui dorment, que vous ne devez pas être tristes. » (I Thessalon. IV, 12.) Admirable révélation de lApôtre ! Un mot lui suffit pour prêcher la résurrection, avant d'en enseigner le dogme. Il appelle les morts « Ceux qui forment,» et fait entendre clairement par là quils doivent ressusciter. « Vous ne devez pas être tristes au sujet de ceux qui dorment, ainsi que les autres. » Ceux qui n'ont pas l'espérance, qu'ils s'abandonnent à la tristesse: nous qui sommes fils de l'espérance, réjouissons-nous. Maintenant, quelle est cette espérance qui nous distingue, c'est ce qu'il nous apprend en disant: « Si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, Dieu amènera de même avec Jésus (514) ceux qui se seront endormis en lui.» ( I Thessalon. IV, 13.) Jésus est pour nous, et le salut durant notre vie terrestre, et la vie à notre départ d'ici-bas. « Pour moi, dit l'Apôtre, vivre est le Christ, et mourir un gain. » (Philipp. I, 2-1.) Gain en effet, puisqu'une prompte mort nous dispense des peines et des tribulations attachées à une vie plus longue. Voici maintenant que le prophète nous fait savoir dans quel ordre et de quelle manière sera réalisée notre espérance : « Nous vous affirmons sur la parole du Seigneur que nous qui vivons et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui se sont déjà endormis. Car le Seigneur lui-même, au commandement et à la voix de l'archange, et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel; et ceux qui seront morts dans le Christ, ressusciteront les premiers. Ensuite, nous qui vivons, qui sommes restés, nous serons emportés avec eux dans les nuées au-devant du Christ dans les airs: et ainsi nous serons à jamais avec le Seigneur. » (I Thessalon. IV, 14-16.) Il veut dire par là que le Seigneur à son arrivée trouvera beaucoup de chrétiens encore vivants et non séparés de leur corps; ceux-ci, néanmoins, ne seront pas ravis au ciel avant que les saints morts, ressuscités par la trompette de Dieu et la voix de l'archange, soient sortis de leurs tombeaux. Mais une fois réveilles, ils seront enlevés dans les nuées, conjointement avec les vivants, pour aller au-devant de Jésus-Christ dans les airs : et dès lors ils règneront à jamais avec lui. Et certes l'on ne saurait révoquer en doute que les corps, malgré leur pesanteur, puissent être soulevés dans les airs: c'est ainsi qu'à la voix du Seigneur, le corps de Pierre put marcher sur les eaux. L'histoire d'Elie nous fournit encore une confirmation de notre espérance, dans ce fait qu'il fut ravi au ciel à travers les airs sur un char enflammé. 6. Mais vous demanderez peut-être : En quel état sera-t-on après la résurrection? C'est votre Seigneur qui vous l'apprend: « Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père.» (Matth. XIII, 43.) Que dis-je, comme le soleil? Quand les fidèles doivent être transfigurés à l'image du Christ, comme l'atteste l'apôtre Paul : « Notre vie est dans les cieux: c'est de là aussi que nous attendons le Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui réformera le corps de notre humilité en le conformant à son corps glorieux. » (Philipp. III, 20, 21.) Sans nul doute cette chair mortelle sera transfigurée en conformité de là splendeur du Christ: ce qui était mortel se revêtira d'immortalité: car « Ce qui avait été semé dans l'infirmité, ressuscitera dans la force. » (I Corinth. XV, 43.) La chair ne craindra plus la corruption, elle ne sera plus sujette à la faim, à la soif, aux maladies, aux accidents. La paix profonde, une sécurité constante, peuvent se rencontrer dans cette vie. Autre est cette gloire céleste, où la joie même ne subira point d'éclipses. 7. Voilà ce que saint Paul avait dans l'esprit et sous les yeux, lorsqu'il disait : « Je désirais « d'être dissous et d'être avec Jésus-Christ, chose bien meilleure pour moi. » (Philipp. I, 23.) Ailleurs il parle explicitement : « Pendant que nous sommes dans ce corps, nous voyageons loin du Seigneur: car c'est par la foi que nous marchons, et non par une claire vue. Mais nous aimons mieux sortir de ce corps et aller jouir de la présence du Seigneur. » (II Corinth. V, 6-8.) Hommes de peu de foi, que faisons-nous donc, quand nous perdons le courage et la paix, pour peu qu'une des personnes qui nous sont chères s'en aille auprès du Seigneur? Que faisons-nous en préférant voyager en ce monde, plutôt que d'être transportés en présence du Christ? Oui, toute notre vie n'est qu'un voyage comme des étrangers en ce inonde, nous n'avons pas de séjour fixe, nous travaillons, prenons de la peine, marchant par des voies difficiles, hérissées de dangers : de toutes parts des piéges, des ennemis tant spirituels que corporels, de tous côtés des sentiers d'erreur. Et quand tant de périls nous assaillent, loin de faire des voeux pour notre délivrance, nous allons jusqu'à plaindre et pleurer ceux qui sont délivrés, comme s'ils étaient perdus! Quel service Dieu nous a-t-il donc rendu par son Fils unique, si nous redoutons encore le trépas? Pourquoi nous glorifier d'avoir été régénérés par l'eau et par l'Esprit, si le départ d'ici-bas nous afflige? Le Seigneur lui-même nous crie : « Si quelqu'un me sert, qu'il me suive, et où je suis, là sera aussi mon serviteur.» (Jean, XII, 26.) Supposez qu'un roi terrestre invite quelqu'un à visiter son palais ou à prendre place à sa table, l'invité ne s'empressera-t-il point d'accourir ? Combien ne devons-nous pas nous hâter davantage d'accourir vers le roi du ciel, qui appelle ceux qu'il reçoit, non-seulement à sa table, mais encore au partage de son trône : « Si nous mourons avec lui, dit l'Ecriture, nous vivrons avec lui; si nous souffrons, nous régnerons avec lui.» (II Timoth. II; 12.) Je ne dis pas cela pour qu'on attente à sa vie, pour qu'on se donne la mort contre la volonté du Dieu créateur, pour qu'on chasse son âme de l'asile que lui offre le corps : je dis cela pour que, à l'heure où l'on est appelé soi-même ou voit appeler son prochain, on parte joyeux et content, ou qu'on félicite ceux qui partent. Le fond du .christianisme, en effet, c'est l'attente d'une vraie vie après la mort, d'un retour après le départ. Munis de la parole de l'Apôtre, remercions donc avec confiance Dieu qui nous a fait vaincre la mort, par le Christ, Notre-Seigneur, à qui gloire et puissance, maintenant et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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