I TIMOTHÉE XIII
Précédente Accueil Remonter Suivante

 

Accueil
Remonter
PRÉFACE
I TIMOTHÉE I
I TIMOTHÉE II
I TIMOTHÉE III
I TIMOTHÉE IV
I TIMOTHÉE V
I TIMOTHÉE VI
I TIMOTHÉE VII
I TIMOTHÉE VIII
I TIMOTHÉE IX
I TIMOTHÉE X
I TIMOTHÉE XI
I TIMOTHÉE XII
I TIMOTHÉE XIII
I TIMOTHÉE XIV
I TIMOTHÉE XV
I TIMOTHÉE XVI
I TIMOTHÉE XVII
I TIMOTHÉE XVIII
II TIMOTHÉE I
II TIMOTHÉE II
II TIMOTHÉE III
II TIMOTHÉE IV
II TIMOTHÉE V
II TIMOTHÉE VI
II TIMOTHÉE VII
II TIMOTHÉE VIII
II TIMOTHÉE IX
II TIMOTHÉE X

HOMÉLIE XIII. PRESCRIVEZ ET ENSEIGNEZ CELA. QUE NUL NE MÉPRISE VOTRE JEUNESSE, MAIS SOYEZ L'EXEMPLE DES FIDÈLES PAR VOS PAROLES, VOS RELATIONS, VOTRE CHARITÉ, VOTRE FOI, VOTRE CHASTETÉ. JUSQU'À MON ARRIVÉE, APPLIQUEZ-VOUS A LA LECTURE, A L'EXHORTATION, A L'ENSEIGNEMENT. NE NÉGLIGEZ POINT LA GRACE QUI EST EN VOUS, QUI VOUS A ÉTÉ DONNÉE PAR LA PROPHÉTIE, AVEC L'IMPOSITION DES MAINS SACERDOTALES. (IV, 11-14, JUSQU'À V, 7.)

 

Analyse.

 

1. Devoirs d'un évêque; de la conduite qu'il doit tenir envers les vieillards et les jeunes gens, envers les femmes âgées et les jeunes femmes, envers les veuves.

2. Devoirs de la veuve.

3, 4. Contre les excès de la table. — Effrayante peinture.

 

1. Il est des objets qui ont besoin de prescriptions, et d'autres, d'enseignement. Si donc vous commandez là où il faut instruire , vous vous rendrez ridicule, et il en sera de même si vous enseignez là où il faut commander. Ainsi, ne pas être pervers, il ne faut pas l'enseigner, mais l'ordonner, l'interdire avec une grande énergie; ne pas judaïser, c'est matière à prescription. Mais si vous dites que l'on doit répandre ses biens, garder la virginité, si vous discourez sur la foi, alors il faut un enseignement. Aussi Paul établit-il les deux choses : « Prescrivez et enseignez», dit-il. Par exemple, si quelqu'un porte des amulettes ou quelque objet semblable, et sait qu'il fait mal, c'est de prescription qu'il a besoin; s'il l'ignore, c'est d'instruction.

« Que nul ne méprise votre jeunesse », dit-il. Vous voyez que le prêtre doit prescrire, parler avec énergie et non toujours enseigner. La jeunesse est souvent méprisée par le préjugé commun; c'est pourquoi il dit . « Que nul ne méprise votre jeunesse ». Car il faut que celui qui enseigne soit honoré. — Mais, dira-t-on, que devient le mérite de la modération et de la condescendance, si l'on est défendu contre le mépris? Dans tes choses qui le concernent lui seul, qu'il souffre le mépris; car c'est ainsi que par la longanimité, l'enseignement chrétien se perfectionne; mais, pour ce qui regarde le prochain, il n'en doit plus être de même, car ce ne serait plus modération, mais, indifférence. S'il tire vengeance des injures qu'il a reçues, des insultes , des trames ourdies contre lui, on a raison de le blâmer; mais, quand il s'agit du salut d'autrui, qu'il parle avec autorité, qu'il unisse l'énergie à la prévoyance : c'est d'énergie qu'il est alors besoin et non de douceur, afin d'éviter un dommage public. Il n'y a pas d'ailleurs de moyen terme: «Que nul ne méprise votre jeunesse »; c'est qu'en effet, si l'on mène une vie contraire à la légèreté de cet âge, au lieu du mépris on s'acquiert une haute estime. « Mais soyez (323) l'exemple des fidèles par vos paroles, vos relations, votre charité, votre foi, votre chasteté ; vous montrant en toutes choses un modèle de bonnes oeuvres ». (Tit, II , 7.) C'est-à-dire, soyez un parfait modèle de conduite, et comme une image offerte aux regards de tous, une loi vivante, une règle, un exemplaire de bonne vie, car tel doit être celui qui enseigne. « Par vos paroles» : qu'elles soient donc empreintes d'affabilité, « dans vos relations , dans la charité, la foi » orthodoxe, « la charité », la réserve.

« Jusqu'à mon arrivée, appliquez-vous à la lecture, à l'exhortation, à l'enseignement ». L'apôtre ordonne à Timothée de s'appliquer à la lecture. Ecoutons-le tous et apprenons à ne pas négliger la méditation des choses divines. Il dit aussi : « Jusqu'à mon arrivée ». Voyez comment il le console, car ce disciple orphelin devait chercher son maître. « Jusqu'à mon arrivée, appliquez-vous à la lecture » des Ecritures divines, « à l'exhortation » mutuelle, « à l'enseignement. Ne négligez point la grâce qui est en vous, qui vous a été donnée par la prophétie ». C'est de la grâce d'enseigner qu'il parle. « Avec l'imposition des mains sacerdotales » ; non du simple sacerdoce, mais de l'épiscopat, car ce n'étaient pas des prêtres qui créaient un évêque.

« Méditez ces choses, arrêtez-y votre esprit (15) ». Voyez comment il revient auprès de Timothée sur les mêmes exhortations, voulant montrer que tel doit être l'objet principal du zèle de celui qui enseigne. « Veillez sur vous et sur votre enseignement, ne vous en laissez pas distraire ». C'est-à-dire, veillez sur vous-même et enseignez les autres. « Car en agissant ainsi, vous vous sauverez, vous et a ceux qui vous écoutent (16) ». Car celui qui se nourrit des paroles de l'enseignement en recueille le premier les fruits : en avertissant les autres, il atteint son propre coeur. Ce que dit l'apôtre, il ne le dit pas à Timothée seul, mais à tous. S'il parle ainsi à un homme qui ressuscitait les morts, que pourrons-nous répondre? Le Christ a dit : « Semblable à un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles    et anciennes ». (Matth. XIII, 52.) Et le bienheureux  Paul dit à son tour : « Afin que, par la patience et la consolation des Ecritures, nous possédions l'espérance ». (Rom. XV, 4.) Surtout il l'a pratiqué lui-même, lorsqu'il s'instruisait de la loi de ses pères auprès de Gamaliel, en sorte que depuis lors il avait dû s'appliquer à la lecture; il s'adressait sans doute les avertissements qu'il adressa depuis à autrui. Vous le voyez sans cesse citer les témoignages des prophètes et en scruter le sens caché. Ainsi Paul s'appliquait à la lecture, et ce n'est pas un mince profit que celui qu'on peut tirer des Ecritures ; mais aujourd'hui nous les négligeons. — « Afin que votre progrès soit manifeste à tous (15) ». Vous voyez qu'il voulait que son disciple devînt, sur ce point aussi, grand et digne d'admiration, mais que Timothée avait encore besoin de cet avis. « Afin que votre progrès soit manifeste à tous » ; non-seulement dans sa conduite, mais dans les discours de son enseignement.

2. « Ne réprimandez point un ancien ». (V, 1.) Veut-il ici parler d'un prêtre? je ne le pense pas : il parle de tout homme avancé en âge. Mais quoi ! s'il a besoin d'être redressé? Comportez-vous envers lui, suivant l'avis de Paul, comme envers un père qui aurait commis une faute, parlez-lui de la même façon. « Reprenez les femmes âgées comme des mères, les jeunes gens comme des frères, les femmes jeunes comme des soeurs, en toute chasteté (2) ». La chose est pénible de sa nature, je dis la nécessité de reprendre; elle l'est surtout quand il s'agit d'un -vieillard; et, si c'est un jeune homme qui doit le faire, il est trois fois exposé à l'accusation de témérité. La rudesse du fond est adoucie par la douceur de la forme. Car il est possible de reprendre sans blesser, si l'on veut s'y appliquer; il y faut une grande prudence, mais on le peut. « Les jeunes gens comme des frères ». Pourquoi l'apôtre lui donne-t-il ici cet avis? Il fait entendre par là que la jeunesse est fière. Il faut donc là aussi adoucir la réprimande par la modération du langage. « Les femmes jeunes comme des soeurs ». Et il ajoute: « En toute chasteté ». N'évitez pas seulement des relations coupables, mais toute occasion de soupçon. Comme les rapports avec les jeunes femmes y échappent difficilement, mais que l'évêque doit en avoir, il ajoute : « En toute chasteté ». Mais, Paul, pourquoi adresser cette prescription à Timothée? Je le fais, me répond-il, parce qu'en m'adressant à lui je parle à toute la terre. S'il parle ainsi à Timothée, que chacun de nous comprenne ce qu'il doit être, évitant

 

1. Les mots neoterous os adelphous,  sont ici transposés.

 

324

 

toute occasion de soupçon et ne donnant pas l'ombre d'un prétexte à ceux qui veulent nous calomnier.

« Honorez les veuves qui sont véritablement veuves (3) ». Pourquoi ne parle-t-il pas ici de la virginité, pas même pour dire : Honorez les vierges ?Apparemment parce qu'il ne s'en trouvait point alors, ou qu'elles. avaient succombé. Car, dit-il, Satan en a entraîné plusieurs à sa suite. « Honorez les veuves qui sont véritablement veuves ». L'on peut donc n'avoir plus de mari et n'être pas veuve. De même que l'on n'est pas vierge, pour vivre en dehors du mariage, mais qu'il faut être irréprochable et toujours appliquée à ses devoirs, de même en est-il de la viduité : ce qui fait la veuve, ce n'est pas la perte d'un époux, mais la vie passée dans la continence, la patience et la solitude. Voilà les veuves que l'apôtre recommande d'honorer avec raison: On doit en effet un grand respect à ces femmes, puisqu'elles sont seules, puisqu'elles n'ont plus un homme pour les protéger; mais, auprès de la foule, leur état est exposé au blâme et paraît de mauvais augure. Aussi l'apôtre veut-il qu'elles soient grandement honorées par le prêtre; et ce n'est pas seulement pour cela, mais parce que leur état en est digne.

« Si une veuve a des enfants ou des, petits-enfants, qu'elle apprenne d'abord à faire régner la piété dans sa maison et à rendre ce qu'elle doit à ses parents (4) ». Voyez la prudence de Paul et comment, dans ses avis, il fait souvent appel à des raisonnements humains. Il n'a point apporté ici une idée grande et sublime, mais quelque chose qui fût accessible à tous : rendre ce qu'elle doit à ses parents. Comment cela? Vous avez été nourrie, vous avez grandi, vous avez joui de l'honneur qu'ils vous transmettaient. Ils ont quitté ce monde, et vous n'avez pu les payer de retour, car vous ne leur avez donné ni la vie ni la nourriture; rendez-leur ce bienfait dans leurs descendants, acquittez dans vos enfants votre dette envers eux : « Que ces veuves apprennent d'abord à faire régner la piété dans leurs maisons ». L'apôtre exprime ainsi par un mot l'accomplissement de tous les devoirs. « Car », dit-il, « cela est favorablement accueilli de Dieu (4) ». Et comme il a dit : « Qui sont véritablement veuves», il exprime ce qu'est une véritable veuve. «Celle-là est véritablement veuve qui vit dans la solitude, espérant en Dieu et persévérant nuit et jour dans la n prière et l'oraison ; mais celle qui est dans les délices est morte toute vivante (5, 6) ». Ainsi l'apôtre nous dit . Celle qui n'a pas choisi une vie mondaine, et qui vit dans la viduité, celle-là est véritablement veuve; celle qui espère en Dieu comme on le doit faire, qui s'adonne à l'oraison et y persévère nuit et jour, celle-là est veuve; ce qui ne veut pas dire que la veuve qui a des enfants ne le,soit pas véritablement, car l'apôtre admire aussi celle qui donne à ses enfants l'éducation qu'elle leur doit, mais il parle ici de celle qui n'a pas d'enfants, qui est seule. Il la console ensuite de ne point avoir d'enfants, en lui disant que c'est ainsi qu'elle est parfaitement veuve, parce qu'elle se trouve privée non-seulement de la consolation. que lui eût donnée son mari, mais de celle qu'elle eût reçue de ses enfants; elle a Dieu pour les remplacer tous. Car celle qui est privée d'enfants n'est pas au-dessous de l'autre; mais l'apôtre remplit par ses consolations le vide que cette privation lui fait éprouver. Ne vous affligez pas, lui dit l'apôtre, si vous entendez cette parole qu'il faut élever des enfants (4), vous qui n'en avez pas, comme si votre dignité en était amoindrie, car vous êtes véritablement veuve. « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ».

3. Plusieurs en effet, ayant des enfants, con. servent la viduité, non pour s'interdire les jouissances de la vie, mais plutôt pour en nourrir le goût chez elles, pour vivre avec plus d'indépendance et se donner davantage aux passions du monde; que leur dit-il? « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». Quoi ! une veuve ne doit pas vivre dans les délices? Non, vous dit l'apôtre. Si donc la faiblesse de l'âge et de la nature ne rend point nécessaire une pareille vie, mais si cette manière d'agir procure la mort et la mort éternelle, que pourraient alléguer des hommes qui vivent ainsi? C'est avec justice qu'il a dit « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante ». Voyons ce que font les vivants, quelle est la condition des morts et dans quels rangs nous devons la placer. Les vivants sont ceux qui font les oeuvres de la vie à venir, de la véritable vie. Or, quelles sont les couvres de la vie à venir, dont nous devons nous occuper sans cesse ? Ecoutez la parole du Christ . « Venez hériter du royaume qui vous a été (325) préparé depuis la création du monde. Car j'ai a eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ». (Matth.XXV, 34, 35.) Les vivants ne sont pas distingués des morts seulement par la vue du soleil et des cieux; non, dis-je, ce n'est point ainsi qu'ils diffèrent, mais par la pratique du bien, et s'ils ne le pratiquent pas, ils ne vaudront pas mieux que des morts.

Et, pour vous en instruire, écoutez comment on peut vivre, bien qu'on soit mort. « Dieu », dit l'Evangile, « n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants». (Matth. XXII, 32.) Mais, dira-t-on, c'est une autre énigme. Eh bien ! éclaircissons-les toutes deux. Celui-là est mort quoique vivant, qui vit dans les délices. Et comment? c'est qu'il ne vit que par son ventre et non par ses autres sens; ainsi il ne voit pas ce qu'il doit voir, n'entend pas ce qu'il doit entendre, ne dit pas ce qu'il doit dire ,  ce que doivent voir, entendre et dire les vivants; mais, tel qu'un homme qui, étendu sur son lit, ferme les yeux, et rapprochant ses paupières ne s'aperçoit plus de rien de ce qui se passe, tel est cet homme, ou plu tôt il est dans un état bien pire. Car le premier est également insensible à ce qui est bon et à ce qui est mauvais; l'autre n'est sensible qu'au mal, et quant au bien il n'en éprouve pas plus l'impression qu'un cadavre. Rien ne l'émeut des choses de la vie future; en cela donc il est mort; sa passion le saisit dans ses bras et l'entraîne comme dans une sombre retraite, dans un lieu obscur, dans un antre impur, et le fait demeurer dans les ténèbres, comme les morts dans leur sépulcre. En effet, quand il passe tout son temps à table ou dans l'ivresse, n'est-il pas dans les ténèbres? n'est-il pas mort? Le matin même où il paraît à jeun, il ne l'est pas franchement; il n'a pas cuvé tout son vin de la soirée, il est en proie au violent désir de la débauche qui va commencer, lui qui passe et la soirée et le milieu du jour dans les festins, toute la nuit et la meilleure partie de la matinée dans un sommeil pesant. Dites-moi, devons-nous compter cet homme au nombre des vivants? Et que dire des tempêtes produites dans l'âme par la volupté, tempêtes qui se répandent jusque dans le corps? De même qu'un amas continu de nuages ne laisse plus passer un rayon de soleil, de même les vapeurs de la volupté et du vin, occupent le cerveau comme un point

culminant, y condensent un épais nuage, ne permettent plus à la raison de se manifester et retiennent dans une nuit profonde celui qui est dans cet état. Et encore quelle tempête au-dedans !

De même que, quand une inondation se produit et que l'eau franchit le seuil des ateliers, nous voyons ceux qui les habitent s'empresser, pleins de trouble, de saisir des plats, des amphores, des éponges et d'autres objets pour épuiser l'eau et l'empêcher de ruiner les fondements de la maison, de mettre hors d'usage tout ce qu'elle renferme; de même, lorsque la volupté s'est glissée de toutes parts dans une âme, les facultés intellectuelles sont troublées et ne peuvent suffire à la débarrasser de ce qui l'a envahie, parce que l'invasion se renouvelle sans cesse, et que la tempête est terrible. Ne considérez pas le visage qui est riant et illuminé, mais fouillez au dedans et vous verrez un homme plein d'une tristesse qui l'abat. S'il était possible de faire sortir l'âme du corps et de l'exposer sous nos yeux, vous verriez celle du voluptueux, morne, triste, endolorie, exténuée. Plus le corps s'engraisse et s'épaissit, plus l'âme s'exténue, s'affaiblit et s'ensevelit. Et de même que, devant la prunelle de 1'œi1, si la cornée s'épaissit, elle ne peut plus laisser passer le rayon visuel, le sens de la vue s'altère et la cécité se produit souvent, de même quand le corps est engraissé, il doit obstruer les abords de l'âme. Mais les morts se gâtent et se corrompent, le sang corrompu s'en échappe; de même on voit chez les hommes livrés à la vie sensuelle, le rhume, l'inflammation, la pituite, les hoquets, les vomissements, les éructations; je passe le reste, que j'aurais honte d'énoncer. Car telle est cette tyrannie, qu'elle leur fait faire ce qu'on n'ose pas exprimer.

4. Leur corps aussi laisse échapper la corruption de toutes parts. — Mais ils mangent et boivent? Est-ce donc là le témoignage de la vie humaine, puisque les bêtes aussi mangent et boivent? Quand l'âme est morte, quel besoin est-il d'aliments et de boisson? Quand un corps est devenu cadavre, le vêtement parfumé qui l'enveloppe ne lui sert de rien, et quand une âme est morte, un corps parfumé ne lui sert pas davantage. Si sa pensée ne se préoccupe que de cuisiniers, de maîtres d'hôtel, de boulangers, si elle ne prononce pas une parole de piété, n'est-elle pas morte ? Qu'est-ce en effet que l'homme? Les (326) philosophes païens nous disent que c'est un animal raisonnable, mortel, susceptible d'intelligence et de science; mais ce n'est pas par leur témoignage, c'est par l'Ecriture sainte que nous déterminons sa nature. Or, comment la détermine-t-elle? Ecoutez-la : « Il était un homme », et qu'était-il? «juste, véridique, pieux, s'éloignant de tout ce qui est mal ». (Job, I, 1.) Voilà le type de l'homme. Un autre écrivain sacré nous dit : « C'est une grande chose que l'homme, et l'homme miséricordieux est un objet précieux ». Mais ceux qui ne sont pas tels, quand ils seraient doués d'intelligence, et mille fois aptes à la science, l'Ecriture ne les reconnaît pas pour dés hommes, mais pour des chiens, des chevaux, des vipères, des serpents, des renards, des loups et des animaux plus odieux que ceux-là, s'il en existe. Si donc tel est l'homme, le voluptueux n'est pas un homme; et comment le serait-il, puisqu'il ne se préoccupe de rien de tel? On ne peut être à. la fois voluptueux et sobre : l'un exclut l'autre. Les païens eux-mêmes le disent :

 

A ventre épais, jamais esprit subtil (1).

 

L'Ecriture a bien su désigner les hommes dépourvus d'âme par ces mots : « Parce qu'ils sont chair. » (Gen. VI, 3.) Ils avaient cependant une âme, mais elle était morte. Car de même que nous disons des hommes vertueux qu'ils sont tout âme, tout esprit, bien qu'ils aient un corps , nous pouvons employer l'expression inverse. C'est ainsi que Paul a dit : « Pour vous, vous n'êtes pas dans la chair » (Rom. VIII, 9), parce qu'ils n'accomplissaient pas les oeuvres de la chair. De même les voluptueux ne sont point dans l'âme ni dans l'esprit.

« Celle qui vit dans les délices est morte « toute vivante ». Ecoutez, vous qui passez tout votre temps dans les festins et dans l'ivresse, vous qui n'arrêtez point vos regards sur les pauvres qui languissent et meurent de faim , mais qui mourez sans cesse dans les délices. Vous produisez une double mort par votre intempérance, la mort de ces infortunés et la vôtre ; et si vous aviez uni votre superflu à leur misère, vous auriez produit une double vie. Pourquoi donc gonfler votre estomac par vos excès et faire languir le pauvre par sa détresse?, Vous gâtez l'un en dépassant la

 

1 Le grec forme un vers iambique trimètre, emprunté sans doute à quelque poète comique.

 

mesure, et c'est outre mesure aussi que vous faites sécher l'autre. Pensez à ce que sont les aliments, comment ils se transforment et ce qu'ils deviennent. Ah! cela vous blesse de m'entendre ? eh bien, pourquoi tant d'empressements à en produire plus largement la réalité, en vous gorgeant de nourriture? La nature a ses bornes, et ce qui les dépasse n'accroît pas l'alimentation, mais devient inutile et nuisible. Nourrissez votre corps , ne le tuez pas. Nourriture ne veut pas dire ce qui tue, mais ce qui alimente. L'économie de la digestion est ainsi disposée, je pense, pour que nous ne soyons pas amis de l'intempérance; car si la nourriture ne pouvait devenir inutile et nuisible, nous nous serions sans cesse dévorés les uns les autres : si l'estomac recevait tout ce que nous voulons lui donner, s'il le transformait en notre substance, combien ne verrait-on pas de guerres et de combats? Si en effet, bien que tout né soit pas absorbé, mal. gré ce qui se transforme soit en sang, soit en graisse inutile et parasite, nous sommes si avides des plaisirs de la table, si souvent nous consumons dans un festin tout un héritage, que ferions-nous sans cela? Nous nous infectons nous-mêmes en nous livrant à ces excès où notre corps devient semblable à une outre qui laisse échapper le vin (1). Si les autres en sont incommodés, que ne doivent pas souffrir et le cerveau sans cesse atteint par ces vapeurs, et les vaisseaux obstrués d'un sang qui bouillonne, et le foie et la rate qui doivent le recevoir, et les intestins eux-mêmes? Chose désolante, nous songeons à prévenir l'obstruction des égouts, de peur qu'ils ne regorgent; nous avons grand soin de les dégager avec des crocs et des hoyaux, et, pour ceux de notre estomac, loin de les tenir libres , nous les obstruons et les engorgeons : les immondices montent à la résidence du roi, je veux dire au cerveau, et nous n'y veillons pas. Nous agissons comme si nous n'avions pas là un roi ami de la décence, mais un chien immonde. Le Créateur a relégué au loin ces organes, afin qu'ils ne nous incommodent pas; mais nous troublons son oeuvre et gâtons tout par notre intempérance. Mais que dire des maux qui en résultent? Bouchez les canaux des égouts, et vous

 

1 Sans avoir rien d'alarmant pour la pudeur la plus stricte, la phrase suivante ne peut se traduire qu'en latin et en note : Eructat aliquis adeo ut vel extra conclave cerebrum audientis concutiat, ùndique e corpore caliginosus effluit quasi e camino fumus, calore intus in putredinem verso.

 

327

 

verrez bientôt naître la peste. Elle est produite par l'infection qui vient du dehors; mais celle qui est au dedans, qui est concentrée par le corps et n'a point d'issue, ne produit-elle pas mille maux pour le corps et pour l'âme? Ce qu'il y a de terrible, c'est que plusieurs murmurent contre Dieu pour les nécessités auxquelles notre corps est soumis, et eux-mêmes les accroissent. Dieu nous a donné ces lois, afin de nous détourner de l'intempérance , afin de nous persuader même par ces moyens de ne pas nous égarer dans les choses de ce monde. Mais vous ne vous laissez pas même par là détourner de l'intempérance; vous vous y plongez jusqu'au gosier, tant que dure le temps du repas, ou plutôt vous n'attendez pas jusque-là. Le plaisir du goût ne s'éteint-il pas, dès que l'aliment a dépassé la langue et la gorge? La sensation disparaît alors, mais le malaise se prolonge, parce que l'estomac n'opère pas ou opère avec grand'peine.

L'apôtre a donc dit avec raison : « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante». Elle ne peut ni se faire entendre, ni entendre, l'âme qui vit ainsi; elle est amollie, sans générosité, sans courage, sans liberté, timide et impudente, vile flatteuse, ignorante, colère, irascible, pleine de tous les maux et privée de tous les biens. « Celle qui vit dans les délices est morte toute vivante. Et prescrivez-leur d'être irréprochables ». (I Tim. V, 6, 7.) Vous le voyez, c'est une loi; il ne le livre pas à leur choix. Prescrivez-leur, dit-il , de ne pas vivre dans les délices, car c'est assurément un mal, et l'on ne peut admettre aux mystères ceux qui vivent ainsi: « Prescrivez-leur d'être irréprochables » ; vous voyez donc qu'il met cette conduite au nombre des péchés; car ce qui est libre, quand on ne le pratiquerait pas, n'empêche pas d'être irréprochable. Ainsi , obéissant à Paul, nous aussi nous vous avertissons que les veuves qui vivent dans les délices ne sont pas au nombre des veuves. Car si un soldat qui donne son temps aux bains, aux théâtres et à ses affaires est regardé comme un déserteur, combien plus le doit-on dire des veuves? Ne cherchons point ici notre repos , afin de le trouver dans l'autre vie; ne vivons pas ici dans les délices , afin de jouir dans la vie future des délices véritables, des véritables plaisirs qui ne produisent aucun mal et nous mettent en possession de tant de biens, que je souhaite à vous tous en le Christ Jésus Notre-Seigneur avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

Haut du document

 

  Précédente Accueil Remonter Suivante