II TIMOTHÉE VI
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HOMÉLIE VI. OR, DANS UME GRANDE MAISON IL N'Y A PAS SEULEMENT DES VASES D'OR ET D'ARGENT, MAIS AUSSI DE BOIS ET DE TERRE; ET LES UNS SONT POUR DES USAGES HONNÊTES, LES AUTRES POUR DES USAGES HONTEUX. SI QUELQU'UN DONC SE GARDE PE TOUT CE QUI EST IMPUR, IL SERA UN VASE D'HONNEUR SANCTIFIÉ ET PROPRE, AU SERVICE DU SEIGNEUR, PRÉPARÉ POUR TOUTES SORTES DE BONNES OEUVRES. (II, 20, 21, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE).

 

Analyse.

 

1. Pourquoi Dieu souffre les méchants dans le monde. 2. Que le serviteur de Dieu s'abstienne dès contestations.

3 et 4. Celui qui est assujetti au diable en quelque chose, lui est assujetti en tout. — Exhortation à l'aumône.

 

1. Pourquoi Dieu laisse-t-il vivre les méchants? pourquoi ne les fait-il pas tous périr? Voilà une question qui jette le trouble dans beaucoup d'esprits. On pourrait donner de cela plusieurs raisons, par exemple que Dieu attend leur conversion, ou qu'il veut par leur punition intimider les autres. Ici saint Paul en apporte une raison très-plausible : il dit que « dans une grande maison, il n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi de bois et de terre »; ce qui veut dire : De même que dans une grande maison il faut qu'il y ait différentes sortes de vases, ainsi il faut qu'il y ait dans le monde diverses espèces de personnes. Et lorsqu'il s'exprime ainsi, ce n'est pas l'Église, mais le monde qu'il a en vue. N'allez pas en effet appliquer cette parole à l'Église. L'Église qui est le corps même, du. Christ, l'Église qui estime vierge pure, n'ayant ni souillure ni ride, l'Église ne soutire pas des vases de bois ou de terre, elle ne veut que des vases d'or et d'argent. Ce qu'il dit revient à ceci Ne vous troublez point de ce qu'il y a des méchants, des scélérats, puisque dans une grande maison vous trouvez aussi des vases d'ignominie. Mais tous ces, vases, dites-vous, ne sont pas également en honneur; les uns sont pour des usages, honnêtes, les autres pour des usages honteux. Cependant ces vases, quelque vils qu'ils soient, ne laissent pas de tenir leur (377) place et d'avoir leur usage dans cette grande maison. Dieu de même se sert des méchants pour des usages qui leur sont proportionnés dans le monde. Par exemple un amateur de vaine gloire bâtit pour faire parler de lui ; il en est de même du marchand, du cabaretier, du prince, chacun d'eux trouve dans le monde les usages qui leur conviennent; mais un vase d'or n'est que pour la table du prince. L'apôtre ne veut pas dire pour cela que la méchanceté soit nécessaire ; comment le serait-elle? Mais il veut dire que les méchants trouvent eux-mêmes leur oeuvre à faire dans le monde. Si tous les hommes étaient des vases d'or, on n'aurait pas besoin des méchants. Par exemple, si tous étaient patients et durs, il ne faudrait pas de maisons; si nul n'était esclave de la volupté, il ne faudrait point tant d'apprêts pour les aliments; si l'on savait se contenter du nécessaire, on n'aurait pas besoin d'appartements somptueux. Quiconque s'affranchira de ces sujétions sera un vase sanctifié pour un noble usage. Vous le voyez, il ne dépend pas de la nature ni d'une nécessité matérielle que l'on soit un vase d'or ou un vase de terre, cela dépend de notre seule volonté. Si la nature en décidait, dès qu'on serait vase de terre, on ne deviendrait plus vase d'or et réciproquement; mais du moment que c'est la volonté qui fait tout, il y a de grands changements et d'entières conversions. Paul était d'abord un vase de terre, ensuite il devint un vase d'or. Judas était vase d'or, mais il devint vase de terre. C'est donc l'impureté qui fait les vases de terre :le fornicateur, l'avare sont des vases de terre. — Comment donc saint Paul dit-il ailleurs : « Portant ce trésor dans des vases de terre? » (I Cor. IV, 7.) Le vase de terre n'est donc pas à mépriser, puisque selon l'apôtre lui-même, il contient un trésor. — En cet endroit, c'est la matière elle-même dont est fait notre corps, et non sa forme qu'il désigne. Voici ce qu'il veut dire : C'est un vase de terre que notre corps. De même qu'un vase de terre n'est autre chose qu'un peu d'argile passée au feu, de même notre corps n'est non plus qu'un peu de boue solidifiée par la chaleur de l'âme. Que notre corps soit d'argile, rien de plus évident. Souvent il: arrive qu'an vase de terre tombe et se brise, notre corps se dissout de même heurté par la mort. Quelle différence y a-t-il entre la terre cuite et les os? N'est-ce pas même dureté et même sécheresse ? Et les chairs en quoi diffèrent-elles de la boue, ne sont-elles pas aussi molles et humides? Pourquoi donc, encore une fois, l'apôtre ne prend-il pas en cet endroit le terme « vase « de terre » en mauvaise part? C'est qu'il y parle de la nature, et que dans le verset que nous interprétons il parle de la volonté.

« Si donc quelqu'un se garde parfaitement pur», non pas seulement pur, mais « parfaitement pur, il sera un vase sanctifié pour l'honneur, propre au service du Seigneur ». Les autres donc lui sont inutiles, bien qu'ils aient peut-être leur usage à quelque chose; mais ils ne sont point « préparés pour toutes sortes de bonnes oeuvres », comme les vases d'honneur qui, même lorsqu'ils ne servent pas, sont bons et susceptibles de servir. Il faut donc être préparé à tout, et à la mort, et au martyre ; il faut être préparé à la virginité et à tous ces sacrifices ensemble. — « Fuyez les désirs des jeunes gens ». Saint Paul n'entend pas ici seulement les désirs contraires à la chasteté, mais tous les désirs désordonnés. Que ceux qui ont vieilli apprennent ici à ne pas se livrer aux passions de la jeunesse. L'insolence, l'ambition, la cupidité, l'amour charnel, voilà des désirs de jeunesse, désirs insensés, désirs d'un coeur non encore affermi, d'un esprit sans solidité, sans fixité, et qui voltige à tous les souffles du monde. Fuyez les chimères de la jeunesse pour ne pas être pris de ces passions. — « Et suivez la justice, la foi, la charité, la paix avec tous ceux qui invoquent le Seigneur d'un coeur pur ». Par le mot « justice », saint Paul entend la vertu en général, la piété, la foi, la charité, la douceur. Qu'est-ce à dire, « avec ceux qui invoquent le Seigneur d'un coeur pur? » C'est comme s'il disait : Ne vous fiez qu'à ceux-là seuls, et non à ceux qui invoquent simplement; fiez-vous à ceux qui invoquent sans déguisement, sans hypocrisie, à ceux qui sont sans fraude, à ceux qui procèdent en tout avec calme et dans la paix, et qui n'aiment pas les querelles. Joignez-vous à ceux-là; quant aux autres, il ne faut pas se lier avec eux, mais seulement garder avec eux la paix autant que faire se peut.

2. « Quant aux questions impertinentes et oiseuses, évitez-les, sachant bien qu’elles enfantent les contestations». Vous voyez comment partout saint Paul éloigne Timothée des disputes. Ce n'est pas que ce disciple n'eût assez (378) de lumières pour réfuter l'erreur; s'il en eût été ainsi, l'apôtre lui aurait recommandé de se rendre capable de confondre l'erreur, comme lorsqu'il lui dit: « Appliquez-vous à la lecture : en faisant ainsi, vous vous sauverez vous-même et ceux qui vous écouteront ». (I Tim. IV, 13.) Mais il savait qu'il est absolument inutile d'engager ces disputes, qui ne peuvent aboutir qu'à des contestations, à des haines, à des insultes, à des injures. Evitez donc ces disputes. Mais il y en a d'autres, il y en a sur les Ecritures et sur d'autres questions.« Il ne faut pas que le serviteur du Seigneur combatte ». Il ne doit pas combattre même en contestation. Le serviteur de Dieu doit se tenir éloigné de toute sorte de luttes. Dieu est un Dieu de paix. Comment le serviteur du Dieu de paix vivrait-il dans les combats? — « Mais il faut qu'il soit doux envers tout le monde ». Comment cela s'accorde-t-il avec ce qu'il dit ailleurs : « Reprenez-les avec une entière autorité » (Tit. II, 15); et dans la première épître à Timothée : « Que personne parmi les jeunes gens ne vous méprise » (I Tim. IV, 12 ) ; et encore : « Reprenez-les fortement? » (Tit. I, 15.) C'est que, reprendre ainsi, c'est faire oeuvre de mansuétude. Rien ne pénètre plus avant qu'une forte réprimande faite avec modération. On peut, sachez-le bien, on peut frapper plus fortement par la douceur que par la dureté. — « Qu'il soit capable d'instruire » tous ceux qui s'adressent à lui pour le consulter. Saint Paul dit aussi à Tite (III, 10) qu'il faut éviter celui qui est hérétique, après l'avoir averti une ou deux fois.

Il faut aussi qu'il soit « patient » . Ceci est ajouté fort à propos, car rien n'est plus nécessaire que la patience à celui qui instruit les autres, sans elle tout le reste est inutile. Si les pécheurs qui jettent tout le jour leurs filets sans rien prendre, ne se découragent pas néanmoins, à plus forte raison devons-nous avoir autant de patience qu'eux. Voici en effet ce qui se passe : il arrive très-souvent que par la continuité de l'enseignement, le discours pénétrant jusqu'au fond de l'âme, comme le soc de la charrue en terre, coupe jusqu'à la racine la passion mauvaise qui l'empêchait d'être fertile. A force d'entendre la parole, on en éprouvera nécessairement de l'effet. Il n'est pas possible que la parole évangélique, continuellement entendue, reste sans opérer. Un tel allait peut-être enfin se laisser convaincre au moment où notre découragement est venu tout perdre. La même chose arrive que si un agriculteur ignorant, après avoir planté une vigne, la cultivait une première année, puis une seconde, et encore une troisième, s'attendant toujours à récolter, et, découragé de ne pas trouver de fruit, cessait de la travailler la quatrième année, c'est-à-dire au moment même où sa vigne allait le payer de ses peines.

Saint Paul ne se contente pas encore des qualités qu'il vient d'énumérer, il ajoute: « Il doit instruire avec douceur ceux qui résistent à la vérité ». Pour instruire, la douceur est avant tout nécessaire. Une âme ne profite pas de l'instruction qu'elle reçoit si on la traite avec rudesse. Quelque bonne volonté qu'elle ait, le trouble qu'on lui cause l'empêche de rien retenir. Pour suivre utilement les leçons d'un maître, il faut avant tout être bien disposé en sa faveur. A défaut de cette condition préalable, rien d'utile ni de bon ne se fait. Or, le moyen d'aimer quelqu'un qui vous rudoie, qui vous insulte ? Mais comment cela s'accorde-t-il encore avec le passage déjà cité plus haut : « Quant à l'hérétique, après l'avoir averti une ou deux fois, évitez-le?» Il veut parler de l'hérétique incorrigible, de celui dont la perversité est incurable. — « Dans l'espérance que Dieu leur donnera un jour l'esprit de pénitence pour la connaissance de la vérité, et qu'ils viendront à résipiscence, se dégageant des filets du diable ». Voici ce qu'il veut dire : Peut-être se couver. tiront-ils. « Peut-être » marque l'incertitude. Il faut s'éloigner de ceux seulement de qui on peut affirmer qu'ils ne se corrigeront pas, et qui certainement ne reviendront pas de leur égarement. — « Avec douceur ».Vous voyez dans quelle disposition il faut s'approcher de ceux qui veulent s'instruire, et qu'il ne faut pas abandonner les conférences avant la démonstration complète de la vérité. — « Du diable qui les tient captifs pour en faire ce qui lui plaît ». L'expression « les tient captifs » est bien choisie, elle fait songer à des poissons retenus enfermés dans les eaux de l'erreur. Ce passage contient aussi une leçon d'humilité. Il ne dit pas : Peut-être pourront-ils se corriger, mais: Peut-être Dieu leur fera-t-il la grâce de se corriger. S'il s'opère quelque chose, ce sera l'oeuvre du Seigneur. Vous planterez, vous arroserez, mais c'est lui qui (379) fécondera et fera porter des fruits. Ne nous flattons donc pas d'avoir converti personne, quand même quelqu'un se serait converti à notre parole. — « Qui les retient captifs pour en faire ce qui lui plaît ». Ceci ne concerne pas seulement les dogmes, mais aussi la vie et la conduite. Dieu veut que notre,vie soit droite. Il y en a de retenus dans les filets du diable à cause de leur vie. Il ne faut pas non plus désespérer d'eux, « dans l'espérance qu'ils reviendront à résipiscence, et qu'ils se dégageront des filets du diable où ils sont maintenant retenus captifs ». — « Dans l'espérance que... » indique assez la longanimité dont il faut user. Le filet du diable c'est de ne pas faire la volonté de Dieu.

3. Qu'un oiseau ne soit point pris par tout le corps dans un filet, mais seulement par un pied, il ne laisse d'être en la puissance de l'oiseleur qui l'a pris; de même il n'est pas nécessaire pour que le démon nous tienne en son pouvoir. que nous lui donnions prise partout à la fois, c'est-à-dire sur notre foi et sur notre vie, il suffit qu'il ait prise sur notre vie. « Celui qui me dira : Seigneur, Seigneur, n'entrera pas pour cela dans le royaume des a cieux.... Mais je leur dirai, je ne vous connais pas, retirez-vous de moi, vous qui opérez l'iniquité ». (Matth. VII, 22.) Voyez-vous que la foi ne sert à rien sans les oeuvres, puisqu'elle ne fait pas que le Seigneur nous connaisse? Cette même parole : « Je ne vous connais pas », il y aura même des vierges à qui le Seigneur la dira. (Ibid. XXV, 12.) Quel profit relireront-elles donc de leur virginité et de leurs travaux, puisque le Seigneur ne les connaîtra même pas ? C'est partout que nous voyons des personnes irrépréhensibles quant à la foi, punies pour leur mauvaise vie seulement. Nous voyons aussi tout le contraire, c'est-à-dire, des personnes qui se perdent par le défaut de foi, quoique .d'ailleurs leur vie soit irréprochable. Ce sont là deux choses qui se complètent l'une l'autre. Vous le voyez donc, nous tombons sous le filet du diable pour ne faire pas la volonté de Dieu. Pour nous jeter en enfer, il n'est pas même besoin de toute une vie passée dans le mal, il suffit d'un défaut s'il n'est pas racheté par un grand nombre de bonnes oeuvres. On n'accuse point les vierges folles de fornication, d'adultère, d'envie, de jalousie, d'excès de vin, ni d'infidélité, on ne les accuse que d'avoir manqué d'huile, c'est-à-dire de n'avoir pas fait l'aumône, car c'est ce que signifie l'huile. On accuse aussi ceux qui seront condamnés au dernier jour et à qui l'on dira : « Allez, maudits, au feu éternel », de n'avoir pas donné à manger à Jésus-Christ ; on ne leur parle d'aucun autre crime.

Comprenez-vous donc assez, mes frères, que la seule omission de l'aumône vous fera condamner au feu de l'enfer ? En effet, à quoi pourrez-vous être utiles en ne faisant pas l'aumône? — Vous jeûnez tous les jours? — Mais de quoi servit aux vierges folles de l'avoir fait ? — Vous faites beaucoup de prières? — Mais la prière est stérile sans l'aumône. Sans l'aumône tout est inutile, tout est impur, et tout le reste de la vertu est en pure perte. « Celui qui n'aime pas son frère « ignore Dieu », dit l'Écriture. (Jean, III, 10.) Et comment pourriez-vous dire que vous l'aimez, si vous ne voulez pas partager avec lui ce qu'il 'y a de plus vil et de plus commun? Vous direz peut-être que vous vivez chastement. Par quelle raison le faites-vous? Est-ce par la crainte du supplice, ou par votre heureux tempérament? Si c'est la crainte du supplice qui vous rend chaste, et qui vous fait résister aux feux de l'intempérance, combien plus devrait-elle vous faire pratiquer l'aumône ! Il y a bien moins de peine à mépriser l'argent qu'à dompter la concupiscence. Celle-ci est innée en nous et profondément enracinée dans notre chair ; il n'en est pas de même de la passion de l'argent. Enfin il n'y a que l'aumône et la miséricorde qui nous rende semblables à Dieu. Si elle nous manque, tout nous manque. Jésus-Christ ne nous dit pas : Si vous jeûnez, si vous gardez la virginité, si vous priez, vous serez semblables à votre Père: car Dieu ne fait rien de semblable, et il ne le peut par sa nature; mais : « Soyez miséricordieux », dit Jésus-Christ, « comme votre Père céleste est miséricordieux ».(Luc, VI, 36.) C'est là l'ouvrage de Dieu; si cela vous manque, que vous reste-t-il? « Je veux la miséricorde et non le sacrifice », dit encore Dieu. (Osée, VI, 6.) Dieu a fait le ciel, il a fait la terre et la mer. Cela est grand sans doute et digne de sa sagesse infinie : mais rien de tout cela n'a fait autant d'impression à l'homme que son amour infini et sa tendresse incompréhensible. L'univers est assurément une oeuvre de sagesse, de puissance et de (380) bonté, mais ce qui l'est encore beaucoup plus, c'est que Dieu s'est fait esclave pour nous. Voilà ce qui excite surtout notre admiration et notre étonnement. Rien n'attire Dieu à nous comme la miséricorde. Tous les prophètes ne cessent de le répéter sur tous les tons. Mais quand je parle de miséricorde et d'aumône, je n'entends point parler de celle qui se fait de cap?ces. Ce n'est point là de la miséricorde. L'huile ne sort point de la racine des épines, elle ne sort que de l'olivier ; de même l'aumône ne peut sortir de la racine de l'avarice ou de l'injustice et des rapines. Ne ravalez pas l'aumône, né l'exposez pas au mépris de tout le monde. Si vous ravissez pour faire l'aumône , votre aumône est tout ce qu'il y a de pire. Tout ce qui vient de rapines ne doit point s'appeler charité, mais cruauté, mais inhumanité, vraie barbarie qui attaque non-seulement les hommes, mais Dieu même. Si Caïn l'offensa si fort autrefois seulement parce qu'il lui offrait ce qu'il avait de moindre, combien l'offensera plus celui qui lui offre le bien des autres. L'offrande n'est rien moins qu'un sacrifice, c'est un moyen de purification et non une souillure. Vous n'osez prier ayant les mains sales, et vous croyez, en offrant des biens de vos injustices, que Dieu souffrira l'impureté de ces offrandes ? Vous ne pouvez souffrir à vos mains des malpropretés qui sont sans crime, et vous en souffrez dans votre âme qui sont très criminelles ?

4. N'ayons donc point tant à coeur de faire nos offrandes et nos prières avec des mains nettes, que de n'offrir que des choses qui soient pures. Le contraire serait ridicule. Que diriez-vous, si l'on frottait avec soin une table pour la rendre propre et nette, et qu'on n'y servît ensuite que des choses dont la saleté ferait horreur? Ne serait-ce pas une moquerie indigne? Que nos mains soient nettes, à la bonne heure, mais de cette pureté que l'eau ne peut donner, et qui est peu de chose; qu'elles aient cette pureté que la justice seule donne et qui est la pureté véritable. Si elles sont pleines d'injustices, lavez-les mille fois si vous voulez, vous n'y gagnerez rien.. « Lavez-vous, soyez purs », dit le Prophète. (Isaïe, I, 16.) Dit-il ensuite : Allez aux fontaines, allez aux bains, allez aux étangs, allez aux fleuves ? Nullement : mais, ôtez, dit-il, la malice de vos âmes. C'est là être pur, c'est là se purifier de ses souillures; c'est là la netteté que Dieu demande. La pureté extérieure sert fort peu, mais la pureté intérieurs nous donne accès auprès de Dieu et nous remplit d'une sainte confiance. La pureté extérieure peut se trouver chez les adultères,la voleurs, les homicides, les impudiques, les fornicateurs et les infâmes de toute espèce; à surtout chez eux. Ils ont un soin extrême de cette propreté du corps dont ils sont idolâtres, se parfumant des odeurs les plus exquises, et lavant leur corps qui n'est plus qu'un sépulcre, puisqu'il renferme une âme qui ne vit plus. Ils ont donc la pureté extérieure, mais ils ne    peuvent avoir la pureté intérieure, Qu'avez-vous fait de considérable en nettoyant votre corps ? C'est une purification judaïque inutile et superflue, si la pureté intérieure vous manque. Qu'un homme ait le corps plein de pourriture et d'ulcères, il aura beau se laver le corps, ce sera en vain. Si donc l'eau ne peut servir de rien au dehors à un corps corrompu et rempli d'infection, de quoi pourrait-elle servir quand c'est l'âme elle-même qui est empire de corruption?

Il nous faut des prières pures; orles prières ire sauraient être pures, lorsque l'âme d'et elles sortent est souillée. Rien en effet ne rend l'âme plus impure que l'avarice et la rapine, Cependant beaucoup de personnes, après avoir commis une infinité de crimes pendant le jour, se lavent le soir, entrent hardiment dans l'église, et lèvent leurs mains pour prier; comme si par cette eau ils- en avaient ôté toutes les souillures. Hélas !si cela était, j'avoue que ces bains où vous allez tous les jours,vous seraient très-avantageux. Je m'y trouverais moi-même souvent, s'ils avaient la vertu de purifier nos péchés. Mais ce sont là des plaisanteries, des niaiseries, des puérilités. Ce n'est point de la saleté des corps, mais de l'impureté des âmes que Dieu a horreur, «Bienheureux», dit-il, «ceux qui sont purs de coeur (entendez-vous, purs de coeur, non de corps), parce qu'ils verront Dieu ». (Matth. II, 5, 8: ) Et le Psalmiste, que dit-il ? « Créez en moi un coeur pur, ô Dieu », (Ps. XII.) « Purifiez votre coeur de la malice », dit Jérémie. ( Jér. IV, 14.) Il est très-avantageux de prendre de bonne heure de bonnes habitudes. C'est peu de chose que celle dont nous parlons; cependant l'âme n'ose se présenter devant Dieu pour prier avant que de s'en être, (381) acquittée. Nous nous lavons, et ensuite nous prions comme s'il ne nous était pas permis de prier avant que de nous être lavés. Nous ne prions point Dieu de bon coeur, si nous n'avons auparavant cette pureté des mains; nous croirions l'offenser en priant sans cette précaution, et souiller notre conscience. Si cette coutume qui, comme j'ai dit, est peu importante, a tant de force néanmoins que c'est pour nous une espèce de nécessité de nous en acquitter tous les jours, qui peut douter que si nous avions pris la même habitude pour taire l'aumône avec la ferme résolution de rentrer point les mains vides dans la maison de prière, nous ne nous en acquittassions avec la même fidélité? Et j'ajoute avec la même facilité?Car la force de l'habitude est extrême, soit dans le bien, soit dans le mal. Quand elle nous entraîne, rien ne nous coûte plus.

Il y en a beaucoup qui ont pris l'habitude de faire sur eux-mêmes des signes de croix continuels. Dès lors ils n'ont plus besoin qu'on les avertisse de le faire, ils le font comme naturellement, et souvent lorsque leur esprit est ailleurs; cette coutume qu'ils ont prise est comme un maître animé qui les avertit et conduit leurs, mains dans l'impression de ce signe sacré. D'autres se sont accoutumés à ne jurer jamais, ni de bon gré, ni de force; et alors ils ne peuvent plus jurer. Habituons-nous de même à faire l'aumône et nous n'y trouverons plus aucune peine. Combien aurions-nous besoin de nous fatiguer pour trouver un autre remède- qui fût aussi puissant et aussi efficace ? Si, étant aussi chargé de péchés que nous le sommes, nous n'avions cette consolation entre les mains, combien gémirions-nous dans le désir de pouvoir racheter nos péchés avec de l'argent ! Ne donnerions-nous pas de bon coeur tout notre bien pour apaiser la colère de notre juge ? Si dans les grandes maladies, on dit de plusieurs personnes: si l'on pouvait se racheter de la mort, cet homme donnerait tout son bien pour le faire; ne s'y résoudrait-on pas avec beaucoup plus d'empressement encore pour se racheter des rigueurs du jugement suprême? Admirez quelle est la bonté de Dieu. Il ne vous a pas donné les moyens de vous racheter de la mort temporelle, mais il fait qu'il dépend de vous de vous racheter d'une plus terrible, de la mort éternelle. Ne pensez point, dit-il, à vous conserver une vie si courte et si misérable; travaillez à vous en acquérir une heureuse qui n'aura jamais de fin. C'est cette dernière que je veux vous vendre et non l'autre. Je ne veux pas vous tromper. Je sais, quand vous auriez celle-ci, que vous n'auriez rien : mais je connais le prix de celle que je vous réserve. Je ne ressemble pas à ces marchands qui ne pensent qu'à tromper, et à vendre cher ce qui en soi vaut peu de chose. Ce n'est pas là ma conduite, pour peu de chose, je donne beaucoup.

Dites-moi, si, entrant chez un joaillier, vous voyez là deux pierres, l'une tout à fait commune et de nul prix, l'autre fort précieuse constituant à elle seule une fortune, et que, payant le prix de la pierre commune, vous reçussiez du vendeur la pierre précieuse, feriez-vous à celui-ci un grime de sa générosité ? Point du tout, vous l'admireriez au contraire. C'est ainsi que l'on vous traite. On vous propose deux vies, l'une temporelle et l'autre sans fin. Dieu en est le vendeur; mais il lui plaît de nous livrer celle-ci et non celle-là, pourquoi nous fâcher comme des enfants sans raison de ce que nous recevons la précieuse et non pas l'autre ? — Peut-on acheter la vie avec de l'argent, dites-vous ? On le peut, pourvu que nous donnions de notre bien et non du bien d'autrui. — Mon bien est à moi, dites-vous, — ce que vous volez n'est pas à vous; quand vous diriez mille fois que vous en êtes maître, il ne vous appartient pas. Qu'on mette un dépôt entre vos mains; il est chez vous pendant l'absence de celui qui vous l'a confié; direz-vous pour cela qu'il vous appartient ? Si donc lorsqu'un ami met ce dépôt entre vos mains, et vous sait gré de le vouloir bien garder, vous ne pouvez néanmoins dire qu'il soit à vous, pendant le temps même qu'il est dans votre maison, combien moins pouvez-vous le dire d'un argent que vous enlevez aux autres malgré eux et par violence ? Il leur appartient toujours quoi que vous puissiez dire et faire. Il n'y a que la vertu qui soit réellement. à nous. Quant à l'argent, le nôtre ne nous appartient même pas, loin que celui des autres nous appartienne. Il est à nous aujourd'hui, et demain il n'est plus à nous. La vertu au contraire est à nous, car elle ne se perd pas comme l'argent, elle reste tout entière à ceux qui la possèdent. Acquérons-la donc et méprisons les richesses, afin que nous puissions être trouvés dignes des vrais biens. Ainsi soit-il.

 

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