LETTRE VI

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LETTRE VI.

 

 Magnifique éloge du courage d'Olympiade. — Il s'accroît avec les persécutions. — La pensée de tant de mérites doit l'inonder de joie et de bonheur.

 

A LA MÊME.

 

1. Je reviens des portes de la mort, et je suis bien aise que vos serviteurs ne soient arrivés ici qu'au moment où j'atteignais déjà le port. II ne m'aurait pas été facile de vous tromper, et de vous donner de joyeuses nouvelles au lieu de tristes, s'ils s'étaient présentés au moment où j'étais comme sur une mer agitée, en proie aux flots irrités de la maladie. L'hiver a été plus rigoureux que de coutume; il a porté le trouble dans mon estomac, et la mort m'eût semblé moins pénible que les douleurs que. j'ai éprouvées depuis deux mois. Je ne vivais en effet que pour sentir les maux qui m'assiégeaient; tout était pour moi ténèbres, le jour, le matin, le midi; j'étais comme perpétuellement cloué sur mon lit; j'avais beau recourir à tous les moyens possibles, je ne pouvais guérir cette maladie que le froid m'avait fait contracter. J'allumais du feu, j'étais suffoqué par la fumée, je me tenais renfermé dans une chambre, j'étais chargé de vêtements, je n'osais franchir le seuil de ma demeure et néanmoins je souffrais horriblement. C'étaient des vomissements, des douleurs de tête, le manque d'appétit, de perpétuelles insomnies. La nuit se passant ainsi sans dormir, me semblait un océan à traverser. Mais pourquoi troubler votre âme en insistant sur tous ces ennuis? Grâce à Dieu, nous en sommes délivrés. Dès le retour du printemps, dès que la température se fut un peu adoucie, toutes ces douleurs s'évanouirent d'elles-mêmes. Cependant il me faut prendre encore bien des précautions; je ne donne que peu de nourriture à mon estomac, afin qu'il puisse aisément la digérer. Mais c'est avec un amer chagrin que nous avons appris que vous aviez été sur le point de mourir. L'attachement que nous avons pour vous, l'intérêt que nous prenons à tout ce qui vous concerne, ne nous avaient pas permis de demeurer dans cette grave anxiété jusqu'à l'arrivée de votre lettre; à plusieurs reprises, des gens qui venaient de Constantinople nous avaient donné de bonnes nouvelles de votre santé.

Ce qui me réjouit surtout, ce n'est pas de vous savoir guérie, c'est de vous voir supporter avec courage tous les maux de la vie et de vous entendre les comparer à une fable. Vous appelez de ce nom même les maladies corporelles, et c'est le signe d'une âme énergique et qui porte des fruits abondants de patience et de courage. Oui, supporter courageusement l'adversité, bien plus, ne pas même. en ressentir les atteintes, les mépriser, mettre sur son front cette couronne de la patience avec tant de facilité, sans travailler, sans se couvrir de sueur, sans éprouver d'embarras, sans en donner aux autres, mais comme en se jouant et en courant, c'est la preuve d'une sagesse accomplie. Aussi je me réjouis, je tressaille d'une allégresse qui me donne, pour ainsi dire, des ailes; je ne songe ni à ma solitude, ni à mes autres ennuis; mais le bonheur inonde mon coeur; je suis fier de votre grandeur d'âme et de vos nombreux triomphes, non-seulement à cause de vous, mais à cause de cette grande et populeuse cité, dont vous êtes comme la tour, le port et le rempart. Votre conduite, votre patience, c'est une voix puissante qui apprend aux deux sexes à se tenir prêts pour le combat, à descendre avec courage dans l'arène, et à supporter de bon coeur toutes les fatigues de la lutte. Chose admirable ! vous n'allez point sur la place publique, vous ne vous avancez pas au milieu de la ville; non, vous êtes dans une chambre étroite, assise sur votre lit, et là, vous, fortifiez, vous excitez ceux qui vous entourent.

La mer est furieuse, les flots s'amoncellent, vous naviguez au milieu des récifs et des rochers, exposée aux monstres marins, au sein des plus profondes ténèbres; et vous vous avancez comme si tout était calme, comme si vous aviez le vent en poupe, grâce aux voiles de la patience que vous déployez; non-seulement la tempête n'engloutit pas votre navire, l'eau même n'y entre point, et je n'en suis pas surpris; la vertu tient le gouvernail avec tant d'habileté ! Les marchands, les pilotes, les matelots, les nautonniers, quand ils voient les nuages s'amonceler, quand ils entendent les vents mugir en se déchaînant sur les mers, quand ils voient les flots se soulever et se couvrir d'écume, se gardent bien de sortir du port. S'ils sont surpris par la tempête au milieu de l'océan, ils mettent tout en oeuvre pour aborder à quelque rivage ou dans une île. Mais vous, quand tous les vents se déchaînent, (433)  quand de toute part les flots se brisent les uns contre les autres, quand la mer est remuée jusque dans ses profondeurs, quand les uns s'abîment sous les vagues, et que les autres, déjà morts, flottent au-dessus des ondes, quand d'autres sans vêtements flottent sur quelque débris, vous vous élancez au sein de cet océan de souffrances, que vous appelez une fable, et vous naviguez, poussée par un vent favorable. Je n'en suis point surpris. Le pilote, quelle que soit son habileté, n'en a pas assez cependant pour faire toujours face à la tempête, et c'est - pourquoi souvent il évite de se mesurer avec les flots. Mais vous, nulle tempête ne vous trouve en défaut, grâce à cette sagesse, à cette force bien meilleure que celle d'une armée, plus puissante que celle des armes, plus sûre qu'une tour ou des murailles. Les armes, les murailles, les tours mettent les corps en sûreté, et encore pas toujours, pas en tout temps; parfois on en triomphe, et tout espoir de salut disparaît aux yeux de ceux qui comptaient sur leur appui. Les armes que vous employez n'ont point brisé les traits des barbares, ni les machines des ennemis, elles n'ont point repoussé leurs assauts, ni déjoué leurs artifices. mais elles ont terrassé les nécessités de la nature, elles ont renversé sa tyrannie, elles en ont détruit la forteresse. Dans vos luttes contre les démons, que de palmes vous avez conquises, sans recevoir aucune blessure ! Ils faisaient pleuvoir sur vous une grêle de traits; ils n'ont pu vous abattre; bien mieux, vous avez retourné contre eux les traits qu'ils vous lançaient! Quelle sagesse, quelle habileté! On veut vous accabler, et c'est vous qui terrassez; on vous dresse des embûches, et ce sont vos ennemis qui y tombent; leur méchanceté ne sert qu'à vous fournir une ample moisson de mérites et de gloire. Vous le savez, vous en avez fait l'expérience, vous n'avez donc pas tort d'appeler tout cela une fable. Et comment ne le feriez-vous pas? Vous êtes revêtue d'un corps mortel, et vous méprisez la mort, comme ceux qui ont hâte de quitter une terre étrangère pour retourner dans leur patrie. En proie à une cruelle maladie, vous êtes plus joyeuse que ceux dont le corps est robuste et vigoureux; ni les outrages ne vous abattent, ni les honneurs et la gloire ne vous enflent d'orgueil; et que d'autres cependant y ont trouvé leur perte ! que de prêtres, même après avoir jeté de l'éclat, après être arrivés à une extrême vieillesse, sont tombés, malgré leurs cheveux blancs, et sont devenus la fable de tous! Malgré votre sexe, malgré la faiblesse de votre corps, vous avez résisté à toutes ces attaques; non-seulement vous n'avez point succombé, mais vous avez soutenu les autres.

Ceux dont je parlais tout à l'heure ont à peiné engagé le combat; c'est dès le début, c'est au seuil même de la carrière qu'ils ont succombé; vous, que de fois n'avez-vous point atteint la limite, gagnant une palme à chacune de vos courses! quelle espèce de combats n'avez-vous point soutenus ! C'est que ni l'âge, ni le corps -ne donnent la victoire; mais l'âme et la volonté. C'est ainsi que des femmes ont mérité la couronne, et que des hommes ont été vaincus; c'est ainsi que des enfants ont été proclamés vainqueurs, et que des vieillards ont été couverts de confusion. Ah ! admirons ceux qui recherchent la vertu, et quand tant d'autres la négligent, félicitons ceux qui l'embrassent avec ardeur. C'est à ce titre qu'il convient de vous décerner de vifs éloges. Tant d'hommes, tant de femmes, tant de vieillards renommés pour leur vertu, ont tourné le dos, sont tombés, se sont laissé vaincre aux yeux de tous, sans que l'attaque fût impétueuse, sans que l'ennemi fût terrible, avant le combat, avant la mêlée; vous au contraire, après tant de combats, après tant de mêlées, non-seulement vous n'êtes pas affaiblie, épuisée par cette légion de souffrances, vous n'en avez que plus de vigueur, et plus les combats se multiplient, plus aussi grandit votre courage. Le souvenir de vos glorieuses actions vous remplit de joie, de volupté, d'ardeur. C'est pourquoi, nous nous réjouissons, nous tressaillons, nous sommes heureux; c'est ce que je ne puis me lasser de redire; partout ce motif de joie me poursuit, et si notre absence vous chagrine, du moins devez-vous trouver de grandes consolations dans la pensée de vos vertus, puisque nous-même, séparé de vous par une si longue distance, votre courage nous cause tant de bonheur.

 

 

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