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SERMON (a) ADRESSÉ AUX PRÉLATS ASSEMBLÉS EN CONCILE.
Sur ce passage : Il faut que nous soyons tous présentés au tribunal de Jésus-Christ afin que chacun reçoive selon ce qu'il a opéré dans son corps, soit le bien, soit le mal (II Cor. V, 10).
1. On m'impose l'obligation, lourde pour moi, de porter la parole dans une grande assemblée, et cela non à cause de ma sagesse, mais à cause de l'ombre d'un nom qui était grand naguère par-dessus tous ceux qui étaient alors ou qui sont aujourd'hui sur la terre. Fasse le ciel que l'on n'attende de moi rien de ce qui me manque, ni pensées subtiles ni développements habiles. Ce n'est pas à moi qu'il a été dit : « vos lèvres sont un rayon qui distille le miel (Cant. IV, 11). » Et si j'étais ce que je ne suis pas, j'aurais encore à craindre ce que dit le Sage : « l'âme rassasiée foulera le miel aux pieds (Prov. XXVII,7). » Mais il arrive quelquefois qu'un palais émoussé est réveillé par des hors d'oeuvre d'une saveur un peu aigre; or pour tout esprit raisonnable est-il rien d'acerbe comme l'attente terrible du jugement? La pensée de la mort est amère, mais celle du jugement l'est bien davantage. C'est pourtant de la mort aussi que nous lisons ces paroles du Seigneur au Prophète: « Crie. Que crierai-je ? Toute chair est de l'herbe et toute sa gloire est comme la fleur de l'herbe : l'herbe s'est desséchée et sa fleur tombe, mais la parole du Seigneur demeure éternellement. (Isa. XL, 6).» De là vient que Salomon, le roi très-prudent, donne, à chaque pasteur, ce sage avertissement: « Remarquez soigneusement l'extérieur de vos brebis et considérez vos troupeaux. Vous ne serez pas, en effet, toujours pasteur, mais la couronne se donne de génération en génération. Les prés sont ouverts, les herbes verdoyantes se sont fait voir, et on a ramassé le foin des montagnes. Reconnaissez avec soin, dit-il, l'extérieur de vos brebis (Prov. XXVIII, 23). » C'est là tout ce que vous pouvez faire, puisque suivant l'Ecriture : « l'homme voit le visage, Dieu sonde le coeur : » De même donc qu'il est téméraire de juger des choses cachées dans le coeur d'autrui, de même il n'est point permis au pasteur de ne pas connaître ce qui parait sur le visage. Le visage offre des indices probables de la volonté, c'est pour cela que, en latin, le mot visage dérive dit-on de volonté. C'est à ces indices que se rapporte ce que dit le Seigneur: « vous les connaîtrez à leurs fruits. (Matth. VII, 16). » 2. Si le pasteur doit prendre garde de n'être pas soupçonneux en voulant sonder l'intention du coeur, il doit aussi s'appliquer à ne point
a Ce sermon fut prêché peu d'années après la mort d'Eugène III, comme cela découle du numéro 3. C'était aussi du temps du schisme, sous le pontificat d'Alexandre III, d'après les numéros 10 et 11. Selon le numéro 10, l'auteur fut un moine de Cîteaux, peut-être Gislebert, abbé de Cîteaux, à qui Alexandre III adressa une lettre. Dans les premières éditions, il était intitulé; Sermon dans le concile général. Mais ce mot général, parait avoir été ajouté d'après ce qui est dit au numéro 4, où le jugement dernier est appelé concile général.
négliger de considérer la conduite extérieure. Il lui est prescrit non-seulement de connaître le visage de son troupeau, mais encore de le connaître soigneusement; il ne doit donc pas présumer facilement qu'il a cette connaissance, s'il n'a point employé toute la diligence possible à l'acquérir. Vous ne serez pas toujours pasteur, il faudra un jour rendre compte de votre administration au souverain pasteur, lorsque viendra le temps où vous ne pourrez plus gérer ses affaires. « La couronne, dit l'Écriture, est donnée à une génération et ensuite à une autre (Prov. XXVII, 23). Et, ainsi que l'Apôtre l'enseigne, si plusieurs ont été établis prêtres, c'est parce que la mort en survenant, les empêchait de durer (Hebr. VII, 23). » Il n'y a point à s'étonner de voir se succéder tour à tour, ceux qui viennent pour tenir la place du souverain prêtre, dont l'Apôtre a dit : « Quant à Jésus, parce qu'il demeure à jamais, son sacerdoce est éternel (Ibid). » On donne donc de génération en génération la couronne à qui on demande compte de la dignité qu'elle confère. Cette alternative se trouve en ceux à qui on confie la fonction de lieutenant du Seigneur. Que ne ferait point l'ambition humaine pour obtenir cette couronne, si elle devait rester toujours sur la même tête ? Mais ici-bas elle a un terme après lequel on ne la porte plus, mais la concupiscence ne connaît aucun terme. Plût au ciel qu'on cherchât, qu'on aimât la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui l'aiment, comme ou aime et on cherche celle que le Seigneur laisse obtenir à bien des hommes qui le négligent. 3. Mais si cette couronne est donnée de génération en génération, combien durent aujourd'hui ces générations ! Si elles ne durent pas toujours peut-être durent-elles longtemps. Remarquez la suite du texte et faites attention à ce que vous voyez tous les jours : « Les prés ont été ouverts et l'on a vu les herbes verdir (Prov. XXVII, 23). » Voilà bien la prairie que le printemps fait renaître d'une manière agréable, couvre de fleurs éclatantes et enrichit d'une verdure délicieuse. Mais où est cette verdure en rapport avec cette vigueur de végétation ? Il y a peu d'années, sous notre saint père le pape Eugène III, de bonne mémoire, l'Eglise se réunit pareillement, et on vit briller en abondance des herbes verdoyantes. Où sont en ce moment ceux qui étaient verdoyants alors? Nous ne voyons ici qu'un petit nombre de ceux que nous y avons vus siéger, alors, et nous découvrons bien des places qui ont même déjà été remplies par plus d'un successeur. Beaucoup passent sous nos yeux, et malgré tant de leçons, la science n'est pas générale encore, et une négligence coupable se fait toujours sentir, selon cette parole : « Vous n'apercevez pas la mort lorsque vous voyez les sages mourir : l'insensé et le fou périront ensemble (Psalm. XLVIII, 11). Les prés, dit le Proverbe, ont été ouverts. » Mais que de fois ils ont été tondus et le seront encore, que de fois on les a fauchés et on les fauchera encore de génération en génération ! «Et l'on a vu les herbes verdir,» oui on voit ainsi briller aujourd'hui, en plusieurs, les dignités, l'autorité, la grâce extérieure du corps, la fortune et la faveur des princes, mais cet éclat dure peu. Enfin, le texte porte: on a vu les herbes verdir, non pas, on les voit verdir. C'est gaze, en effet, paraître est aussi court qu'il est long de ne pas paraître avoir paru. On les a vus ces prélats, paraître et disparaître, ils ont paru, et se sont évanouis ; on n'a même plus trouvé la place qu'ils occupaient, ou plutôt, on la trouve mais elle est vide pour longtemps. Vienne à mourir n'importe qui, on trouve facilement, en grand nombre, des hommes pour le remplacer. « On a vu les herbes verdir, dit le texte, on a ramassé le foin des montagnes : parce que toute vigueur a été languissante et la grandeur des hommes humiliée. » 4. Ces considérations auraient dù suffire pour nous inspirer le mépris du monde : mais à condition que nous négligions des choses périssables et que nous craignions celles qui sont nuisibles. Car la trompette du salut fait résonner à nos oreilles, par l'organe de l'Apôtre, des accents plus terribles : « Il faut que nous comparaissions tous devant le tribunal de Jésus-Christ (2. Cor. V, 19). » Nous nous trouvons dans un concile, nous sommes convoqués à un concile , et même à un concile général, auquel personne ne fera défaut; tous les hommes s'y trouveront, et non-seulement leurs mérites, niais encore leurs oeuvres y seront jugées. Si plusieurs réfléchissaient à cette pensée avec le sérieux qu'elle réclame, ils ne chercheraient pas de la sorte les prévôtés après les archidiaconats ; ils ne brigueraient point pour eux ou pour les leurs des doyennés après les trésoreries, les malheureux, ils n'entasseraient pas avec une passion si lamentable bosse sur bosse, quand une seule suffit pour empêcher le chameau de passer par le trou d'aiguille de l'entrée du royaume des cieux. Ils devraient bien plutôt réfléchir à ce qu'ils ont lu : « Ne devenez pas maîtres en grand nombre, mes frères, sachez que vous encourez un jugement plus redoutable (Jac. III, 1). » Ils ne devraient point oublier non plus, que les hommes spirituels se glorifient de juger en attendant les actions des autres et de n'être jugés par personne. « Un jugement très-sévère sera fait de ceux qui commandent. Et les puissants seront puissamment tourmentés (Sap. VI, 6).» On accorde facilement miséricorde au petit qui aime mieux être jugé en cette vie, par les hommes, parce qu'il sait qu'il est horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant. 5. C'est devant son tribunal que nous devons tous comparaître pour recevoir chacun selon nos oeuvres. On ne verra point alors ce que l'on voit et dit actuellement de plusieurs, que leur nombre les défend. Il n'y aura là ni acception de personnes, ni tergiversation favorable ; celui à qui nous parlerons en cet instant, verra tout à découvert sous ses yeux il n'y aura rien de passé sous silence, là où on rendra compte même d'une parole oiseuse. A combien plus forte raison, par conséquent, examinera-t-on quel poste chacun a occupé dans le corps de Jésus-Christ, qui est l'Église ; comment, dans quelle intention, avec quels mérites et quel appui on y est arrivé, de quelle manière on s'y est comporté, comment on a présidé, quel bien on a fait aux autres, par quels procédés on a acquis les biens de ce monde et quel emploi on en a fait après les avoir obtenus ; car chacun recevra le bien ou le mal selon la conduite qu'il a tenue tant qu'il a vécu dans son corps. O bien vraiment bon! ô mal grandement mauvais ! Heureux ceux qui, dans leur vie, ont souffert le mal, afin de mériter de recevoir le bien! Et malheureux ceux qui coulent leurs jours dans le bonheur, pour être ensuite, plongés, en un clin d'oeil, dans un tel mal. Délivrez-nous, Seigneur, de ce mal qui se trouvera à la fin, comme vous nous avez appris à vous le demander à la fin de la prière. Car ce sera alors, le bien souverain, le bien parfait, le bien total dont il est dit à Moïse : « Je te montrerai tout bien (Exod. XXXIII, 19). » De même le mal sera tout mal, c'est le feu et le ver, celui-ci immortel, l'autre inextinguible ; les chaînes et les ténèbres, les pleurs et les grincements de dents ; la douleur sans remède, la mort sans terme, la perpétuelle et infructueuse pénitence, la damnation éternelle sans espoir de pardon. 6. Que feront alors ceux qui, en cette vie, nourrissent leurs corps dans les délices? Que l'homme d'argent tremble à la pensée de la mort, qu'il ne possède pas avec amour ce qu'il laissera bientôt avec douleur. Il n'a rien apporté en ce monde, nul doute qu'il n'en emportera rien. Que l'ambitieux craigne ce jugement futur de la consommation de toutes choses, où il commencera peut-être à tenir la dernière place, où il verra les puissants renversés de leurs sièges et les humbles exaltés. Que le voluptueux tremble à la pensée du mal éternel, du supplice sans fin, de ce séjour où la teigne s'étendra sur lui, et où les vers lui serviront de vêtements. Tous ces supplices qui nous sont annoncés d'avance, si on n'y croit pas, je le demande, pourquoi les lit-on; et si on y croit, comment ne les craint-on pas Y Ou bien encore comment les craint-il, aujourd'hui, ce clerc devenu riche de pauvre qu'il était, comblé d'honneur après être sorti d'une basse extraction ? C'est avec raison que jadis la sagesse nous avertissait de fuir ces personnes comme la peste ; mais actuellement, comment le fuirions-nous? On la trouve même dans les îles les plus petites. D'où tire-t-elle son origine, voyez-le vous-mêmes. 7. Car c'est là une vraie peste qui a déjà envahi tout l'univers. C'est une gangrène qui a déjà infecté, pour ne pas dire, fait mourir le corps de l'Église. « De la plante des pieds jusqu'au sommet de la tète, il n'y a pas de partie saine en lui » dit le Prophète. « C'est une blessure, une meurtrissure et une plaie gonflée qui n'est point enveloppée de linges, ni ointe d'huile (Isa. I, 6). » Rapportez la blessure à la faute, la meurtrissure à la note, la tumeur à l'orgueil. Il y a blessure, quand la conscience est atteinte au dedans ; il y a meurtrissure, quand la vie est décolorée môme au-dehors; il y a plaie et tumeur, lorsqu'on ajoute à tout cela l'impudeur, selon cette parole, « ils n'ont point éprouvé de confusion, ils n'ont pas su rougir (Jerem. VIII, 12). » Il y a blessure et meurtrissure, lorsqu'on est moins attentif à pourvoir à ce qui est bien devant Dieu et devant les hommes; plaie et tumeur lorsque la crainte du Seigneur ne vient pas à la suite de la blessure, quand la honte ne vient pas de la meurtrissure, qu'on se réjouit quand on a fait le mal, et qu'on se glorifie dans la malice, enfin lorsqu'on ne respecte ni Dieu ni les hommes. Parfois la blessure est sans meurtrissure, c'est lorsqu'on agit avec prudence, sinon avec pureté. Il y a plaie et meurtrissure sans tumeur lorsque ceux qui ont péché, loin de s'enorgueillir de leur faute, commencent à rougir et à craindre. Rien n'empêche, comme cette enflure, notre très-clément Samaritain, de lier la plaie et d'y verser l'huile et le vin. Aussi est-ce de cette blessure enflée, qu'il est dit : « Elle n'est pas entourée de linges, elle n'a reçu l'application d'aucun remède, elle n'a pas été frottée d'huile (Isa. I, 6). » Elle n'est pas bandée, dit le texte, parce qu'il n'est personne qui réprime; elle ne reçoit aucune application de remède, parce que personne ne blâme; elle n'est pas frottée d'huile, parce que personne n'apporte, en abordant les pécheurs, même un léger avis. Cependant cette plaie pourra sembler frottée d'une huile réprouvée, de l'huile du pécheur. Ils réchauffent les vices ceux qui les favorisent, mais cette blessure est adoucie pour la perte, non pour le salut, lorsque le coupable est loué dans les désirs de son âme, et l'homme inique, comblé de bénédictions. Ce n'est pas de la sorte que l'Apôtre traite le pécheur, lorsqu'il s'écrie d'une voix terrible : « Chacun recevra selon ce qu'il aura fait (Cor. V, 10). » Alors, ni les connaissances, ni les richesses, ni les faveurs humaines, ne seront d'aucune utilité. Nul injuste, nul indigne n'occupera ces seconds sièges qui, ainsi que nous le lisons, ont été préparés pour le jugement. 8. Plût au ciel que ceux qui aujourd'hui, aiment les premières chaires, qui les ravissent d'une manière coupable , et les ambitionnent avec impudence, désirassent de préférence ces sièges-là ! Car nous appelons secondes, les choses favorables, et, â l'opposé de ce que les hommes pratiquent d'ordinaire, le Seigneur nous réserve tout bien pour l'avenir, ainsi que cela se fit pour le bon vin. J'appelle seconds, les sièges que lévangéliste saint Jean nous montre en son Apocalypse, disposés autour du trône, de Dieu, pour les vingt-quatre vieillards (Apoc. IV, 4). Si on fait attention que ce nombre est double de celui des apôtres, on comprendra, sans difficulté, pour qui le juge a préparé ces sièges. En effet, dans certains hommes, on retrouve la vie et la doctrine apostolique, dans d'autres, on ne voit que la vie. Dans plusieurs, dis-je, se fait remarquer le mérite et l'office, et dans plusieurs, le mérite sans l'office. Si vous dites qu'on en trouve quelques-uns dépourvu de la perfection des apôtres dont ils n'ont hérité que l'épreuve, c'est à eux de voir où ils pourront siéger, ou plutôt à prendre garde de n'être point cette troisième partie des étoiles, que la queue du dragon fit tomber du ciel sur la terre. Ce n'est qu'à la profession qu'a été faite la promesse, ainsi que nous le lisons lorsque Simon Pierre dit au Seigneur : «Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre : Qu'aurons-nous donc en retour (Matth. XIX, 27) ? » Et le Seigneur lui répliqua : « Vous serez assis sur douze sièges, pour juger les peuples. » Or ce nombre de douze est doublé, ainsi que nous l'avons dit, parce que cette même profession paraît se rencontrer dans les prélats et dans les inférieurs, comme dans Noé et dans Daniel. On petit retrouver cette pensée dans les deux Séraphins, qui se tenaient, comme nous le lisons dans l'Écriture, sur le trône, où le Seigneur était assis (Isa. VI, 2).» Leur nom, en effet, signifie qui « brûle, ou qui enflamme ; » c'est le propre des religieux, de brûler, et celui des prélats, d'embraser. 9. Cependant nous croyons que, sous le symbole des quatre animaux qui apparurent dans une prophétique vision, sont désignés seulement les pasteurs et les prédicateurs de l'Église. On y vit des figures de lion, de boeuf, d'homme et d'aigle, et, par là, on nous fait remarquer quels doivent être les pasteurs, ces recteurs des âmes. Celui qui préside au peuple de Dieu doit, en effet, agir en lion, en corrigeant avec force les péchés; eu boeuf, remuant comme il en faut les choses de la terre ; en homme, en compatissant avec bonté à toutes les misères des hommes; en aigle, en volant dans les hauteurs, et en contemplant subtilement les choses divines. Plaise au ciel, que, aujourd'hui, parmi tes prélats, il ne s'en trouve aucun qui tienne trop du lion et trop peu de l'homme, qui sévisse contre ses sujets, sans retenue, commande avec sévérité et puissance, et ne se montre point homme ou ne se fasse point connaître comme tel aux autres hommes. Plaise au ciel qu'il n'y en ait aucun qui tienne trop de l'homme et trop peu du lion, et qui compatisse aux faiblesses des hommes, au point de n'avoir pas d'indignation contre les crimes ! aucun qui tienne trop du boeuf et pas assez de l'aigle, qui s'adonne trop immodérément aux choses de la terre et ne fasse pas assez attention aux choses célestes et divines ! aucun qui agisse trop comme l'aigle et n'imite pas assez le boeuf, et qui cherche avec tant d'application les biens du ciel, qu'il refuse d'administrer ceux de la terre! De là vient cet avis que le bienheureux Pape Grégoire donne dans son Pastoral: il faut que, parla compassion, le pasteur soit très-rapproché de chacune des âmes qui lui sont confiées, et que, par la contemplation, il s'élève au dessus de toutes . c'est en cela qu'on lui recommande d'avoir en même temps une face d'homme et une face d'aigle. Il faut de plus que, par l'humilité, il soit comme le compagnon de ceux qui font bien, et par son zèle de la justice, il s'élève contre les vices de ceux qui pèchent : il aura ainsi un visage de lion et un visage d'homme. Il faut, en troisième lieu, qu'en se livrant an soin des affaires extérieures, il ne diminué point celui qu'il doit consacrer à celles de l'intérieur, et que, pour se livrer aux premières, il n'abandonne pas les secondes : cela veut dire qu'il a uni, dans une proportion convenable, le visage du boeuf et celui de l'aigle. 10. Que le lecteur voie, à présent, s'il emploie avec à-propos et harmonie ces quatre faces d'animaux . qu'il examine pareillement en quoi il s'écarte surtout de la règle de 1 équité, ou par excès ou par défaut. En effet, si chacune de ces faces était sagement établie en ceux qui paraissent exercer la principauté dans l'Église ; si, à côté de ces animaux, il y avait sur la terre une seule. roue, roue qui non-seulement existerait, mais encore se montrerait aux regards, l'Église ne serait pas déchirée, bien plus, la tunique de Jésus-Christ ne paraîtrait pàs lacérée, elle ne le serait pas, elle ne pourrait pas l'être. Car bien que chaque Eglise particulière paraisse avoir son propre pasteur et que les saints animaux semblent traîner en quelque manière, plusieurs roues, l'aspect de ces églises doit être celui d'une roue placée au milieu d'une roue, de telle sorte que l'orbe d'une même société catholique les contienne toutes à la fois en soit enceinte. Qu'on trouve donc ici l'aspect d'une roue placée au milieu d'une autre roue, afin de fuir la dissimulation, qu'on y trouve aussi des oeuvres afin de prévenir la feinte. Il y en a qui dissimulent aujourd'hui leurs sentiments et ils n'ont pas d'aspect ; quelques-uns feignent ce qu'ils sont, mais on ne rencontre pas d'oeuvres en eux. Nous reconnaissons donc, à leurs fruits, ceux qui s'humilient par méchanceté, quand leur intérieur est rempli de ruses. Il eût assurément fallu que chaque prélat, de ce côté devînt la forme de son troupeau, afin que, nourris et exaltés par l'Église, ils ne méprisassent pas leur mère dans la nécessité. Les roues suivraient les mouvements des animaux, elles marcheraient quand ils marcheraient, s'arrêteraient lorsqu'ils s'arrêteraient, et s'élèveraient quand ils s'élèveraient; ce qui ne saurait se produire si l'esprit de vie n'était dans les roues. Autrement quelque progrès que les pasteurs fassent dans la vertu, avec quelque soin qu'ils y persévèrent et cherchent ce qui est en haut, non ce qui est sur la terre, jamais le peuple ne les suivra par la force prédominante de leur industrie personnelle, si la grâce du Saint-Esprit ne l'attire. Mais de nos jours, ô spectacle de pitié et de douleur, en plusieurs lieux, quand les animaux reviennent en arrière, les roues reviennent aussi; s'ils tombent, elles tombent de même, et s'ils s'inclinent vers la terre, elles s'y inclinent également. 11. Pardonnez-nous, révérends Pères, plusieurs se sont indignés contre nous et ont été scandalisés de ce que, dès le commencement de ce schisme, notre médiocrité n'a pas usé envers eux de dissimulation, et de silence, et ne s'est pas tenue en repos. Le mobile de cette conduite n'a point été 1a présomption humaine, mais bien la crainte du Seigneur. Nous avons redouté que cette petite roue de l'ordre de Cîteaux ne pût plus nous être d'aucune utilité, si elle n'était pas une roue ait milieu de la roue, et si elle n'y était pas, comme nous l'avons dit, en apparence et en effet. Si nous n'étions pas en communion avec l'Église, la profession monastique ne nous servirait de rien pour le salut éternel des âmes, salut qui nous fait vivre pour Dieu et pour lequel nous suivons cette voie pénible et dure. Mais il ne faut pas douter non plus que le membre qui ne veut pas être sous la tête, ne peut appartenir au corps. Si l'Église a établi, de ses enfants, princes sur la terre, à la place de ceux qui furent ses pères, elle ne l'a point fait par présomption ; mais en vertu de l'autorité divine, ainsi que le Saint-Esprit l'a proclamé jadis clans un psaume, en ces termes : « A la place de vos pères vous sont nés des enfants, vous les établirez princes sur la terre (Psalm. XLIV, 17). » C'est vous, dis~je, qui les établirez : ce ne sera pas la puissance séculière, ce sera l'unité ecclésiastique : en sorte que tout homme qui entrera d'une autre manière dans le bercail des brebis, n'est pas un pasteur, pas même un mercenaire, mais un voleur et un larron. Celui-là donc résiste à l'institution établie de Dieu, qui n'obéit pas au chef constitué par l'Eglise ; puisque c'est le Seigneur qui a réglé que, à la place de ses pères, elle établirait de ses fils pour être ses recteurs. Enfin, quiconque n'écoute pas l'Eglise, est réputé publicain et hérétique : non-seulement cela, mais il a renié la foi et il est pire qu'un infidèle. 12. Car voici la profession de foi que nous récitons dans la réception du baptême : après avoir dit que nous croyons en Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, nous ajoutons aussitôt, et la sainte Eglise catholique. Par conséquent, de même que celui qui ne croit pas en la très sainte Trinité détruit la foi première; de même celui qui abandonne l'unité de l'Eglise, l'annihile, la réduit pareillement à rien. Car on assure que se séparer de cette Eglise, qui s'est formée par le Saint-Esprit, est le péché irrémissible du blasphème contre ce même Esprit. Il existe, en effet, un très-grand rapport entre le Saint Esprit et l'Eglise : et, comme l'ange dit de la bienheureuse Vierge : « ce qui est né en elle est du Saint-Esprit (Matth. I, 20), n ainsi ce que nous voyons renaître est de l'eau et de l'esprit ; or, l'eau n'est pas autre chose que l'Eglise, ainsi que l'enseigne saint Jean en ces termes : « les eaux sont les peuples (Apoc. XVII, 15). » S'il en est ainsi, disons mieux, parce qu'il en est ainsi, c'est en vain qu'il est plongé dans les eaux, celui qui n'est pas uni aux peuples de l'Eglise. Nous tournant donc vers le Seigneur notre Dieu, rendons-lui de nombreuses actions de grâces au sujet de cette réunion si dévote, et adressons-lui d'instantes prières pour que, dans sa bonté, il daigne corriger les moeurs des catholiques et celles des hérétiques, par Jésus-Christ son Fils Notre-Seigneur, avec qui il vit et règne, en l'unité du Saint-Esprit, Dieu, dans tous les siècles des siècles. Amen.
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