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DISCOURS SUR LE PSAUME XCII.

SERMON AU PEUPLE

LE SIXIÈME AGE DU MONDE.

 

Le titre porte le sixième jour avant le sabbat, ou le jour de la création de l’homme, que Jésus-Christ est venu reformer au sixième âge du monde, de manière à nous conduire au véritable sabbat qui est le ciel. Il a consolidé la terre, ou les hommes dans la foi, et pour la consolider il s’est revêtu de beauté pour ses admirateurs, de force pour ses contradicteurs, de manière à prémunir les fidèles Contre les contradictions des hommes. Il s’est ceint par devant, c’est-à-dire qu’il a été humble, comme hie fit en se ceignant d’un linge pour laver les pieds à ses Apôtres. L’humilité est la pierre, d’autant plus solide qu’elle est plus abaissée. Mettre une ceinture devant nous, c’est résister à ceux qui nous insultent face à face, comme on disait à Jésus : Descends de la croix; car le courage est plus nécessaire. L’univers qui ne sera point ébranlé, c’est le froment que le van me chasse point de l’aire; l’autre, c’est la paille qui s’envole. Si donc nous ne pouvons nous séparer des injustes, séparons nous de leurs injustices. C’est là préparer un trône à Dieu, qui s’assied dans les saints ou les humbles, bien qu’il ait un trône éternel. Les fleuves ou les Apôtres ont élevé la voix quand l’Esprit-Saint a soufflé sur eux; la mer s’est soulevée contre eux, mais le Christ l’a calmée par sa victoire sur le monde : qu’il en soit béni à jamais.

 

1. A la lecture du psaume, nous en avons entendu le titre; et d’après les saintes Ecritures, c’est-à-dire le livre de la Genèse, il n’est pas difficile d’en connaître la signification. Un titre est en effet comme l’inscription placée sur le seuil d’une maison : il nous indique ce qui est â l’intérieur. Voici donc cette inscription : « Louange du cantique à David, pour le jour qui précéda le sabbat, quand la terre fut fondée ». Or, en considérant ce que Dieu fit chaque jour, quand il créa et disposa toutes choses, du premier au sixième jour (car il sanctifia le septième jour et le consacra par le repos, après toutes ses oeuvres, qui étaient excellentes), nous voyons qu’au sixième jour (et c’est bien celui de notre psaume, puisqu’il est marqué, la veille du sabbat), Dieu créa tous les animaux sur la terre. Puis le même jour, il créa l’homme à son image et à sa ressemblance. Or, cette disposition des six jours n’est pas sans raison, puisqu’elle annonce que les siècles doivent s’écouler, avant que nous nous reposions en Dieu. Et c’est nous reposer que faire des bonnes oeuvres. C’est pour cela qu’il est écrit que Dieu se reposa le septième jour, après avoir tait des oeuvres excellentes 1. Car la fatigue ne lui faisait point prendre son repos, et maintenant il n’est pas inactif, puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ nous dit « Mon Père agit sans cesse 2 ». Ainsi parlait-il aux Juifs, qui avaient au sujet de Dieu des pensées charnelles, qui ne comprenaient point que Dieu agit, bien qu’il se repose, qu’il agit toujours, bien qu’il se repose toujours. Donc nous aussi, que le Seigneur a voulu personnifier en lui-même, nous aurons le repos après les bonnes oeuvres. Il est vrai, mes frères, que les oeuvres que nous faisons ici-bas avant le repos, sont des oeuvres laborieuses en quelque sorte, et que Le repos dont il s’agit n’est qu’en espérance, et pas encore en réalité; et sans cette espérance nous succomberions au travail. Mais toutes ces bonnes oeuvres laborieuses passeront un jour. Quoi de meilleur que donner du pain à celui qui a faim ? Et, comme nous l’entendions tout à l’heure à la lecture de l’Evangile, quoi de plus saint que ce conseil général : « Que tout homme qui a deux tuniques en donne une à celui qui n’en a point, et que celui qui a de quoi manger

 

1. Gen. I et II, l-3. — 2.  Jean, V, 17.

 

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en donne à celui qui a faim 1? » Vêtir celui qui est nu, c’est une bonne oeuvre, mais cette bonne oeuvre subsistera-t-elle toujours? Elle est quelque peu pénible; mais elle nous console, par l’espérance du repos à venir. Et pourtant quelle peine y a-t-il à vêtir un pauvre ? Une bonne oeuvre est presque sans peine, le mal est plus laborieux. Vêtir un pauvre quand on peut le faire, n’est guère pénible; si on ne le peut : « Gloire à Dieu au plus « haut des cieux, et paix sur la terre aux a hommes de bonne volonté 2 ». Nais dépouiller celui qui est vêtu, qui pourra nous en dire la peine? Et pourtant tout cela doit passer quand nous arriverons à ce repos, où il n’y aura ni affamé à nourrir, ni pauvre à revêtir. Toutes ces bonnes oeuvres passeront donc, et ce sixième jour pendant lequel on fait ces oeuvres excellentes, a un soir. Or, au jour du repos, il n’y aura aucun soir, puisque notre repos sera sans fin. Comme donc ce fut au sixième jour que Dieu fit l’homme à son image 3; ainsi trouvons-nous que ce fut au sixième âge que Notre-Seigneur Jésus-Christ vint reformer l’homme à l’image de Dieu. Le premier âge, en effet, marqué par le premier jour, serait depuis Adam jusqu’à Noé; le second âge, qui serait comme un second jour, depuis Noé jusqu’à Abraham; le troisième âge, ou troisième jour, depuis Abraham jusqu’à David; le quatrième âge, ou quatrième jour, depuis David jusqu’à la transmigration à Babylone; le cinquième âge, ou cinquième jour, depuis la transmigration à Babylone jusqu’à la prédication de Jean-Baptiste; et le sixième jour, depuis la prédication de Jean-Baptiste jusqu’à la fin, et à la fin du sixième jour arrivera le repos. Nous sommes donc maintenant dans ce sixième jour. Si nous sommes dans ce sixième jour, voyez le titre du psaume: « Pour le jour qui précéda le sabbat, quand la terre fut fondée ». Examinons le psaume lui-même, et voyons quand la terre fut fondée, car elle ne le fut point peut-être ce jour-là. Ce n’est point en effet ce que nous lisons dans la Genèse. Quand donc la terre fut-elle fondée? Quand, sinon, comme nous l’avons lu tout à l’heure dans l’Apôtre : « Si vous demeurez dans la foi, fermes et inébranlables 4 ». Lorsque dans toute la terre, tous les fidèles sont inébranlables dans la foi, c’est

 

1. Luc, III, 11. — 2. Id. II, 14. — 3. Gen. I, 26. — 4. I Cor. XV, 58.

 

alors que la terre est fondée, que l’homme est fait à l’image de Dieu 1; ce que nous figurait le sixième jour de la Genèse. Mais comment Dieu a-t-il fait cette oeuvre, comment a-t-il fondé la terre? Le Christ est venu afin de fonder la terre. « Car nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui a été posé, qui est le Christ Jésus 2». C’est donc de Jésus-Christ que le psaume va parler.

2. « Le Seigneur a régné, il s’est couvert de gloire ; le Seigneur s’est revêtu de force, et il s’est ceint 3 ». Il a donc pris pour double vêtement la gloire et la force. Pourquoi s’en revêtir pour fonder la terre? Car le Psalmiste continue : « Il a consolidé la terre qui ne sera point ébranlée ». Comment l’a-t-il consolidée ? En se revêtant de gloire. Mais il ne la consoliderait point s’il ne s’était revêtu de force en même temps que de gloire. Pourquoi donc la gloire, et pourquoi la force? Car le Prophète a précisé l’un et l’autre: « Le Seigneur a régné, il s’est revêtu de gloire; le Seigneur s’est revêtu de force et a ceint ses reins ».Vous le savez, mes frères, Notre-Seigneur, venant dans sa chair et prêchant l’Evangile du royaume, plaisait aux uns, déplaisait aux autres. Car les Juifs étaient partagés à son sujet : « Les uns disaient : Il est bon; les autres: Non, il séduit la foule 4 ». Les uns parlaient donc de lui en bien, les autres en parlaient mal, le déchiraient, le mordaient, le noircissaient de leurs outrages. Il était donc revêtu de beauté pour ceux auxquels il plaisait, et de force pour ceux auxquels il ne plaisait point. Prends donc, toi aussi, le Seigneur pour modèle, afin que tu deviennes pour lui un vêtement. Sois revêtu de beauté pour ceux auxquels plairont tes bonnes oeuvres, et sois fort contre tes détracteurs. Ecoute comment Paul, cet imitateur du Christ, eut de la beauté, comment de la force: « Nous « sommes», dit-il, «la bonne odeur du Christ, en tout lieu, et pour ceux qui font leur salut et pour ceux qui périssent 5? » Ceux qui goûtent le bien, se sauvent; les détracteurs du bien doivent périr. Autant qu’il était en lui, Paul était le parfum du bien, il était même la bonne odeur. Malheur à ces misérables que la bonne odeur fait mourir. Car l’Apôtre n’a point dit : Nous sommes une bonne odeur pour les uns, une mauvaise odeur pour les

 

1. Gen. I, 26.— 2. I Cor. III, 11.—  3. Ps. XCII, 1. — 4. Jean, VI, 12.— 5. II Cor, II, 15.

 

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autres; mais bien : « Nous sommes la bonne odeur du Christ, en tout lieu, et pour ceux qui se sauvent, et pour ceux qui périssent ». Et il ajoute aussitôt: « Aux uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, aux autres une odeur de mort pour la mort 1». Il était donc revêtu de beauté pour ceux auxquels il était une odeur de vie, et de force pour ceux auxquels il était une odeur de mort. Si tu te réjouis quand les hommes te louent, quand ils prennent goût à tes oeuvres; si leur blâme te fait manquer de courage, et ralentit tes bonnes oeuvres, comme si tu en avais perdu le fruit en trouvant des détracteurs ; tu n’es pas immobile encore, et tu n’appartiens pas encore à « cette terre ferme qui ne sera point ébranlée, pour laquelle le Seigneur s’est préparé en se revêtant de sa force ». Saint Paul touche, à un autre endroit, cette force et cette beauté: « Par les armes de la justice, à droite et à gauche ». Vois où il place la beauté, où il place la force: « Par la gloire et par l’ignominie 2 ». Il est beau dans la gloire, il est courageux dans l’ignominie. Chez les uns on relevait en gloire, chez les autres on le méprisait. Il apportait donc la beauté aux premiers, et la force à ceux auxquels il ne plaisait point. C’est en ce sens qu’au même endroit il énumère tous ces contrastes jusqu’à cette parole : « Comme n’ayant rien et possédant tout 3». Posséder tout, c’est la beauté ; n’avoir rien, c’est la force. Ne nous étonnons donc point si le Prophète a dit : « Il a consolidé la terre qui ne sera point ébranlée». Comment l’univers entier ne sera-t-il point ébranlé ? C’est parce que les fidèles du Christ sont partout et prêts à tout: à se réjouir avec ceux qui louent, à s’armer contre ceux qui blâment; à ne s’amollir point devant la louange, âne point se laisser abattre par le blâme.

3. Peut-être demanderons-nous aussi le sens de cette parole : « Il est ceint ». Se ceindre désigne le travail, et un homme ceint ses reins quand il va travailler. Comment toutefois le Prophète, au lieu de dire : Il est ceint, a-t-il dit: « Ceint par devant», praecinctus? Dans un autre psaume il est dit: « Ceignez vos reins de votre épée, ô Tout- Puissant, et les peuples tomberont sous vos coups 1 ». Ici, il n’est point dit simplement, ceignez-vous, cingere, ni ceignez-vous par devant, praecingere, mais accingere gladium

 

1. II Cor. II, 16.— 2. II Cor. VI, 8.— 3. Id. 10.— 4. Ps. XCIV, 4, 6.

 

tuum, ceignez votre épée; et accingere se dit lorsque la ceinture porte quelque chose aux flancs. Il a donc dit: Ceignez votre épée, accingere. Or, le glaive du Seigneur, qui a vaincu l’univers entier, c’est l’Esprit de Dieu dans la vérité de sa parole. Pourquoi ceindre ce glaive autoùr des reins ? il est vrai, mes frères, que ce verset vient d’un autre psaume, et que nous avons expliqué la ceinture autrement ; mais continuons puisqu’il se représente ici. Qu’est-ce que porter son épée à ses reins ? Les reins ont le sens de la chair. Car le Seigneur n’aurait point soumis l’univers entier, si le glaive de la vérité n’était venu dans la chair. Mais pourquoi dans notre psaume le mot praecingere, qui s’emploie quand on met quelque chose devant soi? De là vient qu’il est dit que Jésus « mit devant lui un linge, praecinxit, et lava les pieds de ses disciples ». Il fut humble alors, ayant mis devant lui un linge pour laver leurs pieds. Or, toute force est dans l’humilité, puisque tout orgueil n’est que faiblesse. A propos de la force, le Prophète s’est servi du mot praecinctus, ceint par devant, afin de te rappeler que ce même Dieu assez humble pour laver les pieds des disciples était aussi praecinctus. Or, Pierre saisi de frayeur en voyant à ses pieds son Seigneur, son Maître (et dire son maître, c’est moins dire que son Seigneur) , voyant son Seigneur se courber à ses pieds, pour les laver, fut dans la stupeur et s’écria: « Seigneur, vous ne me laverez point les pieds ». Mais le Sauveur:

« Ce que je fais, tu ne le comprends point maintenant, tu le sauras plus tard ». Et Pierre : « Jamais vous ne me laverez les pieds ». Et Jésus: « Si je ne te purifie, tu  n’auras aucune part avec moi ». Mais Pierre qui avait frissonné en voyant son Maître lui laver les pieds, frissonna plus encore à cette parole: « Tu n’auras point de part avec moi ». Tant que le Seigneur n’agissait point sans motif, et qu’il y avait là quelque mystère, il s’écria: « Seigneur, non-seulement les pieds, mais les mains et la tête et tout le corps ». Et Jésus: « Celui qui a été lavé n’a plus besoin de se laver une seconde fois, mais il est complètement pur». Si donc il leur lavait les pieds, ce n’était pas tant pour les purifier que pour leur donner un exemple d’humilité. Car il leur avait dit: « Ce que je fais, tu ne le comprends pas maintenant, tu le sauras (382 ) plus tard ». Voyons si plus tard ils ont compris, si plus tard il leur a exposé ce qu’il faisait alors, afin de voir le Seigneur ceint de sa force, car toute sa force était dans son humilité. Quand il leur eut lavé les pieds, il s’assit de nouveau, et leur dit: « Vous m’appelez Maître, et vous dites vrai; je le suis en effet : vous m’appelez Seigneur, et vous dites vrai, car je le suis. Si donc moi, votre Maître et votre Seigneur, j’ai lavé vos pieds, comment devez-vous agir les uns envers les autres 1? » Si donc c’est dans l’humilité qu’est la force, ne craignez pas les orgueilleux. Les humbles sont comme la pierre; elle paraît abaissée, mais elle est solide. Que sont les orgueilleux ? Semblables à la fumée, ils ne s’élèvent que pour s’évanouir. Donc il nous faut rapporter à l’humilité du Seigneur cette ceinture dont nous parle l’Evangile, et qu’il mit devant lui, pour laver les pieds à ses Apôtres.

4. On pourrait encore donner un autre sens à cette parole. Nous avons dit que praecingere c’est mettre une ceinture, mais devant soi. Or, nos détracteurs parlent quelquefois en mal de nous, mais en notre absence, et comme derrière nous ; d’autres le font en face, comme au Seigneur à la croix: « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix 2 ». Or, nous n’avons pas réellement besoin de courage quand on ne médit de nous qu’en notre absence; car nous n’entendons pas, nous ne sentons rien; mais quand on nous outrage en notre présence, il nous faut alors du courage. Qu’est-ce à dire du courage? Oui, pour supporter ; car n’allez pas croire qu’il y a du courage à vous laisser vaincre par l’outrage que vous entendez, et à frapper le coupable. Frapper un insolent, ce n’est pas être courageux, c’est être vaincu par la colère. Or, il y a folie à donner le nom de fort à un homme vaincu ; quand l‘Ecriture dit que « l’homme qui dompte sa colère, est plus fort que celui qui prend les villes 3 ». Un preneur de villes est donc inférieur à l’homme qui surmonte sa colère. Tu as dans toi-même un rude adversaire. Quand l’outrage soulève en toi la colère, et te pousse à rendre le mal pour le mal, souviens-toi de cette parole de l’Apôtre: « Ne rendez à personne le mal pour le mal, ni l’outrage pour l’outrage 4 ». Ces paroles

 

1. Jean, XIII, 4-15. —  2. Matth. XXVII, 40. — 3. Prot. XVI, 32. — 4. I Pierre, III, 9.

 

étoufferont ta colère et te fortifieront : et comme ces paroles te sont dites en face, et non par derrière, elles seront une ceinture devant toi.

5. Allons plus loin, le psaume est court. « Il a consolidé la terre qui ne sera point  ébranlée 1 ». Vous le voyez, mes frères, beaucoup ont embrassé la foi de Jésus, c’est le grand nombre : et pourtant dans ce grand nombre, l’Evangile qu’on a lu vous le disait tout à l’heure, le Seigneur viendra le van à la main, et il purgera son aire, serrant le froment dans son grenier, et jetant les pailles au feu inextinguible 2. Il y a donc sur toute la terre des bons et des méchants, des bons qui sont le grain, des méchants qui sont la paille. Le fléau dans l’aire brise la paille qui tombe et nettoie le froment. Qu’est-ce donc que cet univers qui ne sera point ébranlé? Le Prophète ne tiendrait point ce langage s’il n’y avait aussi un univers qui s’ébranlera. Il y a donc un univers qui demeurera ferme, tandis qu’un autre univers doit chanceler. On appelle univers, en effet, les bons qui demeurent fermes dans la foi : et qu’on ne dise point qu’ils sont en un endroit, ils sont partout; de même que les méchants, qui doivent abandonner la foi au souffle de la moindre tribulation, sont aussi partout, Il y a donc un univers mobile et un univers immobile, dont parle saint Paul. Vois cet univers mobile : « De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité, en disant que la résurrection est déjà faite, et qui bouleversent la foi de quelques-uns 3» : je vous le demande, quels sont ces hommes dont parle saint Paul? Appartenaient-ils à cet univers qui est inébranlable? Ils étaient la paille : et ils bouleversent la foi, dit l’Apôtre. Il ne dit point la foi de tous : et s’il disait de tous, nous devrions comprendre de tous ceux qui appartiennent à la cité de Babylone, qui doit être damnée avec le diable. Néanmoins il dit la foi de quelques-uns. Et comme si l’on demandait: Qui pourra leur résister ? il ajoute aussitôt « Mais le solide fondement de Dieu subsiste 4», Voilà que tu connais l’univers qui sera inébranlable. « Voici quel en est le signe ». Quel est le signe de ce fondement solide? « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ». Tel est l’univers qui ne chancellera point: « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ». Et

 

1. Ps. CXII, 1 — 2. Matth. XII, 12.— 3. II Tim. II, 17, 18.— 4. Id, 19.

 

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qu’a-t-il pour signe? « Que celui qui invoque le nom du Seigneur, s’éloigne de l’iniquité». Qu’il s’éloigne maintenant de l’iniquité, puisqu’il ne peut se séparer des injustes, à cause du mélange de la paille et du froment, jusqu’au vannage. Que dis-je, mes frères? Chose étonnante de la part du froment dans l’aire ! il se sépare de la paille quand on l’en dépouille, mais lorsqu’on le bat, il ne s’en va point de la grange. Quand se séparera-t-il tout à fait? Quand viendra le vanneur 1. L’univers entier est donc une aire : il faut, quelque bon que tu sois, que tu vives parmi les méchants; mais si tu ne peux te séparer des hommes injustes, sépare-toi de l’injustice. «Que tout homme qui invoque le nom du « Seigneur se sépare de l’iniquité », et il sera dans cet univers qui est inébranlable.

6. «C’est de là, ô mon Dieu, qu’un trône vous ma été préparé 2 » . « De là », qu’est-ce à dire? De ce moment: comme si le Prophète nous disait: Qu’est-ce que le trône de Dieu? où s’assied-il? En ses saints. Veux-tu être pour Dieu un trône? Prépare-lui dans ton coeur un lieu où il s’asseye. Quel est en effet le siège de Dieu, sinon l’endroit qu’habite le Seigneur? Et où habite le Seigneur, sinon dans son temple? Et quel est ce temple ? se compose-t il de murailles ? Loin de nous cette pensée Son temple est peut-être ce monde, qui est vaste et digne de la grandeur de Dieu. il ne saurait contenir celui qui l’a fait, Où donc Dieu se repose-t-il? L’âme calme, l’âme juste, voilà celle qui porte Dieu. Chose étrange, mes frères ! Dieu est infiniment grand, il pèse à ceux qui sont forts, il est pour les faibles un léger fardeau. Quels sont ces forts du Prophète? Les orgueilleux qui ont confiance dans leurs forces. Et cette faiblesse, qui consiste dans l’humilité, est une force plus grande. Ecoute ce que dit l’Apôtre : « Quand «je suis faible, c’est alors que je suis fort 3» Voilà ce que je vous ai prêché, que le Seigneur s’est revêtu de force, quand il a enseigné l’humilité. Tel est donc ce siège de Dieu dont un Prophète nous a dit ailleurs : « En qui reposera mon esprit ? » C’est-à-dire, où mon esprit pourra-t-il reposer, sinon sur le trône de Dieu ? Ecoute la description qu’il fait de ce trône. Tu t’imaginais peut-être un palais de marbre, d’amples parvis, une hauteur démesurée, des toits étincelants. Ecoute

 

1. Matth. III, 12. — 2. Ps. XCII, 2. — 3. II Cor. XII, 10.

 

ce que le Seigneur se prépare: « Sur qui reposera mon esprit? Sur l’homme humble et calme, sur l’homme qui redoute ma parole 1». Es-tu humble? Es-tu tranquille ? voilà que Dieu repose en toi. Mais Dieu, qui est élevé, n’habitera pas en toi si tu veux t’élever. Tu veux être grand afin qu’il habite en toi ; sois humble, redoute sa parole, c’est là qu’il habite. Il ne craint point une demeure tremblante, parce que lui-même la consolide. « C’est depuis lors, ô Dieu, qu’un trône vous est préparé ». « Depuis lors », c’est-à-dire depuis ce moment, ce qui semble préciser un temps particulier. Depuis ce temps, quel temps? Peut-être le jour qui précéda le sabbat. Dès lors, le titre nous dirait alors quel jour. Ce serait le sixième jour, ou le sixième âge du monde, alors que le Seigneur vint en sa chair. C’est de ce jour, oui de ce jour, qu’il s’est fait homme, et qu’il est sorti du sein virginal. Que lisons-nous dans un autre psaume? « Vous êtes dans la splendeur des saints, dès les entrailles maternelles ». « Dans la splendeur des saints», c’est-à-dire que vous éclairez les saints afin qu’ils voient Dieu en sa chair, et que leur coeur se purifie afin qu’ils le voient dans sa divinité. « Dans la splendeur des saints, dès les entrailles maternelles ». Mais que dit ensuite le Prophète ? Afin que l’on ne s’imagine point que le Christ n’a commencé son existence qu’au sortir du sein virginal, il ajoute : « Je t’ai engendré avant l’étoile du matin 2 ». Ainsi, après avoir dit: « Dans la splendeur des saints, dès les entrailles maternelles », le Prophète craint que l’on ne vienne à penser que le Christ a commencé au moment de sa naissance, comme Adam, comme Abraham, comme David, et il ajoute : « Avant l’étoile du matin, je t’ai engendré »; avant tout ce qui est éclairé. L’étoile du matin, en effet, signifie toutes les étoiles, et par les étoiles tous les temps, puisque Dieu a fait les astres pour marquer les temps 3, en sorte que Jésus-Christ serait né avant tous les temps : or, celui qui est né avant tous les temps ne peut être regardé comme un homme né dans les temps, puisque le temps est la créature de Dieu, Car si tout a été fait par lui 4, le temps aussi est son ouvrage. Peut-être encore : « avant l’étoile du matin», signifierait-il aussi, avant tout esprit qu’éclaire la sagesse de Dieu. Que votre charité

 

1. Isa. LXVI, 2. — 2. Ps. CIX, 3. — 3. Gen. I, 14. — 4. Jean, I, 3.

 

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redouble d’attention. De même que le Prophète, après avoir dit: « Au sortir du sein virginal », craint pour notre foi que nous ne venions à croire que le Christ a commencé à dater de sa naissance du sein de la Vierge, et qu’il ajoute aussitôt: « Je t’ai engendré avant l’étoile du matin»; de même ici, après avoir dit : « Depuis lors », c’est-à-dire depuis un certain temps, depuis le jour qui précède le sabbat, depuis le sixième âge du monde, quand le Christ Notre-Seigneur vint en sa chair, parce qu’il voulut bien se faire homme pour nous, lui qui est Dieu, non-seulement avant Abraham, mais avant le ciel et la terre, lui qui a dit: « Je suis avant qu’Abraham fût 1», et non-seulement avant Abraham, mais avant Adam ; et non-seulement avant Adam, mais avant les anges, avant le ciel et la terre, puisque toute chose a été faite par lui : le Prophète craint que ce jour de la naissance du Sauveur dans le temps, ne te fasse croire que c’est alors seulement qu’il commença son existence, et il ajoute : « Un trône vous a été préparé, ô Dieu ». Mais quel Dieu? « Vous êtes de tout siècle », ou de toute éternité, apo aionos : ainsi porte le grec qui se sert de aion, tantôt pour désigner le siècle, tantôt pour désigner l’éternité. O vous donc que l’on croirait né de ce moment, vous êtes de toute éternité. Ne nous arrêtons pas àune naissance humaine, élevons-nous à l’éternité divine. Sa vie du temps a donc commencé à sa naissance : il a crû en âge, vous l’avez entendu dans l’Evangile; il a choisi ses disciples, les a remplis de l’Esprit-Saint, et ils ont commencé à prêcher. C’est là peut-être ce qui est dit ensuite.

7. « Les fleuves ont élevé leur voix 2 ». Quels sont ces fleuves qui ont élevé leur voix? Rien ne l’indique: à la naissance du Sauveur, nous ne voyons pas que les fleuves aient parlé, non plus qu’à son baptême et à sa passion, nous n’entendons pas la voix des fleuves. Lisez l’Evangile, vous ne verrez point que les fleuves aient parlé. C’est peu de parler, « ils ont élevé leur voix » Non-seulement ils ont parlé, mais avec force, mais avec fracas. Quels sont ces fleuves qui ont parlé? L’Evangile n’en fait pas mention, disons-nous, cherchons-y néanmoins. Car où le trouver, sinon dans l’Evangile? Je pourrais peut-être inventer, mais au lieu d’être un

 

1. Jean, VIII, 58. — 2. Ps. XCII, 3.

 

fidèle dispensateur, je ne serais plus qu’un fabuliste. Cherchons dans l’Evangile, cherchons ensemble quels sont ces fleuves qui élevèrent la voix. « Jésus se tenait debout et criait », lisons-nous dans l’Evangile. Que criait-il? Voilà déjà la tête de tous les fleuves qui crie; lui, la source d’où les autres fleuves doivent prendre leur écoulement, élève la voix le premier. Et que disait Jésus en se tenant debout? « Celui qui croit, comme le dit l’Ecriture, des fleuves d’eau vive couleront de son sein ». Et l’Evangéliste continue: « Il parlait ainsi à cause de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croyaient en lui.  Mais le Saint-Esprit n’était pas encore donné, car Jésus n’était pas encore glorifié 1». Or, après que Jésus fut glorifié par la résurrection et par l’ascension, comme vous le savez, mes frères, et que furent écoulés dix jours qui étaient figuratifs, il envoya l’Esprit-Saint, qui remplit les disciples 2. Cet Esprit-Saint est donc le grand fleuve qui remplit beaucoup d’autres fleuves. C’est de ce fleuve que le Psalmiste a dit ailleurs : « Un fleuve impétueux porte la joie dans la cité de Dieu 3 ». Des fleuves s’échappèrent donc du sein des disciples, quand ils reçurent le Saint-Esprit. Ils devinrent des fleuves d’Esprit-Saint. Comment ces fleuves élevèrent-ils la voix? et pourquoi? D’abord parce qu’ils avaient craint. Pierre n’était pas encore un fleuve quand la question d’une servante lui fit renier le Christ jusqu’à trois fois : « Je ne connais point cet homme 4 ». La crainte le fait mentir; il n’élève pas encore la voix, il n’est pas encore un fleuve. Mais lorsqu’ils furent tous pleins du Saint- Esprit, et que les Juifs les firent comparaître pour leur défendre de parler aucunement de Jésus et d’enseigner en son nom, Pierre et Jean leur dirent : « Jugez s’il est juste devant Dieu, de vous obéir plutôt qu’à Dieu; car nous ne pouvons pas taire les choses que nous avons vues et entendues. Ces fleuves élevèrent la voix, et répondirent à la voix des grandes eaux ». C’est à cette voix qui s’élève que revient ce qui est écrit : « Pierre se tenant debout avec les « onze, et élevant la voix, s’écria: Hommes de Judée 5» ; et le reste qu’il ajouta en leur prêchant Jésus-Christ sans crainte et avec une grande confiance. « Les fleuves ont élevé la

 

1. Jean, VII, 37-30. —  2. Act. II, 4. — 3. Ps. XLV, 5. — 4. Matth. XXVI, 69-74. — Act. II, 14.

 

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voix, pour provoquer la voix des grandes eaux »; car les Apôtres étant sortis du conseil des Juifs, ils vinrent trouver leurs frères, et racontèrent ce que leur avaient dit les prêtres et les sénateurs. A ces paroles, tous élevèrent une même voix vers le Seigneur, et dirent : « C’est vous qui avez fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui est en eux 1 »; et tout ce que dirent ces fleuves en élevant la voix. « Les élévations de la mer sont admirables». Comme ces disciples élevaient la voix, plusieurs embrassèrent la foi et reçurent le Saint-Esprit, et ces fleuves peu nombreux commencèrent à se multiplier et à élever la voix. Aussi est- il dit : « A la voix des grandes eaux, combien sont admirables les soulèvements de la mer», ou de ce siècle. Lorsque tant de bouches prêchèrent le Christ, la mer aussitôt s’irrita, et les persécutions se multiplièrent, Ainsi donc, lorsque « les fleuves élevèrent la voix,à la voix des grandes eaux répondirent les suspensions de la mer».Ces suspensions sont des soulèvements, car le courroux de la mer fait soulever les flots. Mais que ces flots se soulèvent à leur gré, que la mer frémisse dans la rage; « ses soulèvements sont admirables» ,sans doute: effroyables menaces, effroyables persécutions, mais vois ce qui suit : « Le Seigneur est admirable dans les cieux ». Que la mer donc s’apaise, qu’elle rentre dans le calme, et que l’on donne la paix aux chrétiens. La mer se soulevait jadis, la barque était agitée; cette barque c’est l’Eglise, et la mer c’est le monde. Le Seigneur vint, il marcha sur la mer, foula aux pieds ses flots 2. Comment le Seigneur marcha-t-il sur la mer? En marchant sur la tête de ces grandes ondées écumantes. Les puissants et les rois ont cru et reçu le joug du Christ. Ne craignons donc point. Si « la mer a de terribles soulèvements, plus terrible encore est le Seigneur dans les cieux ».

8. « Vos témoignages sont devenus tout à fait croyables 3 », Car, si les soulèvements de la mer étaient effrayants, plus grand encore était le Seigneur dans les cieux. « Vos témoignages sont devenus tout à fait croyables ».

 

1. Act. IV, 18-24. — 2. Matth. XIV, 24, 25. —  3. Ps. XCII, 5.

 

 Ce sont vos témoignages, car vous aviez dit auparavant : « Je vous dis ces choses, afin que  vous ayez la paix en moi. « Vous aurez de grandes tribulations dans le monde 1». Je vous en avertis donc, le monde se soulèvera contre vous. Or, ils furent persécutés, et ces persécutions confirmèrent en eux la parole de Dieu et affermirent leur courage; car en voyant s’accomplir la promesse des persécutions, ils espéraient que s’accomplirait aussi la promesse des couronnes. Dès lors, « effrayants étaient les soulèvements de la mer, et plus grand encore  était le Seigneur dans les cieux. Vous aurez la paix avec moi, mais des persécutions dans le monde ». Que faisons-nous donc? La mer est en courroux, les flots se soulèvent avec fureur, nous sommes dans la persécution, allons-nous défaillir? Loin de là. « Le Seigneur est admirable dans les cieux ». Aussi quand il disait à ses Apôtres: « Vous aurez la paix avec moi, mais le monde vous persécutera »; comme s’ils lui eussent demandé : Pensez-vous qu’en nous foulant aux pieds, le monde ne nous exterminera pas? Il ajouta aussitôt : « Mais réjouissez-vous, j’ai vaincu le monde ». Si donc il dit : « J’ai vaincu le monde», attachez-vous à celui qui a vaincu le monde, qui a calmé la mer. Réjouissez-vous en lui, parce que le Seigneur est grand dans les cieux, et que « ses témoignages sont devenus tout à fait croyables ». Et qu’est il arrivé de tout cela? « La sainteté, Seigneur, convient à votre maison». A votre maison, à toute votre maison. Non point ici, non point là, non point ailleurs; mais dans toute votre maison, dans l’univers entier. Pourquoi dans l’univers entier? « Parce qu’il a redressé l’univers entier qui ne sera point ébranlé 2 ». La maison du Seigneur sera solidifiée dans le monde entier; beaucoup tomberont, mais la maison demeure; beaucoup seront dans le trouble, mais la maison sera inébranlable. « La sainteté, Seigneur, convient à votre maison ». Est-ce pour un peu de temps? Non, mais « pour de longs jours ».

 

1. Jean, XVI, 33, — 2. Ps. XCV, 10.

 

 

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