PSAUME XCVI
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DISCOURS SUR LE PSAUME XCVI.

SERMON AU PEUPLE.

LES SAINTES JOIES DE L’ÉGLISE.

 

Ce que les saints personnages ont désiré voir, c’est le salut de Dieu chez les nations.: ce salut est Jésus-Christ, auquel nous devons rapporter tout notre psaume, si nous voulons le comprendre. Il a pour titre : « Pour David », ou pour le Christ fils de David. « Quand sa terre fut rétablie », c’est-à-dire quand les Juifs égarés jusqu’à mettre à mort le Christ, se convertirent en grand nombre à la Pentecôte. De là les Apôtres passèrent chez les Gentils, et le Christ fut la pierre angulaire unissant la circoncision à la gentilité. Ainsi sa terre fut établie; ce que l’on peut encore entendre de la résurrection. Le Seigneur a donc régné par sa parole prêchée sur les continents et dans les îles; ces îles que battent les flots sais les submerger peuvent aussi désigner les Eglises persécutées et non détruites. Ces ténèbres d’une part, la justice et l’équité d’autre part, caractérisent ceux qui entendent la prédication, nuageuse pour les orgueilleux, pleine de lumière pour les humbles qui forment son trône. Le feu qui marche devant le Seigneur, n’est point le feu de l’enfer, mais c’est le feu de la persécution qui a consumé les persécuteurs mêmes, ou le feu de la charité qui a embrasé le monde, et dévoré les ennemis de Dieu, en jetant les incrédules dans la réprobation, et -en ramenant à lui les hommes de bonne foi. Les Apôtres fuient comme des nuées d’où jaillirent ces éclairs de miracles et de prédications qui émurent la terre, qui fondirent les montagnes ou les orgueilleux. Honte à ceux qui adorent des pierres; pour nous, notre pierre est vivante ! Ils adorent l’idole ou le démon, qui se repaît de nos malheurs : un bon esprit refuserait tout culte. Sion a entendu le baptême de Corneille, et l’appel fait aux Gentils, elle a tressailli de joie. Ainsi le Seigneur s’est montré supérieur aux démons et aux anges Nous qui aimons le Seigneur, haïssons le mal, au risque d’être persécutés; car la persécution ne peut nous ôter ni le ciel, ni la vie de l’âme, ni la lumière d’est haut. N’ayons de joie que dans le Seigneur ; puisqu’il n’y a pas de joie pour l’impie, la nôtre est pour l’autre vie, selon la promesse de l’Evangile.

 

1. Dieu donne au coeur chrétien de grands spectacles, et que rien ne surpasse en douceur, si toutefois nous avons le palais de la foi qui goûte le miel de Dieu. Vous tous, qui avez la foi en Jésus-Christ, vous avez en vous, je le crois, l’Esprit-Saint, qui vous donne une sainte joie quand vous entendez lire les prophéties, émanées depuis tant de (425) siècles de la bouche de saints personnages, et qui s’accomplissent après tant d’années dans la conversion des Gentils. Ces saints prophètes ressentaient une grande joie de ce qu’ils voyaient, non pas accompli, mais dans l’avenir. Oui, c’était là une grande joie pour eux; et même telle était la charité dont ils étaient embrasés pour nous, pour nous qu’ils ne voyaient point encore, et qu’ils enfantaient par l’esprit, qu’ils eussent voulu vivre de notre temps et avec nous, s’il leur eût été possible, et voir s’accomplir ce qu’ils prédisaient en esprit. De là cette parole du Sauveur aux disciples qui commençaient à voir cet accomplissement: « Beaucoup de justes et de Prophètes ont voulu voir ce que vous voyez, et ne l’ont point vu; et entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu 1 ». Bien qu’ils vissent tout cela en esprit, ils ne le voyaient néanmoins que dans un lointain avenir; tandis que les Apôtres l’avaient sous les yeux. C’est pourquoi le saint vieillard Siméon fut transporté d’une grande joie, quand il vit l’enfant Jésus, en découvrant sa grandeur dans un tel abaissement, et dans une faible chair, le Créateur du ciel et de la terre. Grande fut sa joie, parce qu’il avait reçu la promesse qu’il ne sortirait point de cette vie, sans voir le salut de Dieu. Il le reconnut donc, en conçut une grande joie, et s’écria dans un saint ravissement: «Seigneur, vous laisserez maintenant mourir en paix votre serviteur; car mes yeux ont vu votre salut 2 ». Voilà une grande joie, et que produit la charité. Le chant du psaume vous a donné une sainte soie; quelques passages étaient clairs pour tous; d’autres, autant que j’en puis juger, ne l’étaient que pour un petit nombre, mais non pour tous assurément. Considérons-le donc tous ensemble, dans ce discours dont je vous suis redevable; et voyons avec quelle bonté Dieu nous ménage le bonheur de voir ses promesses et de nous en montrer la vérité par leur accomplissement.

2. Voici le titre du psaume: « Pour David, lorsque sa terre a été rétablie 3 ». Il faut rapporter le tout au Christ, si nous voulons saisir le véritable sens; ne nous écartons point de la pierre angulaire 4, de peur que notre intelligence ne tombe en ruine; qu’en lui se consolide tout ce qui est mobile et

 

1. Matth. XIII, 17.— 2. Luc, II, 25-20.— 3. Ps. XCVI, 1.— 4. Ephés. II, 20.

 

 

chancelant, qu’en lui s’affermisse tout ce qui est incertain. Quelque doute que fassent naître dans notre esprit les saintes Ecritures, que l’homme ne s’éloigne pas du Christ, et s’il le découvre dans ses lectures, qu’il soit certain de les avoir comprises, et qu’il ne se persuade point qu’il les comprend, tant qu’il n’y rencontre pas le Christ, « qui est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront en lui 1». Qu’est-ce à dire, et comment appliquer au Christ cette parole : « Quand sa terre fut rétablie? » On comprend aisément que David ici désigne le Christ, puisque le Christ est né de Marie dans la famille de David, et coin me il devait naître dans la postérité de David, ce nom servait à le désigner en figure. Ainsi donc David c’est le Christ, et David signifie la main puissante; or, quelle main est plus puissante que celle qui, de la croix, vainquit le monde? Car après la résurrection et l’Ascension du Sauveur, quand les Apôtres reçurent le Saint-Esprit et parlèrent diverses langues 2, ceux qui avaient crucifié le Sauveur s’émurent, et demandèrent un conseil de salut, qu’ils reçurent, et embrassèrent la foi. Et Dieu leur pardonna le sang de son Christ qu’ils avaient répandu, et ils burent ce sang du Christ; de persécuteurs, ils devinrent ses fidèles; ils crurent en celui qu’ils avaient crucifié, et voulurent avoir pour chef, pour tête, celui devant qui ils avaient branlé la tête 3 avec tant d’insolence. C’est ainsi que « sa terre fut rétablie», selon le titre du psaume. Cette terre était la Judée; or, la Judée avait péri entièrement quand les Juifs crucifièrent leur Seigneur; frénétiques ignorants, ils sévirent contre le médecin, repoussant follement leur salut. La Judée avait donc péri totalement comment totalement? Les Apôtres eux-mêmes furent ébranlés; Pierre qui suivait son maître avec un amour audacieux, le renia trois fois avec une crainte excessive 4. Après sa résurrection, Notre-Seigneur Jésus-Christ trouve quelques-uns d’entre eux qui parlent de lui en voyageant, et quand il leur demande le sujet de leur entretien, ils vont jusqu’à lui dire : « Etes-vous donc le seul étranger à Jérusalem pour ignorer ce qui vient de s’y passer en ces jours? Et il leur dit : Quoi donc? Touchant Jésus de Nazareth, ce prophète puissant en oeuvres

 

1. Rom. X, 4. — 2. Act. II, 4, 37 . — 3. Matth. XXVII, 39. — 4. Id. XXVI, 70.

 

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et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple; et comme les princes des prêtres et nos magistrats l’ont livré pour être condamné à la mort et l’ont crucifié. Or, nous espérions qu’il délivrerait Israël 1». Ils n’avaient déjà plus d’espérance en lui; ils ne disent point : Nous espérons qu’il rachètera Israël; mais: « Nous espérions qu’il rachèterait Israël ». Il était avec eux, mais eux n’espéraient pas en lui. Il se montre à eux, il se fait voir aux autres disciples; on le voit, on le touche, ceux qui le croyaient mort le rencontrent ; la foi de ceux qui étaient tombés se releva, « et sa terre fut rétablie ». Après avoir passé quarante jours avec eus, il s’élève au ciel 2; et, comme je l’ai dit tout à l’heure, il envoie le Saint-Esprit à ses disciples, qui naguère ignorants, parlent maintenant toutes les langues. Alors tous ceux pour qui le Christ n’avait pas dit inutilement: « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font 3 », furent touchés, disions-nous encore, et demandèrent le salut, et on leur conseilla de croire en lui. Trois mille embrassèrent la foi en un seul jour, et cinq mille en un autre 4. Alors le Christ vit surgir une Eglise fervente, dans ces mêmes lieux où l’effervescence l’avait couvert d’opprobre, « et sa terre fut restituée». Mais comme il avait dit: « J’ai d’autres brebis, qui ne sont point de ce bercail, et il me faut les appeler, afin qu’il n’y ait qu’un seul bercail et un seul pasteur 5»; il envoya ses Apôtres chez les Gentils auxquels il n’avait pas envoyé les Prophètes. Ils allèrent chercher ceux qui ne cherchaient point, et trouvèrent ceux qui n’espéraient rien. Ils n’avaient aucune promesse, et ils trouvèrent un Dieu Sauveur. Quant aux Juifs, ils avaient les promesses de Dieu, par les Prophètes, qui leur avaient annoncé le Christ, prêché le Christ, et sous leurs yeux ne le reconnurent point. Aux Gentils, au contraire, nulle promesse n’avait été faite : mais les Prophètes avaient parlé de conversion. Nulle parole ne leur avait été adressée, mais ou avait parlé d’eux. Les Apôtres leur furent envoyés, et vous avez entendu ce que Dieu fit pour eux; la lecture des Actes des Apôtres vous a fait connaître comment le centenier Corneille embrassa la foi. Ce centenier n’était point juif de nation. Il priait, il jeûnait, il faisait des aumônes. Dieu ne

 

1. Luc, XXIV, 18-21. — 2. Act. I, 3,9. — 3. Luc, XXIII, 31. — 4. Act. II, 4,1; IV, 4. — 5. Jean, X, 16.

 

l’abandonna point, bien qu’il appartint aux peuples idolâtres; mais un ange lui fut envoyé pour lui annoncer que ses aumônes et ses oraisons étaient agréables à Dieu. Il crut, après avoir appelé Pierre chez lui 1. L’ange ne pouvait-il pas l’instruire? Pierre lui fut envoyé, afin qu’un homme fît naître en lui une foi plus parfaite, et lui montrât que Dieu a daigné visiter les hommes, et qu’il daigne bien nous instruire par les hommes, lui qui a bien voulu se faire homme. C’est ainsi que « sa terre a été rétablie », quand une muraille est venue des Juifs, et une autre muraille des Gentils : et qu’il a été lui-même la pierre angulaire reliant ces murailles qui venaient de directions différentes 2.

3. Comment pouvons-nous encore entendre: «Quand sa terre fut rétablie? » Quand il ressuscita dans la chair. Car cet autre sens, qui ne s’éloigne pas du Christ, peut encore se soutenir : sa terre rétablie, c’est sa chair ressuscitée. C’est après sa résurrection que s’accomplirent toutes les merveilles que chante notre psaume. Ecoutons donc ce chant joyeux sur le rétablissement de la terre. Que le Seigneur notre Dieu veuille bien exciter en nous une attente et une joie qui réponde à la grandeur de ces mystères ; qu’il me donne une parole qui aille à vos coeurs, et que la joie que la vue de ces spectacles fait naître en mon âme vienne sur ma langue pour passer de là dans vos coeurs, puis dans vos actes.

4. « Le Seigneur a régné ». Celui qui a comparu devant un juge, qui a reçu des soufflets, qui a été flagellé, qui a été conspué, lui a été couronné d’épines, dont le visage a été meurtri par les coups, qui a été suspendu au gibet, qui a été insulté sur la croix, qui est mort sur cette même croix, qui a été percé d’une lance, qui a été enseveli, et qui est ressuscité, « le Seigneur a régné». Qu’ils sévissent de toute leur puissance dans ces royaumes de la terre, que feront-ils au roi des rois, au Seigneur de tous les potentats, au créateur de tous les siècles ? Est-il donc méprisable, pour avoir paru sur la terre si soumis, si humilié ? C’est là un acte de miséricorde, et non d’impuissance. S’il apparaît humble, c’est afin d’être à. notre portée. Mais voyons ces paroles: « Le Seigneur a régné: que la terre en tressaille, que les îles en soient dans la joie ». Car la parole de Dieu n’a pas été seulement prêchée sur les continents,

 

1. Act. X. — 2. Ephés. II, 20.

 

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mais encore dans les îles qui sont au milieu des mers ; et voilà qu’elles sont pleines de chrétiens, pleines de serviteurs de Dieu. Car l’Océan n’est pas une barrière pour celui qui u fait la nier. Où les navires peuvent aborder, la parole de Dieu ne le pourrait? Oui, les îles sont pleines de cette parole. Toutefois ces îles peuvent être une expression figurée pour les Eglises. Pourquoi des îles ? Parce qu’elles sont entourées des flots des tentations. De même toutefois qu’une île environnée de flots écumeux, peut bien être battue, mais non brisée par ces flots, comme elle les brise au contraire, bien plus qu’elle n’en est brisée; ainsi les Eglises de Dieu, répandues en tout lieu dans le monde, sont en butte à la persécution de la part des infidèles qui frémissent de toutes parts, et résistent marne les îles, et la mer est apaisée. « Que les îles soient dans la joie ».

5. « Les nuées et les ténèbres l’environnent, la justice et l’équité sont la base de son trône 1 ». Pour qui « Dieu est-il entouré de muées et d’obscurité? » Pour qui « la justice et l’équité sont-elles la base de son trône?» Il n’y a de nuages et d’obscurité que pour les impies qui ne l’ont point compris. La justice et le jugement sont pour les fidèles qui ont cru en lui. L’orgueil a obscurci les yeux des uns, l’humilité a mérité aux autres d’être affermis. Ecoute d’une part les nuées et l’obscurité, d’autre part la justice elle jugement. Le Sauveur adit lui-même mie suis venu eu ce monde pour le jugement, main que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles 2». Qu’est-ce à dire, « que ceux qui voient deviennent aveugles?» Que ceux-là ne comprennent point et deviennent aveugles, qu’ils croient voir, qui pensent être sages, qui se persuadent qu’ils n’ont pas besoin du médecin. Et « que ceux qui ne voient pas voient », c’est-à-dire, afin qu’ils méritent d’être éclairés, ceux qui confessent leur aveuglement. Qu’il y ait donc « autour de lui un nuage et des ténèbres». pour ceux qui ne l’ont point connu; mais pour ceux qui confessent leurs fautes et qui s’en humilient, « la justice et l’équité sont la base de son trône »; car ce sont eux qui forment son trône, puisque la sagesse habite eu eux. Car le Fils de Dieu est la sagesse de Dieu 3. Un autre passage de l’Ecriture nous

 

1. Ps. XCVI, 2. — 2. Jean, IX, 39. — 3. I Cor. I, 24.

 

met en pleine lumière cette pensée : « L’âme du juste est le siège de la sagesse ». Donc, parce qu’ils sont devenus justes en croyant en lui, parce qu’ils sont justifiés par leur foi, ils deviennent son trône: c’est en eux qu’il siége, en eux qu’il juge, eux qu’il redresse. Pourquoi? Parce qu’il les trouve doux comme des animaux dociles, qui ne savent point regimber, ni se cabrer sous le fouet, ni secouer leur tête orgueilleuse pour rejeter le joug ce sont des animaux doux et souples qui méritent cet éloge du psaume : « Il conduira dans la justice ceux qui sont doux, et dirigera les humbles dans ses voies 1». Pour ceux donc qui ne sont point droits, il y a « nuages et ténèbres »; mais ceux qui sont humbles, sont dans « la justice et dans l’affermissement de son trône ».

6. « Le feu marchera en sa présence, et embrasera ses ennemis autour de lui 2 ». Quel est ce feu, mes frères, dont il est dit qu’ « il marchera devant lui, et dévorera ses ennemis autour de lui ? » Je ne pense pas qu’il s’agisse du feu dans lequel on jettera les irai pies au jour du jugement, lesquels seront placés à gauche ainsi qu’il vous souvient de l’avoir lu dans l’Evangile, et auxquels on dira: « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges 3 » ; tel n’est point ce feu, selon moi. Et d’où me vient cette opinion? Parce qu’il est question d’un feu qui marchera devant le Christ, avant qu’il vienne pour le jugement. Il est dit, en effet, que ce feu le précédera, et qu’il embrasera ses ennemis autour de lui, c’est-à-dire dans toute la terce. Le feu de l’enfer ne sera qu’après son avènement; celui dont il est question doit le précéder. Quel est doue ce feu? Nous pouvons l’entendre de la peine des méchants, et du salut de la rédemption. En quel sens de la peine des méchants? Parce qu’ils ont soulevé une persécution contre le Christ que l’on prêchait parmi les nations: or, cette colère a été un feu qui a dévoré les persécuteurs plutôt que ceux qui étaient persécutés. Quand nous voyous deux hommes, dont l’un se met en colère, dont l’autre souffre avec patience, jugez par vous-mêmes qui de ces deux est en feu. Vous pouvez chaque jour vous donner ce spectacle parmi les hommes. Représentez-vous un homme injuste, à l’âme emportée, au visage menaçant, aux regards enflammés, aux paroles

 

1. Ps. XXIV, 9. — 2. Id. XCVI, 3. — 3. Matth. XXV, 41.

 

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étincelantes, se ruer sur un autre pour le tuer, pour le dépouiller, pour l’outrager, pour l’injurier, un homme hors de lui-même, incapable de se contenir, l’autre qui souffre en paix ces outrages, ces violences, tout ce qu’on veut lui faire, qui tend l’autre joue quand on le frappe sur une joue : or, en voyant d’une part la fureur, d’autre part le calme; ici la colère, et là la patience; ici l’emportement, et là la paix, peut-on hésiter à se prononcer sur celui des deux qui est consumé et qui souffre la peine des flammes? Est-ce celui dont le corps est meurtri, ou celui dont l’âme est embrasée? Aussi le prophète Isaïe a-t-il dit : « Et maintenant le feu dévorera ses ennemis 1». Qu’est-ce à dire : « Et maintenant ? » Avant que vienne le grand jour du jugement , ils sont consumés par leur propre fureur, ceux qui doivent endurer ensuite la flamme éternelle. Pourriez-vous, en effet, mes frères, vous imaginer que l’injustice que commet un homme en voulant nuire à un autre, nuise à celui qu’elle attaque sans nuire à son propre auteur? Comment cela serait-il possible? Quelquefois on applique une torche ardente à un tison humide et vert; ce tison ne brûle point, mais la torche continue à se consumer : ainsi en est-il de votre ennemi. Qu’un homme d’iniquité vienne à te tendre des embûches, ou à te ménager quelque peine, c’est là une injustice: mais si tu es un bois vert, c’est-à-dire plein d’un suc spirituel et vivace, qui résiste à la flamme de la haine; si tu pries pour celui qui te nuit, son injustice ne te nuira point, mais à lui-même; c’est lui qui brûle, et toi tu es intact. A moins peut-être que tu ne prennes pour une offense le mal corporel que l’on pourrait te faire, alors que ton âme pure et sans tache méritera de Dieu une couronne, en suivant l’exemple du divin maître qui a voulu souffrir de la part des Juifs, qui pouvait ne point mourir et qui est mort, qui a voulu naître, quoiqu’il eût pu ne point naître. Naître, c’est pour toi ta condition ; pour lui, c’est sa volonté; mourir est dans ta condition; pour lui, c’est un acte de miséricorde. De même alors que les Juifs ne lui ont point nui, ainsi nulle persécution ne pourra t’atteindre, si tu veux être membre de ce chef auguste.

7. C’est ainsi que nous entendons le feu qui marche devant lui, c’est-à-dire un feu qui,

 

1. Isa. XXVI, 11.

 

dès ici-bas même, est un châtiment pour les infidèles et pour les hommes injustes. Cherchons un autre feu qui soit le salut de la rédemption, comme nous nous l’étions proposé. Car le même Seigneur a dit: « Je suis venu jeter le feu sur la terre 1 ». Il parle ici du feu comme du glaive, car au même endroit il dit qu’il n’est point venu apporter la paix, mais le glaive 2 ; le glaive pour diviser, le feu pour brûler : mais l’un et l’autre sont nécessaires, car le glaive de sa parole nous a heureusement séparés de nos habitudes mauvaises. Il a donc apporté le glaive pour séparer chaque fidèle, ou d’un père qui ne croit point au Christ, ou d’une mère également infidèle, ou du moins de ses aïeux, s’il est né de parents fidèles. Il n’est, en effet personne d’entre nous qui n’ait son aïeul, ou son bisaïeul, ou quelqu’un de ses ancêtres engagé dans le paganisme et plongé dans cette infidélité dont Dieu avait horreur: nous sommes donc séparés de ce que nous étions: l’épée est venue, non pas nous donner la mort, mais nous diviser. Ainsi en est-il de ce feu : « Je suis venu jeter le feu sur la terre». Les hommes qui ont cru en lui, se sont enflammés, puis ont reçu l’embrasement de la charité : c’est pour cela que le Saint-Esprit, envoyé aux Apôtres, apparaît sous la forme du feu : « Ils virent comme des langues de feu qui se partagèrent et se reposèrent sur chacun d’eux 3 ». Touchés de cette. flamme sacrée, ils se répandirent dans le monde pour y porter cette flamme et en incendier les ennemis qui l’environnent. Quels ennemis? Ceux qui ont abandonné le vrai Dieu qui les a créés, pour adorer les idoles qu’ils ont faites. S’ils étaient mauvais, cette flamme les consumait; s’ils étaient bons, elle les perfectionnait. Atteint par ce feu de la parole de Dieu, ou bien l’incrédule résistait à la foi, et alors devenant pire, il était consumé, dévoré par le feu de sa propre envie. S’il se convertissait, ce feu n’en avait pas moins agi en lui. Le foin brûlait afin que l’or en devînt plus pur. Cet or, c’est la foi; le foin, c’est la convoitise charnelle. « Toute chair est un foin », dit Isaïe, « et tout honneur de la chair tombera comme l’herbe 4 ». Tout ce qu’il y a dans l’homme charnel, convoitant ce qui est frivole et passager, n’est qu’une herbe. Combien, peut-être même d’entre nos frères, sont allés au théâtre?

 

1. Luc, XII, 49.— 2. Matth. X, 31. — 3. Act. II, 3.— 4. Isa. XL, 6.

 

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L’herbe les entraînait. Ne faut-il pas désirer que ce feu dévore le foin, afin que l’or soit purifié? Toute la foi qui Peut être en eux est étouffée par l’herbe. Il est donc bon pour eux d’être embrasés d’un feu divin, afin que l’herbe étant consumée, on voie éclater cet or précieux racheté par le Christ. Donc « le feu marchera devant lui, pour dévorer les ennemis qui l’environnent ». Il en est qu’il a consumés pour leur bonheur, et qui sont fidèles aujourd’hui; d’ennemis qu’ils étaient, les voilà fidèles; tu cherches des ennemis, il n’en est plus ; tout est brûlé, tout est consumé: la charité a consumé en eux ce qui persécutait le Christ, et purifié en eux ce qui croyait au Christ. « Il a dévoré les ennemis qui l’environnent ».

8. « Ses éclairs brillent dans l’univers entier 1 ». Quelle allégresse ! n’est-ce point ce que nous voyons? ce qui est évident? Ses éclairs ont brillé dans le monde entier : voilà ses ennemis embrasés, ses ennemis consumés. Tout ce qui contredisait a été consumé, et l’univers enliera vu ses éclairs». Pourquoi ces éclairs? Pour donner la foi. D’où venaient ces éclairs? Des nuées. Quelles sont ces nuées du Seigneur? Les prédicateurs de la vérité. Vois-tu dans le ciel cette nuée? Elle est ténébreuse, obscure; elle recèle je ne sais quoi qu’un éclair s’échappe de la nuée , tu en vois l’éclat; et ce que tu méprisais a fait jaillir ce qui t’effraie. Notre-Seigneur Jésus-Christ u envoyé ses apôtres, ses prédicateurs comme des nuées. On ne voyait en eux que des hommes, et on les méprisait, comme on méprise les nuées qu’on voit avant qu’elles n’aient produit ce qui doit nous surprendre. Ils n’étaient tout d’abord que des hommes revêtus d’une chair, fragile; ensuite des hommes sans lettres, ignorants, méprisables. Mais il y avait en eux cette foudre qui devait et tonner et briller. Pierre, cet humble pêcheur, venait, priait, et les morts ressuscitaient 2. La forme humaine montrait une nuée, mais le miracle était l’éclair. Ainsi dans leurs paroles, dans leurs actes, quand ils disent des merveilles, et accomplissent des merveilles, « ses éclairs brillent dans l’univers entier. La terre les a vus et s’en est émue ». Voyez si cela n’est point vrai, si la terre entière, devenue chrétienne, ne répond point amen, bouleversée par les éclairs qui sortent de ces

 

1. Ps. XCVI, 4.— 2. Act. IX, 40.

 

nuées. La terre les a vus et s’en est émue».

9. « Les montagnes se sont fondues comme la cire devant la face du Seigneur 1». Quelles sont ces montagnes? Les orgueilleux. Toute hauteur qui s’élève contre Dieu, a tremblé, a succombé devant les actes du Christ et des chrétiens, et l’on ne saurait trouver une expression plus juste que celle du Prophète, se fondre. « Les montagnes se sont fondues devant la face du Seigneur». Où est cette hauteur des puissances? Où est l’endurcissement des infidèles? « Les montagnes se sont fondues comme la cire devant la face du Seigneur ». Le Seigneur a été pour elles un feu, et elles ont fondu en sa présence comme la cire, qui n’est dure que jusqu’aux approches du feu. Toute hauteur est aplanie aujourd’hui et n’ose plus blasphémer le Christ. Le païen qui ne croit point en lui s’abstient de tout blasphème; s’il n’est pas encore devenu une pierre vivante, il n’est déjà plus une montagne endurcie. « Les montagnes ont fondu comme la cire devant la face du Seigneur, en présence du Seigneur de la terre entière » : non-seulement des Juifs, mais encore des Gentils, comme a dit l’Apôtre 2 : ce n’est pas le Dieu des Juifs seulement, mais le Dieu des nations. Donc le Seigneur de toute la terre, le Seigneur Jésus-Christ, né en Judée, n’est pas né seulement pour les Juifs; car avant de naître il a tout fait; et ayant tout fait, il a tout restauré. « Devant la face du Dieu de la terre entière ».

10. « Les cieux ont annoncé sa justice, tous les peuples ont vu sa gloire 3». Quels cieux l’ont annoncé? « Les cieux qui racontent la gloire de Dieu 4». Quels cieux? Ceux qui lui servent de trône. De même que le Seigneur a pour trône les cieux, il a pour trônes les Apôtres, et les prédicateurs de l’Evangile. Toi aussi tu seras le ciel, si tu le veux. Veux-tu être le ciel? Purifie ton coeur de ce qu’il a de terrestre. Si tu n’as plus de convoitises terrestres, si tu ne mens point en répondant que ton coeur est en haut; tu es un ciel. « Si vous êtes ressuscités avec le Christ » (et l’Apôtre s’adresse aux fidèles), « cherchez ce qui est en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses d’en haut, et non celles d’ici-bas 5 ». En commençant à goûter les choses d’en haut, et non les choses de la

 

1. Ps. XCVI, 5. — 2. Rom. III, 29.— 3. Ps. CXVI, 6.— 4. Id.  XVIII, 2. — 5. Colos. III, 1, 2.

 

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terre, n’es-tu pas devenu un ciel? Tu as encore une chair, et ton coeur est un ciel; car fa conversation est dans les cieux 1. C’est alors que toi aussi tu annonces le Christ. Quel fidèle pourrait s’en taire? Que votre charité redouble d’attention; croyez-vous que nous qui prêchons ici soyons seuls à prêcher le Christ, et que vous ne le prêchiez point? D’où vient alors que des hommes que nous n’avons jamais vus, jamais connus, jamais exhortés, viennent à nous pour devenir chrétiens? Ont-ils cru sans qu’on leur ait annoncé la foi? L’Apôtre dit cependant : « Comment croire à celui dont on n’entend point parier? Et comment en entendre parler,si on ne le prêche 2 ?» Donc toute l’Eglise prêche le Christ, et les cieux prêchent sa justice: parce que tous les fidèles qui ont à coeur de gagner à Dieu ceux qui ne croient pas encore, et qui le font par charité, sont des cieux. C’est par eux que Dieu fait éclater le tonnerre de ses jugements: et l’infidèle tremble, et la crainte l’amène à la foi. Montrez aux hommes ce qu’a pu le Christ dans l’univers entier, en leur parlant et en les amenant à l’amour du Christ. Combien en est-il aujourd’hui qui ont entraîné leurs amis pour voir un comédien, un joueur de flûte? Pourquoi, sinon par amour pour ces histrions? Vous aussi, aimez le Christ. Aimez celui qui a donné de si grands spectacles, où l’on ne peut trouver rien à reprendre, et qui a vaincu le siècle. Quelquefois, en s’attachant à un personnage de théâtre, on est vaincu avec lui. Mais nul n’est vaincu avec le Christ, nul n’a motif d’en rougir. Saisissez donc, amenez-nous, entraînez ceux que vous pourrez ne craignez rien, c’est les amener à celui qui ne saurait déplaire à quiconque le verra : priez-le qu’il les éclaire, afin qu’ils le considèrent bien. « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire».

11. «Qu’ils soient confondus, ceux qui adorent des idoles 3». Tout cela n’est-il point arrivé? N’ont-ils pas été dans la confusion ? N’y vont-ils pas chaque jour? Ces idoles sont en effet des statues faites par la main des hommes. Pourquoi ceux qui adorent les idoles sont-ils confondus tous? Parce que tous lus peu pies ont vu la gloire du Christ. Déjà tous les peuples chantent cette gloire: qu’ils rougissent, les adorateurs de la pierre. Car ces pierres sont mortes, et nous avons trouvé la

 

1. Philipp. III, 20. — 2. Rom. X, 14.— 3. Ps. XCVI, 7.

 

pierre vivante. Et même ces pierres n’ont jamais vécu pour être appelées des pierres mortes : tandis que notre pierre est vivante, qu’elle a toujours vécu en son Père, qu’elle est morte pour nous, puis ressuscitée, qu’elle vit maintenant, et qu’elle n’est plus soumise à l’empire de la mort 1. Telle est la gloire que les peuples ont connue pour déserter les temples et accourir dans nos églises. « Qu’ils soient confondus, tous ceux « qui adorent des idoles». Veulent-ils encore adorer ces idoles? Ils ne veulent pas abandonner ces dieux, et ces dieux les abandonneront. « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres ». Mais quelque raisonneur, qui se croit savant, viendra me dire: Ce n’est point la pierre que j’adore, non plus que le simulacre insensible. Votre prophète n’a pu voir qu’il a des yeux et ne voit pas 2, sans que je sache, moi aussi, que cette idole n’a point d’âme, qu’elle ne voit point de ses yeux, n’entend point de ses oreilles; ce n’est point là ce que j’adore, mais en adorant ce qui est visible, je sers ce qui est indivisible. Qui donc alors? Une divinité qui préside à cette statue. Ils se croient habiles, en exposant ainsi le culte des idoles, et en nous disant qu’ils n’adorent point la statue, mais qu’ils adorent les démons. Car l’Apôtre l’a dit: « Les sacrifices des Gentils sont offerts aux démons, et non à Dieu. Je ne veux point»,dit-il encore, « que vous ayez part avec les démons 3 » : car l’idole n’est rien, nous le savons 4; et l’Apôtre nous dit : « Nous savons que l’idole n’est rien, « mais que les offrandes des Gentils sont faites aux démons,et non à Dieu ». C’est lui qui dit encore : « Je ne veux point que vous ayez part avec les démons ». Qu’ils ne viennent donc plus nous dire qu’ils ne rendent pas un culte à des idoles inanimées : ils n’en sont que mieux sous le joug des dénions, ce qui est plus dangereux. S’ils n’adoraient que des idoles, ces pierres ne pourraient les aider en rien, leur nuire en rien ; mais adorer et servir les démons, c’est les avoir pour maîtres. Et quels seront tes maîtres? Ceux qui sont jaloux de ton bonheur, qui ne peuvent que t’envier ta liberté, qui voudraient te posséder toujours, et te rendre tels, qu’ils te puissent toujours entraîner. Il est en effet dans ces esprits une malice qui leur est naturelle, une volonté de nuire: le mal

 

1. Rom. VI, 9.— 2. Ps. CXIII, 5.— 3. I Cor. X, 19, 20.— 4. Id. VIII, 4.

 

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des hommes fait leur joie, ils se repaissent de nos erreurs, quand ils peuvent nous tromper. Et que cherchent-ils? Non pas des hommes qu’ils puissent dominer éternellement, mais qui soient avec eux sous le poids d’une éternelle damnation, comme le voleur jaloux qui se plaît à accuser l’innocent. Qu’il soit brûlé vif, en souffrira-t-il moins si un autre brûle avec lui? En mourra-t-il moins pour mourir avec un autre? Sa peine est égale, mais sa méchanceté se rassasie. Qu’il meure avec moi, dit-il, non pour en mourir moins, mais pour se consoler par le malheur d’un autre. Telle est la malice du diable, qui veut séduire afin qu’on partage son supplice. Mais comme une peut tromper la justice de Dieu (car il n’excuse pas les innocents à son tribunal) il les pousse au péché afin d’avoir de véritables crimes à reprocher. Voilà les maîtres que se créent ceux qui adorent les idoles et les démons. « Les sacrifices des païens sont offerts aux démons, et non à Dieu : je ne veux point que vous ayez part avec les démons. »

12. Mais nous, quel est notre Dieu? Ecoutez la suite. Après avoir dit : « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des sculptures, qui se glorifient dans les simulacres », il prévoit qu’on viendra donner raison de ces idoles et nous dire : Ce n’est point la pierre que j’adore, mais la puissance divine. Quelle puissance? Dis-moi, est-ce aux démons que lu rends un culte, ou bien aux bons esprits, tels que sont les anges? Car il y a les saints anges, et les esprits mauvais. Pour moi, j’affirme que dans vos temples on n’adore que les mauvais esprits : ceux qui sont assez orgueilleux pour exiger des sacrifices, qui veulent être adorés comme des dieux, sont des méchants et des superbes. Tels sont aussi les hommes peu soumis à Dieu, qui recherchent leur propre gloire, et méprisent celle de Dieu. Mais voyez les hommes vraiment saints et qui ressemblent aux anges. Qu’on veuille rendre un culte à un homme saint, au véritable serviteur de Dieu, qu’on le veuille adorer comme un Dieu, il vous empêche à l’instant; loin de s’arroger les honneurs divins, de se poser comme un Dieu à tes yeux, il adore Dieu avec toi. Voilà ce que tirent les saints apôtres Paul et Barnabé, quand ils prêchaient la parole de Dieu en Lycaonie. Pleins d’admiration pour les merveilles qu’ils avaient accomplies dans ces contrées, les Lycaoniens amenèrent des victimes et voulaient leur offrir des sacrifices, en donnant à Barnabé le nom de Jupiter, et à Paul celui de Mercure; ceux-ci les rejetèrent avec horreur. Mais la cause de cette horreur était-elle parce qu’on les comparait aux démons? Non, mais bien parce qu’ils avaient en abomination un culte divin rendu à des hommes. Leurs paroles sont claires, et je ne fais point de conjectures. Voici la lecture de ce passage, qui indique leur indignation : « Alors Paul et Barnabé déchirèrent leurs vêtements, et s’écrièrent: Mes frères, que faites-vous? Nous sommes, comme vous, des hommes mortels 1». Remarquez bien ceci, De même que les hommes vraiment bons arrêtent ceux qui les veulent adorer comme des dieux, et ne veulent que pour Dieu seul le culte divin, pour Dieu seul les honneurs divins, pour Dieu seul le sacrifice, et non pour eux-mêmes; ainsi les saints anges cherchent la gloire de celui qu’ils aiment; ils brûlent du désir d’attirer à lui ceux qu’ils aiment, de leur inspirer une sainte ardeur pour lui rendre un culte, pour l’adorer, pour le contempler; c’est lui qu’ils annoncent, et non pas eux-mêmes, parce qu’ils sont des anges : et comme ils sont aussi ses soldats, ils ne savent que chercher la gloire de leur général; sitôt qu’ils chercheraient leur gloire, ils seraient condamnés comme des usurpateurs. Tel est le diable avec ses démons, c’est-à-dire avec ses anges. Il usurpa les honneurs divins pour lui et pour tous ses sectateurs ; il remplit les temples des païens, il leur persuada de lui élever des idoles, de lui offrir des sacrifices. Ne serait-il pas mieux d’adorer les bons anges, que d’adorer les démons? Ils nous répondent: Nous n’adorons pas les anges mauvais. Nous adorons ces esprits que vous appelez des anges, et qui sont les puissances du Dieu souverain, les ministres du grand Dieu. Fasse le ciel que vous les adoriez, ils vous apprendraient bientôt à ne plus les adorer. Ecoutez un ange qui nous instruit. Il faisait une révélation à un disciple du Christ, et lui montrait ces nombreuses merveilles consignées dans l’Apocalypse de saint Jean. A la vue de ces merveilles que l’ange lui découvrait, Jean est ravi et se jette à ses pieds; mais l’ange, qui ne cherchait que la gloire de son Seigneur, lui dit: « Levez-vous, que faites-vous? adorez le Seigneur,

 

1. Act. XIV, 13, 14.

 

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car moi, je suis serviteur comme vous et comme vos frères 1 ». Qu’on ne dise point : Je crains que l’ange ne s’irrite contre moi, si je ne t’adore point comme un dieu; il s’irrite au contraire quand tu lui rends les honneurs divins, car il est bon et il aime Dieu. De même que les démons s’irritent quand on ne les adore point; de même les bons anges s’irritent quand on les adore comme des dieux. Mais qu’une âme faible et timide ne vienne point nous dire: Si les démons s’irritent quand on ne les adore point, je crains de les offenser. Que pourra donc te faire le diable qui est leur chef? S’il avait quelque puissance, nul de nous ne resterait debout. Ne savons-nous point combien les chrétiens le maudissent chaque jour, et pourtant les chrétiens se multiplient? Si tu es en colère contre ton serviteur, tu lui donnes son nom, tu l’appelles diable, tu l’appelles Satan. Tu es dans l’erreur en appelant ainsi un homme; c’est la colère qui te porte à cet outrage envers l’image de Dieu : tu choisis, pour la lui dire, une injure qui te fait horreur. Si le démon avait quelque puissance, ne se vengerait-il point? Mais Dieu ne le lui permet point, et  il ne peut rien que dans la mesure que Dieu permet. Il voulut mettre Job à l’épreuve, et il en demanda simplement la permission 2, sans laquelle il n’avait aucun pouvoir. Pourquoi donc ne pas adorer Dieu sans crainte, puisque sans son ordre nul ne peut te nuire, et qu’il ne le permet que pour te corriger, et non pour te nuire? S’il plaît au Seigneur ton Dieu de permettre qu’un homme te nuise, ou même un esprit, il te corrige alors, pour te faire dire avec David: « Le Seigneur m’a châtié, mais ne m’a point livré à la mort 3». Donc « qu’ils soient  confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans des simulacres, Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges ».Que les païens apprennent ici à servir Dieu. Ils veulent adorer les anges, qu’ils imitent les anges, et qu’ils adorent celui que les anges adorent. « Adorez-le, vous qui êtes. ses anges». Qu’il l’adore, cet ange qui fut envoyé à Corneille, car c’est en adorant Dieu qu’il envoya Corneille à Pierre : qu’il adore le Christ, Seigneur de Pierre, lui qui est serviteur comme Pierre. « Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges ».

 

1. Apoc. XIX, 10.— 2. Job, I, 11.— 3. Ps. CXVII, 18.— 4. Act. X, 3.

 

13. « Sion n entendu et a tressailli 1 ».Qu’a donc entendu Sion? Que tous ses anges l’adorent. Qu’a entendu Sion? Voici ce qu’elle a entendu: « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire: qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres ». L’Église, en effet, n’était point répandue encore parmi les nations.; quelques Juifs croyaient en Judée, et ces Juifs croyaient que le Christ n’était que pour eux seuls: les Apôtres furent envoyés aux Gentils, ils prêchèrent à Corneille, et Corneille embrassa la foi, fut baptisé, et tous ceux qui étaient avec lui furent baptisés. Mais vous savez ce que Dieu fit pour les amener au baptême: il est vrai que le lecteur n’a pas été jusque-là aujourd’hui, plusieurs s’en souviennent, mais que ceux qui ne s’en souviennent plus, m’écoutent quelque peu. L’ange fut envoyé à Corneille, il envoya Corneille à Pierre, et Pierre vint à Corneille. Et comme Corneille était païen, comme ceux de sa suite, ils n’étaient point circoncis; afin qu’il n’y eût aucune hésitation à prêcher l’Evangile à des Gentils incirconcis, avant que Corneille fût baptisé avec sa suite, le Saint-Esprit vint, les remplit, et ils parlèrent diverses langues. Le Saint-Esprit jusqu’alors n’était tombé que sur des baptisés, mais il descendit sur ces derniers avant le baptême. Pierre aurait pu hésiter à donner le baptême à des incirconcis, mais le Saint-Esprit descendit, et ils parlèrent diverses langues, ils reçurent un don invisible, qui leva toute hésitation à propos du sacrement visible ; et tous furent baptisés. Il est écrit au même endroit: « Or, les Apôtres, et les frères qui étaient en Judée, apprirent que les Gentils avaient reçu la parole de Dieu, et bénissaient le Seigneur 3 ». Voilà ce qu’annonce le Prophète: « Sion a entendu et a tressailli ; les filles de Juda ont été dans l’allégresse ». Qu’est-ce que Sion a entendu, pour être dans la joie? « Que les Gentils ont reçu la parole de Dieu ». Une muraille s’était élevée, mais l’angle n’existait pas. Sion est proprement l’Eglise qui était en Judée et qui a reçu cette dénomination. « Sion a entendu et a tressailli ; les filles de Juda ont été dans l’allégresse». C’est ce qui est écrit: « Les Apôtres, et les frères qui étaient dans la Judée entendirent ». Voyez si « les filles

 

1. Ps. XCVI, 8. — 2. Act. XI, 1.

 

 

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de Juda n’ont point tressailli ». Qu’entendirent les frères? « Que les Gentils ont reçu la parole de Dieu ». Que dit à ce propos notre psaume? « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire ». Et comme les Gentils, adorateurs des idoles, embrassaient la foi, le psaume continue: « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres. Sion a entendu et a tressailli; les filles de Juda ont été dans l’allégresse ». Plus tard quelques circoncis voulurent reprocher à Pierre sa conduite, en disant : « Pourquoi êtes-vous entré chez les hommes incirconcis,et avez-vous mangé avec eux 1?» Pierre se justifia, et dit que dans son oraison un linceul, qui avait apparu, appendu au ciel par ses quatre coins, et que ce linceul, qui contenait toutes sortes d’animaux, désignait tous les Gentils. Il était suspendu aux quatre coins, parce que la terre qui renferme tous les peuples a quatre parties : et qu’on prêche les quatre Evangiles du Christ pour montrer que sa grâce doit se répandre dans les quatre parties du monde. Saint Pierre partit de cette vision qui lui était apparue, pour dire aux disciples tout ce qui s’était passé, et comment Corneille avait embrassé la foi, parce qu’avant de recevoir le baptême l’Esprit-Saint était descendu sur lui. Cet exposé fit taire les reproches et tous bénirent le Seigneur en disant: « Dieu a donc donné la pénitence aux Gentils pour les conduire à la vie 2 ». Voilà ce « qu’entendit la fille de Sion qui fut dans l’allégresse; et les filles de Juda tressaillirent, à cause de vos jugements, ô mon Dieu». Quels jugements? C’est que Dieu ne fait acception de personne. C’est le mot de Pierre lui-même , quand, voyant que le Saint-Esprit avait rempli Corneille et ceux de sa suite, il s’écria : « En vérité, j’ai reconnu que Dieu ne fait acception de personne ». Donc « les filles de Juda ont tressailli à cause de vos jugements, ô mon Dieu » .Qu’est-ce à dire « à cause de vos jugements? » C’est que « dans toute nation, dans tout peuple, quiconque veut le servir lui est agréable 3 », et qu’il n’est pas seulement le Dieu des Juifs, mais encore le Dieu des Gentils 4.

14. Voyez si ce n’est point pour cela qu’ont tressailli les filles de Sion. « Et les filles de

 

1. Act. XI, 3. — 2. Id. 18. — 3. Id. 34, 35. — 4. Rom. III, 29.

 

Juda omit tressailli d’allégresse à cause de vos jugements, ô mon Dieu, parce que vous êtes le seul Dieu très-haut, au-dessus de toute la terre 1». Non sur la Judée seule, non sur Jérusalem seule, non sur Sion seulement, mais « sur toute la terre ». C’est dans l’univers entier que les jugements de Dieu sont en vigueur, afin de rassembler tous les peuples des extrémités du monde. Ceux qui se sont retranchés ne communiquent plus à ces peuples; ils n’écoutent point cette prédiction, ne la voient point s’accomplir. « C’est que vous êtes le Dieu très-haut, au-dessus de toute la terre; bien supérieur à tous les dieux». Qu’est-ce à dire, « bien supérieur? » Le Prophète parle du Christ. Et que veut-il dire par cette expression « bien supérieurs, sinon nous faire comprendre qu’il est égal à son Père? Qu’est-ce à dire encore supérieur à tous les dieux?» Quels dieux? Les idoles n’ont point de sens, n’ont point de vie : les démons ont le sentiment et la vie, mais sont mauvais, Quelle gloire donnons-nous au Sauveur en l’élevant au-dessus des idoles? Il est bien supérieur aux démons, mais ce n’est point là une grandeur. Les démons sont les dieux des nations 2, mais pour lui il est élevé au-dessus de tous les dieux. Des hommes aussi ont été appelés des dieux: « Je l’ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut ». Il est encore écrit: « Dieu a pris séance dans l’assemblée des dieux, pour juger les dieux au milieu d’eux 3». Notre-Seigneur Jésus-Christ est bien supérieur à tous, non-seulement aux idoles, non-seulement aux démons, mais encore aux hommes justes; c’est peu encore, il est supérieur à tous les anges. Pourquoi en effet ce précepte : « Adorez-le, vous qui êtes ses anges », sinon parce qu’ « il est bien supérieur à tous les dieux? »

15. Mais nous tous qui sommes assemblés auprès de celui qui est élevé bien au-dessus de tous les dieux, que devons-nous faire? Il nous le dit en un seul mot: « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal 4 ». Il est honteux d’aimer en même temps le Christ et l’avarice. Si tu l’aimes, tu dois haïr ce qu’il hait. Un homme est ton ennemi, mais il est ce que tu es; vous êtes l’oeuvre du même créateur, et dans la même condition: et néanmoins, si ton fils parle à ton ennemi, entre dans la maison de ton ennemi, a de fréquents entretiens avec

 

1. Ps. XCVI, 9.— 2. Id. XCV, 5.— 3. Id. LXXXI, 1, 6. — 4. Id. XCVI, 10.

 

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ton ennemi, tu veux le déshériter, parce qu’il parle à ton ennemi. Et comment? Parce que tu trouves cette raison juste: Tu es l’ami de mon ennemi et tu veux une part de mon bien! Un peu d’attention. Tu aimes le Christ, et l’avarice est l’ennemie du Christ; pourquoi t’entretenir avec elle? C’est peu dire, tu t’entretiens avec elle; pourquoi être son esclave? Le Christ commande bien souvent, tu n’obéis point; l’avarice commande, à l’instant tu obéis. Le Christ ordonne de vêtir celui qui est nu, et tu ne le fais point; l’avarice commande la fraude, et tu la fais à l’instant. S’il en est ainsi, si telle est ta conduite, garde-toi d’espérer une belle part dans l’héritage du Christ. J’aime le Christ, me diras-tu. « O vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». La preuve que tu aimes le bien, est dans la haine que tu montreras pour le mal. « Haïssez le mal, ô vous qui aimez le Seigneur ».

            16. Mais dès que nous commençons à haïr le mal, voici bientôt la persécution. Nous haïssons le mal; et voilà qu’un persécuteur vient nous dire: Commets telle fraude; vient nous dire: Adore cette idole ; vient nous dire: Offre de l’encens aux dénions; mais nous l’avons entendu : « Vous tous qui aimez le  Seigneur, haïssez le mal ». Nous l’avons entendu, il est vrai, mais si nous n’obéissons, il sévira contre nous. Jusqu’où sévira-t-il? Que nous enlèvera-t-il? Réponds-moi, pourquoi es-tu chrétien? Est-ce pour acquérir l’héritage éternel, ou une félicité terrestre ? Interroge ta foi, traduis ton âme au tribunal de la conscience, tourmente-la par la crainte du jugement, dis-moi en qui as-tu mis ta foi, et pourquoi cette foi? Mais, dis-tu, j’ai cru au Christ. Que t’a promis le Christ, sinon ce qu’il nous montre en lui? Que montre-t-il en lui? Il est mort, il est ressuscité, il est monté aux cieux. Veux-tu l’y suivre? Imite ses souffrances et attends ses promesses. Que peut t’enlever un persécuteur, quand tu commenceras à haïr le mal par amour pour le Seigneur? Que t’enlever?Ton patrimoine? Est-ce le ciel? Qu’il t’enlève, s’il veut, ce que Dieu t’a donné: (il ne peut même l’enlever, si Dieu ne le veut point; mais, quand Dieu le permet, il te ravit ce que Dieu t’a donné, de peur que Dieu lui-même ne se dérobe à toi). Mais pour Dieu, nul ne peut te l’enlever; toi seul, en fuyant Dieu, tu peux te le ravir.

            17. Peu m’importe mon patrimoine, me diras-tu peut-être. « Dieu me l’a donné, Dieu  me l’a ôté ». Puis-je dire avec Job : « et comme il a plu au Seigneur, il a été fait 1 ». Mais je crains que mon ennemi ne me tue, C’est là toute ma crainte. Ecoute alors la consolation du Psalmiste: « Le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs». De même qu’il avait dit plus haut: « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal » : pour te délivrer de la crainte de ne haïr le mal, que par la peur que tu aurais d’être tué par le méchant, le Psalmiste ajoute aussitôt : « Le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs ».Apprends dans 1’Evangile qu’il garde les âmes de ses serviteurs: « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme 2». Il tue le corps, ce persécuteur, c’est l’apogée de sa puissance; mais que t’a-t-il fait?Ce qu’il a fait au Seigneur ton Dieu. Pourquoi vouloir posséder ce que possède le Christ, quand tu crains de souffrir ce qu’il a souffert?il est venu pour se revêtir d’une vie temporelle, infirme, assujettie à la mort. Crains de mourir, j’y consens, si tu peux ne point mourir. Pourquoi ne point embrasser par la foi ce que tu ne peux éviter par ta nature? Que cet ennemi si redoutable par ses menaces t’enlève cette vie, Dieu te donnera une autre vie; car c’est lui qui t’a donné celle-ci, et s’il ne le voulait-on ne te l’enlèverait point: mais s’il lui plaît qu’on te l’enlève, il a de quoi faire un échange, ne crains point d’être dépouillé pour lui. Crains-tu de perdre un vêtement en lambeaux? Il te donnera la robe de la gloire. De quelle robe me parlez-vous? « Il faut que, corruptible, ce corps soit revêtu d’incorruptibilité, et mortel, d’immortalité 3». Cette chair même ne périra point. Notre ennemi peut sévir jusqu’à la mort : mais au delà il n’a de pouvoir ni sur l’âme, ni sur la chair; en dispersant ta chair, il n’empêcherait pas la résurrection. Les hommes craignaient pour leur âme, et que leur dit Jésus-Christ? « Les cheveux de votre tête sont tous comptés 4 ». Craindras-tu de perdre ton âme, lorsque tu ne perds pas un cheveu? Dieu en sait le nombre, il rétablira tout, lui qui a tout créé. Il les a créés quand ils n’étaient point, et quand ils existent, une saurait les réparer? Croyez donc de tout votre coeur, mes frères, et « vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». Soyez forts, non-seulement dans votre amour pour

 

1. Job, I, 21.— 2. Matth. X, 28.— 3. I Cor. XV, 53. — 4. Matth. X, 3O.

 

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Dieu, mais aussi dans votre haine pour le mal. Que nul ne vous effraie: celui qui vous a appelés est plus puissant encore, il est le tout-puissant. Il est plus fort que toute force, plus élevé que toute élévation. Le fils de Dieu est mort pour nous; sois assuré de recevoir sa vie, toi qui as pour gage de cette vie sa mort même. Pour qui est-il mort? Est-ce pour les justes? écoute saint Paul: « Le Christ est mort pour les impies 1 ». Tu étais impie, et il est mort pour toi: et quand tu es justifié, il t’abandonnerait? Lui qui a justifié l’impie, pourrait-il abandonner l’homme juste? «Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal», Que nul ne craigne, puisque « le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs, et les tirera des mains du pécheur ».

18. Mais, diras-tu, je perds néanmoins cette lumière. « La lumière s’est levée pour le juste ». Quelle lumière crains-tu de perdre? Crains-tu d’être dans les ténèbres? Ne crains pas de perdre la lumière, ou plutôt prends garde qu’en craignant de perd me cette lumière tu ne perdes la vie éternelle. Mais voyons en effet à qui est donnée celle que tu crains de perdre, et avec qui elle vous est commune. N’y a-t-il que les bons pour voir le soleil, quand Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 2 ? Cette lumière est commune avec les méchants, commune avec les voleurs, commune avec les impudiques, commune avec les bêtes, avec les mouches, avec les vermisseaux. Quelle lumière ne ménage-t-il point au juste, celui qui en donna une semblable à de pareils êtres? C’est la lumière que les martyrs ont vue avec justice dans la vivacité de leur foi; eux qui méprisaient cette lumière terrestre, en voyaient une autre après laquelle ils soupiraient, en dédaignant celle-ci. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie tour les coeurs droits 3 ». N’allez pas croire qu’ils étaient véritablement à plaindre, quand ils étaient chargés de chaînes. La prison était large pour les fidèles, et les chaînes légères pour les confesseurs. Ils paraissaient avec joie devant les tribunaux, eux qui prêchaient le Christ dans les tourments. « La lumière s’est levée pour le juste ». Quelle lumière s’est levée? Celle qui ne se lève point pour l’injuste ; non point, cette lumière que Dieu fait lever sur les bons comme

 

1. Rom. V, 6. — 2. Matth. V, 45. — 3. Ps. XCVI, 11.

 

sur les méchants, Il est une autre lumière qui se lève pour le juste, lumière qui ne se lève point pour les hommes d’iniquité, et qui leur fera dire au dernier jour: « Nous avons erré loin du sentier de la vérité : la lumière de la justice ne s’est point levée pour nous, son soleil n’a point paru à nos yeux 1 ». Ils ont aimé ce soleil terrestre et sont tombés dans les ténèbres du coeur. Que leur sert d’avoir vu l’un des yeux du corps, quand ils ne verront point l’autre des yeux de l’esprit? Tobie était aveugle et il enseignait à son fils la voie de Dieu. Vous savez qu’il lui donnait des conseils et lui disait : « Mon fils, fais l’aumône, parce que l’aumône ne te laissera point aller dans les ténèbres 2 ». Il était plongé lui-même dans les ténèbres en parlant de la sorte. Voyez-vous dès lors qu’il y a une autre lumière qui s’élève pour le juste, une autre joie pour ceux qui ont le coeur droit? Il était aveugle, et disait néanmoins à son fils: « Fais l’aumône, parce que l’aumône ne te laissera point aller dans les ténèbres». Il ne craignit point que son fils lui dît en son coeur: Vous donc, n’avez-vous pas fait l’aumône? Pourquoi parier ainsi quand on est aveugle? Voilà que vos aumônes vous ont fait devenir aveugle, et comment me dites-vous que « les aumônes m’empêcheront de tomber dans l’aveuglement? » Pourquoi ce père parlait-il avec confiance,sinon parce qu’il voyait une autre lumière? Le fils tendait la main au père pour diriger sa marche; mais le père montrait au fils le chemin de la vie. Il est donc une autre lumière qui se lève pour le juste. « La lumière se lève pour le juste, et la joie pour ceux qui ont le coeur droit ». Veux-tu la connaître? Aie le coeur droit. Qu’est-ce à dire: Aie le coeur droit? Prends garde d’aller à Dieu avec un coeur replié, en résistant â sa volonté et en cherchant à la courber vers toi au lieu de te redresser sur elle, et tu ressentiras la joie, la joie que goûtent tous ceux qui ont le coeur droit. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie pour ceux qui ont le coeur droit. »

19. « Tressaillez, vous qui êtes justes ». Peut-être que des fidèles qui entendent cette parole: « Tressaillez », rêvent des festins, préparent des coupes, attendent la saison des roses, parce que l’on dit; « Tressaillez, ô justes ». Ecoutez le mot suivant: « Dans le Seigneur. «Vous qui êtes justes, tressaillez dans le Seigneur ».

 

1. Sag. V, 6.— 2. Tob. IV, 7, 11.

 

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Tu attends la belle saison afin de te réjouir. Si le Seigneur est ta joie, il est toujours avec toi ; il n’y a point de saison pour lui : tu l’auras la nuit, comme tu l’auras le jour. Aie la droiture de coeur, et il sera toujours ta joie, car la vraie joie n’est pas toujours celle qui vient du monde. Ecoute en effet le prophète Isaïe : « Il n’y a point de joie pour l’impie, dit le Seigneur 1 ».Ce que les impies appellent joie , n’est pas vraiment joie. Quelle joie connaissait donc celui qui condamnait cette joie? Croyons, mes frères, ce qu’il nous en dit. Il était homme, et connaissait deux joies bien différentes. Homme, il connaissait la joie du vin, la joie de la table, la joie molle d’un lit, il connaissait toutes ces joies mondaines et luxurieuses. Et néanmoins connaissant toutes ces joies, il dit hardiment: « Il n’y a pas de joie pour l’impie, dit le Seigneur » .Ce n’était point l’homme qui parlait, mais bien « le Seigneur ». Donc, dans la vérité du Seigneur, « il n’y a point de joie pour les impies ». Ils paraissent avoir de la joie, mais « il n’est point de joie pour l’impie », telle est la parole non pas d’un homme, mais la parole « du Seigneur ». De là vient qu’à la vue de cette joie, un autre a dit : « Je n’ai point désiré le jour des hommes, vous le savez, Seigneur 2». O vous qui me montrez un autre jour, qui m’enseignez une autre lumière, qui répandez une autre joie dans mon coeur, qui me faites goûter intérieurement d’autres délices, vous m’amenez à ne point désirer le jour des hommes. Isaïe voyait sans doute les hommes plongés dans l’ivresse, dans la luxure, dans les spectacles; il voyait le monde entier s’éprendre de toutes les bagatelles et néanmoins il s’écriait: « Il n’est point de joie pour les impies, dit le Seigneur ». Si là n’est point la joie, quelle joie voyait donc le Prophète, en comparaison de laquelle cette joie d’ici-bas n’est rien? Qu’un homme admire la lumière d’une lanterne, toi qui connais le soleil, tu lui diras: Cette lumière n’est rien. Pourquoi n’est-elle rien? Lui la prend pour quelque chose, il s’en réjouit; et toi, tu dis que cette lumière n’est rien. Qu’un homme encore admire un singe, tu diras: telle n’est point la beauté : et s’il s’attache à considérer cet animal, à admirer l’agencement de ses membres, et leur proportion; toi qui connais la beauté, tu nierais celle du singe, et tu dirais : Ce n’est point la

 

1. Isa. XLVIII, 22; LVII, 21. — 2. Jérém. XVII, 16.

 

beauté. Pourquoi? Parce que tu en connais une autre. Mais, diras-tu : Je ne vois point la beauté que voyait Isaïe. Crois, et tu la verras. Tu n’as peut-être pas ce qu’il faut pour la découvrir; car il est un oeil qui voit la beauté. De même que l’oeil corporel voit cette lumière, c’est l’oeil du coeur qui voit la beauté. Cet oeil, chez toi, est peut-être blessé, obscurci, troublé par la colère, par l’avarice, par la convoitise, par le délire des passions; oui, ton oeil est troublé, et tu ne saurais voir cette lumière. Crois avant de voir, et tu seras guéri, et tu verras. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie pour les coeurs droits».

20. « Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, et rendez hommage à la mémoire de sa sainteté 1». Dans cette joie du Seigneur, dans les délices que vous goûterez, rendez-lui témoignage, car ce n’est que par sa volonté que nous goûtons en lui cette joie. Car le Seigneur a dit lui-même : « Je vous ai parlé de ces choses, afin que vous ayez la paix en moi; vous aurez des afflictions dans le monde 2». Si vous êtes chrétiens, espérez ici-bas la tribulation; n’espérez pas des temps meilleurs et plus calmes; ce serait vous tromper, mes frères; ne vous promettez point ce que l’Evangile ne vous promet point. Vous savez ce qu’il vous prédit; nous parlons à des chrétiens, ne soyons pas des prévaricateurs de la foi. L’Evangile dit que dans les derniers temps, il s’élèvera beaucoup de calamités, beaucoup de scandales, beaucoup d’afflictions, beaucoup d’iniquités: mais que celui qui persévérera sera sauvé, « La charité de plusieurs se refroidira 3 », est-il dit encore. Celui donc qui persévérera dans l’esprit de ferveur, selon ce mot de l’Apôtre: « Soyez -fervents en esprit 4»; celui-là ne verra point sa foi se refroidir : « Car l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné 5 ». Que personne donc ne se promette ce que l’Evangile ne promet point. Des temps plus heureux viendront, et je ferai ceci, j’achèterai cela. Il vous est bon de vous en tenir à celui qui ne se trompe point, qui ne trompe personne, qui vous a promis la joie, non pas d’ici-bas, mais en lui-même; afin qu’après cette vie vous espériez de régner avec lui éternellement. Si tu  veux régner sur la terre, tu ne trouveras de joie, ni en cette vie, ni dans l’autre vie.

 

1. Ps. XCVI, 12. — 2. Jean, XVI, 33. — 3. Matth. XXIV, 3, 13. — 4. Rom. XII, 11.— 5. Id. V, 5.

 

 

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