PSAUME XCIX
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DISCOURS SUR LE PSAUME XCIX.

SERMON AU PEUPLE.

LA JUBILATION DANS L’ÉGLISE.

 

Que la terre entière soit dans la jubilation et confesse le Seigneur. Cette jubilation est l’expression inarticulée d’une joie excessive, à la vue des grandeurs de la création; mais le coeur pur comprend seul ces grandeurs, le coeur impur ne désire même pas la lumière ; pour voir il faut S’approcher, et l’on s’approche de Dieu par la ressemblance avec lui. Tout est également présent pour l’homme qui voit et pour l’aveugle, mais le résultat est bien différent. Approcher de Dieu, c’est te voir autant qu’il est possible en cette vie mortelle, c’est a source de la jubilation. Le joug du Seigneur est doux, et nous devons le servir par amour, afin d’être ainsi esclaves et libres. Servons le avec allégresse, mais ici-bas la jubilation n’est pas entière, nous sommes daims la tribulation, comme le lis au milieu des épines. Le chrétien doit-il donc se séparer des méchants pour vivre dans la solitude ? Mais d’abord ses exemples de vertu seront perdus, et puis la solitude a ses tentations, ses faux frères, ses combats, et notre paix ici-bas n’est que dans la foi aux promesses divises Ce qui nous trompe, c’est que nos voyons uniquement ou les avantages ou les inconvénients d’un genre de vie; on loue l’Eglise sans dire quelle renferme aussi des méchants ; on blâme les mauvais chrétiens salis faire attention aux bons. Il en est de même des clercs, de même des solitaires. Le Seigneur a donc raison de nous dire, que deux travailleront dans le champ du Seigneur, et que le bon seul sera admis, de même des deux à la meule, ou qui travaillent en apparence à leur salut. Sachons donc nous soumettre à Dieu, confessons nos fautes avant d’entrer dans ce bercail, où se continuera notre confession, mais confession de louanges en l’honneur de Dieu.

 

1. Vous avez, mes frères, entendu le psaume quand on l’a chanté; il est court et n’a rien d’obscur : je vous donne cette garantie, afin que vous n’ayez pas à craindre la fatigue. Appliquons néanmoins notre attention, et d’autant plus volontiers que nous en avons plus le temps, à pénétrer le sens de ces paroles déjà si claires, afin d’en trouver la signification spirituelle autant que nous le pourrons. Quel que soit l’organe que prenne la voix de Dieu, c’est toujours la voix de Dieu; il n’y a que sa parole qui plaise à ses oreilles ; et quand nous parlons, nous ne lui plaisons qu’à la condition qu’il parlera lui-même par notre bouche.

2. « Psaume pour la confession » : telle est l’inscription, tel est son titre: « Psaume pour la confession 1 ». Il contient peu de paroles, mais qui sont pleines d’un grand sens; puissent-elles jeter la bonne semence dans vos âmes, afin que l’on prépare le grenier céleste pour la moisson du Seigneur. Poussons des cris de joie au Seigneur, c’est là ce que veut ce psaume de la confession, c’est à quoi il nous exhorte. Or, cette exhortation ne s’adresse point à un coin de la terre, ni à quelque lieu séparé, ou à quelque réunion d’hommes; mais comme Dieu sait qu’il a

 

1. Ps. XCLX, 1

 

répandu ses bénédictions sur toute la terre, il exige de toute la terre la jubilation.

3. « Vous tous, habitants de la terre, acclamez le Seigneur 1». Est-ce que la terre entière peut entendre ma voix ? Cependant la terre entière a entendu la voix du psaume. Déjà la terre entière acclame le Seigneur, et celle qui ne l’acclame point encore, l’acclamera bientôt. Car la bénédiction qui est partie de Jérusalem avec l’Eglise naissante, se répand dans toutes les nations 2, renverse partout l’impiété pour établir la piété en tout lieu : les bons sont mélangés aux méchants, et comme les méchants sont par toute la terre, les bons aussi sont par toute la terre. Toute la terre murmure avec les méchants, comme toute la terre pousse avec les bons des cris de jubilation. Qu’est-ce que la jubilation? Car le titre de « psaume pour la confession », appelle notre attention sur cette expression du psaume. Qu’est-ce que jubiler dans la confession? Il est une autre parole du psaume ainsi conçue: « Bienheureux le peuple qui connaît la jubilation 3». Sans doute c’est quelque chose de grand, puisqu’on est heureux de te comprendre. Que le Seigneur donc, que notre Dieu, qui donne aux hommes le bonheur, me donne de comprendre ce que je dois dire, et

 

1. Ps. XCIX, 2.— 2. Luc, XXIV, 47.— 3. Ps. LXXXVIII, 16.

 

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à vous de comprendre ce que vous entendrez: « Bienheureux le peuple qui comprend la jubilation ». Courons à cette félicité, comprenons la jubilation, ne la répandons point sans la comprendre. A quoi bon jubiler, et obéir aux invitations de ce psaume : « Terre entière, jubilez au Seigneur », si l’on ne comprend la jubilation, si cette jubilation n’est que dans notre voix et nota dans notre coeur? Car le son du coeur, c’est l’intelligence.

4. Vous savez ce que je vais dire. Jubiler, ce n’est point parler, c’est exhaler sans paroles un cri de joie : c’est la voix d’une âme dont la joie est au comble, qui exhale autant que possible ce qu’elle ressent, mais ne comprenant point ce qu’elle dit dans les transports de son allégresse, l’homme après des paroles indicibles et inintelligibles exhale sa joie en cris inarticulés : en sorte que l’on comprend à la vérité sa joie dans ses cris, mais qu’il ne saurait exprimer en paroles cette joie excessive. Voilà ce que l’on remarque dans ceux qui chantent même sans pudeur. Sans doute notre jubilation ne ressemble point à leur jubilation, puisque notre allégresse n’a pour bot que la justice, tandis qu’ils ne jubilent que dans le crime : notre allégresse est dans la confession, la leur dans la confusion. Toutefois, afin de mieux comprendre mes paroles, et même de vous rappeler ce que vous savez, ceux qui jubilent sont principalement les ouvriers des champs. L’abondance des récoltes met en joie les moisson fleurs, les vendangeurs, et tous ceux qui recueillent des fruits; cette fécondité, cette richesse de la terre leur donne des chants d’allégresse; et dans ces chants, ils mêlent aux paroles des ions confus qui témoignent de leur joie, voilà ce qu’on appelle jubilation. Si quelqu’un ne comprend point mes paroles, parce qu’il n’y a point fait attention, qu’il le remarque à l’avenir; puisse-t-il cependant ne trouver personne à remarquer, de peur que Dieu ne trouve quelqu’un à renverser. Mais puisque les épines renaissent sans relâche, signalons, dans ceux qui exhalent une joie profane, la jubilation que Dieu réprouve, afin de lui offrir la jubilation qu’il couronne.

5. Quand est-ce que nous jubilons? Quand nous chantons ce qui est inexprimable. Nous dons les yeux sur la terre, les mers, les cieux, et tout ce qu’ils renferment. Nous voyons que toutes les créatures ont leurs principes et leurs raisons, une force reproductive, un ordre de naissance, une manière de subsister, un dépérissement et une disparition, nous les voyons suivre sans aucune perturbation le cours des siècles, les astres couler en quelque sorte d’Orient en Occident, marquer la suite des années, la longueur des mois, l’étendue des heures; et dans tout cela, je ne sais quoi d’invisible, que l’on appelle âme ou esprit, qui est dans tous les êtres animés, qui cherche le bonheur et redoute la gêne, afin de conserver sa vitalité; des traits dans l’homme qui lui sont communs avec les anges de Dieu, et non avec les animaux, comme la vie, l’ouïe, la vue et le reste. Ainsi il connaît Dieu, ce qui est le propre de l’esprit, qui discerne le bien du mal, comme l’oeil discerne le blanc du noir. Que l’âme, en considérant toutes ces créatures que nous avons pu nommer et parcourir, se demande: Qui a fait tout cela? Qui a créé toutes ces choses? Qui t’a créée toi-même parmi elles? Que sont toutes ces choses que tu considères? Qu’es tu toi-même qui les considères? Qui a fait, et ces créatures à considérer, et l’âme qui les considère? Quel est ce Créateur? Nomme-le : et pour le nommer, réfléchis. Ta pensée peut voir ce que ta parole ne saurait peut-être dire, mais jamais tu ne pourras dire ce que tu n’auras pu penser. Pense donc à ce Créateur avant de le nommer, et pour penser à lui, il faut s’en approcher. Quand tu veux bien voir, afin de pouvoir parler, tu t’approches pour mieux regarder, afin de n’être point trompé par l’éloignement. Mais de même que les yeux dis corps perçoivent tous ces objets, de même c’est l’esprit qui voit Dieu, c’est le coeur qui le considère et le contemple. Et quel doit être le coeur pour contempler Dieu? « Bienheureux », est-il dit, « ceux dont le coeur est pur, parce qu’ils verront Dieu 1». J’entends, je crois, je comprends, comme je puis, que c’est le coeur qui voit Dieu, et que Dieu ne se découvre qu’aux coeurs purs : mais j’entends un autre passage de l’Ecriture : « Qui se glorifiera d’avoir un coeur chaste? Ou qui se glorifiera d’être exempt de toute faute 2? » J’ai considéré, autant que je l’ai pu, toutes les créatures; j’ai vu, dans le ciel et sur la terre, celles qui

 

1. Matth. V, 8. — 2. Prov. XX, 9.

 

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ont un corps, et une créature spirituelle en moi qui parle, qui fait agir mes membres, entendre ma voix, mouvoir ma langue, qui prononce des paroles, qui en discerne le sens. Mais quand est-ce que je me comprends en moi-même? et d’où pourrais-je comprendre ce qui est au-dessus de moi? Et toutefois l’Ecriture promet à l’homme qu’il verra Dieu, et lui indique la manière de purifier son coeur ; voici son conseil : Prépare-toi, de manière à voir Dieu que tu aimes, avant de le voir. Quand on parle de Dieu et de son saint nom, qui ne se réjouit d’entendre, sinon l’impie séparé de Dieu, rejeté au loin? « Ceux qui s’éloignent de vous périront », dit le Prophète ; et il ajoute: « Vous avez perdu ceux qui sont adultères loin de vous ». Mais à nous qu’arrivera-t-il? Car ceux-là sont loin de vous, et dès lors dans les ténèbres, et leurs yeux sont tellement obscurcis par les ténèbres, que non-seulement ils ne désirent point la lumière, mais qu’ils en ont horreur; pour nous, qui ne sommes point éloignés, que nous est-il promis? « Approchez de lui et soyez dans la lumière 1 ». Mais pour approcher de lui et en recevoir la lumière, il faut que les ténèbres te déplaisent; condamne ce que tu es, afin de mériter d’être ce que tu n’es pas. Tu es injuste et tu dois être juste; tu n’arriveras jamais à la justice, si l’iniquité a de l’attrait pour toi. Brise-la dans ton coeur, et purifie-toi; chasse-la de ton coeur où veut habiter Celui que tu veux voir. Voilà donc l’âme qui s’approche de Dieu, l’homme intérieur restauré à l’image de Dieu, parce qu’il avait été créé à l’image de Dieu, et qui en était d’autant plus éloigné, qu’il lui était devenu plus dissemblable. Car ce n’est point par la distance des lieux qu’on s’approche de Dieu ou qu’on s’en éloigne. Tu es loin de lui, quand tu es dissemblable à lui; tu es près de lui, si tu es à son image. Vois comment le Seigneur veut que nous approchions de Dieu, puisqu’il commence par nous rendre semblables à lui, afin que cette ressemblance nous rapproche. « Soyez », dit-il, « comme votre Père qui est dans les cieux, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes 3». Apprends à aimer un ennemi, si tu veux éviter un ennemi. A mesure que la charité grandit en toi, qu’elle te reforme, et

 

1. Ps. LXXII, 27. — 2. Id. XXXIII, 6. — 3. Matth. V, 45.

 

ravive en toi l’image de Dieu, elle s’étend à tes ennemis, afin que tu deviennes semblable à Celui qui fait luire son soleil, non-seulement sur les bons, mais aussi sur les méchants; et pleuvoir, non-seulement sur les justes, mais sur les justes et suries injustes. Plus la ressemblance est vive, et plus tu avances dans la charité, plus aussi tu commences à goûter Dieu. Et quel est celui que tu goûtes? Celui qui vient à toi, ou Celui à qui tu reviens? Car ce n’est point lui qui s’est éloigné de toi; s’il est loin de toi, c’est que tu t’éloignes de lui. Tout est également présent et aux aveugles, et à ceux qui voient; qu’un aveugle et qu’un voyant soient dans un même lieu, ils sont environnés des mêmes images: pour l’un ces images sont présentes, mais absentes pour l’autre : ainsi donc, voilà deux hommes en un même lieu, l’un est présent, l’autre absent; non que les objets se rapprochent de l’un, s’éloignent de l’autre, mais cela tient à la différence des yeux. On dit de l’un qu’il est aveugle, parce qu’il est inutilement en présence des objets qu’il ne voit pas, puisqu’en lui est éteint l’organe qui nous met en rapport avec la lumière, qui donne une forme à tout; et même on peut dire qu’il est plus absent que présent: partout en effet où il n’a pas un sens, on dit avec raison qu’il est absent; car l’absence n’est qu’un défaut de sens. C’est ainsi que l’on dit que Dieu est en tout lieu, tout entier partout. Sa sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur 1. Or, ce qu’est Dieu le Père, son Verbe, sa Sagesse l’est aussi, lui qui est Dieu de Dieu, et lumière de lumière. Que veux-tu donc voir? Ce que tu veux voir n’est pas loin de toi. L’Apôtre nous dit en effet qu’il est placé non loin de chacun de nous, puisque « nous avons en lui la vie, le mouvement et l’être 2 ». Quelle misère donc d’être loin de celui qui est partout!

6. Sois donc semblable à Dieu par la piété, l’aimant par la pensée : car les perfections invisibles de Dieu, sont devenues visibles par les oeuvres visibles qu’il a opérées 3. Envisage donc ces oeuvres, admire-les, cherches en l’auteur. Si tu es dissemblable, il te repoussera; si tu lui es semblable, tu seras dans la joie. Or, dès que tu t’approcheras de Dieu par la ressemblance, et que tu sentiras

 

1. Sag. VIII, 1. — 2. Act. XVII, 27, 28.— 3. Rom. I, 20.

 

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Dieu, à mesure que grandira ta charité, comme « Dieu est charité 1», tu ressentiras quelque chose que tu disais sans le dire toutefois. Avant de le sentir, tu disais: C’est Dieu ; mais après l’avoir goûté, tu comprends qu’il est impossible d’exprimer tes sentiments. Or, après que tu auras compris ton impuissance à dire ce que tu sens, faudra-t-il te taire, ou chanter des louanges? Faudra-t-il donc taire la louange de Dieu, et ne point rendre grâces à celui qui a voulu se révéler à toi ? Tu le bénissais eu le cherchant, tairas-tu ta louange après l’avoir trouvé ? Nullement, tu ne seras pas ingrat. A lui appartiennent et l’honneur, elle respect, et toutes les louanges. Vois ce que tu es, terre et cendre; vois celui qui a mérité de voir, et de voir quoi? Qui ? Quoi?C’est un homme qui voit Dieu. Je reconnais, non point le mérite chez l’homme, mais la miséricorde en Dieu. Bénis donc cette miséricorde. Comment la bénirai-je, me diras-tu? à peine puis-je exprimer le peu que je sens, en partie, en énigme, à travers un miroir 2. Ecoute le psaume : « Terre entière, jubilez au Seigneur ». Si ta joie est dans le Seigneur, tu comprends déjà la jubilation de la terre entière en l’honneur de Dieu. Que ta joie soit donc pour le Seigneur; et ne la divise point entre telles et telles créatures. Tout le reste se peut dire en quelque manière; celui-là seul est ineffable qui a dit, et tout a été fait. la dit, et nous avons été faits; mais nous ne pouvons le nommer 3. Le Verbe qui nous a dit d’être, est son Fils ; et pour que nous puissions la nommer en quelque façon, nous si infirmes, lest devenu infirme. Au lieu de verbe, nous pouvons jeter un cri confus, mais nulle parole ne peut exprimer le Verbe. « O terre entière, jubilez au Seigneur».

7. « Servez le Seigneur dans l’allégresse ». Toute servitude est pleine d’amertume; tous ceux qui sont sous le joug de la servitude, ne servent qu’avec murmure. Ne redoutez point le joug du Seigneur: il n’y a là ni gémissement, ni murmure, ni indignation ; nul ne cherche à s’en affranchir, on goûte le bonheur d’être racheté. Il y n donc, nies frères, un grand bonheur d’être dans cette maison, bien qu’il y ait des entraves. Ne redoute point ces entraves, heureux serviteur, mais confesse-toi mu Seigneur; n’attribue ces entraves qu’à tes mérites; rends gloire à Dieu dans ces chaînes,

 

1. Jean, IV, 8. — 2. I Cor. XIII, 12. — 3. Ps. XXXII, 9.

 

si tu veux qu’elles soient pour loi un ornement. Ce n’est pas en vain, ni sans avoir été exaucé, que le Prophète a dit: « Que les cris des captifs montent jusqu’à vous, ô mon Dieu 1. Servez le Seigneur dans l’allégresse», C’est être libre que servir le Seigneur, c’est être libre, puisqu’on le sert, non par contrainte, mais par amour. « Pour vous»,dit saint Paul, « vous êtes appelés à la liberté, mes frères: seulement que cette liberté ne soit point une occasion de vivre dans la chair; mais assujettissez-vous les uns aux autres par l’esprit de charité 2» Que la charité te rende esclave, puisque tu es l’affranchi de la vérité. « Si vous demeurez fermes dans ma parole », dit le Sauveur, « vous êtes véritablement mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira 3 ». Te voilà donc esclave, esclave et libre; esclave parce que tu as été créé; libre parce que tu es aimé de Dieu ton créateur: ou plutôt libre, parce que tu aimes celui qui t’a créé. Ne le sers donc point avec murmure ; tes murmures ne te dispenseront point de le servir, seulement ils feront de toi un mauvais serviteur. Tu es le serviteur du Seigneur, l’affranchi du Seigneur; ne désire point la liberté au point d’être mis hors de la maison de Celui qui t’affranchit.

8. « Servez le Seigneur avec allégresse ». Cette allégresse sera pleine et entière, quand notre corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, et que notre mortalité aura revêtu l’immortalité 4 : c’est alors que la joie sera pleine, l’allégresse parfaite, la louange sans défaut, l’amour sans scandale, la jouissance sans crainte, et la vie sans trépas. Mais ici-bas? N’y aura-t-il donc nulle joie? S’il n’y a aucune joie, aucune jubilation, pourquoi dire: « Terre entière, soyez dans l’allégresse, au nom du Seigneur? » Il est assurément une joie ici-bas; l’espérance de la vie future nous rassasie par avance. Mais il faut que le bon grain souffre, mélangé à l’ivraie : il est environné de paille 5; c’est un lis au milieu des épines. Qu’est-il dit de l’Eglise? « Comme un lis au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu des filles 6 ». Il n’est pas dit, au milieu, des filles étrangères, mais «au milieu des filles ». Quelle consolation pour nous, ô mon Dieu! Comme vous nous fortifiez! Comme vous nous effrayez ! Que dites-vous en effet?

 

1. Ps. LXXVIII, 11.— 2. Gal. V, 13.— 3. Jean, VIII, 31, 32.— 4. I Cor. XV, 54. — 5. Matth. III, 12; XIII, 30.— 6. Cant. II, 2.

 

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« Comme le lis est au milieu de quelques épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu de quelles filles ? » Quelles sont ces filles que  vous appelez des épines ? Elles sont pour moi des épines à cause de leurs moeurs, et des filles a cause de mes sacrements. Plût à Dieu que l’on n’eût à gémir que parmi les étrangers! on en gémirait moins. Mais combien est plus amer ce gémissement: « Si un ennemi m’eût outragé, je l’eusse supporté; si un homme irrité se fût élevé contre moi, je me serais dérobé à ses poursuites ». Ainsi dit le psaume; celui qui connaît les saintes lettres peut suivre; que celui qui les ignore, les apprenne et suive : « Si l’homme  qui me haïssait eût répandu la malédiction sur moi, je me serais dérobé à lui; mais toi, qui n’étais qu’un avec moi, toi, mon guide, mon ami, qui prenais avec moi la douce nourriture 1 ». Quelle douce nourriture prennent-ils donc avec nous, ceux qui n’y doivent pas être éternellement ? Quelle douce nourriture, sinon : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux 2? » C’est au milieu d’eux que nous devons gémir.

9. Mais comment le chrétien pourrait-il se séparer, pour ne pas vivre parmi les faux frères? Où ira-t-il? Que fera-t il? Dans la solitude? Les scandales l’y suivront. Celui qui avance dans la vertu, doit-il se séparer de manière à ne plus supporter les hommes? Et qu’arriverait-il, si nul ne le supportait lui-même avant ses progrès? Si donc les progrès qu il fait l’empêchent de supporter personne, par là même qu’il ne veut point souffrir les autres, il est convaincu de n’avoir fait aucun progrès. Que votre charité veuille bien écouter. «Supportez-vous mutuellement », dit l’Apôtre, « dans la charité, vous efforçant de conserver l’union des coeurs dans les liens de la paix 3». « Supportez-vous mutuellement » n’as-tu donc rien qu’un autre doive supporter? Tu m’étonnerais, si tu n’avais rien; mais admettons qu’il n’y ait rien en toi, tu es d’autant plus fort pour supporter les autres, que les autres n’ont rien à supporter de ta part. Si tu ne fais rien supporter, supporte les autres. Je ne saurais, diras-tu. Donc tu as en toi quelque chose que l’on doit supporter. « Supportez-vous mutuellement dans la charité ». Tu abandonnes le genre humain, tu te sépares afin que nul ne te voie; à qui seras-tu utile? En serais-tu arrivé là, si

 

1. Ps. LIV, 13-15. — 2. Id. XXXIII, 8 — 3. Ephés. IV, 2, 3.

 

nul ne t’avait aidé? Parce que tu crois avoir le pied assez agile pour passer le fleuve, vas-tu couper le pont? C’est vous tous que j’exhorte, mes frères, c’est la voix de Dieu qui vous exhorte: « Supportez-vous mutuellement dans la charité ».

10. Je me serai, dit un autre, je me séparerai avec quelques gens de bien, et j’aurai la paix avec eux. Car il y a impiété, cruauté même à n’être utile à personne. Telles ne sont point les leçons du Seigneur mon Dieu, qui condamne un serviteur, non pour avoir usé de l’argent qu’il avait reçu, mais pour n’en avoir tiré aucun profit. Mesurons la peine du voleur à la peine du paresseux: « Serviteur méchant et paresseux », dit le maître en le condamnant. Il ne dit point: Tu as tourné à ton profit mon argent; il ne dit point: Je t’ai confié, et tu ne m’as point remis le dépôt entier; mais parce que ce dépôt ne s’est point accru, parce que tu ne l’as point mis à la banque, je punirai ton indolence 1. Le Seigneur en effet est avare de notre salut. Je me séparerai donc, dit cet homme, avec quelques hommes choisis : qu’ai-je à faire avec la foule? C’est bien : mais ces quelques bons, de quelle foule ont-ils été tirés? Si toutefois ce petit. nombre est tout à fait bon, c’est une pensée humaine, mais une pensée bonne et louable de vivre avec ceux qui ont choisi une vie paisible, de vous retirer loin du. bruit populaire, des fou les tumultueuses, et ne chercher comme dans un port un abri contre ces grands flots du monde. Mais est-ce bien là qu’on trouve cette joie pleine? Est-ce bien là cette jubilation qu’on se promettait? Pas encore; mais on y gémit encore, on y éprouve encore des tentations. Ce port a quelque part une entrée; puisque s’il était fermé de toutes parts on n’y pourrait pénétrer: il est donc ouvert quelque part; mais par cette ouverture le vent s’engouffre quelquefois, et les vaisseaux qui ne craignent rien des rochers, se brisent les uns contre les autres. Où sera donc la sûreté, si elle n’est dans le port? Et néanmoins on est plus heureux dans le port qu’en pleine mer, il faut l’avouer, je l’accorde, c’est la vérité. Que ces vaisseaux dans le port s’aiment donc mutuellement, qu’ils se tiennent unis étroitement, et ne se heurtent point : qu’ils gardent l’égalité, l’uniformité, une charité constante; et quand par

 

1. Matth. XXV, 14-30.

 

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hasard le vent viendra s’y engouffrer par l’ouverture, que le gouvernail soit dirigé sagement.

11. Mais que me dira celui qui, dans ces lieux paisibles, est préposé à ses frères ou plutôt est leur serviteur, dans cet asile appelé monastère? Que me dira-t-il? Je me tiendrai sur mes gardes, je n’admettrai aucun méchant, Comment n’admettre aucun méchant? Je n’admettrai aucun homme d’humeur fâcheuse, aucun frère méchant qui voudrait y montrer; je me bornerai à quelques bons. Comment connaître celui que tu devras exclure ? On ne peut connaître sa méchanceté qu’après des épreuves dans le monastère. Or, comment exclure celui qui veut entrer, que tu dois éprouver ensuite, et que tu ne saurais éprouver s’il n’est entré? Repousseras-tu donc tous les méchants? car tu le promets, et tu as le coup d’oeil juste. Ils viennent tous à toi le coeur sur la main? Mais ceux qui veulent titrer ne se connaissent point, comment les connaîtrais-tu? Plusieurs avaient promis de mener cette vie sainte, qui met tout en commun, où nul ne revendique de propriété, où tous n’ont qu’un coeur et qu’une âme ; une fois dans la fournaise, ces vases ont crevé. Comment connaître celui qui ne se connaît point lui-même? Excluras-tu les faux frères le la société des bons? Mais toi qui parles de la sorte, bannis de ton esprit, si tu le peux, toutes les pensées mauvaises; ne laisse entrer dans ton coeur aucune suggestion fâcheuse. Je  n’y consens point, dis-tu. Cette suggestion n’est pas moins entrée, car nous voulons tous que nos coeurs soient sur leur garde, au point de ne laisser entrer aucune suggestion. Qui peut même savoir par où elle entrera? Chaque jour notre coeur seul nous livre des combats, et un seul homme trouve dans son coeur une foule d’ennemis. Suggestions de l’avarice, suggestions de la luxure, suggestions de l’intempérance, suggestions las joies du siècle, suggestions de toutes parts. Attaqué partout, il résiste partout, s’abstient de tout; mais il est bien difficile de n’être point blessé parfois. Où trouver la sécurité? nulle part en cette vie, sinon dans l’espérance des promesses de Dieu. C’est dans l’accomplissement de ces promesses que nous louerons la parfaite sécurité, alors que se fermeront les portes de la Jérusalem céleste,

 

1. Act. IV, 32, 35.

 

dont les serrures sont inébranlables 1; là notre jubilation sera pleine, et notre bonheur ineffable. Mais aujourd’hui ne louez pas sans crainte une vie quelconque, ne chantez pas un homme avant sa mort 2.

12. Ce qui trompe les hommes, ce qui les détourne d’une profession sainte, ou les y engage témérairement, c’est que dans leurs louanges, quand ils veulent en donner, ils n’expriment point les inconvénients de certain genre de vie, et que dans leurs blâmes, ils font entrer la jalousie et le venin, au point de fermer les yeux sur ce qu’il y a de bien, et de se borner à exagérer le mal réel ou supposé qu’on y trouve. Il arrive de là que ces professions mal exposées, ou exposées sans précaution, attirent par ces applaudissements des hommes qui s’étonnent d’y rencontrer ensuite ceux qu’ils étaient loin d’y soupçonner: offusqués alors d’y trouver des méchants, ils se séparent même des bons. Mes frères, que cette leçon vous serve à régler votre vie, écoutez pour vivre pieusement. Pour, parler en général, c’est l’Eglise qu’on loue: les chrétiens, dit-on, sont de grands hommes, il n’y a qu’eux de grands. Vive l’Eglise catholique; tous ses membres s’aiment, se font tout le bien qu’ils peuvent; dans toute la terre, ils s’adonnent à la prière, au jeûne, à la louange de Dieu, et s’unissent dans un concert de paix pour louer le Seigneur. Un homme qui entend ce langage, qui ne sait pas ce qu’on ne lui dit point, que les méchants y sont mêlés aux bons, vient à l’Eglise attiré par ces louanges; il y trouve des méchants dont la présence ne lui était pas signalée, et l’aversion que lui inspirent ces faix chrétiens, l’éloigne même des chrétiens véritables. Des hommes haineux, au contraire, des hommes envenimés se répandent en injures: Quelles gens que ces chrétiens ! Que sont-ils? des avares, des usuriers. Ne les voit-on pas aussi dans les jours de fêtes et de spectacles, remplir les théâtres et les amphithéâtres, puis aller dans leurs églises aux jours de fêtes? Ils sont ivrognes, gourmands, envieux, se déchirent mutuellement. Il y en a de semblables, il est vrai, mais ils ne sont pas les seuls. Ce censeur est aveugle et ne dit rien des bons, et ce panégyriste est imprévoyant et ne dit rien des méchants. Si l’on veut chanter maintenant l’Eglise de Dieu comme la chantent les saintes

 

1. Ps. CXLVII, 13. — 2. Eccli. XI, 30.

 

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Ecritures, voici comme il faut dire: « Ma bien-aimée est au milieu des filles,comme le lis au milieu des épines 1». Un homme nous entend, il considère, le lis lui plaît, il entre, il s’attache au lis, et tolère les épines : il mérite ainsi l’éloge et fixe les regards de l’époux, qui dit: « Ma bien-aimée est au milieu des filles, comme le lis est au milieu des épines ». Ainsi en est-il des clercs. Leurs panégyristes considèrent parmi eux les ministres excellents, les fidèles dispensateurs, ceux qui supportent tout le monde, qui donneraient jusqu’à leurs entrailles pour ceux dont ils souhaitent les progrès, qui ne cherchent pas leurs propres intérêts, mais ceux de Jésus-Christ 2. Voilà ce qu’on loue, et l’on oublie que les méchants y sont mélangés. De même ceux qui blâment l’avarice des clercs, la rapacité des clercs, les procès des clercs, les représentent comme avides du bien d’autrui, comme des ivrognes, des gourmands. C’est là blâmer avec jalousie, c’est louer étourdiment. Toi qui loues, dis qu’il y a là des méchants; et toi qui blâmes, regarde les bons. Ainsi en est-il de cette vie commune que des frères mènent dans les monastères. Ce sont là des hommes admirables, des hommes saints, qui sont chaque jour dans les hymnes, dans la prière, dans la louange de Dieu, qui en vivent et qui s’occupent de saintes lectures; le travail des mains pourvoit à leur subsistance ; ils vivent sans avarice, ne demandent rien, et tout ce qu’ils reçoivent de là piété de leurs frères, ils en usent avec charité, et selon leur besoin; nul ne s’arroge une chose qu’un autre n’ait pas; ils s’aiment tous, et se supportent mutuellement. Mais tu as loué cette vie, tu l’as louée ; et celui qui n’en connaît point l’intérieur, qui ne sait point que le vent pénètre parfois dans le port, et que les vaisseaux s’entrechoquent, entre dans ces maisons, espérant y trouver le calme, et n’avoir plus personne à supporter; il y trouve de faux frères, dont on ne pouvait connaître la méchanceté, qu’après les avoir admis: (il faut d’abord les tolérer dans l’espoir qu’ils se corrigeront; il est difficile de les exclure sans les avoir quelque peu supportés). Cet homme alors devient à son tour d’une impatience insupportable. Qui m’appelait ici, s’écrie-t-il? Je croyais ici rencontrer la charité. Irrité alors par ce qu’il y

 

1. Cant. II, 2. — 2. Philipp. II, 21.

 

a d’agaçant chez quelques hommes, et n’ayant point le courage d’accomplir son dessein, il abandonne son projet de sainteté, et apostasie ses voeux. Mais au sortir de là, il blâme, il maudit à son tour, il ne dit que les choses qu’il n’a pu supporter, et qui sont souvent vraies ; mais il faut supporter les défauts des méchants, si l’on veut jouir de la société des bons. « Malheur à ceux qui ne savent rien supporter », dit l’Ecriture. Ce qui est pire encore, cet homme, dans son indignation, répand pour ainsi dire l’odeur infecte de ces lieux, et en détourne ceux qui voudraient entrer, parce qu’il n’a pu y demeurer après y être lui-même entré. Qu’est. ce que ces gens? des jaloux, des querelleurs, qui ne peuvent souffrir personne. Celui-ci y a fait tel crime, celui-là tel autre crime. Au méchant, pourquoi ne rien dire des bons? Tu blâmes ceux que tu n’as pu supporter, sans rien dire de ceux qui ont supporté tes défauts.

13. Qu’elle est juste, mes frères, qu’elle est admirable cette parole de l’Evangile, émanée de la bouche de Notre-Seigneur: « Deux hommes seront dans un champ, l’un sera  pris, l’autre sera laissé: deux femmes seront à moudre, l’une sera prise, l’autre sera laissée; deux dans un lit, on prendra l’un, on laissera l’autre 2 ». Qui, ces « deux dans un champ?» Ceux dont saint Paul a dit: « J’ai planté, Apollo a arrosé, Dieu a donné l’accroissement. Vous êtes le champ du Seigneur ». Nous travaillons dans ce champ. « Deux sont dans ton champ », ce sont les clercs: « l’un sera pris, l’autre laissé»; On prendra le bon, on laissera le mauvais.

« Deux seront à moudre », dit le Sauveur, en revenant au peuple. Pourquoi à « la meule?» Parce que les liens du siècle les tiennent attachés au cercle des choses temporelles. « L’un de ces esclaves sera choisi, l’autre dédaigné ». Lequel sera choisi? Celui qui fait des bonnes oeuvres, qui prend en pitié l’indigence des serviteurs de Dieu, qui est fidèle à confesser Dieu, qui met sa joie dans une espérance certaine, qui est attentif à Dieu, qui ne veut de mal à personne, qui aime autant qu’il peut, non-seulement ses amis, mais encore ses ennemis, l’homme qui ne connaît d’autre femme que la sienne, l’épouse

 

1. Eccli. II, 16. — 2. Matth. XXIV, 40, 41; Luc, XVII, 34, 35 — 3. I Cor. III, 6, 9.

 

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qui ne connaît que son époux, voilà celui que l’on prendra à la meule; on laissera quiconque vit d’une autre manière. D’autres vous disent : Nous voulons le repos, t’avoir à souffrir de personne, nous retirer de la foule, vivre en paix dans quelque lieu retiré. Chercher le repos, c’est chercher un lit, où l’on fait trève à toute inquiétude. Mais là encore « on prendra l’un, et on laissera l’autre ». Ne vous laissez point illusionner, mes frères; si vous ne voulez vous tromper, si vous aimez vos frères, sachez que dans l’Eglise toute profession a ses faux frères. Je ne dis point que tout homme soit faux, mais il y a des faux dans toute profession: il y a de mauvais chrétiens, mais il y a aussi de bons chrétiens. Tu ne vois en quelque sorte que des mauvais, qui sont comme la paille, et qui ne te laissent pas approcher du bon grain 1; mais il y a aussi du bon grain, approche, vois, secoue, juges-en par ta bouche. Tu trouveras des vierges déréglées; faut-il pour cela blâmer la virginité ? Il en est beaucoup qui ne s’enferment point dans leurs maisons, qui courent les maisons des autres, qui sont curieuses, parlent sans discrétion, orgueilleuses, causeuses 2, s’adonnent au vin: bien qu’elles soient vierges, qu’est-ce que cette pureté du corps avec une âme corrompue? Le mariage, dans l’humilité, est préférable à une virginité orgueilleuse; le mariage lui donnerait un frein pour la retenir et lui enlèverait ce nom qui l’enorgueillit. Mais pour des vierges indignes, faut-il condamner celles dont la chair est pure et l’âme sainte 3? ou pour celles qui sont louables, faudra-t-il doue louer celles qui sont condamnables? Partout on prendra l’un, on laissera l’autre.

14. Finissons, mes frères, notre psaume, qui est clair dans tout le reste. « Servez le Seigneur avec joie 4 ». C’est à vous que s’adresse le Psalmiste, ô vous qui souffrez tout dans la charité, et vous réjouissez dans l’espérance. « Servez le Seigneur », non dans l’amertume de vos murmures, mais bien « dans la joie » de la charité. « Entrez en sa présence, dans l’allégresse ». Il est facile de se réjouir dans les choses du dehors; tressaille en la présence de Dieu. Que cette allégresse ne soit point en paroles, que la conscience soit dans l’allégresse. « Entrez en sa présence, et dans l’allégresse ».

 

1. Matth. III, 12.— 2. I Tim. V, 13.— 3. I Cor. VII, 34.— 4. Ps. XCIX, 2.

 

15. « Sachez que le Seigneur est lui-même votre Dieu 1». Qui ne sait que le Seigneur est Dieu ? Mais le Psalmiste parle de ce Seigneur que les hommes ne croyaient pas un Dieu: « Sachez que le Seigneur est lui-même Dieu ». Que ce Seigneur ne soit point méprisable à vos yeux. Vous l’avez crucifié, flagellé, couvert de crachats, couronné d’épines, revêtu d’un manteau d’ignominie, suspendu à la croix, percé de clous, frappé d’une lance, fait garder dans son sépulcre, et il est Dieu. « Sachez que le Seigneur est Dieu lui-même. C’est lui qui nous a faits, et non point nous-mêmes ». « C’est lui qui nous a faits », puisque tout a été fait par lui, et rien sans lui 2. Pourquoi vos transports, pourquoi votre orgueil? Un autre vous a faits, et celui qui vous a faits vous l’avez fait souffrir. Mais vous, votre jactance, votre orgueil, votre enflure, feraient croire que vous vous êtes faits vous-mêmes. Il est avantageux pour vous que celui qui vous a faits, vous perfectionne. « C’est lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes ». Loin de nous tout orgueil ; tout le bien qui est en nous, nous vient du Créateur ; tout ce qui est notre oeuvre aboutit à notre condamnation, et tout ce qu’il a mis en nous, à notre couronnement. « C’est lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes. Nous sommes son peuple, et les brebis de son bercail ». Les brebis et la brebis, tous ses brebis, et une seule brebis. Et quel amour a pour nous notre pasteur ! Il abandonne les quatre-vingt-dix-neuf brebis, pour en chercher une seule, qu’il a rachetée de son sang et qu’il rapporte sur ses épaules 3 ; pasteur qui est mort sans hésiter pour sa brebis, et qui possède sa brebis en ressuscitant. « Nous sommes son peuple, et les brebis de son bercail».

16. « Entrez dans ses portes par la confession 4». La porte marque l’entrée; commencez par la confession. C’est là le titre du psaume, « la confession », ou les transports. Confessez que vous ne vous êtes pas faits vous-mêmes, louez Celui par qui vous avez été faits. Que de lui vienne tout ton bien, puisque tout ton mal est de t’être séparé de lui. « Entrez dans ses portes par la confession 4». Que le troupeau entre par la porte, sans rester dehors, exposé aux loups. Et comment entrer? « Par la confession ». Que

 

1. Ps. XCIX, 3.— 2. Jean, I, 3.— 3. Luc, XV, 4, 5.— 4. Ps. XCIX, 4.

 

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la porte ou l’entrée soit pour toi la confession, d’où cette parole d’un autre psaume « Commencez avec le Seigneur par la confession 1», où le mot « commencez » répond à « la porte » de notre psaume : « Entrez dans ses portes par la confession ». Et quoi donc! n’aurons-nous rien à confesser quand nous serons entrés ? Confesse toujours, parce que tu as toujours de quoi confesser. Il est difficile ici-bas qu’un bornoie change au point de n’avoir plus rien de répréhensible. Accuse-toi donc toi-même, de peur d’être accusé par celui qui te damnera. Donc en entrant fais une confession. Quand ne sera-ce plus celle des péchés ? Dans ce repos où notas ressemblerons aux anges. Mais comprenez mes paroles: il n’y aura plus de confession des péchés ; je n’ai point dit qu’il n’y aura plus de confession, car alors il y aura la confession de la louange. Toujours tu confesseras qu’il est ton Dieu, que tu es sa créature, qu’il est le protecteur et toile pupille. Tu seras en quelque sorte caché en lui, ainsi qu’il est dit : « Vous le cacherez, Seigneur, dans le secret de votre face ». Dans son parvis « chantez des hymnes à sa gloire ». Chantez sur ses portes, et quand vous serez dans son parvis, chantez encore des hymnes à sa « gloire ». Les hymnes sont des louanges. En entrant, accuse-toi ; et quand tu seras entré, chante à sa gloire. « Ouvrez pour moi les portes de la justice », dit un autre psaume, « et en entrant, je me confesserai au Seigneur» 3. Mais dit-il : Quand j’y serai entré,

 

1. Ps. CXLVI, 7. — 2. Id. XXX, 21. — 3. Id. CXVII, 19.

 

je n’aurai plus de confession à faire au Seigneur? Même après l’entrée il y aura confession. Etait-ce donc des péchés que Notre-Seigneur accusait à son Père, quand il disait: « Je vous confesse, ô mon Père, Dieu du ciel et de la terre 1 ? » Cette confession était un cantique à Dieu, et non une accusation de lui-même.

17. « Louez son nom, car le Seigneur est doux». Ne craignez point de vous lasser en le bénissant ; cette louange sera pour vous une nourriture ; plus vous chanterez, plus vous aurez de forces, et plus vous sera doux l’objet de vos louanges. « Louez son nom, parce que le Seigneur est doux, sa miséricorde éternelle ». Sa miséricorde, en effet, ne s’arrêtera point à la délivrance, et il y va de cette miséricorde, de te protéger dans la vie éternelle. « Sa miséricorde est éternelle, et sa vérité s’étend de génération en génération ». Cette expression, « de génération en génération », doit s’entendre de toute génération, ou de deux générations, l’une terrestre et l’autre céleste ; une génération qui enfante les hommes à une vie mortelle, et une génération qui les engendre à la vie éternelle. Dans l’une et dans l’autre est sa vérité ; et garde-toi de croire que sa vérité ne soit point ici-bas. Si sa vérité n’était point ici-bas, un autre psaume ne dirait point: «La vérité s’est levée de la terre 2 » ; et la vérité elle-même ne dirait point: « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 3 ».

 

1. Matth. XI, 25. — 2. Ps. LXXIV, 12. — 3. Matth. XXVIII, 20.

 

 

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