Matthieu 1,22-2,23
Précédente Accueil Remonter Suivante

 

Avertissement
HOMÉLIE I
HOMÉLIE II
Matthieu 1,1-16
Matthieu 1,17-21
Matthieu 1,22-2,23
Matthieu 2,1-4
Matthieu 2,4-11
Matthieu 2,11-16
Matthieu 2,16 - 23
Matthieu 3,1-7
Matthieu 3,7-12
Matthieu 3,13-17
Matthieu 4,1-12
Matthieu 4,12- 25
Matthieu 5,1- 17
Matthieu 5,17 -27
Matthieu 5, 21 - 58
Matthieu 5,38-48
Matthieu 6,1- 16
Matthieu 6,17- 24
Matthieu 6,24-28
Matthieu 6,28-34
Matthieu 7,1-21
Matthieu 7,21-28
Matthieu 7,28 - 8,5
Matthieu 8,5-14
Matthieu 8,14-15
Matthieu 8,23-34
Matthieu 9,1-9
Matthieu 9,9-19
Matthieu 9,18-27
Matthieu 9,27-10,16
Matthieu 10,16-25
Matthieu 10,23 -34
Matthieu 10,34-42
Matthieu 11, 1-7
Matthieu 11, 7-25
Matthieu 11,1-9
Matthieu 11, 25-30
Matthieu 12,9-25
Matthieu 12,25-33
Matthieu 12,33-38
Matthieu 12,38-46
Matthieu 12,46 -13,10
Matthieu 13,10-24
Matthieu 13,24-34
Matthieu 13,34-53
Matthieu 14, 13-23
Matthieu 14,13-23
Matthieu 14,23 - 36
Matthieu 15,1 -21
Matthieu 15,21-32
Matthieu 15,38 -16,13
Matthieu 16,13-24
Matthieu 16, 24-28
Matthieu 16, 28 -17,10
Matthieu 17,10-22
Matthieu 17, 21 - 18,7
Matthieu 18,7 -15
Matthieu 18,16-21
Matthieu 18,21 - 35
Matthieu 19,1-19
Matthieu 19,16-27
Matthieu 19, 27 - 20,17
Matthieu 20,17-29
Matthieu 20, 29 - 21, 12
Matthieu 21,12-33
Matthieu 21,33-46
Matthieu 22,1-15
Matthieu 22,15-34
Matthieu 22,34-45
Matthieu 23,1-13
Matthieu 23,14-29
Matthieu 23, 29-39
Matthieu 24,1-16
Matthieu 24,16-32
Matthieu 24,32-51
Matthieu 25,1-31
Matthieu 25,31- 26,6
Matthieu 26,6-17
Matthieu 26,17-26
Matthieu 26,26-36
Matthieu 26,36-51
Matthieu 26,51-67
Matthieu 26,67- 27,10
Matthieu 27,11-27
Matthieu 27,27-45
Matthieu 27,45-62
Matthieu 27,62- 28,11
Matthieu 28, 11-20

HOMÉLIE V.

«OR TOUT CECI S’EST FAIT POUR ACCOMPLIR CE QUE LE SEIGNEUR AVAIT DIT PAR LE PROPHÈTE EN CES TERMES : UNE VIERGE CONCEVRA ET ENFANTERA UN FILS, A QUI ON DONNERA LE NOM D’EMMANUEL, C’EST-A-DIRE, DIEU AVEC NOUS, ETC. » (CHAP. I, 22, JUSQU’AU CHAP. II, 23.)

ANALYSE

1. Que le tumulte du monde fait perdre le fruit de l’instruction entendue à l’Eglise.

2. Pourquoi l’ange renvoie Joseph au prophète Isaïe? Pourquoi le Christ n’est pas appelé vulgairement Emmanuel. Que la version des Septante est préférable aux autres.

3.Marie demeure vierge après l’enfantement.

4. et 5. Exhortation qu’il faut joindre à l’invocation des Saints la pratique des bonnes oeuvres. Que l’aumône est une usure très avantageuse et très sainte.

 

 

1. Voici ce que disent beaucoup d’entre vous: « Lorsque nous sommes à l’église et que nous écoutons la parole de Dieu, touchés de componction, nous devenons tout à coup meilleurs, mais à peine sommes-nous dehors que notre ferveur s’éteint et que notre disposition change complètement.» Y aurait-il un moyen de faire cesser une instabilité si fâcheuse? Considérons d’abord quelle en est la cause. D’où vient donc un changement si prompt et si grand? De vos mauvaises fréquentations, de vos relations avec les hommes de péché. Vous ne devriez pas, dès que vous êtes sortis de l’église, vous jeter dans des occupations qui contredisent ce que vous avez entendu à l’église : aussitôt que vous êtes rentrés chez vous, vous devriez prendre l’Ecriture sainte, et, avec votre femme et vos enfants, repasser ensemble les instructions qu’on vous a données, et, après cela, reprendre le soin de vos affaires temporelles.

Que si vous évitez de vous trouver dans des lieux d’affaires en sortant du bain, pour n’en pas empêcher l’effet par une trop grande application : combien cette précaution vous est-elle plus nécessaire, lorsque vous sortez de l’église pour aller chez vous? Mais nous faisons tout le contraire et nous perdons ainsi tout le fruit de cette divine semence: car avant qu’elle ait eu le temps de prendre racine dans notre âme, un torrent d’affaires l’emporte et l’arrache de notre coeur. Afin donc que ce malheur ne vous arrive plus, n’ayez rien de plus pressé, au sortir de cette assemblée, que de recueillir par la méditation les leçons salutaires et les pieuses impressions que vous en rapportez. chaque fois.

Ce serait une extrême ingratitude de donner cinq ou six jours aux affaires de ce monde, et de refuser un jour, ou même une partie d’un jour, aux choses de Dieu. Ne voyez-vous pas que vos enfants étudient, et répètent depuis le matin jusqu’au soir ce qu’on leur a donné à apprendre? Imitons-les donc en ce point, puisqu’à moins de cela, c’est en vain que nous nous assemblons ici. C’est puiser l’eau dans un vase percé , et n’avoir pas, tant s’en faut, le même soin pour conserver la parole de Dieu dans notre coeur, que nous en avons pour garder l’or et l’argent. Lorsqu’un homme a reçu quelque argent, il l’enferme avec soin dans un sac, et il y met son cachet; niais nous, après avoir écouté des paroles infiniment plus précieuses que l’argent et que les pierreries, après que Dieu a répandu sur nous les trésors et les richesses de son esprit, nous n’avons pas le soin de les tenir cachées dans notre coeur; mais nous les laissons se perdre avec indifférence et se dissiper à l’aventure. Qui pourra avoir quelque compassion de nous, puisque nous sommes si impitoyables envers nous-mêmes, et que nous nous réduisons à une si extrême pauvreté?

Pour empêcher ce désordre, imposez-vous (39) à vous-mêmes , à vos femmes et à vos enfants, l’inviolable loi de consacrer tout ce jour du dimanche à écouter d’abord, puis à méditer la parole de Dieu. Cette application vous disposera à mieux comprendre ce que nous vous dirons dans la suite; vous nous épargnerez ainsi un grand travail, en même temps que vous retirerez plus de profit de nos instructions, quand vous y viendrez, ayant encore l’esprit rempli de ce que vous y aurez entendu auparavant. Car il importe beaucoup, pour bien comprendre ce que nous disons, d’en retenir avec exactitude la suite et l’enchaînement. Comme il est impossible de dire tout en un jour, votre mémoire doit rejoindre ce que nous sommes forcé de diviser par parties, et en faire comme une longue chaîne; afin que vous puissiez voir de l’oeil de l’esprit toute 1’Ecriture réunie en elle-même, et comme recueillie en un corps.

Souvenez-vous donc de ce que nous vous avons déjà expliqué de I’Evangile, afin que nous passions à ce qui nous reste. Voici l’endroit dont nous devons vous parler aujourd’hui.

2. « Or tout cela s’est fait pour accomplir ce que le Seigneur avait dit par le Prophète (23).» L’écrivain sacré s’exprime d’une manière aussi digne que possible, du grand mystère qu’il raconte, lorsqu’il dit : « Tout cela s’est fait. »Cet abîme de l’amour de Dieu; cet océan de miséricorde; ces grâces inespérées; ce renversement de toutes les lois de la nature; cette réconciliation de Dieu avec les hommes; cet abaissement de Celui qui était au-dessus de tout, jusqu’à l’état le plus humble ; la destruction de « cette muraille de séparation (Ephés. II, 14), » dont parle saint Paul; tous les obstacles de notre salut entièrement levés, et ce grand nombre de merveilles renfermées dans ce mystère, il les embrasse toutes d’un coup d’oeil, il les exprime toutes par ce mot:

« Tout cela s’est fait pour accomplir ce que le Seigneur avait dit par son Prophète. » Ne considérez pas ce qui se passe maintenant, dit-il, comme une oeuvre dont l’idée soit nouvelle dans les desseins de Dieu, il y a longtemps qu’il l’a prédite et préfigurée; saint Paul s’applique à le démontrer partout dans ses écrits.

L’ange renvoie Joseph à Isaïe, afin que s’il oubliait à son réveil ce qu’il entendait en songe, les paroles du Prophète, dans la lecture desquelles il avait été nourri, l’en fissent souvenir. L’ange ne cite pas de même des prophéties à la Vierge, parce que n’étant encore qu’une jeune fille, elle pouvait n’en avoir pas connaissance; mais lorsqu’il parle à un homme, et à un homme juste, qui s’appliquait à la lecture des Prophètes, il a soin de lui citer leur témoignage. Remarquez aussi comment l’ange, avant d’avoir cité le Prophète, ajoute au nom de « Marie » les mots « votre femme; » et comment, après avoir invoqué l’autorité d’Isaïe, il ne craint plus de lui donner le nom de « vierge. » Car Joseph n’eût pas été si disposé à croire Marie vierge et mère tout ensemble, si l’ange ne lui eût fait voir auparavant qu’Isaïe autorisait cette vérité. Mais pour un homme qui avait longuement médité le Prophète, la merveille d’une vierge mère cessait d’être étrange pour devenir une idée familière et parfaitement admissible. C’est donc pour préparer l’esprit de Joseph à entendre ce miracle, que l’ange en appelle d’abord à Isaïe.

Il ne s’arrête pas encore là, mais il s’autorise par le témoignage de Dieu-même. Car il ne dit pas: « Tout cela s’est fait pour accomplir ce qui a été dit par Isaïe» en ces termes :  mais « ce qui a été dit par le Seigneur.» Dieu même était celui qui avait prononcé cet oracle; Isaïe n’avait été que sa langue et sa voix. Mais que dit cet oracle? « Une vierge concevra et enfantera un fils, à qui on donnera le nom d’Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous (23). »

Pourquoi donc, me direz-vous, ne lui a-t-on pas donné le nom « d’Emmanuel, » mais celui de Jésus-Christ? C’est parce que l’ange ne dit pas, « vous l’appellerez, » mais indéterminément, « on lui donnera, » c’est-à-dire, que les peuples lui donneront ce nom, d’après l’événement. Ce terme d’Emmanuel définit un événement selon la coutume de l’Ecriture. Et lorsque l’ange dit: « On lui donnera le nom d’Emmanuel, c’est-à-dire, Dieu avec nous, » c’est comme s’il disait : Les hommes verront Dieu vivant avec eux. Car bien que Dieu ait toujours été avec eux, il n’y était pas néanmoins d’une manière visible et sensible, comme depuis l’incarnation. Que si les Juifs osent s’opposer à ce que je dis, je leur ferai remarquer qu’on n’a jamais donné non plus à Jésus-Christ un autre nom marqué par le Prophète, et qui veut dire: « Hâtez-vous de prendre les dépouilles, hâtez-vous de ravir votre  butin, » (Isaïe, VIII, 3.) Et qu’auront-ils à répondre? (41) Pourquoi donc Isaïe dit-il : « Appelez son nom, » c’est parce qu’aussitôt qu’il est né, il a remporté les dépouilles du démon, et le Prophète lui attribue comme son nom propre, cet effet si glorieux du pouvoir qu’il a eu dès sa naissance.

Il est dit de même que la ville de Jérusalem sera appelée : « Une ville de justice, la mère des cités, la fidèle Sion. » (Isaïe, I, 26.) Cependant nous ne voyons point que Jérusalem ait porté le nom de « ville de justice; » et elle a toujours conservé son premier nom; et lorsque le Prophète dit qu’elle portera ce nom c’est un tour particulier qu’il emploie pour exprimer le fait de sa conversion au bien et à la justice. Lorsqu’une action d’éclat signale davantage celui qui l’a accomplie, que ne pourrait faire son nom propre, on lui donne un autre nom qui rappelle ce qu’il a fait.

Refoulés sur ce point, les Juifs reviennent à la charge sur un autre, ils s’en prennent à la virginité que nous attribuons à la mère du Messie, ils objectent que tous les interprètes n’entendent pas comme nous ce passage d’Isaïe, qu’ils traduisent non pas « une vierge, » mais « une jeune fille. » A cela nous répondrons que les plus sûrs interprètes sont les Septante, qu’il n’y en a pas dont l’autorité soit égale à la leur; les autres ont écrit depuis Jésus-Christ, ils sont juifs, et par conséquent suspects, parce qu’ils ont malicieusement corrompu beaucoup d’endroits, et qu’ils ont fâché d’obscurcir les Prophètes. Au contraire les Septante ont fait leur version plus de cent ans avant Jésus-Christ et ils étaient plusieurs ensemble : ils évitent par là jusqu’à l’ombre du soupçon; leur temps, leur nombre et leur union leur donnent une autorité que les autres ne peuvent avoir.

3. Mais quand même nos adversaires voudraient s’appuyer sur ces interprètes nouveaux, ce que nous disons subsisterait toujours, puisque l’Ecriture marque ordinairement une vierge par le mot de « jeune fille , » comme elle marque un garçon par le mot de jeune homme ; comme lorsqu’elle dit dans le psaume : « Vous, jeunes hommes, et vous, vierges, louez le Seigneur. » (Ps. 448.) Et l’Ecriture parlant d’une vierge à laquelle on voudrait faire violence dit: «Si cette jeune fille, »c’est-à-dire, si cette vierge « a élevé sa voix pour crier. » (Deut. XXII, 27.)

Mais ce qui précède dans ce prophète, confirme assez ce que nous disons. Car il ne dit pas simplement: « La vierge concevra et enfantera un fils, » mais il dit : « Le Seigneur vous donnera un signe miraculeux, » et il ajoute aussitôt : « La vierge concevra. » Si celle qui devait enfanter n’était vierge, ou qu’elle n’eût conçu que par la voie ordinaire du mariage, où serait le prodige et le miracle que Dieu promet? Un prodige est nécessairement une chose extraordinaire; et l’on ne peut donner ce nom à rien de ce qui arrive dans l’ordre commun de la nature.

« Joseph donc étant réveillé de son sommeil  fit ce que l’ange du Seigneur lui avait ordonné  et il prit sa femme avec lui (24). » Considérez l’obéissance de ce saint homme, et la docilité de son esprit: voyez la circonspection et la pureté incorruptible de son âme. Lors même qu’il a lieu de soupçonner la Vierge, il ne veut rien faire qui la déshonore; et aussitôt qu’il est délivré de son doute, il ne pense plus à la quitter, mais il la retient avec lui, et devient le ministre et comme le dispensateur de ce mystère.

« Et il prit sa femme avec lui. » Remarquez comme l’évangéliste nomme souvent ainsi la Vierge, parce qu’il ne voulait pas trop découvrir cette merveille, et qu’il en avait dit assez pour ôter le soupçon que Jésus-Christ fût né comme le reste des hommes.

« Et il ne l’avait point connue, jusqu’à ce qu’elle enfanta son fils premier-né (25).» Ce mot, « jusqu’à ce que, » ne vous doit pas faire croire que Joseph la connut ensuite ; mais seulement qu’il ne l’avait point connue avant ce divin enfantement, et que la mère de Jésus était toujours demeurée vierge. L’Ecriture a coutume de se servir ainsi de ce mot, «jusqu’à ce que, » sans marquer un temps limité. Elle dit quand le corbeau sortit de l’arche, « qu’il   n’y rentra point jusqu’à ce que la terre fut desséchée (Genès. III, 4); » cependant il n’y rentra point non plus après. En parlant de Dieu elle dit aussi : « Vous êtes depuis l’éternité  jusqu’à l’éternité (Ps. LXXXIX, 2) , » sans prétendre lui donner des bornes. De même quand elle annonce la naissance de Jésus-Christ elle dit: « La justice s’élèvera dans ses jours avec une abondance de paix jusqu’à ce que la lune passe (Ps. LXXI, 7), » ce qui ne marque pas néanmoins que la lune doive ensuite cesser d’être.

L’évangéliste donc ne se sert ici de ce mot, que pour lever tout soupçon sur ce qui s’était passé avant la naissance de Jésus-Christ, vous (41) laissant après juger vous-même de ce qui avait pu suivre. Il dit ce que vous ne pouviez apprendre que de lui, c’est-à-dire, que Marie était toujours demeurée vierge jusqu’à son enfantement ; mais il vous laisse à conclure vous-mêmes, ce qui n’est qu’une suite claire et comme nécessaire de ce qu’il dit, savoir, qu’un homme si juste n’a eu garde depuis de penser à s’approcher de celle qui était devenue mère si divinement, et qui avait été honorée d’une fécondité si miraculeuse. Si Joseph eût depuis vécu avec Marie comme avec sa femme, et qu’il eût eu des enfants d’elle comme quelques-uns ont osé dire, pourquoi Jésus-Christ sur la croix, l’eût-il recommandée à son disciple, afin qu’il la prît avec lui comme n’ayant personne qui pût avoir soin d’elle?

D’ou vient donc, me direz-vous, que Jacques et Jean sont appelés dans l’Evangile « frères de Jésus-Christ? » (Matth. XIII, 55.) Ils ont été appelés frères de Jésus de la même manière que Joseph était appelé époux, de Marie. Dieu a voulu couvrir comme de beaucoup de voiles ce grand mystère, afin que ce divin enfantement demeurât quelque temps caché. C’est pourquoi saint Jean les appelle lui-même dans son évangile frères du Seigneur, lorsqu’il dit: « Ses frères ne croyaient pas en lui. » (Jean, VII, 5.) Mais ceux qui ne croyaient pas alors en lui se sont signalés depuis par la grandeur de leur foi. Car lorsque saint Paul monta à Jérusalem, pour conférer avec les autres apôtres des vérités qu’il prêchait, il vint d’abord trouver saint Jacques, dont la vertu était si grande qu’il mérita d’être le premier évêque de Jérusalem. On dit de lui qu’il négligeait tellement son corps que tous ses membres étaient comme morts, et qu’il s’agenouillait et se prosternait si souvent en terre pour faire oraison, que son front et ses genoux s’étaient endurcis comme la peau d’un chameau.

Ce fut lui aussi qui, lorsque saint Paul monta de nouveau à Jérusalem, lui parla avec tant de prudence, et qui lui dit: « Vous savez, mon  frère, quelle multitude de juifs se sont convertis à la foi de Jésus-Christ. » (Act. XXI, 20.) Telle était sa prudence et son zèle, ou plutôt la puissance de Jésus-Christ. Ceux qui murmuraient si souvent contre Jésus-Christ vivant l’admirèrent après sa mort jusqu’à mourir eux-mêmes pour lui avec joie; quelle marque visible de la vertu de sa résurrection ! Il a réservé à dessein après sa mort ces grands effets (42) de sa puissance pour s’en servir comme d’une preuve indubitable de ce qu’il était. Car si nous oublions aisément après leur mort ceux même que nous avons le plus admirés durant leur vie: comment ceux qui avaient méprisé Jésus-Christ durant sa vie, l’auraient-ils regardé comme un Dieu après sa mort, s’il n’eût été qu’un pur homme ? Comment se seraient-ils fait égorger pour lui, s’ils n’eussent eu des preuves certaines de sa résurrection?

4. Je vous dis ceci, mes frères, non pour vous causer une stérile admiration, mais afin que vous imitiez cette constance, cette fermeté, et cette justice, afin que nul ne désespère de lui-même, quelque lâche qu’il ait été jusqu’ici, et qu’après la grâce de Dieu, personne ne mette sa confiance que dans la sainteté de sa vie. S’il n’a servi de rien aux. apôtres d’être unis à Jésus-Christ par des liens de patrie, de maison et de parenté, jusqu’à ce qu’ils se soient rendus recommandables par leur vertu; comment serons-nous excusables, nous autres, de nous vanter d’avoir des frères et des proches vertueux sans nous mettre en peine de les imiter?

C’est cette même vérité que David insinue lorsqu’il dit: « Le frère ne délivre point, c’est l’homme qui délivrera. » (Ps. XLVIII, 8.) Quand Moïse, Samuel ou Jérémie, prieraient pour leurs parents, ils ne seraient point exaucés. Voyez ce que Dieu dit à Jérémie: « Ne me priez plus pour ce peuple, car je ne vous écouterai point. » (Jérém. II, 14.) Ne vous en étonnez pas, saint prophète, Moïse ou Samuel prieraient pour des pécheurs obstinés, que le Seigneur ne les exaucerait pas, il le déclare lui-même. Les supplications d’Ezéchiel n’obtiendront pas davantage, il lui sera répondu comme à vous : « Quand Noé, Job et Daniel se présenteraient devant moi, ils ne sauveront pas leurs fils et leurs filles. » (Ezéch. .XIV, 14.) Quand le patriarche Abraham prierait pour ceux qui demeurent volontairement dans le vice, et qui rendent leurs maladies incurables, Dieu détournerait sa face, et n’écouterait point ses prières. Quand Samuel ferait la même chose, Dieu lui dirait aussitôt : « Ne pleurez point Saül.» (I Rois, XVI, 1.) Quand quelqu’un prierait à contre-temps pour sa propre soeur, Dieu lui dirait comme Moïse: « Si son père lui avait craché au visage, n’aurait-elle pas dû être couverte de confusion? » (Nomb. XII, 14.)

Ne nous appuyons donc point lâchement sur (42) le mérite des autres. Il est vrai que les prières des saints ont beaucoup de force, mais c’est lorsque nous y joignons notre pénitence, et que nous changeons de vie. Sans cela Moïse lui-même, qui avait délivré son frère, et six cent mille hommes de la colère de Dieu, n’a pas le pouvoir de délivrer sa soeur, quoique son péché fût beaucoup moindre. Elle n’avait murmuré que contre Moïse son frère, mais le crime des autres était une impiété contre Dieu même. Je vous laisse à examiner la conduite de Dieu en cette rencontre, et je passe à d’autres choses plus difficiles. Car pourquoi parler de la soeur, puisque Moïse lui-même, ce grand conducteur du peuple de Dieu, n’a pu obtenir ce qu’il désirait, et qu’après mille travaux et mille peines, après un gouvernement de quarante ans, Dieu lui refuse d’entrer dans cette terre si souvent promise?

Quelle est donc la raison de cette conduite? C’est parce que cette grâce, qu’on eût faite à Moïse, n’eût pas été avantageuse pour tout le peuple, et qu’elle eût pu être une occasion de chute et de ruine à un grand nombre de Juifs. Car si après avoir été seulement délivrés de la servitude de l’Egypte, ils quittaient Dieu pour ne s’attacher qu’à Moïse, qu’ils regardaient comme l’unique auteur de toutes ces grâces, s’il les eût encore introduits dans cette terre promise, à quelle impiété ne se fussent-ils point emportés? C’est pour ce sujet que Dieu leur a même voulu cacher son sépulcre.

Samuel aussi a souvent sauvé tout le peuple juif, mais il n’a pu sauver Saül de la colère de Dieu. Jérémie ne put rien pour le peuple juif, quoiqu’il soit marqué qu’il en sauva d’autres. Daniel put bien délivrer de la mort les sages de Babylone, mais il ne put délivrer les Juifs de la servitude. Ce prophète alors délivra les uns, et ne put délivrer les autres; mais nous voyons dans l’Evangile qu’un même homme qui avait pu se délivrer en un temps, ne put plus se délivrer en un autre; celui qui devait les dix mille talents, obtint d’abord la remise de la dette, et ne la put obtenir ensuite. Un autre, au contraire, s’étant perdu d’abord, se sauva depuis, comme cet enfant prodigue, qui, après avoir dissipé le bien de son père, revint à lui et obtint le pardon de sa faute.

Si donc nous sommes lâches et paresseux, les autres ne nous pourront secourir: mais si nous veillons sur nous, nous nous secourrons nous-mêmes, et beaucoup mieux que les autres ne le pourraient faire. Dieu aime bien mieux accorder sa grâce aux prières que nous lui en faisons nous-mêmes, qu’à celles que lui font les autres pour nous, parce que l’application même avec laquelle nous nous mettons en peine de détourner sa colère, fait que nous approchons de lui avec plus de confiance, et que nous réglons notre vie avec plus de soin. C’est ainsi qu’il fit autrefois miséricorde à la Chananéenne, qu’il guérit Madeleine, et qu’il fit passer ce saint larron de la croix dans le paradis, sans aucun médiateur qui priât pour eux.

5. Je vous dis ceci, mes frères, min pour vous détourner de prier les saints, mais de peur que vous ne vous abandonniez à la négligence, et que demeurant vous-mêmes dans un profond sommeil, vous ne vous contentiez de charger les autres du soin de votre salut. Quand Jésus-Christ dit « Faites-vous des amis (Luc, XVI, 9), » il ne s’arrête pas là, mais il ajoute : avec les biens que vous avez acquis injustement, afin de concourir vous-mêmes à l’oeuvre de votre salut. Car il ne recommande par là que l’aumône, et ce qui est admirable, il n’entre point avec nous dans un compte exact et rigoureux, pourvu que nous nous retirions de l’iniquité. Il semble qu’il dise : Vous avez jusqu’ici acquis du bien par de mauvaises voies, employez-le maintenant en de bonnes oeuvres. Vous l’avez amassé par vos injustices, répandez-le selon la justice.

Est-ce une vertu bien haute de donner ce qui n’est pas à soi? Cependant Dieu, dans l’amour extrême qu’il a pour les hommes, porte la condescendance jusqu’à nous promettre de grands biens, si nous en usons de la sorte.

Mais nous sommes dans une insensibilité si grande, que nous ne faisons pas même l’aumône d’un bien acquis injustement, et que si après avoir volé des millions nous en donnons une très-petite partie, nous croyons nous être acquittés de tout. Avez-vous oublié ce que dit saint Paul : Que « qui sème peu recueillera   peu? » (I Cor. IX, 6.) Pourquoi donc semez-vous avec parcimonie? Ce n’est pas perdre, mais gagner, que de semer avec abondance; ce n’est pas répandre, mais amasser. Après la semence, la moisson; avec la semence, la multiplication.

Si vous aviez à cultiver une bonne terre et qui pourrait rapporter beaucoup , vous ne (43) vous contenteriez pas d’y mettre le blé que vous avez, mais vous en emprunteriez même pour pouvoir la semer comme il faut, et vous croiriez que ménager en cette occasion ce serait perdre. Et lorsque vous avez à cultiver non la terre, mais le ciel, qui n’est sujet à aucune inégalité de saisons, et qui infailliblement rend avec usure ce qu’on lui confie vous hésitez, vous tremblez et vous ne comprenez pas que c’est perdre alors que d’épargner et gagner que de dépenser. Répandez donc afin de ménager; n’amassez point afin d’amasser; perdez afin de conserver, prodiguez afin de gagner.

S’il faut conserver votre bien, ne vous en chargez pas vous-même , car vous perdriez tout; laissez-le à Dieu en dépôt et nul ne pourra le lui ravir. Ne faites pas valoir vous-même votre argent, vous ne vous entendez pas à le faire profiter, prêtez sinon tout du moins la plus grande partie de votre capital à Celui qui vous le rendra avec les intérêts. Déposez-le là où il ne sera exposé ni aux surprises, ni aux craintes, ni aux accusations, ni à l’envie. Donnez votre argent à Celui qui n’a besoin de rien et qui est néanmoins dans la nécessité à cause de vous. Donnez-le à Celui qui nourrit toutes choses et qui a faim néanmoins pour empêcher que vous ne mouriez de faim. Donnez-le à Celui qui s’est fait pauvre, afin de vous enrichir. Pratiquez cette usure qui vous donnera non la mort, mais la vie. L’autre usure mène en enfer, celle-ci ouvre le paradis. L’une est un effet de l’avarice et l’autre de la vertu; l’une vient de la cruauté et l’autre de la charité.

Quelle excuse donc nous restera-t-il, si nous rejetons un gain si grand, si avantageux, si assuré, si favorable, exempt de contrainte, d’appréhension, de reproche et de péril , pour en chercher un autre si vil, si honteux, si fragile, si incertain, où nous ne trouvons que notre éternelle damnation? Car il n’y a rien de plus infâme ni de plus cruel que l’usure terrestre. L’usurier trafique du malheur des autres. Il s’enrichit de leur pauvreté; il exige ensuite ses intérêts, comme s’ils étaient dus à sa charité. Il est impitoyable, et il a peur de paraître tel. Il semble qu’il veut obliger le pauvre, et il l’accable davantage; sous une apparence d’humanité, il creuse de plus en plus l’abîme, sous les pas de son frère. Il lui tend une main, et il le pousse de l’autre dans le précipice. Il s’offre pour secourir celui qui périt, et au lieu de le mener dans le port, il le jette contre les écueils, et le brise sur les rochers.

Mais que ferai-je donc, dites-vous? Irai-je donner un argent que j’ai gagné, et qui m’est si nécessaire, afin qu’un autre en profite, sans que j’en retire moi-même aucun avantage? Je ne vous dis pas cela. Je veux que vous en retiriez de l’avantage, et un plus grand même, que vous ne pouviez désirer. Je veux qu’au lieu de l’or vous acquériez le ciel même. Pourquoi vous procurez-vous une pauvreté si extrême, en vous tenant toujours attaché à la terre, et en préférant un petit gain à une si grande récompense? N’est-ce pas ignorer le véritable moyen de s’enrichir? Quand Dieu vous promet au lieu d’un peu d’argent tous les biens du ciel, et que vous le priez au contraire de ne vous point donner le ciel, mais un peu d’argent, qu’est-ce autre chose, que de le prier de vous laisser toujours pauvre? Celui au contraire qui veut devenir véritablement riche, préfère les grands biens aux petits; les certains aux incertains ; les célestes aux terrestres ; les incorruptibles aux périssables, et c’est ainsi qu’il se rend digne de posséder les uns et les autres. Car celui qui préfère la terre au ciel, perdra l’un et l’autre, mais celui qui préfère le ciel à la terre, jouira de tous les deux, et d’une manière sans comparaison plus stable et plus heureuse. Méprisons donc les biens présents, et n’aspirons qu’aux biens à venir, pour jouir ainsi des biens présents et des biens futurs, par la grâce et par la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (44)

Précédente Accueil Suivante