Matthieu 16,13-24
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HOMÉLIE LIV

« OR, JÉSUS ÉTANT VENU AUX ENVIRONS DE CÉSARÉE DE PHILIPPES, INTERROGEAIT SES DISCIPLES EN LEUR DISANT : QUE DISENT LES HOMMES DE MOI? QUI DISENT-ILS QU’EST LE FLLS DE L’HOMME ? (CHAP. XVI, 13, JUSQU’AU VERSET 24.)

ANALYSE.

1. Pierre, le coryphée du choeur apostolique, confesse que Jésus est le Christ, Fils du Dieu vivant.

2. Excellence de cette confession. — Que le Fils est consubstantiel au Père. — Contre les Anoméens.

3. Jésus-Christ ayant élevé ses disciples à cette hauteur dans la foi, commence dès lors à leur laisser entrevoir dans un avenir prochain sa passion et sa croix.

4. Pierre se scandalise de la croix annoncée et prédite; son Maître le reprend sévèrement —Excellence du signe de la croix.

5 et 6. Avec quelle foi nous le devons imprimer sur notre front — Combien il est terrible aux ennemis de notre salut. — Qu’un chrétien ne doit point rougir de la croix. — Quelle est la grandeur des récompenses que Dieu nous promet.

 

1. Pourquoi, mes frères, l’évangéliste rapporte-t-il le nom du prince qui avait fait bâtir cette ville? C’était pour distinguer cette ville de Césarée de « Philippes, » d’avec une autre que l’on appelait Césarée de « Straton.» Ce n’était pas dans cette dernière que Jésus-Christ interrogeait ses apôtres, mais à Césarée de Philippes. Il voulut les éloigner beaucoup des Juifs, afin qu’étant seuls, ils pussent avec plus de liberté lui dire tout ce qu’ils pensaient de lui.

Mais pourquoi Jésus-Christ ne leur demande-t-il pas d’abord ce qu’ils pensent eux-mêmes de sa personne? Pourquoi leur demande-t-il auparavant ce que le peuple en disait? Après qu’ils lui auraient rapporté les pensées du peuple, il voulait, en leur adressant cette nouvelle question : « Et vous, qui dites-vous que je suis? » il voulait, dis-je, leur faire comprendre que leurs sentiments devaient être beaucoup plus relevés, et se distinguer complètement des basses pensées de la multitude. C’est pour cette raison qu’il ne leur fait pas cette demande au commencement de sa prédication. Il attend qu’il ait fait devant eux beaucoup de miracles, qu’il leur ait révélé des vérités très-importantes, et qu’il leur ait manifesté sa divinité et son égalité avec son Père, par des preuves dont ils ne pouvaient douter.

Il ne dit point: que disent de moi les scribes et les pharisiens? qui disent-ils que je suis? quoiqu’ils eussent souvent été avec lui, et qu’il leur eût parlé en différentes rencontres; mais « qui les hommes disent-ils que je suis? » Il demande ce que le peuple dit de lui; parce que si les pensées du peuple étaient basses et grossières, elles étaient néanmoins sans malice : au lieu que les sentiments des pharisiens étaient toujours corrompus par leur envie.

Et, pour montrer la vérité de son incarnation, et témoigner qu’il voulait que l’on y ajoutât foi, il dit : « Qui est le Fils de «l’homme?» (Jean, III, 13) appelant ainsi sa divinité. C’est ce qu’il fait en plusieurs autres endroits de l’Evangile « Personne n’est monté dans le ciel sinon le Fils de l’homme qui est descendu du ciel. » (Jean, VI, 62.) Et ailleurs « Lorsque vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant. Ils lui répondent: Les uns disent que vous êtes Jean-Baptiste, les autres Elie, les autres Jérémie ou quelqu’un des prophètes (14); » et lorsqu’ils lui ont ainsi rapporté les sentiments des autres, « Jésus leur dit: Et vous autres, qui dites-vous que je suis (15)? » Il leur fait, comme je l’ai déjà dit, cette seconde demande pour les exciter à avoir des sentiments plus nobles et plus relevés de lui, et pour leur témoigner que cette pensée du peuple était trop basse et trop indigne de sa grandeur. Ce peuple voyant le Sauveur faire des miracles (419) au-dessus de la puissance des hommes, le regardait comme quelque grand homme ressuscité d’entre les morts , selon ce qu’Hérode disait lui-même; mais il n’allait pas plus loin. Jésus-Christ donc voulait retirer ses apôtres de ces pensées populaires. C’est pour ce sujet qu’il leur dit: « Et vous, qui dites-vous que je suis? » c’est-à-dire, vous qui êtes continuellement avec moi, qui me voyez faire un si grand nombre de miracles, qui en avez fait vous-mêmes en mon nom, « qui dites-vous que je suis? »

Que fait ici saint Pierre qui est comme la bouche de tous les apôtres, le prince et le chef de cette troupe sacrée, et qui témoigne partout tant de zèle pour le Sauveur? Quoique Jésus-Christ leur eût fait cette demande en commun, il répond lui seul. Quand le Fils de Dieu s’informait seulement quelle pensée le peuple avait de lui, ils répondent tous également à cette demande; mais lorsqu’il veut savoir quel était leur sentiment particulier, saint Pierre prévient tous les autres. « Simon Pierre prenant la parole, lui dit: Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant (16). A quoi Jésus-Christ répond: « Vous êtes bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n’est point la chair ni le sang qui vous ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel (17). »Ces paroles du Sauveur nous font voir que si saint Pierre ne l’eût reconnu pour le vrai Fils de Dieu, et né de sa propre substance, cette confession n’eût point été l’effet d’une révélation divine, ni digne de rendre « heureux »celui qui l’avait faite.

Nous avons déjà vu que les apôtres lui avaient dit dans le vaisseau, après cette tempête qu’il avait si miraculeusement calmée « Vous êtes véritablement Fils de Dieu, » sans que Jésus-Christ néanmoins les eût appelés « heureux, » comme il appelle ici saint Pierre; parce que, bien qu’ils eussent dit la vérité, ils ne confessaient pas néanmoins aussi pleinement qu’il était le Fils unique de Dieu que saint Pierre le fait ici. Ils ne lui attribuaient qu’une sorte de filiation qu’il partageait avec beaucoup d’autres, et quoiqu’ils le regardassent comme le plus cher et comme le premier-né de tous, ils ne croyaient pas cependant, comme fait ici saint Pierre, qu’il fût né de la propre substance de son Père, et qu’il en fût le Fils de cette manière unique et incommunicable tout autre.

2. Nous voyons que Nathanaël dit aussi à Jésus-Christ : « Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le roi d’Israël (Jean, s, 48); » et Jésus-Christ cependant est si éloigné de l’appeler « heureux » , qu’il le reprend au contraire comme ayant des sentiments trop bas de lui : car il lui dit aussitôt : « Vous croyez parce que je vous ai dit que je vous ai vu sous le figuier. Vous verrez d’autres choses bien plus grandes. » Jésus-Christ donc appelle ici saint Pierre « heureux » ; parce qu’il a confessé qu’il était le Fils de Dieu de cette manière excellente qui lui est particulière; et il lui rend ce témoignage qu’il n’avait rendu à nul autre : « Ce n’est point la chair et le sang qui vous a révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel. »

Il semble que par ces paroles il veuille nous empêcher de croire que, parce que saint Pierre l’aimait ardemment, il voulait flatter son Maître en lui parlant par le mouvement d’une amitié humaine, et d’une complaisance secrète. Il fait voir publiquement quel était celui qui lui avait inspiré cette pensée, et il nous apprend que c’était Pierre qui parlait, mais que c’était le Père éternel qui lui mettait les paroles dans la bouche; afin que nous reconnussions qu’il ne lui accordait pas une louange humaine par cette confession, mais qu’il proférait au dehors ce qu’il avait appris de Dieu même.

Pourquoi Jésus-Christ ne leur dit-il pas lui-même clairement qu’il est le Christ? Pourquoi aime-t-il mieux donner lieu aux autres de reconnaître ce qu’il est, par les demandes qu’il leur fait? C’est sans doute parce qu’il lui était plus séant d’agir de la sorte, et que cette conduite était plus propre à attirer ses apôtres à la foi, et à leur persuader qu’il était égal à son Père? Et n’admirez-vous point ici, mes frères, comment le Père révèle son Fils, et comment le Fils révèle réciproquement son Père? Car Jésus-Christ dit lui-même que « personne ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils le veut révéler. » Il est donc impossible de connaître autrement le Fils que par le Père, ou de connaître le Père que par le Fils : ce qui est encore une preuve manifeste de l’égalité de leur gloire, et nous montre qu’ils sont d’une même substance.

Après que saint Pierre eut rendu ce témoignage au Sauveur, Jésus-Christ lui dit aussitôt «Vous êtes Simon, fils de Jean, vous (420) serez appelé Pierre. » Comme vous avez nommé mon Père, je nomme aussi le vôtre; et comme vous êtes véritablement « fils de Jean, » je suis de même véritablement Fils de Dieu le Père. Sans ce sens mystérieux on pourrait croire qu’il aurait été superflu de dire: « Vous êtes le fils de Jean. » Mais comme saint Pierre venait de dire, « vous êtes le Fils de Dieu, » Jésus-Christ ajoute aussitôt ces paroles pour nous faire voir qu’il était aussi véritablement le Fils de Dieu, que Simon était « fils de Jean, » c’est-à-dire, qu’il était d’une même substance avec son Père.

« Et moi aussi je vous dis que vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle (18). Sur cette pierre, »dit Jésus-Christ; « je bâtirai mon Eglise, »c’est-à-dire, sur cette foi et sur cette confession. Il montre par ces paroles que beaucoup de monde devait croire un jour en lui. Il relève l’esprit et les pensées de cet apôtre, et il l’établit le pasteur de son Eglise : « Et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. » S’il est vrai que ces portes ne vaincront point mon Eglise, combien moins pourront-elles me vaincre et je vous dis ceci, mon apôtre, afin que vous ne soyez point troublé, lorsque vous entendrez dire bientôt que je serai livré pour être crucifié. A cet honneur il en ajoute encore un autre: « Et je vous donnerai les clefs du royaume des cieux; et tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel (1 9).»

Que veulent dire ces paroles: « Je vous donnerai? » Comme mon Père vous a donné la grâce de me connaître, « je vous donnerai » aussi ces clefs. Il ne dit point : Je prierai mon Père qu’il vous les donne, quoique la grandeur de ce don fût ineffable, et qu’il fallût être Dieu pour le faire; mais il dit: « Je vous donnerai. » Quel est ce don qu’il lui fait:

« Je vous donnerai », dit-il, « les clefs du royaume des cieux; et tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que vous délierez sur la terre sera aussi délié dans le ciel. »

Comment pouvons-nous expliquer que celui qui dit: « Je vous donnerai, » témoigne ailleurs que ce « n’est pas à lui de donner à personne le droit de s’asseoir à sa droite ou à sa gauche? » Considérez comment il porte cet apôtre à avoir des sentiments dignes de sa divinité; comment il se découvre à lui, et lui déclare qu’il est le Fils de Dieu par ces deux promesses qu’il lui fait. Car il lui promet deux choses qui ne peuvent être le don que d’un Dieu, l’une de remettre les péchés, et l’autre de rendre son Eglise immobile au milieu des assauts de tant d’orages, et de faire voir dans un simple pêcheur une fermeté plus solide que n’est celle de la « pierre », lorsque tout le monde se soulèverait contre lui, et lui déclarerait une guerre ouverte.

Jésus-Christ traite ici saint Pierre comme son Père avait traité Jérémie, lorsqu’il lui dit:

« Qu’il le rendrait comme une colonne de fer, et comme un mur d’airain. « (Jér. I, 47.) Il y a cette différence, que l’un n’était exposé qu’aux attaques d’un seul peuple; et que l’autre était destiné à combattre tous les peuples de la terre.

Je demande ici à ceux qui s’efforcent de diminuer la dignité du Fils de Dieu, lequel de ces deux dons est le plus grand; ou celui que le Père fait à saint Pierre, ou celui que lui fait le Fils. Le Père lui fait connaître son Fils, et le Fils lui donne le pouvoir de révéler le Père et le Fils, et d’en donner la connaissance à toute la terre. Lorsqu’il lui donne ces «clefs » célestes, il rend un homme mortel maître de tout ce qui est dans les cieux. li fait qu’il répand la foi et qu’il étend l’Eglise par tout le monde, avec une fermeté plus immobile et plus inébranlable que n’est le ciel même, « puisque le ciel et la terre passeront, et que les paroles de Jésus-Christ ne passeront pas (Matth. XXIV, 25.) » Comment donc le Fils serait-il inférieur à son Père, puisqu’il fait de si grands dons aux hommes?

3. Je ne dis pas ceci, mes frères, pour séparer les ouvrages du Père d’avec ceux du Fils, « puisque toutes choses ont été faites par le Verbe, et que rien n’a été fait sans lui. » (Jean, I, 4.) Je prétends seulement fermer la bouche à ces personnes insolentes et téméraires, qui ont la hardiesse de proférer de tels blasphèmes. Mais remarquez partout avec quelle autorité Jésus-Christ parle en ce lieu « Je vous dis, moi, que vous êtes Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. Je vous donnerai les clefs du royaume des cieux. » Après leur avoir dit ces paroles il leur commanda de ne le découvrir à personne. (421)

« En même temps il commanda à ses disciples de ne dire à personne qu’il fût le Christ (20). » Il leur faisait cette défense afin que, lorsque tout ce qui scandalisait les hommes serait passé, que le mystère de sa croix serait accompli, et qu’il ne resterait plus rien qui pût surprendre ou troubler les esprits, et apporter quelque obstacle à leur foi, il fût plus facile aux apôtres d’imprimer dans les esprits des hommes des pensées dignes du Sauveur. Car jusque-là sa puissance souveraine n’avait pas éclaté bien visiblement, C’est pourquoi il voulait que, ses-disciples se réservassent de publier sa gloire, lorsque la vérité des mystères du Fils de Dieu serait plus connue, et que les miracles que feraient les apôtres autoriseraient leur prédication, et donneraient du poids à leurs paroles.

Car il y avait bien de la différence entre voir Jésus-Christ dans la Judée, tantôt faire des miracles, et tantôt souffrir des injures et des outrages, principalement lorsque tous ces miracles devaient enfin se terminer à la mort infâme de la croix; ou le voir au contraire adoré par toute la terre, confessé partout avec une foi généreuse, et élevé pour jamais au-dessus de toutes ces souffrances, auxquelles il s’était soumis pour nous. C’est pour cette raison qu’il commande aux apôtres de ne point dire encore qu’il fût le Christ. Quand on arrache de la terre l’arbre qui commençait d’y prendre racine, il ne reprend plus racine qu’avec peine : mais lorsqu’une fois bien enraciné dans la terre, il y demeure ferme sans qu’on l’y ébranle, il pousse des branches de toutes parts, et croît toujours. de plus en plus.

Si les apôtres, après avoir vu faire tant de miracles au Sauveur, et avoir eu part à ses plus secrets mystères, ne laissent pas de se scandaliser au seul nom de la croix, et lorsque Jésus-Christ leur prédit ce qui lui devait arriver ; si non-seulement le commun d’entre eux, mais leur prince même, et leur chef en est plus frappé que les autres; jugez dans quel scandale et dans quel trouble eût pu tomber le reste du monde, lorsque d’un côté on leur eût dit que Jésus-Christ était Fils de Dieu, et qu’ils l’eussent vu de l’autre attaché en croix, et couvert d’ignominies, dont ils n’eussent pas compris le mystère, parce qu’ils n’avaient pas encore reçu le don du Saint-Esprit. Si Jésus-Christ dit à ses apôtres mêmes : « J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne les pouvez pas porter maintenant (Jean, XVI, 12); » combien plus ce peuple faible eût-il été incapable de les porter, et comment n’eût-il pas succombé sous le poids du plus auguste et du plus impénétrable de nos mystères?

C’est donc pour cette raison que Jésus-Christ défend ici à ses apôtres de publier qu’il fût le Christ. Et pour vous faire mieux voir quel avantage il y avait pour les hommes de n’apprendre ce mystère qu’après que le scandale en serait passé, et qu ils n’en verraient plus que la profonde sagesse et l’utilité infinie, il ne faut que considérer ce qui arrive à saint Pierre. Car, après avoir témoigné tant de faiblesse à la passion de son maître, jusqu’à le renoncer trois fois par la crainte d’une servante; il parut si courageux dans la suite, lorsque le mystère de la croix fut accompli, et qu’il eut vu des preuves indubitables de la résurrection du Sauveur, que rien ne put à l’avenir lui être un sujet de scandale, ni ébranler dans son cœur ce que le Saint-Esprit lui avait appris. Il se lança au contraire comme un lion intrépide au milieu des Juifs; il vit sans pâlir les dangers qui l’environnaient de toutes parts, et enfin il méprisa la mort qui le menaçait toujours.

C’était donc avec grande raison que Jésus-Christ défendait ici aux apôtres de déclarer ce mystère aux hommes, puisqu’il usait même de réserve envers les apôtres, et qu’il leur disait: « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne les pouvez pas porter maintenant. » Aussi il ne faut pas douter que les apôtres n’aient ignoré beaucoup de choses que Jésus - Christ leur avait dites avant sa mort sans les expliquer, et qu’ils n’ont comprises ensuite qu’après sa résurrection. Et si Jésus-Christ traitait avec cette réserve ceux qui devaient être les maîtres et les docteurs de toute la terre, n’était-il pas juste d’user de cette conduite à l’égard du simple peuple?

« Dès lors Jésus commença à découvrir à ses disciples, qu’il fallait qu’il allât à Jérusalem, et qu’il y souffrît beaucoup de la part des sénateurs, des princes des prêtres et des docteurs de la loi, qu’il y fût mis à mort, et qu’il ressuscitât le troisième jour (21). » Quand dès lors? Quand il eut bien imprimé cette vérité dans leurs esprits, qu’il était véritablement le Fils de Dieu; et qu’en leur promettant de bâtir son Eglise sur la pierre, il leur eut (422) marqué la vocation des Gentils. Cependant ils ne comprirent pas encore ce que leur disait Jésus-Christ. Cette parole leur était comme voilée, et leurs yeux étaient enveloppés d’une nuit si épaisse qu’elle les empêchait de rien voir, parce qu’ils ne savaient pas encore qu’il dût ressusciter d’entre les morts. C’est pourquoi Jésus-Christ s’applique davantage à les tires de leur aveuglement. Il leur éclaircit ces difficultés, afin qu’ils puissent les comprendre.

Mais ils n’y comprirent rien, et cette parole leur fut toujours un mystère. Ils craignaient même de lui demander, non s’il mourrait; mais comment et de quelle mort il mourrait : enfin ils n’osaient s’informer de ce que signifiait ce qu’ils entendaient. Comme ils ne savaient ce que c’était que de ressusciter, ils croyaient qu’il valait mieux ne point mourir que de ressusciter après être mort. Pendant que les autres apôtres étaient tous dans le trouble et dans l’agitation, sain! Pierre le plus zélé prend seul la liberté de parler à Jésus-Christ, non devant les autres apôtres, mais en particulier.

« Et Pierre l’ayant tiré à part, commença à le reprendre en lui disant: Ah Seigneur, à Dieu ne plaise, cela ne vous arrivera pas (22). » Quoi ! mes frères, cet Apôtre, après avoir reçu du Père une révélation si rare; après avoir été appelé « heureux » par le Fils de Dieu même, tombe en si peu de temps du haut de cette grandeur où il était élevé, et la passion de Jésus-Christ lui fait peur! Mais il ne faut pas s’étonner que celui qui n’avait point reçu de révélation de Dieu pour comprendre ce mystère, tombât dans le scandale, lorsqu’il en entendait parler. Dieu voulait nous faire voir que cet apôtre n’avait point parlé de lui-même, lorsqu’il avait confessé si généreusement la divinité du Sauveur, et c’est pourquoi il permettait qu’il se troublât si fort ensuite, lorsqu’on lui dit des choses que Dieu ne lui avait pas révélées. Il en est saisi de frayeur, et il les entend dire cent fois sans les pouvoir jamais comprendre.

Il avait appris que Jésus était le Fils de Dieu; mais il n’en savait pas davantage. Le mystère de sa croix et de sa résurrection lui était entièrement inconnu. Ainsi vous voyez avec quelle sagesse Jésus-Christ fait à ses disciples le commandement de ne déclarer cette vérité à personne. Car si elle trouble et épouvante ceux mêmes qu’il fallait nécessairement en instruire, quel trouble n’eût-elle point excité dans les autres ? Mais Jésus-Christ voulant montrer avec quel amour il s’offrait de lui-même à tant de maux, fait un sévère reproche à saint Pierre, et il l’appelle « satan. »

4. « Mais Jésus se tournant dit à Pierre: Retirez-vous de moi, satan, vous m’êtes à scandale, parce que vous ne goûtez point ce qui est de Dieu, mais seulement ce qui est humain (23). » Que tous ceux qui rougissent de la croix de Jésus-Christ écoutent cette parole. Si le Prince même des apôtres, quoiqu’il n’eût pas encore appris de Dieu ce mystère, est appelé « satan » par Jésus-Christ même; que doivent attendre ceux qui renoncent cette croix après qu’elle a été adorée de toute la terre? Si le Fils de Dieu fait un reproche si sévère à celui qu’il venait d’appeler « heureux, » et qui avait fait une confession si excellente et si relevée, jugez comment il traitera un jour ceux qui après tant de preuves ne reçoivent et n’adorent pas encore le mystère de la croix.

Il ne lui dit pas simplement que le démon a parlé par lui; il lui en donne le nom même :

« Retirez-vous de moi, satan. » Tout son désir en s’opposant ainsi à Jésus-Christ était seulement que son Maître qu’il aimait ne souffrît pas. Mais le Fils de Dieu le reprend à dessein avec cette vigueur, parce qu’il savait, et que saint Pierre en particulier, et que tous les autres apôtres craignaient étrangement la mort de leur Maître, et qu’ils ne pouvaient souffrir d’en entendre parler. C’est pourquoi Jésus-Christ déclare ce que ce disciple avait de plus caché dans le secret de son coeur: « Vous ne goûtez point ce qui est de Dieu, mais seulement ce qui est humain. »

Que veulent dire ces paroles : « Vous ne goûtez point ce qui est de Dieu, mais seulement ce qui est humain? » Saint Pierre jugeant des souffrances de son Maître d’une manière fort grossière et toute charnelle croyait que cette mort lui était honteuse et indigne de sa grandeur. C’est de quoi Jésus-Christ le reprend. Il semble qu’il lui dise : Il n’est point indigne de moi de souffrir la mort, et il n’y a que les pensées basses et terrestres où vous vous laissez aller, qui vous en lassent juger de la sorte. Si vous aviez écouté mes paroles avec l’Esprit de Dieu, en éloignant de vous toutes ces pensées charnelles, vous connaîtriez quelle gloire je tirerai de cette conclusion et de cette ignominie. Vous dites qu’il est (423) indigne de moi de souffrir, et je vous réponds qu’il n’y a que le diable qui puisse s’opposer à mes souffrances. C’est ainsi qu’il réfute les pensées de cet apôtre par un raisonnement tout contraire.

Lorsque saint Jean refusa de le baptiser, parce qu’il jugeait son baptême trop indigne du Sauveur, Jésus-Christ lui persuada au contraire de le faire, en lui montrant qu’il convenait qu’il en fût ainsi; et bientôt encore il dira à Pierre, lorsque ce disciple voudra l’empêcher de lui laver les pieds : « Vous n’aurez u point de part avec moi, si je ne vous lave les « pieds (Jean, XIII, 9); » c’est de la même manière qu’il traite ici saint Pierre, c’est-à-dire qu’il réfute ses raisons par des raisons contraires, et que par la sévérité de sa réprimande, il lui ôte la crainte qu’il avait de sa passion.

Que personne donc, mes frères, ne rougisse de ces marques augustes et adorables de notre salut. La croix de Jésus-Christ est la source de tous nos biens. C’est par elle que nous vivons, et que nous sommes ce que nous sommes. Portons la croix de Jésus-Christ et parons-nous-en comme d’une couronne de gloire. C’est elle qui est comme le sceau et l’accomplissement de toutes les choses qui regardent notre salut. Si nous sommes régénérés dans les eaux sacrées du baptême, la croix y est présente. Si nous nous approchons de la table du Seigneur, pour y recevoir son saint corps, elle y paraît avec éclat. Si l’on nous impose les mains pour nous consacrer au ministère du Seigneur, elle y est encore présente. Enfin, quoi que nous fassions, nous voyons partout ce signe adorable, qui est tout ensemble la cause et la marque de notre victoire. Nous l’avons dans nos maisons; nous la peignons sur nos murailles; nous la gravons sur nos portes; nous l’imprimons sur nos visages, et nous la portons toujours dans le coeur. Car la croix est un signe et un monument sacré, qui rappelle en notre mémoire l’ouvrage de notre salut, le recouvrement de notre ancienne liberté, et l’infinie miséricorde de notre Sauveur Jésus-Christ, qui par l’amour qu’il nous a porté, a été comme une brebis que l’on mène à la boucherie.

Lors donc que vous imprimez ce signe sacré sur vous, souvenez-vous de ce qui a donné lieu à cette croix et de ce qui l’a rendue nécessaire. Que ce souvenir réprime en vous votre orgueil, qu’il arrête votre colère et qu’il étouffe toutes vos autres passions. Lorsque vous formez ce signe sur votre front, armez-vous d’une sainte hardiesse et rétablissez votre âme dans sa première liberté. Car vous n’ignorez pas, mes frères, que la croix est le prix qui vous l’a fait recouvrer. C’est pourquoi saint Paul nous exhortant à rentrer dans cette liberté si digne d’un véritable chrétien, nous y porte en nous parlant de la croix et du sang du fils de Dieu:

« Vous avez été, » dit-il, « rachetés d’un grand prix, ne vous rendez point esclaves des « hommes. » (1 Cor. VI, 20.)

Considérez quel est le prix qui a été donné pour votre rançon, et vous ne serez plus l’esclave d’aucun homme sur la terre. Ce prix, mes frères, et cette rançon c’est la croix. Vous ne la devez donc pas marquer négligemment du bout du doigt sur votre visage. Vous devez la graver avec amour dans votre coeur par une foi très-fervente. Si vous l’imprimez de la sorte sur votre front, nul des esprits impurs n’osera s’approcher de vous en voyant sur votre visage les armes qui l’ont terrassé, et cette épée étincelante dont il a reçu le coup mortel. Si la seule vue des lieux où les bourreaux exécutent les criminels, vous fait frémir d’horreur et trembler de crainte, dans quel trouble et quelle terreur doivent entrer les démons, en voyant les armes dont Jésus-Christ s’est servi pour les vaincre?

Ne rougissez donc pas de la croix, afin que Jésus-Christ ne rougisse point de vous, lorsqu’il viendra dans la majesté de sa gloire, et qu’il fera briller ce signe d’une lumière plus éclatante que les rayons du soleil. Car elle paraîtra alors aux yeux de tous les hommes qui auront été dans le monde. Elle publiera hautement l’innocence et la charité de celui qui s’y est laissé attacher, et elle convaincra toute la terre qu’il n’a rien omis pour sa part de tout ce qui’ était nécessaire pour notre salut.

C’est la croix qui, du temps de nos pères et du nôtre, a ouvert ces bienheureuses portes qui nous avaient été fermées ; . qui a détruit la vertu mortelle des breuvages empoisonnés que nous avions pris; qui a déraciné de nous toutes les plantes. envenimées qui poussaient des rejetons de mort, et qui a guéri les morsures horribles dont ces bêtes infernales nous avaient cruellement déchirés. Car si cette adorable croix a brisé les portes de l’enfer pour nous (424) ouvrir celles du ciel; si elle a terrassé toutes les forces du démon, si elle a détruit son empire, doit-on s’étonner qu’elle ait aussi détruit la force du poison qui envenimait nos coeurs, qu’elle y ait dissipé cet air pestilentiel qui les corrompait, et qu’elle en ait exterminé pour jamais ces bêtes furieuses qui les dévoraient?

5. Gravez donc, mes frères, ce signe dans votre coeur. Embrassez avec amour ce qui a produit le salut de vos âmes. Car c’est la croix qui a sauvé et converti toute la terre. C’est elle qui en a banni l’erreur; qui a rétabli la vérité; qui a fait de la terre un ciel; qui a changé les hommes en anges. C’est par elle que les démons ont cessé de nous paraître redoutables, et que nous les avons méprisés. C’est par elle que la mort n’a plus été une mort, mais un sommeil. Enfin c’est par la croix que tout ce qui nous faisait la guerre a été détruit, que tout ce qui s’opposait à nous a été foulé aux pieds, et que tous nos ennemis ont été renversés par terre.

Si vous trouvez donc quelqu’un qui vous dise: Quoi, vous adorez une croix? Répondez-lui d’un ton de voix qui témoigne de votre fermeté, et d’un visage gai et riant, dites: Oui, je l’adore, et je ne cesserai point de l’adorer. S’il se moque de vous, plaignez-le, et répandez vos larmes en voyant son aveuglement. Rendez grâces à Dieu qui vous a honoré d’un si grand don, et qui vous a fait des grâces si prodigieuses, que personne ne peut les comprendre, si Dieu par une faveur toute particulière ne les lui révèle. Cet homme qui vous insulte , ne vous raille ainsi que parce que « l’homme animal et humain n’est point capable des choses qu’enseigne l’esprit de Dieu, car elles lui paraissent une folie ; et il ne les peut comprendre, parce que c’est par une lumière spirituelle qu’on en doit juger. » (1 Cor. II, 14.)

Ces personnes ressemblent à des enfants qui se rient des choses les plus grandes et les plus saintes. Amenez ici un enfant, qu’il voie nos plus redoutables mystères: et il en rira. Tels sont les païens, ou plutôt ils sont encore plus enfants, et par conséquent plus misérables, puisque malgré leur âge avancé, ils ont des sentiments et des pensées puériles. C’est ce qui les rend. tout à fait inexcusables. Pour nous, mes frères, disons sans rien craindre, et protestons hautement devant toute la terre et en présence de tous les païens, que toute notre gloire est dans la croix; qu’elle est la source de tous nos biens ; qu’elle est toute notre espérance ; et que c’est elle qui couronne tous les saints. Je voudrais pouvoir dire avec saint Paul, « que tout le monde m’est crucifié, et que je suis crucifié au monde. »(Gal. VI, 14.) Mais je ne puis le dire avec vérité, tyrannisé que je suis par tant de passions différentes.

Je vous exhorte donc, et je m’exhorte le premier en vous exhortant. Je vous conjure, mes frères, d’être crucifiés au monde, et de n’avoir plus rien de commun avec la terre. N’aimez que le ciel, qui est la véritable patrie. N’aimez que la gloire et les biens infinis, qui nous y sont réservés. Car nous sommes les soldats du Roi des cieux; il nous a revêtus d’armes toutes spirituelles. Pourquoi donc nous rabaissons-nous jusqu’à vivre comme les derniers des hommes, ou plutôt jusqu’à vivre comme les bêtes? Ne faut-il pas que le soldat soit où est son chef? Nous sommes à un souverain qui ne nous tient pas éloignés de lui, et qui veut que nous en soyons toujours proches. Les rois de la terre ne souffrent point que tous leurs soldats soient dans leur palais, et qu’ils les accompagnent partout où ils marchent. Mais ce chef divin veut que toutes ses troupes environnent toujours son trône.

C’est ainsi que saint Paul, vivant comme nous sur la terre, était toujours en esprit avec les chérubins et avec les séraphins. Il était plus proche de Jésus-Christ, que les gardes de nos souverains ne sont près de leurs personnes. Lorsque ces officiers gardent nos rois, et qu’ils se tiennent près d’eux, ils en détachent au moins leurs regards, et, quoiqu’ils soient présents de corps, leur esprit s’égare souvent en divers lieux. Mais rien ne détournait saint Paul de Jésus, son roi ; et il tenait arrêtées sûr lui toutes les pensées de son coeur.

Si nous voulons, mes frères, imiter ce saint apôtre, rien ne nous en peut empêcher. Si nous étions fort éloignés de notre Prince, nous aurions quelque sujet de trouver cette présence difficile, mais puisqu’il se trouve partout, les âmes généreuses et vigilantes peuvent l’avoir toujours présent.

N’est-ce pas cette vue et cette présence qui faisait dire à David: «Je ne craindrai point les maux, parce que vous êtes avec moi (Ps. XXII, 4); » et ce qui oblige Dieu de nous dire: « Je suis un Dieu proche et non pas un (425) Dieu éloigné (Jérém. XXIII, 23) ? » Le péché nous sépare et nous éloigne de Dieu, et la vertu nous en approche. « Lorsque vous me parlerez encore (lsaïe, LVIII, 9), » nous dit-il, « je vous dirai : me voici présent. » Quel est le père qui écoute aussi promptement les demandes de ses enfants; quelle est la mère qui veille avec plus d’empressement pour prévenir les prières de son fils, que Dieu pour prévenir les nôtres? il n’y a rien dans le coeur des pères et des mères de la terre qui approche de ce grand amour de Dieu. Il est continuellement attentif pour nous écouter. Aussitôt qu’un des siens commence à l’invoquer, il l’exauce au moment même, sans attendre qu’il l’invoque autant de temps que la grandeur de sa majesté le voudrait. C’est pourquoi il dit: « Quand vous me parlerez encore, je e vous dirai : me voici présent. » Je ne différerai point de vous exaucer et d’accomplir toutes vos demandes.

Invoquons donc Dieu, mes frères, comme il veut que nous l’invoquions. Comment veut-il qu’on le prie? « Rompez », dit-il, « tous les liens de l’injustice, rompez les cédules des obligations extorquées, et déchirez tous les seings et toutes les procédures injustes. Faites part de votre pain au pauvre; recevez les étrangers dans votre maison. Quand vous verrez un pauvre nu revêtez-le, et ne méprisez point ceux qui viennent du même sang que vous. Alors votre lumière du matin éclatera, et vos blessures seront refermées. Votre justice marchera devant vous, et la gloire de Dieu vous environnera. Vous m’invoquerez et je vous exaucerai, et lorsque vous me parlerez encore, je vous dirai : me voici présent. » (Isaïe, LVIII, 6.)

Mais qui peut, dites-vous, faire tant de choses? Et moi je vous demande au contraire:

qui peut ne les pas faire? Qu’y a-t-il de pénible dans ce que je viens de dire? qu’y a-t-il de fâcheux? qu’y a-t-il qui ne soit aisé? Toutes ces choses sont au contraire si faciles, que plusieurs sont allés sans peine au delà de ces préceptes. Ils n’ont pas seulement « déchiré les obligations injustes, » que leur avarice avait exigées; ils ont même renoncé à tout leur bien. Ils n’ont pas seulement « retiré chez eux l’étranger, et fait part de leur table au pauvre, » mais ils ont travaillé de leurs propres mains, pour avoir de quoi les nourrir. Ils ne se sont pas contentés « d’obliger leurs proches, » ils ont encore fait du bien à leurs plus grands ennemis.

6. Que trouvez-vous donc de pénible en tout ce que je viens de dire? Le Prophète ne vous commande point de courir les terres et les mers, de creuser jusqu’aux entrailles de la terre, de vous macérer par de longs jeûnes, ni de vous couvrir d’un cilice. Il vous ordonne seulement d’être charitable envers votre prochain, de faire part de votre pain au pauvre, et de rompre les. obligations injustes. Peut-on trouver rien de plus aisé? Que si vous y craignez encore quelque peine, jetez les yeux sur la grandeur des récompenses qu’il vous promet, et vous n’y trouverez plus rien que de très-facile. Car, comme les princes et les rois sont soin, dans les combats et dans les jeux de course, d’exposer aux yeux de ceux qui courent le prix qu’ils destinent au vainqueur, Jésus-Christ de même met, comme au milieu de sa carrière, les récompenses qu’il prépare aux victorieux. Il nous les montre à tous pour nous exciter, et les paroles du Prophète sont comme les mains par lesquelles il nous les présente.

Quand nos princes et nos souverains seraient encore cent fois plus grands et plus riches qu’ils ne sont, comme ils sont hommes, il faut nécessairement que leurs richesses aient des bornes, et que leur libéralité s’épuise. Ils usent d’artifice pour faire paraître le peu qu’ils donnent, comme étant fort considérable. Ils font porter séparément les prix qu’ils proposent par autant de différentes personnes, et ils les étalent avec beaucoup d’appareil. Mais notre Roi agit bien d’une autre manière. Comme il est infiniment riche, que ses dons sont inépuisables, et qu’il ne lui est point nécessaire de leur donner un prix et un éclat emprunté, il les ramasse tous ensemble, et il ne les montre que confusément à nos yeux, parce que s’il voulait s’arrêter à nous les faire voir un à un, et en détail, ce serait une entreprise infinie.

Pour comprendre combien ce que je vous dis est véritable, examinez chacun de ces biens qu’il promet ici. « Alors », dit-il, « votre lumière du matin éclatera. » Croyez-vous, mes frères, que Dieu ne nous promette qu’un seul don par ces paroles? Ne voyez-vous pas le grand nombre de prix et de récompenses que cette seule promesse renferme? (426) Voulez-vous que nous développions ces trésors cachés, et que nous vus les découvrions autant qu’il nous sera possible? Je vous prie seulement de ne vous pas ennuyer, et de ne vous pas lasser de m’entendre.

Que veut dire premièrement ce mot, « éclatera? » Car le Prophète ne dit pas : paraîtra, mais «éclatera. » C’est pour nous faire mieux comprendre là promptitude et la libéralité de notre prince, pour nous témoigner avec quel zèle il veille pour notre salut, quelle violence il se fait pour retenir en lui ses grâces, et qu’il ne cherche qu’à s’en décharger sur nous, sans que rien puisse arrêter sa magnificence.

« Votre lumière du matin; » Que veut dire cet autre mot, « du matin? » Dieu nous témoigne par là qu’il n’attend pas toujours, pour nous éclairer, que nous ayons souffert; mais qu’il prévient les maux. C’est ce qui est marqué par ces autres paroles : « Lorsque vous parlerez encore, je vous dirai : Me voici. »Mais quelle est cette « lumière? » Ce n’est pas sans doute cette lumière sensible; c’est une autre lumière beaucoup plus excellente, qui nous découvre le ciel, qui nous y fait voir les anges, les archanges, les chérubins et les séraphins, les principautés, les dominations, les trônes et les puissances, toutes ces armées divines, toutes ces troupes bienheureuses, toute cette cour céleste et ces tentes adorables. Celui qui a été honoré de cette lumière ineffable, verra ces objets bienheureux. Il n’éprouvera point le feu de l’enfer, le ver qui ronge et qui ne meurt point, ces grincements de dents, ces chaînes qui ne se peuvent rompre, ces tourments et ces misères, ces ténèbres profondes, ces fleuves de flammes qui ne s’éteindront jamais, ces blasphèmes horribles et ces lieux de douleurs et de tortures effroyables; mais il passera en d’autres lieux, d’où la douleur et la tristesse fuiront éternellement, où la joie, la paix, le plaisir et les délices, régneront sans fin, où il jouira d’une vie éternelle et d’une gloire ineffable; où il admirera ces tentes d’une beauté incomparable, et cette majesté si auguste et si sainte de notre roi; où il verra ces biens que l’oeil n’a point vus, que l’oreille n’a point ouïs, et qui ne sont point montés dans le coeur de l’homme; où demeure cet époux céleste, où est la chambre ‘nuptiale, dans laquelle entrent les vierges chastes et pures qui ont conservé leurs lampes ardentes, et tous ceux qui ont gardé purs et sans tache les habits qu’ils avaient reçus; où sont enfin les biens infinis de notre roi, et les richesses inépuisables de Dieu même.

Comprenez-donc, mes frères, quels sont les biens auxquels on , vous invite, et combien Dieu vous promet dans un seul mot. Que de trésors trouverions-nous si nous voulions examiner ainsi en particulier chacune des promesses que Dieu nous fait par son prophète? Combien découvririons-nous de richesses? Après cela différerons-nous davantage de les désirer? Témoignerons-nous de l’indifférence et, de la paresse à secourir les pauvres? Ne le faisons pas, mes frères, je vous en conjure. Quand nous devrions tout perdre, quand il faudrait renoncer à tout, quand nous devrions même être jetés dans le feu, et passer au travers des épées nues; souffrons tout avec courage, afin de pouvoir un jour recevoir de notre prince cette gloire inestimable, que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (427).

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