Matthieu 2,11-16
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HOMELIE VIII

« ET ÉTANT ENTRÉS DANS LA MAISON, ILS TROUVÈRENT L’ENFANT AVEC MARIE SA MÈRE, ET SE PROSTERNANT EN TERRE, ILS L’ADORÈRENT. ET OUVRANT LEURS TRÉSORS, ILS LUI OFFRIRENT POUR PRÉSENTS, DE L’OR, DE L'ENCENS ET DE LA MYRRHE,» ETC. (CHAP. II, 11, JUSQU’AU VERSET 16.)

ANALYSE

1. Les Mages adorent Jésus-Christ comme Dieu.

2. La fuite du Christ enfant en Egypte.

3. Eloge de saint Joseph.

4. La Judée chasse le Christ et l’Egypte le reçoit. — Etat florissant de la religion chrétienne en Egypte à l’époque de saint Chrysostome.

5. Saint Chrysostome propose à son peuple l’exemple des solitaires d’Egypte, et particulièrement de saint Antoine.

 

1. Comment donc saint Luc dit-il que l’enfant était couché dans une crèche? Voici: Joseph et Marie n’ayant pu trouver asile dans une maison, à cause du grand nombre d’étrangers venus à Bethléem pour le recensement, S’étaient réfugiés dans une étable; la Vierge mit alors au monde l’enfant-Dieu, et le coucha dans la crèche de l’étable. Cette explication, saint Luc lui-même la donne en disant « Elle coucha l’enfant dans la crèche, parce « qu’il n’y avait point de place pour eux dans l’hôtellerie. » (Luc, II, 7.) Mais ensuite elle le retira de là et le prit sur ses genoux.

A peine arrivée à Bethléem, la Vierge accouche; cette circonstance n’a rien de fortuit, elle fait partie du plan divin touchant le mystère de l’Incarnation, elle est nécessaire pour l’accomplissement des prophéties.

Mais qui put porter les mages à adorer l’enfant? Ce n’était pas l’extérieur de la Vierge qui n’avait rien d’extraordinaire, ni l’apparence de la maison qui était loin d’être magnifique, ni le reste de l’entourage où l’on ne voyait rien qui pût frapper et captiver. Cependant non seulement ils l’adorent ; mais ils ouvrent leurs trésors, et lui font des présents, plutôt comme à un Dieu que comme à un homme, puisque la myrrhe et l’encens sont particulièrement dus à Dieu. Qu’est-ce donc qui les prosternait en adoration devant un enfant, sinon ce qui les avait déjà portés à quitter leur maison pour faire un si long (61) voyage, c’est-à-dire, l’étoile d’abord, puis la lumière que Dieu répandit en même temps dans leurs âmes, et qui les conduisit peu à peu, et les éclaira de plus en plus? Sans cela comment expliquer ces honneurs divins rendus à un enfant entouré d’un si pauvre appareil? Mais parce qu’il n’y a ici rien de grand pour les sens, parce que les yeux n’aperçoivent qu’une crèche, qu’une étable, qu’une mère pauvre, la grande sagesse des mages, se montrant seule, n’en éclate que mieux, et il faut nécessairement que vous compreniez que ce n’est pas vers un pur homme qu’ils viennent, mais vers Dieu même, et vers le Sauveur du monde. C’est dans cette vive foi que, bien loin de s’offenser de toute cette bassesse extérieure, ils se prosternent devant l’enfant, et lui offrent des présents qui n’avaient rien de charnel comme les offrandes des Juifs. Car ils ne lui immolent point des brebis ni des veaux, mais des dons mystérieux très rapprochés de la grâce et de l’excellence de l’Eglise, et qui sont les symboles de la science, de l’obéissance et de la charité.

« Et ayant reçu en songe un avertissement du ciel de n’aller point retrouver Hérode, ils  s’en retournèrent à leur pays par un autre chemin (12). » Admirez encore ici la foi des mages. Car comment ne sont-ils point scandalisés, ni surpris de cet avis ? comment sont-ils demeurés fermes dans l’obéissance , sans se troubler et sans raisonner ainsi en eux-mêmes?

Si cet enfant était quelque chose de grand, et s’il avait quelque puissance, pourquoi serions-nous obligés de nous enfuir, et de nous retirer si secrètement? pourquoi, après que nous avons paru librement et hardiment devant tout un peuple, sans craindre le bruit et l’étonnement de la ville ni la fureur du tyran, un ange vient-il maintenant nous chasser d’ici, comme des esclaves et des fugitifs ? Mais ils n’ont ni ces pensées dans l’âme, ni ces paroles dans la bouche. Car c’est en cela proprement que consiste la foi, de ne point chercher les raisons de ce qu’on nous dit, mais d’obéir simplement à ce qu’on nous ordonne.

2. «Or après que les mages s’en furent allés, l’ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, et lui dit: Levez-vous, prenez l’enfant et sa mère et fuyez en Egypte, et demeurez-y jusqu’à ce que je vous dise d’en partir (13).» On peut ici être en suspens, en considérant et les mages et l’enfant. Car bien qu’ils n’aient point été troublés, et qu’ils aient reçu avec foi ce qu’on leur a dit, ne peut-on pas néanmoins demander pourquoi Dieu ne les sauve pas hautement de la fureur d’Hérode, eux et l’enfant, sans que les uns soient obligés de fuir en Perse, et l’autre en Egypte avec sa mère ? Mais que vouliez-vous que Dieu fît en cette rencontre? Voudriez-vous que Jésus-Christ tombât entre les mains d’Hérode, et que néanmoins il ne reçût de lui aucun mal, après y être tombé? S’il eût agi de la sorte, on n’aurait pas cru qu’il eût pris véritablement notre chair, et on aurait douté de la vérité de son incarnation. Car si en dépit de ce qu’il a fait, et de toutes les preuves qu’il a données de son humanité quelques-uns néanmoins ont osé dire que son incarnation n’était qu’une fable, dans quel excès d’impiété ne fussent-ils point tombés, s’il eût toujours agi en Dieu, et dans toute l’étendue de sa puissance?

L’ange donc renvoie ainsi ces mages, tant pour les rendre comme les prédicateurs de -Jésus-Christ en leur pays, que pour faire voir en même temps à Hérode, que son dessein cruel ne lui réussirait pas; qu’il entreprenait, une chose impossible; que sa fureur était vaine, et que tous ses travaux seraient sans effet. Car il est digne de la grandeur et de la puissance de Dieu, non seulement de vaincre hautement et sans peine ses ennemis, mais encore de les tromper et de les surprendre. C’est ainsi qu’il voulut autrefois tromper les Egyptiens par les Juifs, et que pouvant faire passer visiblement toutes leurs richesses entre les mains des Israélites, il aima mieux le faire secrètement et par une adresse, qui ne jeta pas moins de terreur dans l’esprit de ses ennemis, que les prodiges qu’il avait fait auparavant?

2. En effet, les Ascalonites et les autres peuples voisins, lorsqu’ils eurent pris l’arche, qu’ils eurent été frappés d’une grande plaie, conseillaient à ceux de leur nation de ne pas lutter contre Dieu, de ne pas lui résister, et entre autres merveilles, ils leur rappelaient comment Dieu s’était joué des Egyptiens :« Pourquoi, » disaient-ils, « appesantissez-vous vos coeurs, comme autrefois I’Egypte et Pharaon ? Lorsque Dieu se fut joué d’eux, ne laissèrent-ils pas aller son peuple? » (I Rois, 6, VI. ) Ils, parlaient ainsi persuadés que cette conduite adroite n’était pas inférieure à tant de prodiges éclatants, ni moins propre à démontrer la puissance et la grandeur de Dieu. (62)

Ce qui arriva à Hérode à l’occasion des mages n’était-il pas de nature aussi à le frapper fortement? Se voir ainsi trompé et joué par les mages, n’était-ce pas à crever de dépit ? que s’il n’en devint pas meilleur, ce n’est pas la faute de Dieu qui lui avait ménagé cette leçon : il faut l’attribuer à l’excès de folie du tyran qui, loin de céder à ces avertissements, et de revenir de sa méchanceté, s’emporta plus avant dans le crime et ne fut pas arrêté par la crainte d’encourir un châtiment, plus sévère par un excès d’endurcissement et de démence.

Mais pourquoi Dieu choisit-il l’Egypte, pour y envoyer cet enfant? L’Evangile en marque la principale raison, qui était d’accomplir cette parole: « J’ai appelé mon fils de l’Egypte.» (Osée, II, 1.) C’était aussi pour annoncer dès lors à toute la terre les grandes espérances qu’elle devait concevoir pour l’avenir. Car, comme l’Egypte et Babylone avaient plus que tout le reste du monde, brûlé dés flammes de l’impiété, Dieu voulait marquer d’abord qu’il convertirait l’une et l’autre, et qu’il les purifierait de leurs. vices; et donner par là l’espérance d’un semblable changement à toute la terre. C’est pourquoi il envoie les mages à Babylone, et va lui-même dans l’Egypte avec sa mère.

Outre ces raisons, nous avons encore ici une autre instruction très utile, pour nous établir dans une solide vertu; c’est de nous préparer dès les premiers jours de notre vie aux tentations et aux maux. Car considérez que ce fut dès le berceau que Jésus-Christ se vit obligé de fuir. A peine est-il né que la fureur d’un tyran s’allume contre lui. Elle l’oblige de se sauver dans un pays étranger, et sa mère si pure et si innocente est contrainte de s’enfuir, et d’aller vivre avec des barbares.

Cette conduite de Dieu vous apprend que lorsque vous avez l’honneur d’être employé dans quelque affaire spirituelle, et que vous vous voyez ensuite accablé de maux et environné de dangers, vous ne devez pas en être troublé ni dire en vous-même: D’où vient-que je suis ainsi traité, moi qui m’attendais à la couronne, aux éloges, à la gloire, aux brillantes récompenses après avoir si bien accompli la volonté de Dieu? Mais que cet exemple vous anime à souffrir généreusement et vous fasse connaître que la suite ordinaire des vocations spirituelles fidèlement remplies, c’est la souffrance, et que les afflictions sont les compagnes inséparables de la vertu.

Remarquez aujourd’hui cette vérité, non seulement dans la mère de Jésus, mais encore dans les mages. Car ils se retirent en secret comme des fugitifs, et la Vierge qui n’était jamais sortie du secret d’une maison, est contrainte de faire un chemin très pénible, à cause de cet enfantement tout spirituel et tout divin. Admirez une merveille si étrange. La Judée persécute Jésus-Christ, et l’Egypte le reçoit et le sauve de ceux qui le persécutent. Ceci fait bien voir que Dieu n’a pas seulement tracé dans les enfants des patriarches les figures de l’avenir, mais encore dans Jésus-Christ même, car il est- certain que beaucoup de choses qu’il a faites alors étaient des figures de ce qui devait arriver après; je citerais par exemple l’ânesse et l’ânon qu’il monta pour faire son entrée à Jérusalem.

L’ange donc apparut non à Marie, mais à Joseph, et lui dit: « Levez-vous, et prenez l’enfant et sa mère. » Il ne dit plus comme auparavant: « Prenez Marie votre femme ; » mais «prenez la mère de l’enfant, » parce qu’il ne restait plus à Joseph aucun doute après l’enfantement, et qu’il croyait fermement la vérité au mystère. L’ange lui parle donc avec plus de liberté, et n’appelle plus Marie «sa femme, »mais «la mère de l’enfant. Et fuyez en Egypte,» dit-il. Et il lui en dit en même temps la raison: « Car Hérode cherchera l’enfant pour le perdre(13.)»

3. Joseph écoutant ces paroles n’en est point scandalisé. II ne dit point à l’ange: voici une chose bien étrange. Vous me disiez il n’y a pas longtemps que cet enfant sauverait son peuple, et il ne se peut sauver aujourd’hui lui-même. Il faut que nous nous retirions dans une terre étrangère. Ce que vous me commandez de faire est contraire à votre promesse. Joseph ne dit rien de semblable, parce que c’était un homme fidèle. II ne témoigne point de curiosité pour savoir le temps de son retour, quoique l’ange ne le lui eût point marqué en particulier, lui disant en général : « Demeurez-là jusqu’à ce que je vous dise d’en sortir. » Cependant il n’en témoigne pas moins d’ardeur à croire et à obéir, et il souffre avec joie toutes ces épreuves. La bonté de Dieu mêle en cette rencontre la joie avec la tristesse et tempère l’une par l’autre. C’est ainsi qu’il a coutume d’agir envers tous les saints. Il ne les laisse pas toujours (63) ni dans les périls ni dans la sécurité, mais il fait de la suite de leur vie comme un tissu et une chaîne admirable de biens et de maux. C’est ce qu’il pratique envers Joseph, et je vous prie de le remarquer.

Il voit la grossesse de Marie, et il entre aussitôt dans le trouble et dans la peine, soupçonnant sa jeune femme d’adultère; mais l’ange survient en même temps qui le guérit de ses soupçons et le délivre de ses craintes. L’enfant naît ensuite. Il en conçoit une extrême joie; mais elle est aussitôt suivie d’une douleur étrange, lorsqu’il voit toute la ville troublée et un roi furieux résolu de perdre l’enfant. Peu de temps après, cette tristesse est encore tempérée par la joie que lui causent l’étoile et l’adoration des mages; mais elle est aussitôt changée en une nouvelle frayeur lorsqu’on lui dit : « qu’Hérode cherche l’enfant pour le perdre, » et que l’ange l’oblige à fuir pour le sauver.

Car Jésus-Christ devait agir alors d’une manière humaine. Le temps d’agir en Dieu n’était pas encore venu, S’il avait commencé de faire des miracles de si bonne heure, on n’aurait pas cru qu’il fût homme. C’est pourquoi il ne vient pas au monde tout d’un coup; mais il est conçu d’abord, il demeure neuf mois entiers dans le sein de Marie, il naît, il est nourri de lait, il se cache durant tant de temps et attend que par la succession des années il soit devenu homme, afin que cette conduite persuade à tout le monde la vérité de son incarnation. Mais pourquoi donc, direz-vous, parut-il d’abord quelques miracles? C’était à cause de sa mère, de Joseph, de Siméon qui était près de mourir, des pasteurs, des mages et des Juifs mêmes, puisque s’ils eussent voulu examiner avec soin tout ce qui se passait, ils en eussent retiré un grand avantage. Que si vous ne voyez rien dans les prophètes touchant les mages, ne vous en étonnez pas. Les prophètes ne devaient ni tout prédire, ni ne rien prédire absolument. Si tant de prodiges s’étaient opérés tout à coup sans être annoncés, ils eussent trop frappé les hommes, trop bouleversé leurs idées. D’un autre côté, s’ils avaient connu d’avance tout le détail des mystères, ils en eussent accueilli l’événement avec trop d’indifférence, et les évangélistes n’auraient plus rien eu de nouveau à dire.

« Joseph s’étant levé prit l’enfant et sa mère durant la nuit et se retira en Egypte (14), où il demeura jusqu’à la mort d’Hérode, afin que cette parole que le Seigneur avait dite par le Prophète fût accomplie : J’ai appelé mon fils de l’Egypte (14). » Si les Juifs doutent de cette prophétie et prétendent que cette parole: « J’ai appelé mon fils de l’Egypte» (Osée, XI, 1), doit s’entendre d’eux-mêmes, nous leur répondrons que la coutume des prophètes est de dire des choses qui ne s’accomplissent pas en ceux-là même dont ils les disent. Ainsi, lorsque l’Ecriture dit de Siméon et de Lévi : « Je les diviserai dans Jacob et je les disperserai dans Israël (Gen. XLIX, 7); » cette prophétie ne s’est pas accomplie dans ces deux patriarches, mais seulement dans leurs descendants. Ce que Noé dit de Chanaan ne s’est pas non plus accompli dans lui, mais dans les Gabaonites qui en sont sortis. La même chose se remarque encore dans le patriarche Jacob. Car cette bénédiction que son père lui donna: « Soyez le seigneur de vos frères, et que les enfants de votre père vous adorent (Gen. XXVII, 29),» ne s’est point certainement accomplie en lui, puisqu’au contraire Jacob eut tant de crainte et de frayeur de son frère Esaü, et que nous voyons dans l’Ecriture qu’il se prosterna plusieurs fois en terre pour l’adorer, mais cela s’est vérifié dans ses enfants.

On peut dire ici la même chose. Car, qui des deux est plus véritablement Fils de Dieu, de celui qui adore un veau d’or, qui se consacre au culte de Beelphégor et qui immole ses enfants au démon, ou de celui qui est le Fils de Dieu par sa nature, et qui rend un souverain honneur à son Père? C’est pourquoi si Jésus-Christ n’était venu, cette prophétie n’aurait point été assez dignement accomplie. Et remarquez que l’Evangéliste insinue ceci lorsqu’il dit « Afin que la parole du prophète fût accomplie, » montrant assez par là qu’elle ne l’eût point été si le Fils de Dieu ne fût venu.

4. C’est aussi ce qui relève extraordinairement la gloire de la Vierge, puisqu’elle possède seule par un titre tout particulier, un avantage dont le peuple juif se vantait si hautement en publiant que Dieu l’avait retiré de l’Egypte. Le Prophète marque ceci obscurément lorsqu’il dit : « N’ai-je pas fait venir les étrangers de Cappadoce, et les Assyriens de la fosse?» (Amos, IX, 7, selon les Sept.) C’est donc là, comme je viens de dire, l’avantage et le privilège particulier de la Vierge. On peut dire même que ce peuple, autrefois, et le patriarche (64) Jacob ne descendirent en Egypte et n’en revinrent que pour être la figure de ce qui arrive ici à Jésus-Christ. Ce peuple alla dans l’Egypte pour éviter la mort dont il était menacé par la famine; et Jésus-Christ y va pour éviter celle dont Hérode le menaçait. Ce peuple se délivra seulement de la famine, et Jésus-Christ entrant en Egypte sanctifia tout le pays par sa présence. Mais admirez, je vous prie, comment Jésus-Christ allie la bassesse de l’homme avec la grandeur d’un Dieu. Car l’ange dit à Joseph et à Marie : « Fuyez -en Egypte ; » mais il ne leur promet point de les accompagner once voyagé, ni dans leur retour; c’était leur donner à entendre qu’ils avaient un grand conducteur avec eux, savoir cet enfant qui change dès sa naissance tout l’ordre des choses et qui force ses plus grands ennemis de contribuer eux-mêmes à l’exécution de ses desseins. Car les mages, qui étaient barbares et idolâtres, quittent toutes leurs superstitions pour le venir adorer; et l’empereur Auguste sert par son édit à faire que Jésus-Christ naisse à Bethléem.

L’Egypte le reçoit dans sa fuite, et le sauve de son ennemi, et elle tire de sa présence comme une disposition à se convertir, afin qu’aussitôt qu’elle entendra les apôtres annoncer sa foi, elle se puisse vanter d’avoir été la première à le recevoir. Ce devait être là le privilège de la Judée, mais l’Egypte le lui a ravi par son zèle. Allez aujourd’hui dans les solitudes d’Egypte, vous y verrez un désert changé en un paradis, bien plus beau que tous les jardins du monde; des troupes innombrables d’anges revêtus d’un corps; des peuples entiers de martyrs; des assemblées de vierges; enfin toute la tyrannie du démon détruite, et le royaume de Jésus-Christ florissant de toutes parts.

Vous verrez cette Egypte, cette mère des poètes, des philosophes et des magiciens, qui se vantait d’avoir trouvé toutes sortes de superstitions, et de les avoir enseignées aux autres, se glorifier maintenant d’être la fidèle disciple des pêcheurs, renoncer à toute la science de ces faux sages; avoir toujours dans les mains les écrits d’un publicain et d’un faiseur de tentes, et mettre toute sa gloire dans la croix de Jésus-Christ, Ce sont les miracles que l’Egypte fait voir, non-seulement dans ses villes, mais plus encore dans ses déserts. On y voit de tous côtés les soldats de Jésus-Christ, une assemblée royale et auguste de solitaires et une image de la vie des anges.

Cette gloire n’est point particulière aux hommes, les femmes la partagent avec eux. Elles n’ont pas moins de force que les hommes, non pour monter à cheval, et pour savoir se bien servir des armes, comme l’ordonnent les plus graves d’entre les législateurs et les philosophes grecs, mais pour entreprendre une guerre bien plus rude et bien plus pénible, qui leur est commune avec les hommes. Car elles ont comme eux à combattre le démon même, et les puissances des ténèbres; sans que la faiblesse de leur sexe leur puisse interdire ces combats, parce qu’ils ne demandent point la force du corps, mais la bonne disposition de l’âme et du coeur. C’est pourquoi on a vu souvent dans cette sorte de guerre, les femmes témoigner plus de courage et de générosité que les hommes, et remporter de plus glorieuses victoires.

5. Le ciel n’éclate pas d’une aussi grande variété d’étoiles, que les déserts de l’Egypte ne brillent aujourd’hui par une infinité de monastères, et de maisons saintes. Celui qui se souviendra quelle était autrefois cette Egypte si rebelle à Dieu , si plongée dans la superstition; qui adorait jusqu’à des chats; et qui avait une frayeur respectueuse pour des poireaux et pour des oignons: comprendra en la comparant avec ce que nous y voyons maintenant, quelle est la force et la toute-puissance de Jésus-Christ. Nous n’avons pas même besoin de rappeler en notre mémoire les siècles passés, pour concevoir quel a été l’excès des superstitions de l’Egypte. il n’en reste encore aujourd’hui que trop de traces parmi ses habitants.

Cependant ceux mêmes qui se plongeaient autrefois dans des dérèglements si étranges, ne s’occupent maintenant que des choses du ciel, et de ce qui est au-dessus du ciel. Ils ont en horreur les coutumes impies de leurs pères. Ils ont compassion de leurs aïeux, et ils n’ont que du mépris pour tous leurs sages, et leurs philosophes. Car ils ont enfin reconnu par expérience, que les maximes de ces sages n'étaient que des imaginations de personnes ivres, ou des contes semblables à ceux que les vieilles femmes font aux enfants; mais que la sagesse véritable et digne du ciel était celle que des pêcheurs leur ont enseignée. (65)

C’est pourquoi ils joignent à l’amour extrême de la vérité, l’éclat d’une vie très réglée et très parfaite. Après s’être dépouillés de tout, et s’être crucifiés au monde, ils portent encore leur zèle plus loin; et ils travaillent de leurs propres mains, pour gagner de quoi soulager les pauvres. Ils ne prétendent point que, parce qu’ils jeûnent ou qu’ils veillent, ils doivent être oisifs durant le jour; mais ils emploient la nuit à chanter des hymnes et à veiller, et le jour à prier et à travailler des mains, imitant en cela le zèle du grand Apôtre. Car si lorsque toute la terre le regardait comme le prédicateur de la vérité, il a voulu néanmoins s’occuper comme un artisan, et travailler de ses mains, jusqu’à passer les nuits sans dormir pour gagner de quoi soulager les pauvres: combien plus, disent ces saints hommes, nous qui jouissons de la solitude, et qui n’avons rien de commun avec le tumulte des villes, devons-nous consacrer ce repos à quelque travail utile et spirituel?

Rougissons donc ici nous autres, et pauvres et riches, de ce que pendant que ces saints solitaires, qui n’ont rien que leurs corps et que leurs bras, se font violence pour trouver dans leur travail de quoi faire subsister les pauvres: nous au contraire qui avons tant de bien dans nos maisons, n’employons pas seulement notre superflu pour le soulagement des misérables. Comment excuserons-nous une si grande dureté? Comment pourrons-nous en obtenir le pardon?

Souvenez-vous combien ces Egyptiens autrefois étaient avares; combien ils étaient esclaves de l’intempérance de la bouche, et des autres vices. Il y avait là, comme dit l’Ecriture, « des marmites pleines de viande (Exod. XVI, 3),» que les juifs même regrettaient dans le désert. L’intempérance donc dominait dans l’Egypte. Et cependant lorsqu’ils l’ont voulu, ils se sont convertis et se sont changés, et étant embrasés du feu de Jésus-Christ, ils se sont aussitôt élevés au ciel. Après avoir été et plus colères et plus voluptueux que les autres peuples, ils imitent maintenant. les anges par leur tempérance, et par toutes leurs autres vertus.

Tous ceux qui ont été en ce pays, savent que ce que je dis est vrai. Mais si quelqu’un n’a pas eu le bonheur de voir ces saints monastères, qu’il considère le grand et le bienheureux Antoine, qui est encore maintenant l’admiration de toute la terre, et que l’Egypte a produit presque égal aux apôtres. Qu’il se souvienne que ce saint homme est né du même pays que Pharaon, sans que pour cela il en ait été moins saint. Il a même été digne que Dieu se soit montré à lui d’une manière toute particulière, et toute sa vie n’a été qu’une pratique très-exacte de ce que Jésus-Christ ordonne dans l’Evangile.

Ceux qui liront sa Vie reconnaîtront la vérité de ce que je dis, et ils y verront en beaucoup d’endroits qu’il a eu le don de prophétie. Car il a découvert et prédit les maux que l’hérésie arienne produirait dans l’Eglise, Dieu les lui révélant dès lors, et lui mettant tout l’avenir devant les yeux. Il est constant qu’outre toutes les autres preuves de la vérité de l’Eglise, celle-ci en est une bien claire, qu’on ne voit point parmi tous les hérétiques un seul homme qui soit semblable à celui-ci. Et afin que vous ne m’en croyiez pas seul, lisez le livre de sa Vie, où vous verrez toutes ses actions en détail, et où vous trouverez beaucoup de choses qui vous, porteront au comble de la vertu.

Méditons cette vie si sainte, et ayons soin en même temps de l’imiter, sans nous excuser jamais, ou sur le lieu où nous vivons; ou sur notre mauvaise éducation; ou sur le déréglement de nos pères. Car si nous veillons exactement sur nous-mêmes, nulle de ces choses ne nous pourra nuire. Abraham avait un père impie et idolâtre, et il ne fut pas- néanmoins l’héritier de son [impiété. Ezéchias était fils du détestable roi Achas, et cela ne l’empêcha pas de devenir l’ami de Dieu. Joseph au milieu même de l’Egypte, s’acquit la couronne d’une inviolable chasteté. Et ces trois jeunes hommes au milieu de Babylone, et au milieu de la cour, ne laissèrent pas parmi ces viandes délicieuses dont leur table était servie, de conserver un amour ferme et inébranlable pour la plus haute vertu. Ainsi Moïse vécut dans l’Egypte, et Paul dans tous les endroits de la terre, sans que leur vertu ait été moins parfaite pour avoir vécu parmi des méchants.

Représentons-nous ces exemples, mes frères, cessons d’alléguer ces vaines excuses; retranchons tous ces faux prétextes; embrassons généreusement tous les travaux nécessaires, pour nous établir dans une vie sainte. C’est ainsi que nous obligerons Dieu à nous aimer de plus en plus, que nous le porterons à nous soutenir (66) dans nos combats, et que nous recevrons enfin ces biens éternels que je vous souhaite, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus- Christ, à qui est la gloire et l’empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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