Matthieu 12,9-25
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Matthieu 2,11-16
Matthieu 2,16 - 23
Matthieu 3,1-7
Matthieu 3,7-12
Matthieu 3,13-17
Matthieu 4,1-12
Matthieu 4,12- 25
Matthieu 5,1- 17
Matthieu 5,17 -27
Matthieu 5, 21 - 58
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Matthieu 6,1- 16
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Matthieu 6,24-28
Matthieu 6,28-34
Matthieu 7,1-21
Matthieu 7,21-28
Matthieu 7,28 - 8,5
Matthieu 8,5-14
Matthieu 8,14-15
Matthieu 8,23-34
Matthieu 9,1-9
Matthieu 9,9-19
Matthieu 9,18-27
Matthieu 9,27-10,16
Matthieu 10,16-25
Matthieu 10,23 -34
Matthieu 10,34-42
Matthieu 11, 1-7
Matthieu 11, 7-25
Matthieu 11,1-9
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Matthieu 12,9-25
Matthieu 12,25-33
Matthieu 12,33-38
Matthieu 12,38-46
Matthieu 12,46 -13,10
Matthieu 13,10-24
Matthieu 13,24-34
Matthieu 13,34-53
Matthieu 14, 13-23
Matthieu 14,13-23
Matthieu 14,23 - 36
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Matthieu 16,13-24
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Matthieu 27,45-62
Matthieu 27,62- 28,11
Matthieu 28, 11-20

HOMÉLIE XL

« JÉSUS ÉTANT PARTI DE LA, VINT EN LEUR SYNAGOGUE. ET COMME IL S’Y TROUVA UN HOMME QUI AVAIT LA MAIN DESSÉCHÉE, ILS LUI DEMANDÈRENT S’IL ÉTAIT PERMIS DE GUÉRIR LE JOUR DU SABBAT, POUR AVOIR UN SUJET DE L’ACCUSER. » (CHAP. XII, 9,10, JUSQU’AU VERSET 25)

ANALYSE

1. Guérison de la main sèche.

2.3. Que l’envie est un très-grand mal.

4 et 5. Des remèdes propres à guérir l’envie . – Combien les honneurs sont funestes à ceux qui n’y prennent pas garde. – Qu’on devrait plutôt avoir de la compassion que de l’envie pour ceux qui sont dans les charges de l’Eglise. – Que leur réputation même est capable de les perdre.

1. Jésus-Christ guérit encore ici cet homme le jour du sabbat pour justifier davantage ses apôtres. Les antres évangélistes remarquent que Jésus-Christ ayant mis cet homme au milieu des Juifs, leur demanda s’il était permis de faire du bien au jour du sabbat.

N’admirez-vous point, mes frères, la bonté et la tendresse du Sauveur? Il met cet homme au milieu d’eux, afin de les toucher par la seule vue de sa misère, et que la compassion prenant la place de la malignité et de l’envie, ils rougissent de perdre la douceur naturelle à l’homme pour agir avec une brutalité barbare et inhumaine. Mais ces coeurs de pierre, que rien ne peut amollir et qui semblent avoir déclaré la guerre à l’humanité, trouvent bien (321) plus de délices à noircir la réputation du Sauveur, qu’à voir un miracle qui guérit cet homme. Ils montrent doublement leur malice, et par le dessein formé de contredire Jésus-Christ en tout, et par cette opiniâtreté si étrange avec laquelle ils s’opposaient à la guérison des autres.

Quelques évangélistes disent que ce fut Jésus-Christ qui interrogea les Juifs; mais le nôtre marque que ce fut au contraire les Juifs qui lui demandèrent : « S’il était permis de guérir le jour du sabbat, pour avoir un sujet de l’accuser. » Il est vraisemblable que les deux versions sont vraies l’une et l’autre. Comme ils étaient malicieux, et que d’ailleurs ils ne doutaient pas que Jésus-Christ ne guérît ce malade, ils voulaient le prévenir par cette question, pour empêcher ainsi ce miracle. Ils lui demandent donc « s’il est permis de guérir au jour du sabbat, » non pour s’instruire en effet, si cela était permis, mais pour avoir lieu de le calomnier ensuite. Pour leur donner lieu de l’accuser, il suffisait que Jésus-Christ fit ce miracle. Mais ils veulent encore que ses paroles leur donnent prise contre lui, pour multiplier autant qu’ils peuvent les moyens de lui nuire.

Cependant Jésus-Christ demeure dans sa douceur ordinaire. Il guérit ce malade et il leur répond pour faire retomber leurs piéges sur eux, pour nous apprendre la modération, et pour faire voir leur dureté inhumaine. Saint Luc remarque qu’il fit mettre cet homme « au milieu » des Juifs (Luc, VI, 8): non qu’il eût quelque crainte d’eux, mais pour les aider à rentrer en eux-mêmes et pour les toucher de compassion. Mais n’ayant pu fléchir leur dureté, il est dit dans saint Marc (Marc, III, 5), qu’il s’affligea en voyant l’aveuglement de leur coeur, et qu’il leur dit: « Quel est celui d’entre vous, qui ayant une brebis qui vienne à tomber dans une fosse le jour du sabbat, ne la prenne et ne l’en retire (11)? Et combien un homme ne vaut-il pas mieux qu’une brebis? Il est donc permis de faire du bien les jours du sabbat (12). » Pour leur ôter d’abord tout sujet de s’emporter contre lui avec insolence, et de l’accuser encore de violer la loi, il se sert de cette comparaison, et il nous donne lieu d’admirer combien il diversifiait selon les rencontres, les raisons dont il se défend de violer le sabbat.

Il est vrai que dans le miracle de l’aveugle-né (322), il ne se défendit point d’avoir fait de la boue un jour de sabbat, quoique les Juifs l’en accusassent, parce qu’un miracle si extraordinaire suffisait pour montrer qu’il est l’auteur et le maître de la loi. Lorsqu’il commanda au paralytique de porter son lit le jour du sabbat et que les Juifs l’en accusaient, il se défendit, tantôt en Dieu, tantôt en homme. Il parle en homme lorsqu’il dit: « Si un homme est circoncis le jour même du sabbat, afin que la loi ne soit point violée, » il ne dit pas, afin qu’un homme reçoive assistance, « pourquoi vous mettez-vous en colère contre moi, parce que j’ai guéri un homme dans tout son corps (Jean, V)? » Et il parle en Dieu lorsqu’il dit : « Mon Père agit depuis le commencement du monde jusqu’ici, et moi j’agis avec lui.» Lorsqu’il excuse ses disciples que l’on calomniait devant lui, il dit : « N’avez-vous point lu ce que fit David, quand il eut faim lui et ceux qui étaient avec lui; comment il entra dans la maison de Dieu, et y mangea les pains offerts? » Il les défend encore par la conduite ordinaire des prêtres qui faisaient beau. coup de choses le jour du sabbat sans commettre aucune faute.

Mais ici il leur demande: « S’il était permis, le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, » et il leur fait cette question : « Qui d’entre vous ayant une brebis, » et le reste; parce qu’il savait qu’ils étaient avares, et qu’ils craignaient plus la perte d’une brebis qu’ils ne désiraient le salut des hommes.

Saint Marc rapporte « que Jésus-Christ les regardait (Marc, III, 5), » en leur faisant cette question, afin que son regard pût encore aide; à les toucher de compassion. Mais tout cela ne put faire aucun effet sur leur endurcissement. Il guérit cet homme par sa seule parole, quoique souvent ailleurs il impose les mains sur les malades pour les guérir. Et cette circonstance rendait ce miracle encore plus grand. Mais rien ne pouvait adoucir les Juifs, le paralytique était guéri, et eux devenaient plus malades encore par là. Jésus-Christ avait tâché, et par ses paroles, et par ses raisons, et par ses actions de les faire revenir et de les gagner. Mais voyant que leur opiniâtreté était inflexible, il les quitte et il fait son oeuvre.

« Alors il dit à cet homme : Etendez votre main, et l’ayant étendue elle fut rendue saine comme l’autre (13). » Que font à cela les Juifs? Ils sortent d’avec Jésus-Christ, ils s’assemblent (323) et ils consultent entre eux pour lui dresser quelque piége.

2. « Mais les pharisiens étant sortis tinrent du conseil ensemble contre lui sur les moyens qu’ils pourraient prendre pour le perdre (14). » Il ne les avait blessés en rien, et ils voulaient le faire périr. Tant il est vrai que l’envie est cruelle et furieuse, et qu’elle n’épargne ni amis, ni ennemis. Saint Marc dit qu’ils se lièrent avec les hérodiens, pour voir ensemble comment ils perdraient Jésus-Christ. Mais que fait ici le Sauveur, cet agneau si doux et si paisible? Il se retire pour ne pas les aigrir davantage. « Mais Jésus, sachant leurs pensées, se retira de ce lieu (45). » Où sont maintenant ceux qui croient qu’il serait à souhaiter que Dieu fît aujourd’hui des miracles comme autrefois? Jésus-Christ fait bien voir par ce qui lui arriva alors, que les esprits rebelles ne se rendent point aux miracles même. Tout ce qui se passe dans cette guérison miraculeuse montre clairement que les Juifs avaient accusé injustement les apôtres.

Il est à remarquer que plus Jésus-Christ faisait du bien aux hommes, plus ses ennemis s’en aigrissaient. S’ils le voient ou guérir les corps, ou convertir les âmes, ils entrent en furie, et ils cherchent les moyens de l’accuser. Lorsque chez le pharisien il change miraculeusement la pécheresse, ils le condamnent. Lorsqu’il mange avec les publicains et les pécheurs, ils le calomnient. Et ils conspirent ici pour le perdre, après qu’il a guéri cette main desséchée. Mais considérez, je vous prie, comme Jésus-Christ continue de faire son oeuvre. Il guérit les malades comme auparavant, et il tâche en même temps d’adoucir et de guérir les esprits.

« Une grande foule de peuple l’ayant suivi, il les guérit tous, et il leur recommanda en des termes forts et pressants, de ne le point découvrir (16). » Le peuple partout suit et admire Jésus-Christ, et les pharisiens ne quittent point cette aversion qu’ils ont pour lui. Mais pour nous empêcher d’être surpris d’une animosité si opiniâtre, Jésus montre que cela même avait été prédit par le prophète. Car les prophéties ont été faites avec tant de lumière et d’exactitude, qu’elles n’ont rien omis, et qu’elles marquent en particulier les voyages même de Jésus-Christ, les changements de lieux, et le dessein dans lequel il les faisait, pour nous apprendre que c’est le Saint-Esprit qui a tout dicté. Car si les hommes, selon saint Paul, ne peuvent connaître les secrètes pensées des hommes, ils auraient bien moins pu pénétrer les pensées et les raisons de Jésus-Christ, sans une révélation particulière de l’Esprit de Dieu. Voyons donc ce que dit ce prophète:

« Afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie (17) : Voici mon Fils que j’ai élu, mon bien-aimé dans lequel mon âme a mis toute son affection. Je ferai reposer sur lui mon Esprit, et il annoncera la justice aux nations (8). » Le Prophète relève en même temps la douceur et la puissance de Jésus-Christ. Il ouvre aux gentils une porte large et spacieuse pour leur donner entrée dans la grâce du Sauveur, et il prédit aux Juifs les maux qui devaient leur arriver un jour. Il montre encore l’union parfaite de Jésus-Christ avec son Père. « Voici, » dit-il, « mon Fils que j’ai élu, mon bien-aimé dans « lequel mon âme a mis toute son affection. » Si le Père l’a élu pour son fils bien-aimé, ce n’est donc point pour le combattre qu’il se dispense de garder la loi. Jésus-Christ n’agit point en ennemi du législateur de l’ancienne loi. Ce qu’il fait, il le fait parce qu’il entre dans les desseins de son Père, et qu’il est parfaitement d’accord avec lui en toutes choses. Pour relever ensuite sa douceur, le Prophète dit : « Il ne disputera point ni ne criera point, et personne n’entendra sa voix dans les rues (19).» Il souhaitait d’être toujours au milieu d’eux pour les guérir, mais puisqu’ils ne l’ont pas voulu, it ne leur a point résisté. Il marque encore la toute-puissance du Sauveur et l’extrême faiblesse de ses ennemis lorsqu’il ajoute : « Il ne brisera point le roseau cassé (20); » pour montrer qu’il était aussi aisé à Jésus-Christ de terrasser tous les Juifs, que de « briser un roseau, » et un roseau déjà «cassé». Il n’achèvera point d’éteindre «la mèche de la lampe qui fume encore (20). » Le Prophète nous représente par ces paroles l’excès de la colère des Juifs et la toute-puissance du Sauveur, qui peut avec tant de facilité éteindre cette fureur et calmer ces violences. Que s’il ne l’a pas fait quelquefois, c’est ce qui marque la grandeur de son humilité et de sa douceur. Mais sa patience n’aura-t-elle point de fin, et souffrira-t-il éternellement cette malignité si cruelle et si envenimée de ses ennemis? Non certes ! mais quand il aura accompli ce qu’il a résolu, (323) il se rendra justice à lui-même. C’est ce que marquent ces paroles suivantes : « Jusqu’à ce qu’il rende victorieuse la justice de sa cause (20). » Saint Paul dit la même chose : « Nous avons en notre main le pouvoir de punir toute désobéissance, lorsque vous aurez satisfait à tout ce que l’obéissance demande de vous. » (I Cor. X, 7.) Que veulent dire ces paroles: « Jusqu’à ce qu’il rende victorieuse la justice de sa cause? » C’est-à-dire, jusqu’à ce qu’il ait accompli ce qui le regarde. C’est alors qu’il tirera une vengeance éternelle de ses ennemis, Ils souffriront alors des peines cruelles, lorsqu’il aura fait éclater « sa victoire », lorsqu’il aura fait voir « la justice de sa cause», et lorsque l’impudence de ses ennemis deviendra muette et sera couverte de confusion et de honte. Ce jugement ne se terminera pas seulement a punir les coupables, mais a attirer encore à lui toute la terre. « Et les nations espéreront en son nom (21). » Et pour marquer que cela se faisait ainsi par l'ordre et. par la disposition du Père, le Prophète commence d’abord par ces paroles : « Voici mon Fils que j’ai élu, mon bien-aimé dans lequel mon âme a mis toute son affection. » Car il est visible qu’un Fils qui est aimé de la sorte ne fait rien qu’avec le consentement de son père.

3. « Alors on lui présenta un possédé aveugle et muet, lequel il guérit, en sorte que cet homme qui était auparavant aveugle et muet commença à parler et à voir (22) » Combien est grande, mes frères, la malice du démon ! Il ferme les deux voies par lesquelles cet homme pouvait croire en Jésus-Christ, en lui ôtant la parole et la vue Mais Jésus-Christ lui rend l' une et l’autre « Et tout le peuple fut rempli d’admiration, et ils disaient : N'est-ce pas là le fils de David (23)? » Ce qu’entendant les pharisiens, ils dirent : « Cet homme ne chasse les démons que par la vertu de Béelzébub, prince des démons (24). » Quelle louange si extraordinaire ce peuple donnait-il à Jésus-Christ, et quel sujet les pharisiens avaient-ils de s’en scandaliser? Mais ils ne peuvent supporter ces louanges, et comme je l’ai déjà dit, les bienfaits que les hommes reçoivent de lui irritent ces pharisiens. Ce qui réjouit tous les autres est pour eux une affliction sensible, et là guérison certaine et indubitable des hommes leur perce le coeur. Il s’était retira de devant eux; il avait donné lieu à leur passion de s’apaiser; mais elle se renouvelle, aussitôt en voyant un homme guéri de nouveau. Ainsi leur fureur en cette rencontre a surpassé même celle du démon. Car nous voyons que le démon cède à la toute-puissance de Jésus-Christ, il s'enfuit du corps qu’il possédait, et il demeure dans le silence ; mais ceux-ci, après un si grand miracle de Jésus Christ, s’efforcent ou de. lui ôter la vie, ou de le perdre d’honneur. Et voyant qu’ils n’avaient pas assez de pouvoir pour le faire mourir, il tâchent au moins de noircir sa réputation par leurs calomnies.

Vous voyez, mes frères, par cet exemple, ce que c’est que l’envie, et ce que peut dans une âme, ce mal, qu’on peut appeler le plus grand des maux. L'adultère cherche une malheureuse satisfaction son crime, et il le commet en peu de temps; mais l’envieux se punit et se tourmente longtemps, lui-même avant que de tourmenter les autres: il est tellement possédé de sa passion, qu’elle ne lui donne point de trêve. Son. crime se commet et dure toujours.

Comme le pourceau trouve son plaisir dans la boue, et les démons dans notre perte : l’envieux du même trouve ses délices dans l'affliction de son frère. S’il lui voit arriver quelque mal, est alors qu'il respire et qu'il trouve du repos. Il se réjouit de ce qui afflige les autres Il compte leurs pertes au nombre de ses bonnes fortunes, et leurs avantages sont ses plus grandes disgrâces. Enfin il ne s’arrête pas tait a considérer le bonheur qui lui arrive que le malheur qui arrive aux autres.

Ne faudrait-il pas lapider ces sortes de gens? Ne faudrait-il pas leur arracher la vie par mille tortures, eux qui comme des chiens enragés aboient contre tout le monde, qui sont comme des démons visibles, et pires que ces furies que les fables ont invitées? Comme il y a des animaux qui ne se repaissent que d’ordures personnes aussi ne se nourrissent que de la misère des autres, et ils se déclarent ennemis communs de tous les hommes.

Nous avons souvent de la compassion pour les bêtes, même lorsqu'on les tue; mais vous cruel, lorsque vous voyez un homme guéri, vous devenez furieux comme une bête farouche, et vous en séchez d'envie. Peut-on trouver rien de plus détestable que cet excès? N'est-ce donc pas avec raison que les fornicateurs et les publicains ont trouvé accès au royaume (324) bienheureux de Dieu, et que les envieux en ont été éternellement bannis, quoiqu’ils en fussent les enfants et les héritiers légitimes? « Les enfants légitimes, » dit l’Evangile, « seront jetés dehors. » (Matth. VIII, 13.) Les uns en quittant leurs désordres, ont reçu de Dieu des biens qu’ils n’avaient pas espérés, et les autres par envie, ont perdu ceux qu’ils avaient déjà reçus. Et certes cette conduite de Dieu est bien juste. Car cette passion cruelle fait que l’envieux, d’homme qu’il était devient un démon. C’est l’envie qui a causé le premier homicide dans le monde. C’est elle qui a animé le frère contre le frère, et qui lui a fait oublier tous les sentiments de la nature. C’est l’envie qui a souillé la terre du sang de l’innocent Abel, et qui depuis a fait que cette même terre s’est ouverte pour dévorer tout vivants Coré, Dathan, Abiron, et tous ceux qui s’étaient joints à eux contre Moïse.

On me dira peut-être qu’il est aisé de par1er contre l’envie, mais qu’il serait bien plus utile de trouver des moyens de s’en défendre. Voyons donc comment nous pourrons nous préserver d’un mal si funeste. Nous devons considérer premièrement que comme il n’est pas permis aux adultères d’entrer dans l’assemblée des fidèles, il ne le doit pas être non plus aux envieux. Et j’ajoute encore que l’entrée de 1’Eglise devrait être plus interdite aux envieux qu’aux adultères même. Comme on croit que ce vice n’est rien, on se met souvent peu en peine de le combattre : mais lorsque nous en aurons compris la grandeur, il nous sera bien plus aisé de nous en défendre.

Si donc vous vous sentez prévenu de cette passion, pleurez et soupirez. Versez des ruisseaux de larmes devant Dieu, et appelez-le à votre secours. Soyez très-persuadé qu’en portant envie à un autre vous commettez un grand crime, et faites-en pénitence. Si vous entrez, dans ces sentiments, vous pourrez bientôt vous guérir d’une maladie si mortelle.

Vous me direz peut-être : qui ne sait que l’envie est un péché? Il est vrai que tout le monde le sait; mais qui est-ce qui en a autant d’horreur que de la fornication ou de l’adultère? quel est l’envieux qui prie Dieu avec larmes de le délivrer de ce crime? ou qui ait tâché de fléchir sa colère, et de se réconcilier avec lui? On ne voit personne qui ait cette idée de l’envie. L’homme le plus envieux du monde se croit en sûreté s’il jeûne un peu, et s’il fait quelque légère aumône. Il ne croit pas avoir fait un crime, lorsqu’il s’est abandonné à la plus furieuse et la plus criminelle de toutes les passions. Qui a rendu Caïn le meurtrier de son frère, et Esaü le persécuteur du sien ? qui a irrité Laban contre Jacob, et les enfants de Jacob contre leur frère Joseph? qui a suscité Coré, Dathan et Abiron contre Moïse? qui a fait murmurer encore contre lui Aaron son frère et Marie sa soeur? qui a rendu le démon même ce qu’il est, et lui a donné le nom de diable, c’est-à-dire de calomniateur ?

4. Considérez aussi que vous; vous nuisez beaucoup plus qu’à celui à qui vous portez envie, et que l’épée dont vous voulez le blesser vous perce vous-même. En effet, quel mal Caïn a-t-il fait à Abel? Il lui a procuré contre son intention le plus grand des biens, en le faisant passer plus tôt dans une vie très-heureuse, et il s’est enveloppé lui-même dans une infinité, de maux. En quoi Esaü a-t-il nui à Jacob? Son envie a-t-elle empêché qu’il ne se soit enrichi au lieu que cet envieux, en perdant l’héritage et la bénédiction de son père, a vécu et est mort malheureusement?

Quel mal a fait à Joseph l’envie de ses frères, qui les porta presque jusqu’à répandre son sang? Ne se sont-ils pas vus enfin dans la dernière extrémité, et près de périr par la famine, pendant que leur frère régnait, sur toute l’Egypte? Ainsi plus vous avez d’envie contre votre frère, plus vous lui procurez de bien. Dieu qui voit tout, prend en main la cause de l’innocent; et touche de l’injustice avec laquelle vous traitez, il se plaît à le relever lorsque vous cherchez à l’abaisser, et vous punit en même temps selon la grandeur de votre crime. Si Dieu a coutume de punir ceux qui se réjouissent du mal de leurs ennemis; s’il dit dans ses Ecritures: « Ne vous réjouissez pas de la chute de votre ennemi, de peur que Dieu ne le voie, et que cela ne lui plaise pas (Prov. XIV, 17) ; » combien punira-t-il davantage ceux qui, poussés par leur envie, veulent du niai à ceux qui ne leur en ont jamais fait?

Etouffons donc, mes frères, dans nous, ce monstre à plusieurs têtes. Car il y a plusieurs sortes d’envie. Si celui qui n’aime que celui qui l’aime, n’a rien de plus qu’un publicain, que deviendra celui qui hait une personne qui (325) ne l’a point offensé? Comment évitera-t-il l’enfer puisqu’il est pire que les païens mêmes? C’est, mes frères, ce qui me remplit de douleur. Nous devrions imiter les anges, ou plutôt le Seigneur et le Dieu des anges, et nous imitons le démon. Car je sais que dans l’Eglise même il y a beaucoup d’envieux, et encore plus entre nous autres qui en sommes les ministres, qu’entre les fidèles qui nous sont soumis. C’est pourquoi il est bon que nous nous parlions aussi à nous-mêmes.

Dites-moi donc, vous qui êtes ministre de l’Eglise : pourquoi portez-vous envie à cet homme? Est-ce parce que vous le voyez élevé en dignité et en honneur, et célèbre par son éloquence? Ne savez-vous pas que tous ces avantages sont souvent de véritables maux pour ceux qui ne veillent pas assez sur eux? qu’ils les rendent orgueilleux, vains, insolents et lâches? et qu’enfin ils disparaissent bientôt et perdent tout leur éclat? Car ce qu’il y a de plus déplorable dans ces faux biens, c’est que le plaisir qui en naît est court, et que les maux qu’ils causent sont éternels. Dites-moi donc en vérité, est-ce là le sujet de votre envie?

Mais il est puissant, dites-vous, auprès de l’évêque. Il conduit, il ordonne, il fait tout ce qui lui plaît. II peut faire du mal à tous ceux qui lui résistent. Il peut faire du bien à tous ceux qui le flattent. Enfin il a toute la puissance entre les mains. Les gens du monde pourraient parler de la sorte. On excuserait ces pensées dans des hommes charnels, et tout attachés à la terre. Mais un homme spirituel en est incapable. Car que lui pourrait faire celui que vous prétendez être si puissant? Le déposera-t-il de sa dignité? Quel mal en recevra-t-il? s’il mérite d’être déposé, ce sera son bien, puisque rien n’irrite Dieu davantage, que d’être dans les fonctions saintes et d’en être indigne. Que si c’est à tort qu’il le dépose, toute la honte de cette action retombe sur celui qui l’a faite, et non sur celui qui la souffre. Car celui à qui l’on fait une si grande injustice, et qui la souffre généreusement, en devient bien plus pur, et en acquiert une bien plus grande confiance auprès de Dieu.

Ne pensons donc point, mes frères, aux moyens d’avoir des dignités, des honneurs et des charges ecclésiastiques, mais aux moyens d’avoir de véritables vertus. Les dignités portent d’elles-mêmes à faire beaucoup de choses qui ne plaisent pas à Dieu. Il faut avoir une vertu grande et héroïque pour n’en user que selon les règles de son devoir. Un homme qui est sans charge se purifie et se perfectionne par l’humilité de son état même. Mais celui qui est dans une dignité, est semblable à un homme qui demeurerait avec une fille d’une rare beauté, et qui serait obligé de n’arrêter jamais les yeux sur elle. C’est ainsi que ceux qui sont puissants dans l’Eglise doivent craindre de se laisser éblouir par l’éclat de leur puissance.

Telle est la puissance; elle en pousse beaucoup à traiter injurieusement les autres; elles ont allumé la colère dans leur coeur; elles ont rompu le frein de leur langue, pour ouvrir leur bouche aux paroles insolentes et injurieuses, et enfin elles ont été à leur égard comme une tempête furieuse, qui rompt tous les mâts et les cordages d’un vaisseau, et qui le fait périr au milieu des flots. Croyez-vous donc un homme heureux, lorsqu’il est environné de tous ces périls, et son état vous paraît-il bien digne d’envie? Il faudrait, ce me semble, avoir perdu le sens pour en juger de la sorte. Que si ces périls secrets et invisibles ne vous touchent pas assez, représentez-vous encore combien ces personnes qui sont en charge sont exposées aux flatteries, aux jalousies et aux médisances. Appelez-vous donc cet état un état heureux et digne d’envie?

Mais tout le peuple, dites-vous, honore cet homme. De quoi lui sert cet honneur? Est-ce le peuple qui le jugera? Est-ce au peuple qu’il rendra compte de ses actions? N’est-ce pas Dieu qui lui redemandera un compte très-exact de toute sa vie? Ne tremblez-vous point pour lui, lorsque le peuple l’estime? Cet applaudissement et ces louanges, ne sont-ce pas comme- autant d’écueils et de rochers où il est en danger de se perdre? Plus les honneurs que le peuple lui rend sont grands, plus ils sont accompagnés de périls, de soins et d’inquiétudes. Celui qui dépend ainsi du peuple a bien de la peine à respirer un peu, et à demeurer ferme dans le même état. Quelque vertu que ces hommes aient d’ailleurs, il leur est très-difficile de se sauver, et d’entrer dans le royaume de Dieu.

Rien ne corrompt tant l’esprit et ne relâche tant les moeurs, que cet honneur qu’on reçoit du peuple qui rend les prélats timides, lâches, flatteurs et hypocrites. Pourquoi les pharisiens disaient-ils que Jésus-Christ était possédé du (326) démon, sinon par un désir ardent d’être estimés et d’être honorés du peuple? Et d’où vient au contraire que les autres Juifs jugeaient plus favorablement du Sauveur, sinon parce qu’ils n’étaient pas frappés de cette passion comme les pharisiens? Car rien ne rend un esprit si déraisonnable et si insensé que cette avidité de la gloire; et rien ne le rend si équitable, si solide et si ferme que le mépris de l’honneur. C’est pourquoi ce n’est pas sans sujet que je vous ai dit qu’il faut qu’un homme qui est en charge ait un esprit ferme et héroïque pour résister à tant de flots dont il est battu, et pour se sauver de la tempête ,qui l’attaque de toutes parts. Car quand un homme est possédé du désir de l’honneur, lorsque le vent de la gloire humaine lui est favorable, il est prêt à s’exposer à tout : et lorsqu’il lui est contraire, il s’abîme dans la tristesse. La gloire est pour un tel homme un paradis, et le déshonneur un enfer.

5. Est-ce donc là le sujet de votre envie, et n’en devriez-vous pas plutôt faire le sujet de votre compassion et de vos larmes? Lorsque vous croyez l’état de ces personnes digne d’envie, il me semble que vous êtes semblable à celui qui voyant un misérable lié, fouetté cruellement, ou déchiré par des bêtes farouches, regarderait avec envie sa douleur cuisante, et le sang qui lui coulerait de toutes parts. Car autant il y a d’hommes dans tout un peuple, autant ce ministre de l’Eglise a de liens qui l’environnent, et de maîtres auxquels il doit obéir. Ce qui est encore plus insupportable, c’est que chaque homme a ses pensées différentes, Ils attribuent tout le mal qui arrive à celui qui les conduit. Ils n’examinent rien à fond. Qu’une imputation imaginaire et sans fondement vienne à quelqu’un d’eux, elle passera pour une vérité constante dans l’esprit de tous les autres.

Quelle tempête est aussi pénible à souffrir que ces bizarreries du peuple ? Celui qui s’arrête à ces louanges populaires, est comme ces flots de la mer qui s’élèvent jusqu’au ciel, et s’abaissent ensuite jusqu’aux abîmes. il est toujours dans l’agitation, et jamais en paix. Avant que le jour de parler publiquement soit venu, il tremble de peur, et il appréhende le succès; et après que son discours est prononcé, ou il meurt de déplaisir et de tristesse, ou il entre dans une joie excessive qui est pire encore que son déplaisir. Car il est aisé de voir combien cette joie nuit à l’âme par les mauvais effets qu’elle y cause. Elle la rend légère et inconstante, sans solidité et volage.

Nous pouvons voir une preuve de cette vérité dans ces excellents hommes de l’Ancien Testament. Quand David a-t-il fait paraître plus de vertu? Est-ce lorsqu’il était dans le bonheur ou dans la joie, ou lorsqu’il était accablé de tristesse et de misère? Quand les Juifs servaient-ils Dieu avec plus de fidélité? Etait-ce lorsque l’extrémité de leurs maux les obligeait d’appeler Dieu à leur secours que la joie qu’ils ressentaient dans le désert les portait à adorer le veau d’or? C’est ce qui a fait dire à Salomon, qui savait parfaitement ce que c’était que la joie : « qu’il vaut mieux aller dans une maison de pleurs que dans celle où l’on rit (Eccl. VIl, 3); et que Jésus-Christ appelle heureux ceux qui pleurent, et ceux qui rient malheureux: « Malheur à vous qui riez, parce que vous pleurerez ! » Et c’est avec grande raison qu’il parle de la sorte, parce que l’âme devient plus molle et plus relâchée dans la joie; au lieu que dans la tristesse elle rentre en elle-même, elle devient plus sage et plus modérée, elle se dégage de ses passions, elle s’élève plus aisément vers Dieu, et elle trouve en soi-même plus de solidité et de force.

Pensons, mes frères, à ces vérités : fuyons la vaine gloire et le faux plaisir qu’on y trouve, afin de mériter cette gloire véritable qui ne passera jamais, que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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