Matthieu 9,27-10,16
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HOMÉLIE XXXII

« COMME JÉSUS SORTAIT DE CE LIEU, DEUX AVEUGLES LE SUIVIRENT, CRIANT APRES LUI ET DISANT : FILS DE DAVID, AYEZ PITIE DE NOUS. » (CHAP. IX, 27. JUSQU’AU VERSET 16 DU CHAP. X)

ANALYSE.

1. Qu’il faut fuir l’ostentation.

2. Il faut répondre aux calomnies, non par des calomnies, mais par des bienfaits.

3. Liste des noms des apôtres.

4. Les miracles, sans les bonnes oeuvres, ne servent de rien.

5. Les apôtres ont été plus remarquables par leurs vertus morales que par leur puissance de faire des miracles.

6. De la paix qui se donnait dans l’église pendant l’office divin. Malades guéris par l’onction faite avec l’huile de la lampe des églises.

7 et 8. De la sainteté de l’église et de la parole de Dieu. Avec quel respect on doit entendre les prédicateurs. Charité de saint Chrysostome pour son peuple. Qu’on ne doit pas désirer maintenant des miracles que de bien régler sa vie.

 

1. Pourquoi. Jésus-Christ tire-t-il ces aveugles du milieu du peuple d’où ils criaient, sinon pour nous apprendre encore avec quel soin nous devons fuir la gloire des hommes? Comme la maison était proche, il les y conduit pour les guérir plus en secret. Et ce désir d’être caché dans cette action paraît en ce qu’il défend à ces aveugles de ne parler de ce miracle à personne. Mais certes ces deux aveugles sont le sujet d’un grand reproche aux Juifs. Le seul bruit des miracles de Jésus-Christ les fait croire en Celui qu’ils ne pouvaient voir; et les Juifs, qui voyaient tous les jours de leurs propres yeux tant de miracles de Jésus-Christ, font le contraire de ces aveugles.

Jugez de l’ardeur de leur foi, et par les cris qu’ils poussent, et par la demande qu’ils font. Car ils ne s’approchèrent pas froidement de Jésus-Christ, mais en criant beaucoup, et demandant seulement miséricorde: « ayez pitié de nous. » Ils l’appelèrent « Fils de David, » parce que ce nom paraissait alors glorieux: et lorsque les prophètes mêmes voulaient parler d’un roi avec honneur, ils l’appelaient fils de David. « Et lorsqu’il fut entré dans la maison ces aveugles s’approchèrent de lui, et Jésus leur dit: Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez? Ils lui répondirent: « Oui, Seigneur (28). » Ainsi lorsque les aveugles venus avec lui sont arrivés dans la maison, .Jésus-Christ leur fait encore une seconde demande: «Croyez-vous, » leur dit-il, «que je puisse faire ce que vous me demandez? » Il s’étudiait partout à ne guérir que ceux qui l’en priaient, de peur qu’on ne crût qu’il cherchât sa gloire dans ces miracles, et qu’il les lit par vanité; outre qu’il voulait montrer encore que ces hommes étaient dignes de cette grâce, pour prévenir l’accusation de quelques impies qui eussent pu dire : s’il ne sauve et guérit les hommes que par miséricorde, pourquoi ne les sauve-t-il pas tous? Car la miséricorde que Dieu témoigne pour les hommes, a sans doute quelque rapport à la foi de ceux qu’il sauve.

Il avait encore une raison particulière pour exiger la foi de ces aveugles. Comme ils l’appelaient « Fils de David,» il voulait les élever plus haut, et leur faire avoir des sentiments plus dignes de lui. C’est pourquoi il leur dit: « Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez? » il ne dit pas : croyez-vous que je puisse par mes prières obtenir ce miracle de mon Père; mais « que je puisse, moi, faire ce que vous demandez? » Que répondent ces aveugles? « Oui, Seigneur. » Ils ne l’appellent plus de Fils de David; » mais élevant leur foi plus haut ils reconnaissent la souveraine puissance de Celui à qui ils parlent. (259)

« Alors il leur toucha les yeux en disant qu’il vous soit fait selon votre foi ! Et aussitôt leurs yeux furent ouverts (29). » Jésus-Christ alors étend sa main sur eux pour les guérir, et leur dit: « Qu’il vous soit fait selon votre foi. » Le Fils de Dieu fait trois choses par ces paroles. Il affermit la foi de ces aveugles, il montre que leur volonté avait eu aussi quelque part à leur guérison, et il tait voir que la manière dont il leur avait parlé, ne pouvait être suspecte de flatterie. Car il ne leur dit pas: que vos yeux soient ouverts; mais: « qu’il vous soit fait selon votre foi. » C’était ce qu’il observait presque envers tous ceux qu’il guérissait, voulant que tout le monde reconnût quelle était la foi de leur âme, avant que d’être témoin de la guérison de leur corps; pour rendre en même temps ceux qui étaient guéris encore plus fervents dans la foi, et les autres qui les voyaient plus disposés à la recevoir.

Ce fut ainsi qu’avant que de guérir le paralytique, il guérit son âme par ces paroles: « Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous « sont remis; » qu’ayant ressuscité la jeune fille, il demeura là, et commanda qu’on lui apportât à manger, afin qu’elle connût Celui qui l’avait ressuscitée; qu’il fit voir, dans la guérison du serviteur du centenier, que c’était la foi avec laquelle le centenier la lui avait demandée, qui avait tout fait; et qu’avant que de délivrer ses disciples de la tempête, il les délivra auparavant de leur manqué de foi. II fait donc encore ici la même chose. Quoiqu’il sût parfaitement le fond du cœur de ces deux aveugles, il les interroge néanmoins devant tout le monde, pour exciter les autres par leur exemple, et pour faire connaître leur vive foi, c’est-à-dire la cause secrète de leur guérison. Après les avoir guéris il leur défend aussitôt d’en rien dire à personne, et par un commandement qu’il accompagne de beaucoup de sévérité.

«  Jésus leur dit avec des paroles fortes et pressantes: Prenez bien garde que personne ne le sache (30). Mais eux s’en étant allés répandirent sa réputation dans tout ce pays-là (3l). » Ils ne purent donc se retenir, ils se firent prédicateurs et évangélistes, et malgré l’ordre formel qu’ils avaient reçu de tenir caché ce qui leur était arrivé, ils ne purent résister au désir de le répandra. Nous voyons dans l’Evangile que le Sauveur a dit à un autre malade qu’il guérit: «Allez et racontez la gloire de Dieu. » Mais cette parole, bien loin d’être contraire à ce que nous voyons ici, s’y accorde parfaitement. Jésus-Christ nous apprend d’une part à cacher toujours ce qui nous peut être avantageux, et à ne pas même souffrir que d’autres nous louent. Mais lorsque toute la gloire d’une action retourne à Dieu seul, non-seulement il ne nous empêche point mais il nous commande même de faire en sorte qu’on le loue.

« Et lorsqu’ils furent sortis, voici qu’on lui présenta un homme muet, possédé du démon (32). » L’infirmité de cet homme n’était point un effet de la nature, mais de la seule malice du démons C’est pourquoi il fallait qu’il fût amené à Jésus-Christ par d’autres, puisqu’étant muet il ne le pouvait prier par lui-même, ni- prier les autres de l’y mener, parce que son âme était liée par le démon aussi bien que sa langue. Jésus-Christ donc, sans exiger de lui la foi, le guérit aussitôt.

« Et le démon ayant été chassé, le muet parla, et tout le peuple en fut dans l’admiration, et ils disaient: on n’a jamais vu rien de semblable en Israël (33). » Ces paroles perçaient les pharisiens parce que le peuple témoignait publiquement préférer Jésus-Christ à tout, et l’estimer incomparablement plus que ceux qui non-seulement étaient dans la Judée, mais qui y furent jamais; non-seulement parce qu’il guérissait les malades, mais parce qu’il les guérissait en un moment, et avec une facilité admirable, quoique leurs maladies fussent inconnues et incurables à tout le reste des hommes. Mais pendant que le peuple est dans une disposition si raisonnable, les pharisiens entrent dans des sentiments bien différents; et ne se contentant pas de calomnier ces miracles de Jésus-Christ, ils ne rougissent point de se couper dans leurs propres paroles et de se combattre eux-mêmes. C’est ce qui arrive d’ordinaire à la méchanceté envieuse.

2. « Mais les pharisiens disaient au con traire : Il chasse les démons par le prince des  démons (34).» Y a-t-il rien de plus extravagant que cette pensée, comme Jésus-Christ le leur reproche ensuite? Il est impossible que le démon chasse le démon. Cet esprit de malice ne détruit pas ses propres desseins, mais il ne tend et ne travaille au contraire qu’à les affermir. D’ailleurs Jésus-Christ ne faisait pas seulement paraître sa puissance en chassant les démons; mais encore en guérissant les (260) lépreux, en ressuscitant les morts, en calmant la mer, en pardonnant les péchés; en prêchant le royaume du ciel, et en conduisant les hommes à Dieu son Père : merveilles d’autant plus impossibles au démon, que n’en ayant point le pouvoir il n’en a pas même la volonté.

Les démons détournent les hommes du culte de Dieu, et ils les portent à adorer les. idoles. ils les attachent à cette vie, et ils leur ôtent la foi de l’autre. De plus, si l’on offense le démon, il n’a garde de faire du bien au lieu de se venger, puisqu’il nuit même à ceux qui le servent le mieux, et qui l’honorent davantage. Mais Jésus-Christ se conduit d’une manière bien différente, puisqu’après ces médisances, ces outrages et ces blasphèmes; l’Evangile ne laisse pas d’ajouter : « Et Jésus allait de tous côtés dans les villes et dans les villages enseignant dans leurs synagogues, et prêchant l’évangile du royaume, et guérissant toutes sortes de maladies et de langueurs (35). » Bien loin de punir leur ingratitude, il ne veut pas même les en reprendre.

Il leur témoigne son extrême douceur, et en même temps il réfute leurs calomnies. Car il veut les convaincre d’abord de la fausseté de leurs accusations par une grande multitude de miracles, et les confondre ensuite par ses paroles et par ses raisons. Après donc avoir été ainsi outragé, il ne laisse pas d’aller dans les villes, dans les villages et dans les synagogues des Juifs, pour nous apprendre à riposter à nos calomniateurs, non en leur répondant injure pour injure, mais en redoublant notre affection envers eux. Car si vous ne regardez que Dieu et non pas les hommes, dans la charité que vous leur faites, vous ne cesserez jamais de leur faire du bien, quelque ingrats qu’ils puissent être envers vous, sachant que leur ingratitude augmentera votre récompense.

Celui qui se lasse de faire la charité, parce qu’on médit de lui, et qu’on le décrie, témoigne assez qu’il a été plutôt charitable pour être loué des hommes que pour plaire à Dieu. Jésus-Christ au contraire nous voulant apprendre qu’il ne suivait dans ces guérisons que le mouvement de sa bonté n’attend pas, même après toutes ces médisances, que les malades le viennent trouver. Il va les trouver jusque dans leur pays et dans leurs villes, Il leur fait deux grâces très-considérables en même temps: l’une qu’il leur prêche l’Evangile, et l’autre qu’il les guérit de toutes leurs maladies. Il ne passait aucune ville, il ne négligeait aucun village, mais il allait indifféremment en toutes sortes de lieux. Il n’arrêtait pas encore là l’excès et la tendresse de sa charité.

« Car voyant la multitude du peuple, ses entrailles furent émues de compassion, parce qu’ils étaient languissants et dispersés çà et là, comme des brebis qui n’ont point de pasteur (36). » Considérez encore ici, mes frères, combien Jésus-Christ est éloigné de la vaine gloire. Pour ne pas attirer à lui tout le monde, il aime mieux envoyer ses disciples. Il veut que d’abord la Judée soit comme le lieu où ils s’exercent, pour les rendre ensuite capables de combattre et de lui assujétir toute la terre. Il les met d’abord dans des épreuves assez fortes, si l’on considère que leur vertu était encore bien faible, afin que s’étant fortifiés de plus en plus ils puissent entreprendre une guerre plus pénible. C’est un aigle qui tire du nid ses aiglons pour leur apprendre à voler.

Il leur donne d’abord de pouvoir de guérir les corps pour les rendre ensuite les médecins et les conducteurs des âmes.

Et remarquez comment il leur fait voir en même temps la nécessité et la facilité de ce qu’il leur ordonne. « La moisson est grande, » dit-il, « et il y a peu d’ouvriers. » Je ne vous envoie pas pour semer, mais pour recueillir une moisson toute préparée. C’est ce qu’il dit dans saint Jean : « Les autres ont travaillé et u vous êtes entrés dans leurs travaux. » (Jean, IV, 59.) Il leur parlait de la sorte pour les empêcher de s’enorgueillir et pour leur donner en même temps de la confiance en leur faisant voir que le plus grand travail était déjà fait.

Il est remarquable encore que ce qu’il fait en cette rencontre n’est point l’ouvrage d’une justice qui rende ce qui est dû, mais d’une miséricorde toute pure et toute gratuite.

« Voyant la multitude du peuple, ses entrailles furent émues de compassion, parce qu’ils « étaient languissants et dispersés çà et là comme des brebis qui n’ont point de pasteur. » Ces paroles sans doute retombent comme une accusation grave sur la tête des Juifs, puisqu’au lieu d’être les pasteurs des peuples ils en étaient devenus les loups. Car non-seulement ils ne les redressaient point de (261) leurs égarements, mais ils s’opposaient même au progrès qu’ils auraient pu faire dans la vertu. Aussi nous voyons que lorsque le peuple, ravi des miracles de Jésus-Christ, publie hautement « qu’on n’a jamais rien vu de semblable dans Israël,» les pharisiens crient au contraire : « Il chasse les démons par le prince des démons. »

3. « Alors il dit à ses disciples : Il est vrai que la moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers (37). Priez donc le maître de la moisson qu’il fasse aller les ouvriers à sa moisson (38). » Qui sont « ces ouvriers » dont Jésus-Christ parle en ce lieu, sinon ses douze disciples? il dit « qu’ils sont peu, et néanmoins il n’y en ajoute point d’autres, et il les envoie sans en accroître le nombre. Pourquoi dit-il donc : « Priez le maître de la moisson qu’il fasse aller les ouvriers dans sa moisson, » puisqu’il n’y en ajoute pas un seul lui-même? C’est parce que, bien qu’ils ne fussent que douze, il sut les multiplier, non pas en augmentant leur nombre, mais en leur communiquant sa puissance et sa grâce. « Priez, » dit-il, «le maître de la moisson. » Il leur apprend par ces paroles quelle est la grandeur du don qu’il leur doit faire, et il marque aussi obscurément qu’il est lui-même « le maître de cette moisson. » Puisqu’aussitôt qu’il leur a donné cet avis, sans qu’ils eussent prié personne, il les fait apôtres et les envoie prêcher, les faisant souvenir en même temps de ces paroles de saint Jean, de «l’aire», du « van », de « la paille », et du « bon grain. » Ce qui montre clairement que c’est lui qui est le véritable laboureur, et qu’il est le maître de la moisson et des prophètes qui l’ont semée. Car en voyant ses apôtres recueillir la moisson, il est hors de doute qu’il ne les envoie pas recueillir la moisson d’un autre, mais celle qui était à lui, comme l’ayant lui-même semée par la prédication des prophètes. Mais il n’encourage pas seulement ses disciples, en leur représentant que leur travail est une moisson, mais en leur rendant encore ce travail facile.

« Jésus ayant appelé ses douze disciples, leur donna puissance sur les esprits impurs pour les chasser et pour guérir toutes sortes de maladies et de langueurs (X, 1.) » Cependant le Saint-Esprit n’avait pas encore été donné; saint Jean le dit clairement : « Le Saint-Esprit n’était pas encore donné, parce que Jésus n’était pas encore glorifié. » (Jean, VII, 39.) Comment donc les apôtres pouvaient-ils chasser les démons, sinon par la puissance de Jésus-Christ, et par la vertu de la mission qu’il leur avait donnée? Considérez aussi, mes frères, comme il ne les envoie que lorsqu’il est temps. Il ne les envoie point d’abord lorsqu’ils ne commençaient que de le suivre, mais après qu’ils ont été longtemps en sa compagnie, après, qu’ils l’ont vu ressusciter les morts, chasser les démons, commander à la mer, guérir les paralytiques et les lépreux, remettre les péchés; enfin après les avoir suffisamment convaincus de sa toute-puissance par ses actions et par ses paroles, il leur dit alors: « Allez, je vous envoie. » Il ne les expose pas d’abord à de grands périls, puisqu’il n’y avait encore rien à craindre pour eux dans la Palestine, et qu’ils n’avaient qu’à se fortifier contre les injures et les médisances. Cependant il leur prédit de grands maux pour l’avenir, et il leur en parle sans cesse, afin qu’ils s’y préparent de bonne heure, et qu’ils soient plus fermes et plus courageux dans le péril.

Mais comme l’évangéliste ,n’avait encore parlé que de quatre apôtres, saint Pierre, saint André, saint Jacques, et saint Jean, et de saint Matthieu ensuite, sans avoir rien dit ni de la vocation, ni du nom même des autres, il rapporte ici leurs noms et leurs nombres.

« Voici les noms des douze apôtres. Le premier, Simon, qui est appelé Pierre, et André son frère (2). » Il marque avec soin les noms et le pays des apôtres, parce qu’il y en avait deux qui s’appelaient Simon; l’un Simon Pierre, et l’autre Simon le Chananéen; comme il y en avait deux appelés Judas, dont l’un était le traître, et l’autre le frère de Jacques; comme il y en avait aussi deux nommés Jacques, l’un qui était fils d’Alphée, et l’autre, de Zébédée. Saint Marc en les nommant observe le rang et la dignité. Car après avoir nommé les deux chefs, il nomme en troisième lieu saint André. Mais notre évangéliste nomine saint Thomas avant de se nommer lui-même, quoique saint Thomas lui fût de beaucoup inférieur.

Mais voyons cette liste jusqu’au bout. « Le premier est Simon, qui est appelé Pierre, et André, son frère. » Ce n’est pas là un petit éloge de saint Pierre, de le placer le premier à cause de sa vertu, et de lui joindre André, (262) son frère, à cause du rapport de vertu et de moeurs qui était entre eux. « Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère; Philippe et Barthelemi; Thomas et Matthieu le Publicain; Jacques , fils d’Alphée; et Lebbée, surnommé Thaddée (3). » Il est visible que l’évangéliste ne prend pas garde au rang et à la dignité, puisqu’il me semble que saint Jean était plus grand non-seulement que les autres, mais encore que son frère même. De même, après avoir nommé « Philippe et Barthelemi, » il parle de « Thomas et de Matthieu le Publicain. » Mais au lieu que saint Matthieu met saint Thomas avant lui, saint Luc met saint Matthieu avant saint Thomas. Il appelle « Jacques, fils d’Alphée, » parce qu’il y avait, comme j’ai déjà marqué, un autre Jacques, fils de Zébédée, après lequel il émet «Lebbée, surnommé Thaddée; Simon le Chananéen, et Judas Iscariote, celui qui le trahit. »

Il met Judas le dernier de tous, et il en parle non comme un ennemi et avec passion, mais comme un historien fidèle qui dit les choses dans leur ordre. Il ne dit point, le méchant, le détestable Judas, mais il l’appelle seulement comme les autres, du nom de la ville d’où il était, « Judas Iscariote, » parce qu’il y avait un autre Judas, Judas Lebbée, surnommé Thaddée, que saint Luc dit être fils de Jacques. « Judas Iscariote, celui qui le trahit. » Il ne rougit point de rapporter cette parole : « Qui fut celui qui le trahit, » parce qu’il a soin de ne rien cacher de ce qui paraît mêlé de honte. Ainsi on voit assez, par son Evangile, que saint Pierre, le premier de tous, était un homme du peuple sans lettres et sans science. Mais voyons où Jésus-Christ envoie ses disciples, et vers qui il les envoie.

« Jésus envoya ces douze après leur avoir s donné ces instructions et leur avoir dit (5) : Quels sont ces douze? » Ce sont des pêcheurs et des publicains, puisqu’il y en avait parmi eux quatre qui étaient pêcheurs et deux qui étaient publicains, saint Matthieu et saint Jacques. Et l’un de ces douze encore devait être le traître de Celui qui l’envoyait. Mais voyons quels sont les ordres et les instructions que Jésus-Christ leur donne.

« N’allez point vers les Gentils, et n’entrez point dans les villes des samaritains (6). Mais allez plutôt aux tribus de la maison d’Israël qui sont perdues (6). » Ne croyez pas, leur dit-il, que j’aie quelque aversion pour les Juifs qui m’outragent et m’appellent démoniaque. Ce sont au contraire les premiers que je tâche de convertir, et je vous défends d’aller prêcher à d’autres qu’à eux, parce que je veux que vous soyez leurs maîtres et leurs médecins. Non-seulement je vous défends de prêcher aux autres avant eux, mais je ne vous permets pas de faire un pas dans la voie qui conduit aux autres peuples, ni d’entrer dans une seule de leurs villes, pas même dans celles des samaritains qui étaient toujours opposés aux Juifs.

4. Et quoique ce peuple fût beaucoup plus aisé à convertir que les Juifs, et qu’il fût plus susceptible de la foi, Jésus envoie néanmoins ses apôtres plutôt aux Juifs qu’à ceux-ci, pour faire mieux voir le zèle et le soin qu’il avait de leur salut, Son dessein était de fermer ainsi la bouche aux Juifs, de les disposer à la prédication des apôtres, de prévenir les calomnies qu’ils publiaient contre eux de ce qu’ils iraient prêcher aux incirconcis, et d’empêcher que la haine qu’ils devaient leur porter un jour ne parût avoir quelque fondement. Il les appelle des «brebis perdues. » Il ne dit point qu’elles se soient volontairement égarées. Il leur témoigne partout qu’il est prêt à leur pardonner, et il tâche toujours de les attirer à lui.

« Et dans les lieux où vous irez, prêchez en disant: le royaume des cieux est proche (7).» Admirez ici la grandeur des apôtres et. la dignité de leur ministère! Jésus-Christ ne leur commande point de prêcher rien de sensible, ou de semblable à ce que Moïse et les prophètes avaient annoncé avant eux. Ils proposent des choses nouvelles et inouïes jusqu’alors. Les prophètes ne promettaient que la terre et les biens terrestres; mais les apôtres annonçaient le royaume du ciel, et promettaient des biens éternels.

Ce n’est pas néanmoins cette seule excellence des promesses de l’Evangile qui rend les apôtres supérieurs aux prophètes, mais encore cette obéissance si prompte qu’ils témoignent à Jésus-Christ. Ils ne s’excusent point, ils ne résistent point comme quelques-uns des prophètes. De quelques périls, de quelques maux, de quelques combats qu’on les menace, ils ne laissent pas d’embrasser avec une parfaite soumission tout ce qu’on leur commande, comme de véritables prédicateurs d’un royaume céleste et divin.

Et quoi d’étonnant, direz-vous, si , n’ayant rien à publier de pénible et de fâcheux, ils (263) obéissent sans difficulté? —. Que dites-vous? est-ce qu’ils n’avaient à exécuter aucune mission difficile? est-ce que vous n’entendez pas parler de prisons, de supplices, de guerres civiles, de haine universelle et de tant d’autres maux qui les attendent? Il les rend pour les autres des sources de biens et de grâces, mais il ne leur promet à eux-mêmes que des afflictions et des maux. Pour les rendre ensuite dignes de toute créance il leur dit.: « Guérissez les infirmes, purifiez les lépreux, ressuscitez les morts, chassez les démons. Vous «avez reçu ces dons gratuitement, dispensez-les gratuitement (8). »

Considérez, mes frères, comme Jésus-Christ a souci des moeurs non moins que des miracles, et comme il montre que les miracles même ne sont rien sans la bonne vie : « Vous « avez, » dit-il, « reçu ces dons gratuitement, dispensez-les gratuitement. » Il les détourne par ces paroles de deux grandes passions premièrement de l’avarice, puisqu’il est bien juste qu’ils dispensent ses dons aussi gratuitement qu’ils les ont reçus. Secondement de l’orgueil, afin qu’ils ne s’imaginent pas que les miracles que Dieu fait par eux, soient leur propre ouvrage et qu’ils ne s’en glorifient pas: « Vous les avez reçus gratuitement, » leur dit-il : vous ne donnez rien du vôtre à ceux qui les reçoivent ; et ces effets miraculeux ne sont point la récompense de vos travaux, Ma grâce est à moi. Vous l’avez reçue de moi gratuitement , dispensez-la aux autres gratuitement. N’attendez point de prix de ce qui n’a point de prix. Et, pour arracher d’abord la racine de tous les maux, il dit: « Ne possédez ni or, ni argent, ni aucune monnaie dans vos ceintures (9). Ne préparez, pour le chemin, ni sac, ni deux habits, ni souliers, ni bâton (10). » Il ne leur dit pas seulement : Ne prenez point d’or avec vous; mais quand on vous en offrirait, rejetez-le, fuyez la maladie si dangereuse de l’avarice. Jésus - Christ remédie par ce seul précepte à beaucoup de maux. Il empêche premièrement que l’on ne puisse soupçonner ses apôtres d’avarice. Secondement , il les dégage de toute sorte de soins, afin qu’ils soient plus libres pour la prédication de l’Evangile. En troisième lieu, il leur montre sa souveraine puissance, ainsi qu’il leur fait remarquer ensuite:

« Quand je vous ai envoyés sans habits et sans . souliers, avez-vous manqué de quelque chose? » Il ne leur dit pas tout d’abord: « N’ayez ni or ni argent.» Il leur donne premièrement le pouvoir de guérir les lépreux et de chasser les démons, et il leur dit ensuite : «Ne possédez rien. Vous avez reçu ces dons gratuitement, donnez-les aussi gratuitement, » se réservant de leur faire connaître par leur propre expérience qu’il ne leur donnait que des ordres très-saints en soi, très-utiles pour eux-mêmes et très-faciles à exécuter.

Vous me direz peut-être que toutes ces ordonnances sont très-justes, mais que vous ne pouvez comprendre pourquoi il leur défend d’avoir « une bourse, deux habits, des souliers, » et de porter même « un bâton. » Je vous réponds que c’était pour exercer les disciples dans la pauvreté la plus exacte. C’est ainsi que nous avons déjà vu qu’il leur a défendu de se mettre en peine du lendemain. Comme il les envoyait pour être les docteurs des nations, il en fait en quelque sorte des anges en les détachant de tous les soins de cette vie, pour les attacher uniquement à leur ministère. Il ne veut pas même qu’ils se mettent en peine sur ce point: « Ne vous mettez point en peine, » leur dit-il, « comment vous leur parlerez. » Ainsi il leur rend très-aisé ce qui paraissait le plus pénible. Car rien ne donne tant de joie à l’âme que cette absence de tout soin, lors principalement que sans nous mettre aucunement en peine, nous sommes assurés de ne manquer jamais de rien, Dieu pourvoyant à tous nos besoins et nous tenant seul lieu de toutes choses.

5. Mais parce que ses disciples auraient pu dire en eux-mêmes: D’où aurons-nous donc ce qui nous est nécessaire pour la vie? il prévient cette pensée et il ne leur propose plus ce qu’il avait dit ailleurs : « Considérez les oiseaux du ciel. » Ils n’étaient pas encore en état de pratiquer ce conseil; mais il les fortifie contre cette appréhension, par une considération moins haute : e Celui qui travaille mérite qu’on le nourrisse (10). » Il montre par là que ceux qu’ils instruiraient les devaient nourrir,- afin-que d’une part les maîtres ne s’élevassent point au-dessus de leurs disciples, comme leur donnant tout et ne recevant rien d’eux, et que les disciples de l’autre n’eussent point la douleur de voir que- ceux qui les instruisaient ne voulussent point souffrir qu’ils leur rendissent aucune assistance. Ensuite, pour que les apôtres ne disent pas qu’il les (264) oblige donc à mendier pour vivre, il leur fait comprendre que ce qu’ils recevront sera moins un don qu’une dette; il leur fait comprendre cela par cette qualité « d’ouvriers » qu’il leur donne et en appelant salaire ce qui leur sera offert. Car encore que tout ce que vous faites, leur dit-il, ne consiste qu’à parler et à instruire; néanmoins votre ministère sera très-avantageux aux peuples et à vous très-laborieux; et ainsi ce que vous en recevrez sera moins une grâce qu’une récompense très-juste et très-légitime : « Car celui qui travaille mérite qu’on le récompense. » Ce qu’il ne dit pas pour nous faire croire que les travaux des ses apôtres fussent dignement payés de ce prix ; Dieu nous garde de cette pensée; mais pour persuader à ces docteurs des peuples de ne rien exiger de plus et pour apprendre aux disciples que, lorsqu’ils assistent ceux qui les instruisent, ils ne font pas un acte de libéralité, mais qu’ils s’acquittent d’une dette.

« En quelque ville, ou en quelque village que vous entriez, informez-vous du plus digne, et demeurez chez lui jusqu’à ce que « vous vous en alliez (11).» Ne croyez pas, leur dit-il, que par ces paroles: «Un ouvrier mérite qu’on le nourrisse, » j’aie prétendu vous ouvrir les maisons de tout le monde. Je veux qu’en ce point vous ayez beaucoup de réserve, puisque cette réserve même vous fera plus respecter et portera les hommes à contribuer à votre subsistance avec plus de joie. Si vous ne vous retirez que chez des personnes qui le méritent, ils vous donneront sans doute tous vos besoins, principalement lorsque vous ne leur demanderez que le nécessaire. Et il ne se contente pas de commander à ses apôtres de n’aller que chez des personnes qui en soient digues, il leur défend même de passer de maison en maison, pour ne point faire de peine à celui qui les aurait reçus d’abord et pour empêcher qu’ils ne passassent pour légers et amis de la bonne chère. C’est ce qu’il veut faire entendre par ces mots : « Demeurez-là jusqu’à ce que vous vous en alliez.» Et ce point est aussi mis en lumière par les autres évangélistes. (Marc. VI; Luc. X.)

Vous voyez donc combien Jésus-Christ recommande d’une part la gravité à ses apôtres; et de l’autre l’empressement à ceux qui , les reçoivent, leur représentant que ce sont eux qui reçoivent dans ces visites tout l’honneur et tout l’avantage. Et pour confirmer davantage ce qu’il venait de dire, il ajoute: « Entrant dans la maison saluez-la en disant: la paix soit à cette maison (12)! Que si cette maison en est digne, votre paix viendra sur elle; et si elle n’en est pas digne, votre paix retournera à vous.(13). » Considérez, mes frères , jusqu’à quelles particularités Jésus-Christ veut bien descendre. Et c’est avec raison. Car puisqu’il formait les athlètes de la piété et les prédicateurs de l’univers, il convenait d’en faire des hommes que leur modération ferait rechercher et aimer de tout le monde.

« Lorsque quelqu’un ne voudra point vous recevoir ni écouter vos paroles, en sortant de cette maison ou de cette ville, secouez la poussière de vos pieds (14). Je vous dis en vérité qu’au jour du jugement Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement que cette ville (15). » Ne prétendez point, parce que vous êtes les maîtres dont la mission est d’enseigner le monde, que les hommes vous doivent saluer les premiers, mais prévenez-les vous-mêmes en les saluant. Et montrant ensuite que cette salutation ne doit point être seulement une civilité humaine et stérile, mais une source de bénédictions: « Si cette maison en est digne, » dit-il, « votre paix viendra sur elle. » Que si elle vous traite indignement, sa première punition sera de ne point jouir de votre paix, et la seconde sera d’être traitée avec plus de rigueur que n’ont été Sodome et Gomorrhe.

Mais comme si ses apôtres lui disaient: de quoi nous servira à nous ce terrible châtiment? Vous aurez, leur répond-il, pour vous recevoir les maisons de ceux qui en seront dignes. Et que signifie ceci: Secouez la poussière de vos pieds? C’est ou pour signifier qu’ils n’ont rien à eux, pas même la poussière de la terre ; ou pour témoigner de la longueur du chemin parcouru pour ces ingrats qui les repoussent. Remarquez ici que le Fils de Dieu ne donne pas tout ce qu’il pouvait donner à ses apôtres, puisqu’il ne leur donne pas l’esprit de discernement et de prévoyance, pour distinguer ceux qui seraient dignes de les recevoir d’avec ceux qui ne le seraient pas. Il veut qu’ils en fassent l’essai eux-mêmes, et qu’ils s’exposent à cette épreuve. Pourquoi donc Jésus-Christ logea-t-il lui-même chez un publicain ? parce que le changement de vie de ce publicain le rendit digne de cette visite. (265)

Mais qui n’admirera en ce point la conduite du Sauveur? Il dépouille ses disciples de tout, et en même temps il leur donne tout, leur permettant d’entrer et de demeurer dans la maison de ceux qu’ils auraient instruits. Ainsi par ce seul précepte du Fils de Dieu, les apôtres se trouvaient délivrés de tous les embarras de la terre, et ils faisaient voir clairement à ceux qui les recevaient, que ce n’était que pour leur salut qu’ils les venaient visiter, puisqu’ils ne portaient point d’argent avec eux, et qu’ils ne voulaient rien d’eux que le nécessaire, et qu’ils n’entraient pas indifféremment chez toutes sortes de personnes, mais avec réserve et avec choix. Jésus-Christ ne voulait pas que ses disciples se signalassent seulement par les miracles. Il leur commandait de se rendre encore plus illustres par leurs vertus que par ces prodiges. Car il n’y a point de caractère et de marque plus propre d’une vertu vraiment chrétienne que d’aimer à n’avoir rien de superflu, et de se passer de tout ce qui n’est pas absolument nécessaire. Les faux apôtres même savaient et pratiquaient cette vérité, et saint Paul, en faisant voir son désintéressement, disait d’eux: « Afin qu’en cela même dont ils « se glorifient tant, ils soient trouvés semblables à nous. » (I Cor. II, 12.) Que si ceux même qui vont dans des pays étrangers et chez des inconnus, n’en doivent rien rechercher que la nourriture de chaque jour, combien sont plus obligés à cela ceux qui demeurent toujours chez eux?

6. Ecoutons ceci, mes frères; mais écoutons-le pour le pratiquer. Jésus-Christ n’a pas dit ces paroles seulement pour ses apôtres. Il les a dites pour tous ceux qui voudraient se sanctifier dans la suite de tous les siècles. Rendons-nous donc dignes nous autres de recevoir chez nous de si divins hôtes, puisque c’est par la disposition intérieure de ceux qui les reçoivent, que cette paix ou descend sur eux, ou se retire d’eux. Elle ne dépend pas seulement de la vertu des prédicateurs qui la donnent, mais encore de la sainteté des disciples qui la reçoivent. Que personne ne regarde comme une perte légère la privation de cette paix. Le Prophète l’avait prédite autrefois en disant: « Que les pieds de ceux qui annoncent la paix sont beaux ! » (Nahum, I, 15.) Et pour en marquer davantage l’excellence, il ajoute: « de « ceux qui annoncent les biens. » Jésus-Christ montre assez quelle elle est, lorsqu’il dit: « Je vous laisse la paix: je vous donne ma paix. m (Jean, XIV, 13.)

Il faut, mes frères, faire toutes choses pour jouir d’une paix si précieuse, et dans vos maisons, et dans nos églises. Car celui qui préside ici et qui tient la première place dans l’église, donne comme vous savez la paix à tout le peuple; et cette paix est la figure de celle que Jésus-Christ a donnée à ses apôtres. C’est pourquoi il faut la recevoir de tout son coeur avant que de se présenter à la sainte table. Si c’est un si grand mal de ne point participer à cette table, quel mal serait-ce de chasser et d’outrager celui même qui la bénit? C’est pour vous que le prêtre se tient assis dans l’église, et que le diacre est debout avec beaucoup de peine quelle excuse donc vous restera-t-il de ne pas recevoir le ministre de Dieu, au moins en écoutant sa parole?

Cette église est la maison commune de tous. Vous y entrez les premiers, et nous y venons ensuite, et nous pratiquons en y entrant, ce que Jésus-Christ ordonne ici à ses apôtres. Nous vous y bénissons tous en général, et nous vous y donnons d’abord cette paix que Jésus-Christ commande à ses disciples de donner lorsqu’ils entrent dans une maison. Que personne donc ne soit lâche et paresseux, que personne ne s’abandonne à l’égarement de ses pensées, lorsque les ministres de Dieu entrent et parlent dans ce lieu saint, Car cette négligence sera terriblement punie. Pour moi j’aimerais cent fois mieux être maltraité de vous, lorsque je vais vous voir dans vos maisons, que de n’être pas écouté ici lorsque je vous parle de la part de Dieu. Ce dernier mépris est d’autant plus grand, que cette maison est sans comparaison plus sainte et plus excellente que les vôtres.

Car c’est ici, mes frères, que sont renfermées nos plus précieuses richesses; c’est ici qu’est l’objet de toutes nos espérances. Qu’y a-t-il ici qui ne soit grand et terrible? Notre table est plus sainte et plus délicieuse que les vôtres. Notre huile est plus précieuse; et tout le monde sait combien de personnes recevant avec foi cette divine onction dans leurs maladies, se sont trouvées guéries de leurs maux. Cette armoire où l’on garde l’Eucharistie est aussi bien plus estimable que ne sont les vôtres. Car elle ne renferme pas de riches habits, mais elle contient la miséricorde même, quoiqu’il y ait peu de personnes ici qui en jouissent (266) et qui la possèdent. Le lit aussi où l’on se repose ici est bien plus doux que les vôtres, puisque la lecture et la méditation de l’Ecriture est un repos plus agréable que celui que vous prenez chez vous.

Si nous étions tous dans une parfaite union, nous n’aurions point besoin d’autre maison que de celle-ci. Ces trois mille hommes d’autrefois, et ces cinq autres mille ensuite montrent la vérité de ce que je dis, puisqu’ils n’avaient tous qu’une même maison, qu’une même table, et qu’une même âme. « La multitude des fidèles, » disent les Actes, « n’avaient tous qu’une âme, et qu’un coeur. »(Act. IV, 32.) Mais puisque nous sommes trop éloignés de cette haute vertu, et que nous sommes dispersés en plusieurs maisons différentes, au moins lorsque nous nous rassemblons ici, rentrons le plus que nous pourrons dans cet esprit et cette charité de l’Eglise à sa naissance. Quand nous serions pauvres dans tout le reste, soyons riches en ce point.

Je vous conjure donc, mes frères, de nous recevoir avec affection lorsque nous entrons ici. Quand nous vous disons: « Que la paix « soit avec vous , » répondez-nous: « Et qu’elle soit avec votre esprit; » mais du coeur plus que de la bouche, et plus par un véritable désir que par le son extérieur de la parole. Que si après m’avoir dit ici avec tout le peuple: « Que la paix soit avec votre esprit, » lorsque vous êtes revenus chez vous, vous me faites une guerre sanglante par vos médisances, par vos injures, et par toute sorte d’outrages, que doit-on dire de cette paix que vous m’aurez donnée dans l’église?

Pour moi je vous assure que quand vous diriez de moi tout le mal imaginable, je ne laisserai pas de vous donner et de vous souhaiter toujours très-sincèrement la paix. Je n’aurai jamais pour vous qu’une affection très-pure. Car je sens que j’ai pour vous tous les entrailles d’un vrai père. Si je vous fais quelquefois des réprimandes un peu fortes, ce n’est que par le zèle que j’ai de votre salut. Mais lorsque je vois que vous me décriez en secret et que dans la maison même du Seigneur, vous ne me recevez pas, et que vous ne m’écoutez pas avec un esprit de paix, je crains fort que vous rie redoubliez ma tristesse, non parce que vous tâchez de me noircir par vos injures, mais parce que vous rejetez de vous la paix que je vous donnais, et que vous attirez sur vous ces supplices effroyables dont Dieu menace ceux qui méprisent les prédicateurs de sa parole.

Quoique «je ne secoue point contre vous la poussière de mes pieds, » quoique je ne me retire point d’auprès de vous; l’arrêt néanmoins que Jésus-Christ a prononcé contre vous subsiste. Pour ce qui est de moi je ne cesserai point de vous souhaiter la paix, et je dirai continuellement: « Que la paix soit avec vous! » Si vous la rejetez avec mépris, je ne secouerai point contre vous la poussière de mes pieds, non que je veuille en ce point désobéir à mon Sauveur, mais parce que la charité qu’il m’a donnée pour vous m’empêcherait de le faire.

Il est vrai que j’ai peut-être tort de m’attribuer ce que Jésus-Christ dit ici à ses apôtres puisque je n’ai rien souffert pour vous, que je ne vous suis point venu chercher de loin pour vous annoncer l’Evangile, et que je ne vous ai point paru dans cet extérieur pauvre que Jésus-Christ a commandé à ses disciples, ni sans chaussures, ni sans une double tunique. Je veux bien être le premier à m’accuser moi-même, mais je suis obligé de vous dire que cela ne suffit pas pour vous justifier devant Dieu. J’en serai peut-être plus condamné, mais vous ne serez pas excusés.

7. Les maisons particulières étaient autrefois des églises, et les églises aujourd’hui ne sont plus que comme des maisons particulières. Les chrétiens alors ne parlaient que des choses du ciel dans leurs maisons, et aujourd’hui ils ne parlent plus dans les églises que des choses de la terre. Vous introduisez le siècle dans nos temples, et vous faites entrer le tumulte du palais jusque dans le sanctuaire. Quand Dieu parle, et que Son Evangile frappe votre oreille, au lieu de l’écouter dans le silence, vous ne vous entretenez que de vos affaires, et plût à Dieu que vous ne parlassiez alors que de vos affaires ! mais vous parlez alors, et vous entendez parler de choses encore plus vaines et plus inutiles.

Je vous avoue, mes frères, que c’est là le sujet de ma douleur. C’est pour cela que je pleure, et que je ne cesserai jamais de pleurer. Je ne suis plus libre de quitter cette église pour passer dans une autre. Il faut nécessairement que je demeure et que je souffre ici jusqu’à la fin de ma vie. « Recevez nous donc, » comme saint Paul disait à un peuple, qu’il conjurait par ces paroles de lui (267) donner entrée non à leur table, mais dans leur coeur. C’est ce que nous vous demandons, mes frères. Nous ne désirons de vous que cette charité qui a de l’ardeur, et cette amitié sincère et véritable. Que si vous refusez de nous aimer, au moins aimez-vous vous-mêmes, en renonçant à cette tiédeur malheureuse dont vous êtes possédés. Il nous suffira pour nous consoler de voir que vous devenez meilleurs, et que vous avancez dans la voie de Dieu. C’est en cela même que mon affection paraîtra plus grande, si, lorsque j’en ai beaucoup pour vous, vous en avez peu pour moi.

Car il y a bien des liens qui nous unissent ensemble, et qui nous obligent de nous entr’aimer. Un même père nous a engendrés; une même mère nous a enfantés avec les mêmes douleurs: nous mangeons à la même table, et non-seulement nous recevons un même breuvage, mais nous buvons même à la même coupe. C’est un artifice de la sagesse et de la bonté de notre Père qui est dans le ciel, d’avoir voulu que nous bussions ainsi du même calice, ce qui est le fait de la plus parfaite charité.

Vous me direz peut-être que je suis bien éloigné du mérite et de la dignité des apôtres:

je le reconnais de tout mon coeur, et je ne le désavouerai jamais. Bien loin de m’égaler à eux , je confesse que je ne suis pas digne d’être comparé, je ne dis pas avec eux, mais avec leur ombre. Si vous faites néanmoins ce que vous devez, non-seulement mes défauts ne vous nuiront point, mais ils vous pourront même beaucoup servir. Car vous serez d’autant plus récompensés de Dieu, que vous témoignerez plus d’affection et d’obéissance envers des ministres qui par eux-mêmes en auraient été indignes.

Nous ne vous parlons point ici de nous-mêmes, et nous ne vous disons point nos propres pensées. Nous n’avons point de maître sur la terre, selon la parole de Jésus-Christ, nous n’en avons qu’un qui est dans le ciel. Nous vous donnons ce que nous avons reçu, et en vous le donnant nous ne vous redemandons autre chose que votre amour. Que si nous en sommes indignes, aimez-nous néanmoins, et peut-être que votre charité nous en rendra dignes. Ce n’est pas trop pour vous que d’aimer ceux qui ne méritent pas d’être aimés, puisque Jésus-Christ vous commande d’aimer même vos ennemis. Qui pourrait donc après un commandement si doux avoir l’âme si barbare et si inhumaine que de haïr celui qui l’aime, quand d’ailleurs il serait engagé dans mille vices?

Une même table, une même viande nous unit tous, qu’un même amour divin et spirituel unisse nos coeurs. Si les voleurs les plus cruels épargnent ceux avec qui ils ont bu et mangé, et oublient à leur égard cette inhumanité qui leur est si naturelle, quelle excuse nous restera-t-il, si après avoir mangé ensemble la même chair du Sauveur, nous avons moins de tendresse et moins d’amitié que des voleurs? Les païens autrefois se sont entr’aimés, non pour n’avoir eu qu’une même maison et une même table, mais seulement pour avoir été citoyens d’une même ville; que pourrons-nous donc attendre de Dieu? Nous nous trouvons divisés les uns des autres, nous qu’il a unis par tant de noeuds et par des chaînes si sacrées; nous qui demeurons dans la même ville et dans la même maison; nous qui marchons dans la même voie ; qui entrons par la même porte; qui sommeS les rejetons d’une même tige; qui sommes les membres d’une même tête et d’un même chef, et enfin nous qui n’avons tous qu’une même vie, un même créateur, un même père, un même pasteur, un même roi, un même maître et un même juge.

Vous voudriez peut-être que nous fissions des miracles tomme les apôtres en ont fait. Vous voudriez voir les lépreux guéris, les démons chassés et les morts ressuscités; mais c’est- là la plus grande preuve de votre foi et de votre amour pour Dieu, de croire fermement en lui sans tous ses miracles. C’est pour cela même que Dieu a fait cesser les miracles, quoiqu’il y en ait encore d’autres raisons. Car si lors même que Dieu a retiré ces dons qui ont plus d’éclat, ceux qui excellent en d’autres, comme dans celui de la science et de la vertu, s’énorgueillissent aisément, et par le désir d’une vaine estime se séparent d’avec leurs frères; s’ils avaient le don des miracles, combien tomberaient-ils encore plus aisément dans le même orgueil, et dans les schismes qui en peuvent naître? Ce que je vous dis n’est point seulement une vaine conjecture, mais nous en voyons une preuve dans ce que saint Paul dit des Corinthiens, parmi lesquels il se forma beaucoup de divisions, parce qu’ils aimaient fort les dons extérieurs, et entr’autres celui des miracles. (268)

Ne cherchez point, mes frères, ces effets miraculeux, mais la guérison de vos âmes. Ne désirez point de voir ressusciter un mort, puisque vous savez que tous les morts ressusciteront un jour. Ne demandez point comme une grâce de voir un aveugle recouvrer la vue; mais considérez plutôt tant de personnes à qui Dieu a ouvert les yeux du coeur et qu’il a si divinement éclairées dans l’âme. Apprenez à leur exemple à rendre votre oeil chaste et modeste, et à régler tous vos regards. Si notre vie était telle qu’elle devrait être, les païens seraient plus touchés en la voyant, que, si nous taisions les plus grands miracles; car les miracles ne persuadent pas toujours. On croit quelquefois qu’ils ne sont que feints et en apparence, ou qu’il s’y mêle quelque chose de mauvais, quoiqu’il soit vrai que ce soupçon ne puisse tomber sur ceux qui se font parmi nous. Mais une vie pure ne saurait être suspecte. Elle est hors d’atteinte à la calomnie, et elle ferme la bouche à tous les hommes. Appliquons-nous donc plus qu’à toute autre chose à bien régler notre vie. La bonne vie est un grand trésor et un grand miracle. C’est elle qui donne la véritable liberté. Elle rend les esclaves parfaitement libres, non, en les tirant de la servitude, mais en les rendant sans comparaison plus libres que les personnes libres, quoiqu’ils demeurent extérieurement toujours esclaves, ce qui est beaucoup plus grand que de leur donner la liberté. La bonne vie enrichit le pauvre , non en le tirant de sa pauvreté, mais en faisant que, demeurant pauvre il est plus content, il a moins de besoin, et il est plus riche, en effet, que tous les riches.

8. Si vous désirez de voir des miracles, tâchez de vaincre en vous le péché, et vous verrez ce que Vous désirez. Car le péché, mes frères, est un démon, et un démon redoutable, Si vous le chassez de vous, vous faites un plus grand miracle que ne font les exorcistes lorsqu’ils chassent les démons des possédés. Ecoutez ce que dit saint Paul, et voyez combien il préfère la vertu à tous les miracles. « Désirez » dit-il, « entre les dons ceux qui sont les plus excellents, et je vous montrerai une voie qui « est encore beaucoup plus élevée au-dessus de tous ces dons. » (I Cor. XII, 31.) Expliquant ensuite quelle est cette « voie, » il ne parle ni de la résurrection des morts , ni de la guérison des lépreux, ni des autres miracles semblables, mais seulement de la charité. Considérez aussi ce que Jésus-Christ dit à ses apôtres : « Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous obéissent, mais réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont écrits au ciel. » (Luc, IX, 21.) Et ailleurs : «Plusieurs me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé? n’avons-nous pas chassé les démons, et fait beaucoup de miracles en votre nom? Et je leur répondrai alors: je ne vous connais point. » (Matth. VII, 26.) Et lorsque, près de mourir sur la croix, il donne ses dernières instructions à ses apôtres, il leur dit: « On reconnaîtra que vous êtes mes disciples, » non pas si vous chassez

les démons, mais « si vous vous aimez l’un l’autre. » (Jean, XIII, 35.) Et un peu après : « C’est en cela, mon Père, qu’on reconnaîtra que vous m’avez envoyé, » non pas si mes apôtres ressuscitent les morts, mais « s’ils sont tous une même chose. » (Jean, XVII.)

Souvent les miracles ont peu servi à ceux qui les voyaient, et ont nui beaucoup à celui qui les faisait, en lui donnant des sentiments de complaisance et de vaine gloire. Mais on ne peut craindre ce mauvais effet de la bonne vie et de la vertu. Car la vertu sert à ceux qui la voient et encore plus à celui qui la pratique. Travaillez donc, mes frères, à bien vivre, et vos actions seront des miracles. Si, d’avare que vous étiez; vous devenez libéral, vous avez guéri une main desséchée qui ne pouvait s’étendre pour donner l’aumône. Si vous renoncez au théâtre, pour venir dans nos églises, vous avez guéri un boiteux, et vous l’avez fait marcher droit. Si vous éloignez vos yeux de la courtisane et de la femme d’autrui pour n’avoir plus à l’avenir que des regards chastes vous aurez rendu la vue à un aveugle. Si vous détestez ces chansons diaboliques pour ne chanter à l’avenir que nos cantiques spirituels, vous aurez fait parler un muet. Voilà les merveilles qui sont véritablement estimables. Voilà les miracles que je vous souhaite. En faisant ces oeuvres saintes et miraculeuses, nous deviendrons grands nous-mêmes, et nous servirons aux autres par notre exempté, nous les ferons passer d’une vie mauvaise à une vie sainte, et nous nous ouvrirons ainsi l’entrée du ciel, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire, et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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