|
|
SERMON XLIV. La correction doit se régler sur le caractère de ceux qu'on reprend : elle doit être douce quand elle s'adresse à des personnes humbles et faciles, et sévère quand on a affaire à des rimes dures et obstinées.
1. «Mon bien-aimé est pour moi une grappe de raisin de Chypre dans les vignes d'Engaddi (Cant. 1, 13). » Si l'Époux est aimable dans la mirrhe, il l'est bien davantage dans la douceur du raisin. Mon Seigneur Jésus est donc pour moi de la mirrhe dans sa mort, et une grappe de raisin dans sa résurrection ; et c'est de cette sorte qu'il s'est donné lui-même à moi comme un breuvage salutaire mêlé de larmes et de joie. Il est mort pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification, afin qu'étant morts au péché nous vivions pour la justice (Rom. IV, 25). » Donc, si vous avez pleuré vos péchés, vous avez bu le breuvage amer, mais si, entrés dans une vie plus sainte, vous commencez à respirer dans l'espérance d'une vie immortelle, l'amertume de la mirrhe s'est changée, pour vous, en la douceur du vin qui réjouit le coeur de l'homme. Peut-être, quand le Sauveur ne voulu point boire le vin mêlé de mirrhe qu'on lui présenta sur la croix, était-ce pour faire comprendre qu'il n'avait soif que du premier ? Lors donc qu'après les amertumes de la mirrhe, vous venez à goûter ce vin délicieux, vous pouvez dire aussi avec raison : « Mon bien aimé est pour moi une grappe de raisin de Chypre dans les vignes d'Engaddi. » Engaddi signifie deux choses, mais toutes deux ont le même sens. Il veut dire en effet, lafontaine du bouc, et le baptême des nations; or l'une et l'autre marquent clairement les larmes du pécheur. On l'interprète encore l'i1 de la tentation qui verse aussi des larmes, et voit d'avance les tentations qui ne manquent jamais à l'homme, tant qu'il est sur la terre; mais les gentils, qui marchaient dans les ténèbres, n'ont pas pu découvrir par eux-mêmes, ni par conséquent éviter les pièges des tentations, jusqu'à ce que, par la grâce de celui qui illumine les aveuglés, ils eussent recouvré les yeux de la foi, fussent entrés dans l'Église, qui a un oeil pour apercevoir les tentations, se fussent fait instruire par des hommes spirituels, qui, étant éclairés par l'esprit de sagesse, et savants par leur propre expérience, peuvent dire en vérité : « Nous n'ignorons pas les artifices et les desseins du diable (Cor. II, 11). » 2. On dit que Engaddi produit aussi une petite espèce de baumier, que les habitants du pays cultivent comme des vignes; c'est peut-être pour cela qu'il les appelle des vignes. Autrement que signifierait du raisin de Chypre dans les vignes d'Engaddi ? Qui s'est jamais avisé de transporter des grappes de raisin d'une vigne dans une autre ? On ne porte pas ordinairement du vin où il y en a, mais où il n'y en a point. Il appelle donc, vignes d'Engaddi, les peuples de l'Église, elle a un baume liquide, je veux dire un esprit de douceur qui lui fait choyer la délicatesse de ceux qui sont encore petits en Jésus-Christ, et consoler les douleurs des pénitents. Si un frère tombe en quelque faute, un des ministres de l'Église qui a déjà reçu cet esprit, le reprendra aussitôt avec ce même esprit de douceur, parce qu'en faisant retour sur lui-même, il craint d'être tenté (Gal. VI, 1.). C'est ce qui figure l'huile matérielle dont l'Église a coutume d'oindre le corps de tous ceux qui sont baptisés. 3. Mais comme les plaies de celui qui est tombé entre les mains des voleurs, et que le charitable samaritain a porté sur son cheval dans l'hôtellerie de l'Église, ne sç guérissent pas avec de l'huile seulement, mais avec du vin et de l'huile tout ensemble; il faut que le médecin spirituel mêle le vin d'un zèle ardent, avec l'huile de la douceur, attendu qu'il ne doit pas seulement consoler las faibles, mais aussi reprendre les esprits inquiets. Car s'il voit que le blessé, c'est-à-dire, le pécheur, ne s'amende point par les douces et charitables réprimandes, par lesquelles il commence sa guérison, et qu'au contraire il abuse de sa bonté, devient plus négligent à cause de sa patience, et persiste avec plus de confiance encore dans son péché ; l'huile de remontrances salutaires étant inutile, il doit se servir des remèdes plus piquants, employer le vin de la componction, c'est-à-dire recourir à son égard aux réprimandes sévères et aux reproches amers, et s'il en est besoin, et que son endurcissement soit si grand, il pourra venger ce mépris, en le frappant même des censures ecclésiastiques. Mais où prendra-t-il ce vin? Car on ne trouve point de vin dans les vignes d' Engaddi on y trouve seulement de l'huile. Qu'il le cherche dans l'île de Chypre, qu'on dit être fertile en vin, mais en vin excellent, qu'il cueille cette grosse grappe, qu'autrefois les espions d'Israël rapportaient sur un levier, en quoi ils figuraient les prophètes qui ont marché devant, les apôtres qui ont suivi, et Jésus-Christ qui est venu entre les prophètes et les apôtres ; et qu'en prenant cette grappe, il dise . « Mon bien-aimé m'est une grappe de raisin de Chypre. » 4. Nous avons parlé de la grappe de raisin; voyons maintenant comment. on en tire le vin du zèle; car, si lhomme pécheur ne se met point en colère contre celui qui pèche, mais, au contraire, use de compassion comme d'une liqueur douce balsamique qu'il verse sur lui, nous savons d'où cela procède, et vous l'avez déjà ouï, mais peut-être n'y avez-vous pas pris garde. Car nous avons dit que cette douceur vient de ce qu'on se considère soi-même, et que, suivant le conseil très-sage de saint Paul, pour apprendre à avoir de la condescendance pour ceux qui se laissent aller eau péché, on se considère soi-même dais la crainte d'être aussi tenté un jour (Galal. VI, 1), et n'est-ce pas de là que l'amour du prochain dont il est dit dans la loi : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même (Luc. X, 27), » tire son origine. L'amour du prochain a sans doute ses premiers fondements dans les plus secrètes affections humaines ; et de l'amour que la nature a inspiré à l'homme pour lui-même, comme d'une humeur féconde, l'amour du prochain tire une espèce de vie et de vigueur, par laquelle, avec la grâce que Dieu répand sur lui d'en haut, il produit des fruits de charité; en sorte que ce que l'âme désire naturellement pour soi, elle ne croit pas devoir le refuser à un autre, qui semble avoir quelque droit d'y prétendre, parce qu'il participe à sa nature; elle lui en fait part avec joie et volontiers, lorsqu'elle le peut et qu'il en a besoin. Ainsi, cette onction de douceur et de bonté, naturelle à l'homme, à moins que le péché ne la détruise, le porte plus à compatir aux fautes des pécheurs qu'à les traiter avec rigueur et sévérité. 5. Mais, selon le mot du Sage, « comme les mouches qui doivent mourir gâtent l'huile des parfums (Eccles. X, 1), » et qu'une fois gâtée, la nature n'a plus de quoi réparer la perte qu'elle a faite, il arrive que, par un changement déplorable, elle éprouve ce que l'Écriture adit avec tant de vérité, que « les inclinations et les pensées de l'homme sont portées au mal dès sa jeunesse (Gen. VIII. 21. » Ce n'est pas une bonne jeunesse que celle dans laquelle le plus jeune des enfants demande qu'on lui donne sa part du bien de son père, et veut partager un bien qu'il est plus doux de posséder en commun, et avoir seul un bien qui n'est pas diminué pour être possédé eu commun, et ne perd rien pour être partagé. Enfin, dit l'Écriture : « Il dissipa tous ses biens en vivant dans la débauche avec des femmes perdues (Luc. XV, 12). » Qui sont ces femmes perdues? Ne sont-ce point celles qui font perdre toute sa douceur à celte huile de parfums, c'est-à-dire les convoitises de la chair, au sujet desquelles l'Écriture nous donne des avis très-salutaires, quand elle nous dit : « Ne vous laissez point aller après vos convoitises; » car le Sage remarque fort bien qu'elles « doivent mourir, attendu que le monde passe avec ses convoitises (Joan. II, 17). » lorsque nous voulons les satisfaire, nous nous privons de la douceur d'un bien commun et général, par celle que nous voulons prendre en particulier. Ce sont là sans doute ces mouches sales et piquantes, (lui souillent en nous la beauté de la nature, déchirent l'esprit par les soucis et les inquiétudes, et détruisent le plaisir et les charmes de la vie commune. C'est pour cela que l'homme est appelé le plus jeune des enfants du père de famille, parce que, tandis que sa nature corrompue par les passions déréglées d'une folle jeunesse, a perdu toute la grâce de la maturité et de la sagesse virile, son esprit s'endurcit et se dessèche, méprise tout le monde au prix de soi, et perd toute affection. 6. C'est donc dès le commencement de cette méchante et misérable jeunesse que les inclinations et les pensées de l'homme sont portées au mal, et que naturellement il est plus prompt à s'irriter contre le prochain qu'à compatir à ses faiblesses. De là vient que l'homme, ayant dépouillé presque tout sentiment d'humanité, veut que les autres l'assistent dans ses besoins, mais ne veut pas rendre lui-même aux autres l'assistance qu'ils réclament. Un homme est un pécheur juge des,hommes et des pécheurs comme lui, il les méprise, il s'en raille, sans considérer qu'il peut être tenté aussi à son tour, or, comme j'ai dit, la nature ne se relèvera pas de ce mal par elle-même, et ne recouvrera jamais l'huile de cette douceur originelle, depuis qu'elle l'a une fois perdue. Mais ce que la nature ne saurait faire, la grâce le peut. Et celui sur qui l'Esprit Saint daignera répandre de nouveau les effets de sa bonté, comme une onction salutaire, reprendra aussitôt ses premiers sentiments d'humanité, et recevra même de la grâce, quelque chose de plus excellent que de ce qu'il tenait de la nature. Elle le rendra saint par la foi et parla douceur, et lui donnera non de l'huile, mais du baume recueilli dans les vignes d'Engaddi. 7. Car il n'y a point de doute qu'il ne coule des dons plus précieux de la fontaine du bouc dont l'onction change les boucs en agneaux, fait passer les pécheurs de la gauche à la droite, après les avoir abondamment rempli de l'huile de la miséricorde, afin que la grâce surabonde où les péchés abondaient auparavant. (Rom. XV, 20.) Ne vous semble-t-il pas que celui-là soit, en quelque sorte redevenu homme qui, dépouillant la dureté de l'esprit du monde, et recouvrant, avec le secours de la grâce, l'onction et la douceur naturelle à l'homme, que les convoitises charnelles, comme des mouches infectes, avaient entièrement détruite tiré de son fond l'homme, c'est-à-dire de soi-même, la matière et la règle de sa compassion pour les hommes, et regarde comme quelque chose de brutal et de monstrueux, non-seulement de faire à autrui ce que lui-même ne voudrait pas souffrir, mais même de ne pas faire aux autres ce qu'il désirerait qu'on lui fit à lui-même ? 8. Voilà d'où vient l'huile. Mais d'où vient le vin ? Évidemment de la grappe de raisin de Chypre. Car si vous aimez le Seigneur Jésus de tout votre coeur, de toute votre âme, de toutes vos forces, pourrez-vous voir sans émotion les injures et les outrages qu'on lui fait ? non sans doute, mais, emporté aussi par un esprit de jugement, et de zèle, comme un homme puissant et robuste à qui le vin donne de nouvelles forces, plein du zèle de Phinées, vous direz avec David : « Je sèche de regret et de zèle de ce que mes ennemis ont oublié vos paroles (Psal. LXXVII, 15),» et avec le Seigneur: «Le zèle de votre maison me consume et me dévore (Psal. LXXVIII, 10). » Ce zèle ardent, c'est le vin exprimé de la grappe de raisin de Chypre, et l'amour de Jésus-Christ est un breuvage qui enivre. Car notre Dieu est un feu consumant (Dent. IV, 24), et un Prophète disait, que le feu était descendu d'en haut dans la moëlle de ses os (Tren. I, 13), parce qu'il était tout enflammé de l'amour divin. Lorsque l'amour du prochain vous a donné l'huile , de douceur, quand l'amour de Dieu vous a procuré le vin du zèle et de l'émulation, approchez-vous avec confiance pour guérir les plaies de celui qui est tombé entre les mains des voleurs, et soyez un parfait imitateur du charitable Samaritain. Dites aussi avec la même confiance que l'Épouse : « Mon bien-aimé est pour moi une grappe de raisins de Chypre dans les vignes d'Engaddi. » C'est-à-dire, l'amour de mon bien-aimé m'embrase de zèle de justice, dans les sentiments d'affection que j'ai pour mon prochain. Mais en voilà assez. Car ma mauvaise santé me force à m'arrêter, comme cela m'arrive assez souvent, en sorte que pour la plupart du temps, comme vous savez, je suis obligé de laisser mes discours inachevés, et de renvoyer à un autre jour ce qui me reste à dire sur les versets que j'avais le dessein d'expliquer. Mais quoi? Je m'attends à être châtié, car je sais que je suis encore traité plus favorablement que je ne le mérite, frappez-moi, mon Dieu, frappez-moi comme un serviteur qui travaille mal. Peut-être les coups que je recevrai de votre main, me tiendront-ils lieu de mérites, peut-être Jésus-Christ, l'époux de l'Église, ne trouvant point en moi des biens qu'il récompense, verra dans mes plaies et dans mes douleurs un sujet d'exercer sa miséricorde et d'avoir pitié de moi, Lui qui est Dieu par dessus toutes choses, et béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
|